Archives mensuelles : mai 2010

Une marche pour l’eau (mais si !)

Je rebondis sur un commentaire envoyé par Bénédicte, qui évoque l’une des plus belles pages de l’histoire de l’homme. Je veux parler de la marche du sel lancé par Mohandas Karamchand Gandhi, en 1930. Je ne peux décrire ici cette épopée. Sachez que les Britanniques qui tenaient l’Inde imposaient aux peuples de ce pays un impôt sur le sel. Les pauvres, les plus pauvres payaient les plus riches, ce qui rappelle bien d’autres souvenirs.

Le 15 février 1930, Gandhi annonce une campagne de désobéissance civile sans précédent. Il entend soulever pacifiquement le peuple des profondeurs, pour refuser l’inssupportable taxation. « À côté de l’air et de l’eau, écrit-il le 27 février dans Young India, le sel est peut-être la plus grande nécessité de la vie ».  Et le 12 mars, Gandhi commence sa marche, cette merveilleuse, cette grandiose, cette inoubliable Marche du sel. Les 79 marcheurs du départ sont rejoints par des milliers d’autres, accueillis ailleurs par des dizaines de milliers de gueux. Le 5 avril, Gandhi est à l’océan, et le 6 au matin, après s’être baigné, il saisit une poignée de sel et déclare : « Ce poing qui tient ce sel peut être brisé, mais ce sel ne sera pas rendu volontairement ».

C’est l’insurrection, qui n’est pacifique que d’un côté. Les colonialistes envoient en prison peut-être 60 000 personnes, et en tuent un nombre inconnu. Mais le sel ne sera pas rendu.

Cette fois, me comprendra-t-on mieux ? Je bois de l’eau en bouteille car je ne peux tolérer de boire de l’eau morte. Je bois de l’eau en bouteille car je la respecte, car je vois en elle un cadeau des plus lointaines éternités, offerte à l’homme, aux bêtes, aux plantes, à tout ce qui vit sur cette terre. Je bois de l’eau en bouteille car je me sens un insurgé, et que rigole qui veut. Ce que je pense au plus profond, c’est que nous devons trouver le moyen de faire, à notre façon, avec nos moyens et nos limites, si tristement évidentes, ce qu’a réussi le Mahatma il y a 80 ans. Il faut trouver un moyen indiscutable, incomparable, incroyable de réclamer une eau vraie, pour tous, d’un bout à l’autre de la terre.

Je vous le dis, et vous le savez, nul ne se battra jamais pour cette « eau » industrielle que l’on nous oblige à consommer. Si l’on doit se battre, ce sera pour le vivant, pour une eau vivante donc. Et si nous parvenions à formuler un plan, si nous réussissions à galvaniser enfin ces énergies que je sens poindre, je gage que tout deviendrait soudain plus facile. Pensons ensemble à un mouvement radical, populaire, non-violent mais sans peur aucune, bataillant contre les épouvantables ersatz de l’industrie. Pour commencer, il faut une idée. Une grande, belle et simple idée. Comme celle de Gandhi en 1930. Ne nous précipitons pas. Nous avons le temps. Peu de temps, mais assez pour polir ensemble une si splendide action que personne ne l’oublierait jamais.

Un rajout nécessaire sur la flotte en bouteille

Ne finassons pas, je savais ce que je faisais. Je savais que l’aveu de ma consommation d’une eau embouteillée ne passerait pas ici. En tout cas, pas auprès de tous. Et je le comprends, c’est bien la moindre des choses. Je le comprends, mais ne l’accepte réellement. Levons d’abord une minuscule ambiguïté : je ne bois pas de l’eau sous plastique pour le bien de ma petite personne. En ce qui me concerne, les jeux sont faits depuis longtemps, et j’ai ingurgité tant de tonnes de produits frelatés dans ma vie, sans compter ceux qui étaient interdits, que je porte en moi mon sort à venir. Bon. Je ne pleure pas.

Non, ce n’est pas pour mon bien-être, même si l’eau du robinet a un goût immonde quand on la compare à l’une des rares eaux vivantes ayant échappé à l’extermination industrielle. Ce n’est pas pour moi, en tout cas pas directement. Mais alors ? Je n’aurai pas l’outrecuidance de prétendre qu’il s’agit d’un acte politique, susceptible d’entraîner qui que ce soit, de provoquer quelque mouvement que ce soit. Non, il s’agit à mes yeux d’un refus moral et radical de ce que ce monde m’impose et impose à tant d’autres.

Oui, je revendique cet acte comme moral, essentiel et moral. Individuel, mais non individualiste. Il marque le refus de la souillure, le refus du poison, le refus de la profanation. Je crois qu’il importe au plus haut point que nous marquions le territoire de nos rêves de gestes de rupture. Je sais déjà que nombre d’entre vous trouveront cette expression déplacée, et un tantinet ridicule. Pourtant, je suis certain que le misérable consensus, incluant de nombreux écologistes, autour de cette eau légale mais dégueulasse, devra tôt ou tard voler en éclats. Je crois aux signes. Je crois aux symboles. Je crois à l’âme humaine et à la pureté de l’eau. Et je prétends et continuerai de prétendre qu’il existe une différence de nature entre l’eau et « l’eau ». C’est-à-dire entre la vie et la mort. Au passage, et là-dessus, je crois que nous serons tous d’accord, cette question ne nous oblige-t-elle pas à penser le cœur des choses ?

Pourquoi je bois de l’eau en bouteille (no logo)

Il aura donc suffi d’un documentaire – Du poison dans l’eau du robinet ? – pour que tout soudain, la galaxie écologiste, et au-delà, s’émeuve. Quoi, l’eau légale distribuée à domicile dissimulerait donc des saletés ? Je ne peux tout à fait m’empêcher de ricaner. Car enfin, car voyons, tout cela n’est-il pas évident pour quiconque essaie de voir la même chose d’une autre façon, qui n’est pas loin d’être le sous-titre de Planète sans visa ?

Je bois de l’eau en bouteille plastique depuis je ne sais plus combien d’années. En tout cas, longtemps. J’ai essuyé comme de juste des critiques et même de nombreux quolibets. Moi, l’enragé de l’écologie, je cautionnais donc la fabrication d’un plastique tiré du pétrole, si coûteux à fabriquer et à détruire, si plein de toxicité ? Eh bien oui, je l’avoue. Oui. Seulement, il y a tout de même quelques explications à fournir.

Comme à l’habitude, je prendrai des chemins de traverse. En janvier 2007 éclatait une étrange polémique opposant d’un côté la société d’eau embouteillée Cristaline et de l’autre le maire de Paris Bertrand Delanoé et Anne Le Strat, PDG d’Eau de Paris (société d’économie mixte de la Ville de Paris), ancienne élue Verte ralliée aux socialistes (ici). Cristaline avait lancé une campagne de pub agressive contre l’eau du robinet, avec par exemple des formules du genre : « Qui prétend que l’eau du robinet a bon goût ne doit pas en boire souvent ».

Colère altermondialiste tous azimuts. Dans la foulée, Clémentine Autain, météore perpétuel bien connu de la « gauche de la gauche », écrivait sur son blog de bien imprudentes paroles : « J’ai vu dans les rues de Paris une campagne publicitaire pour une grande marque d’eau minérale qui m’a sidérée (…)  Pour le moins décalé, à l’heure écolo… La Ville de Paris distribue une eau potable bonne à boire (j’ai testé pour vous !) et parfaitement équilibrée. Ajouté à cela que son coût est bien inférieur à celui proposé en bouteille plastique (0,17€ le litre de Cristaline contre une moyenne en France de 0,0026€ pour l’eau courante). L’eau du robinet est très rigoureusement contrôlée par les autorités sanitaires. Par ailleurs, personne ne sait vraiment quels sont les effets du plastique sur la qualité de l’eau. Par contre, nous connaissons davantage les effets dévastateurs de la matière plastique sur l’environnement. Mais ce n’est évidemment pas le problème des marques d’eau de source distribuée en bouteilles…».

Excellent résumé de la doxa écolo-bobo sur une question redoutable et pour tout dire ontologique. Mais qu’en est-il vraiment ? Le film Du poison dans l’eau du robinet ? met l’accent sur l’aluminium, les pesticides, le radon, les médicaments. Première stupéfaction : on trouve donc de cela dans le liquide le plus essentiel qui soit à la vie. Faut-il le rappeler ? Le corps humain est essentiellement de l’eau. 70 % de ce que je suis et de ce que vous êtes n’est que de l’eau. Songez-y une courte seconde.

Donc, assurément, et malgré les cris d’orfraie de madame Le Strat et les billevesées de madame Autain, l’eau du robinet pose problème. Mais l’affaire va bien plus loin que cela, et l’on finira bien par s’en rendre compte. Et l’écrire. Et le pleurer. Voyons ce qu’on fait subir à ce qui sert à « fabriquer » ce que les industriels appellent pour leur plus grand profit de l’eau. Je vais essayer d’être simple, ce qui est un rien compliqué.

Soit une eau polluée. Qui contient toutes les merdes de la terre, toutes les chimies, toutes les chieries, toutes les molécules concevables, lesquelles s’entrechoquent dans le vaste brouet. Conduite dans des installations de plus en plus sophistiquées – qui contrôle ces monstres technologiques ? -, l’eau est d’abord oxydée. Pour préparer l’élimination de matières organiques, telle la merde. On utilise du chlore – déjà – et de l’ozone. Et ce ne sont pas des produits anodins, croyez-moi. Deuxième phase : la « clarification ». Je n’invente pas. Séquence clarification. La soupe passe à travers des grillages qui retiennent les matières les plus grosses, avant de décanter dans des bassins, censés retenir des particules un peu plus petites. Les plus minuscules de ces dernières sont filtrées juste après percolation au travers d’un lit de sable, en tout cas granulaire. Pour faciliter le tout, on ajoute à ce stade un produit chimique qui agrège les petites particules. Mais que devient le coagulant ?

Place ensuite à Pasteur, c’est-à-dire à la désinfection. De nouveau, on utilise du chlore ou de l’ozone. Cette partie est décisive d’un point de vue commercial, car si l’industriel venait à échouer là, il aurait des problèmes. Il s’agit en effet d’éliminer tous les germes pathogènes, ceux qui ont des effets immédiats. Ceux qui provoquent des gastro-entérites ou de simples diarrhées. Mais rassurez-vous : à condition de matraquer l’eau, les virus et bactéries trépassent. Et les intoxications aiguës sont donc rarissimes. Le reste, comme on va voir, est invisible.

Que reste-t-il, à ce moment, des pollutions qui ont dévasté l’eau de départ ? Malgré les apparences, presque tout. Des centaines, peut-être des milliers de molécules diverses contre lesquelles il faut bien tenter quelque chose. Attention, ce qui précède n’est pas d’un esprit tordu, aussi contestable soit le mien. La chimie de synthèse a bien mis sur le marché au moins 100 000 produits neufs depuis l’après-guerre. Ce n’est que grossière approximation. Nul ne sait, en vérité, sinon que ces assemblages de molécules n’avaient jusque là jamais existé sur terre. Et que leurs effets restent presque inconnus, surtout si l’on considère leurs effets de synergie incontrôlables.

Pour être encore plus clair, pensez avec moi à ce qui est utilisé dans la métallurgie, l’électrochimie, l’industrie du bois, le raffinage du sucre, les produits cosmétiques, les engrais et la chimie agricole, les combustibles, la pétrochimie, les lubrifiants et graisses, les peintures et vernis, les médicaments de toutes sortes, et cætera. Un fleuve, plutôt un océan de composés toxiques, résistants, rémanents rejoint à chaque seconde l’eau qui servira à nous abreuver.

Et voilà l’heure bénie des traitements lourds, ceux qui justifient le prix du mètre cube d’eau, et la richesse de ceux qui nous la vendent de force. Je vous fais grâce des détails techniques, qui ne sont que techniques. Dans le « meilleur » des cas, car toutes les eaux potables n’ont pas le droit aux mêmes égards, l’industrie utilise l’adsorption sur lits de charbon actif, la dénitrification par usage de résines échangeuses d’ions, et divers procédés utilisant des membranes, qui permettent de passer de l’ultrafiltration à la nanofiltration, l’osmose inverse étant encore un autre procédé.

Après un tel bombardement, il ne devrait plus rien rester. Et, d’une certaine manière, comme je vais tenter de l’expliquer, il ne reste rien. Mais pensons d’abord à ce qui subsiste. Je ne connais pas – l’ami Marc Laimé me donnera peut-être un coup de main ? – quelle est la liste des molécules recherchées in fine, juste avant la délivrance de l’eau dans le réseau de ville. Mais je sais comme tout le monde que l’on ne trouve que ce que l’on recherche. Or il est bien évident que l’on ne peut trouver la trace des milliers de saloperies différentes susceptibles d’avoir échappé au grand hachoir physico-chimique. Qui paierait la note, à supposer que ce fût possible sur le plan théorique ? Puis, comment savoir au juste ce que l’on fait en cassant d’innombrables molécules ? Je suis ignare en chimie, autant le dire, mais il me semble plus que probable que l’on crée ainsi de nouveaux composés, dont nul ne se préoccupe. Le chlore, pour ne prendre que cet exemple, ne réagirait-il pas constamment au contact des matières que les ingénieurs lui font rencontrer ?

Autre question essentielle, celle du niveau d’action des polluants de l’eau. Qui a décidé des normes, dites-moi ? Et qui les défend mordicus ? Et qui nous assure que les cocktails synergiques dont je parlais n’ont pas des effets imprévisibles ? À partir de quel nanogramme une matière a-t-elle une action ? Je sais des chimistes respectés qui pensent aujourd’hui qu’une seule molécule, je dis bien une seule, peut avoir un effet, et un effet néfaste. Alors ?

Reste ce qui, finalement, est le plus important de tout. Qu’est-ce que l’eau ? Je n’en sais strictement rien. Mais les foutus connards qui prétendent que l’on sert de l’eau au robinet n’en savent rien non plus. Moi, je vois que l’eau est vivante. Un élément vivant au centre même de l’aventure de la vie. Et de la nôtre, inutile d’y insister. Il m’arrive, je crois que les infirmiers en blouse blanche sont à la porte, je me dépêche, il m’arrive de penser que l’eau est un être vivant. Aussi bien, l’image qui me vient est celle d’un pauvre garçon que des brutes, par dizaines, passeraient à tabac pendant des heures à coups de barres de fer et de nunchakus. Et qui nous présenteraient ensuite le massacré, mort de ses blessures, en jurant la main sur le cœur : « Ecce Homo ! ». Autrement dit : « Voici l’homme ! ».

Eh bien non, voici-pas l’eau. L’eau a un cycle, fait de bienfaisance continue, d’aide sans fin à la création, de bonheur universel. Et nous osons ce qu’il faut bien appeler une profanation. Et nous osons transformer cette infinie complexité, cette grâce majeure en un bricolage technologique de plus, qui imite la merveille et, le faisant, nous humilie tous. Oui, amis lecteurs, je vous l’écris sans honte. Je me sens humilié dans la profondeur de mon être par ce que ces imbéciles font chaque matin en mon nom. Et en mon nom personnel, sans vouloir convaincre quiconque, j’ai jugé normal de rendre à l’eau l’hommage que je lui dois. Et donc de la boire dans son intégrité, certes relative.

Ne me faites pas plus niais que je ne le suis. Je suis au courant des problèmes que pose cette saloperie d’embouteillage plastique. Et je ne serais pas étonné d’apprendre l’existence de migrations entre plastique et eau. Mais. MAIS au moins, je donne une chance à cette eau-là, qui a traversé un sol forestier sur lequel on ne déverse pas de pesticides – j’ai vérifié, comptez sur moi – de me donner à moi, Fabrice Nicolino, ce qu’elle m’aurait donné si nous étions moins fous. Car nous sommes fous. Et certains soirs comme celui-là, ô ! comme je suis fatigué d’avoir à pareillement radoter. La seule voie possible, nous la connaissons tous. Ne plus polluer aucune source d’eau. Et avant cela, pour y parvenir, considérer toutes les eaux de la terre, douces ou salées, comme sacrées, intouchables. Donc décréter qu’il y a crime dès lors qu’il y a infraction. Ce qui n’arrivera que lorsque notre culture de l’eau et de la vie aura écrasé à jamais les basses valeurs industrielles de la destruction.

En attendant, l’eau, leur eau, ce qu’ils appellent l’eau est morte.

Ces oliviers qui signifient la guerre (Incursion en Palestine)

Je ne découvre pas la Lune, non pas. Je sais dans les grandes lignes ce qui s’est passé en Palestine, au moins depuis les années 20 du siècle écoulé. L’aspiration de certains Juifs à fonder sur cette terre un État. L’émergence d’une superbe génération de pionniers, sionistes, socialistes, souvent universalistes malgré certaines apparences. ??? ??-??????, c’est-à-dire David Ben Gourion, alias de David Grün, en fut le plus noble symbole. Mais cet homme, bien que né en Pologne, avait émigré en Palestine dès 1906, à l’âge de 20 ans. Il n’avait donc pas connu directement la destruction de tant des siens.

Je ne sais pas si Israël, créé en 1948, aurait vu le jour sans cette impensable Shoah dont l’ombre continue de me hanter. Sans ce génocide à l’impossible prescription, ce crime sans pardon perpétré par les nazis contre les Juifs d’Europe. Dans l’immédiat après-guerre, des milliers de Juifs askhénazes, parlant yiddisch – quelle langue somptueuse ! -, rescapés des camps de la mort, réchappés des ghettos de Russie, de Pologne, de Hongrie, de toute l’Europe centrale défunte, gagnèrent cette Palestine qui leur semblait l’unique chance de salut. Beaucoup appartenaient à ce que l’on nommait encore le mouvement ouvrier. Ce sont eux qui fondèrent l’État juif et les kibboutzim, croyant encore au mieux de l’homme, malgré le pire.

De leur côté, les grands États sortis vainqueurs de la guerre totale au fascisme – la France, l’Angleterre, les États-Unis, mais aussi l’Union Soviétique – tombèrent d’accord sur la création d’un pays sioniste, susceptible d’accueillir toute la misère juive de l’univers. Bien malin qui pourrait aujourd’hui distinguer entre la culpabilité de n’avoir rien tenté contre Auschwitz et le souhait lâche que ne soit plus posée – pour eux, chez eux – la supposée « question juive ». Le fait est que des Juifs de partout ont installé de force, au milieu de nulle part, mais sur une terre saturée d’histoire religieuse, un gouvernement, une police, une armée. Les Palestiniens, de nombreux Palestiniens furent chassés de leurs terres ancestrales. Je vous prie d’excuser ce long préambule. Dès que l’on parle des Juifs, il convient d’être clair. Je le suis. J’exècre, je maudis, j’envoie aux flammes de l’enfer les antisémites, qui ne sont pas, à mes yeux, des humains. Je me reprends : humains ils sont. Les plus affreux d’entre nous, car obscurcissant le mal absolu, ils le rendent de nouveau possible.

Mais il y a les Palestiniens. Rien ne m’empêchera d’écrire qu’ils sont traités avec barbarie par le pouvoir israélien. Un pouvoir qui n’a que lointain rapport avec le rêve des fondateurs. On pourrait, on pourra gloser à l’infini sur cette dégénérescence morale, cet affaissement, cet avilissement d’êtres dont certains, et non des moindres, étaient pourtant des survivants. Cela ne me rend pas triste, cela me désespère. J’ajoute, non pour minorer, mais pour être juste, que beaucoup, parmi ceux qui défendent les Palestiniens et attaquent Israël, n’ont jamais levé le moindre petit doigt contre d’autres pratiques ignobles qui se déroulaient au même moment dans les pays arabes.

Je ne vais pas dresser une liste, elle serait bien trop longue. Rappelons quelques exemples. En 1982, le clan alaouite du président syrien Hafez el-Assad assiège et détruit la ville de Hama, place-forte des Frères musulmans. Après 27 jours de siège, entre 10 000 et 25 000 civils sont tués. En avez-vous seulement entendu parler ? En septembre 1970, les Bédouins du roi Hussein de Jordanie tournent leurs canons contre les camps de réfugiés palestiniens. Ces Palestiniens qui sont pourtant l’immense majorité de la population de ce pays. L’affaire est certes complexe, mais les morts meurent. Entre 3500 et 10 000 Palestiniens sont tués. Bien plus se réfugient au Liban, où nombre croupissent encore, parfois depuis 1948, dans des baraquements provisoires. Provisoires depuis 62 ans. Depuis qu’Israël les a chassés de chez eux, oui. Je laisse de côté le sort fait aux Kurdes. J’oublie donc les 5 000 morts gazés d’Halabja, grâce notamment à des avions Mirage du bon monsieur Dassault, au temps où Saddam était l’ami de Chirac et de Chevènement. Oui, bien obligé, je laisse de côté des flots de sang arabe versés par des Arabes, et qui n’ont jamais ému personne en France.

Il n’en va pas de même avec Israël. Et d’une certaine manière, même si un fonds antisémite se cache souvent dans les replis du drapeau palestinien, cela me semble juste. Israël est un pays à part, qui devrait, à mes yeux, se fixer des devoirs plus impérieux que d’autres, ne fût-ce qu’en hommage aux disparus de l’effroyable. Tel n’est pas le cas. Hacène, très attentif lecteur de Planète sans visa, me signale la manière dont des colons d’Israël s’attaquent aux oliviers souvent centenaires des Palestiniens de Palestine. Certes, j’en avais entendu parler. Certes, je l’avais oublié. Le drame est là-bas si complet qu’il est bien difficile d’en distinguer les si nombreuses victimes.

Mais oui, l’arrachage des oliviers est un crime singulier. Car cet arbre est provende pour les pauvres, et il incarne non seulement la beauté, mais la permanence, l’histoire, le passage du temps et des générations, le travail des hommes, le miracle de la nature mille fois renouvelé. Et la paix ? Bien sûr, la paix. On ne sait pas combien d’arbres ont été arrachés au bulldozer pour être replantés en Israël. Combien ont été tronçonnés. Combien ont été brûlés. On ne sait pas ce que la construction du mur entre Israël et le reste de la Palestine a coûté en amandiers, citronniers, dattiers ou oliviers. Peut-être 500 000 de ces derniers ont-ils disparu de la terre où des mains les avaient si longtemps soignés. Peut-être un million. Peut-être bien plus.

Deux faits pour conclure. Terribles tous deux. Le premier tient dans une courte dépêche de l’agence Reuters en date du 21 juillet 2009 : « Une dizaine de colons juifs à cheval munis de torches se sont livrés lundi à une équipée sauvage près de Naplouse. Ils ont notamment incendié 1500 à 2000 oliviers appartenant à des Palestiniens. Les agresseurs entendaient venger la destruction quelques heures plus tôt par l’armée d’une caravane dans une colonie sauvage installée sans autorisation, rapportent les médias israéliens. L’armée et la police israéliennes n’ont fait aucun commentaire sur cette “descente” des colons. Ces derniers ont aussi tiré des pierres sur des voitures palestiniennes, endommagé cinq véhicules et blessé deux de leurs occupants ».

La deuxième histoire tient dans un rapport (ici) de la noble association de défense des droits de l’homme israélienne Yesh Din, dont le nom hébreu veut dire : « C’est la loi ». Entre 2005 et 2009, Yesh Din a enquêté sur 69 cas distincts de vandalisme contre les arbres, principalement des oliviers, allant jusqu’au brûlage ou à l’arrachage. Tous se sont déroulés en Cisjordanie, c’est-à-dire en territoire occupé militairement par l’armée d’Israël. 27 des cas recensés, soit près de 40 % du total, ont eu lieu au cours des 10 premiers mois de 2009. Aucune mise en examen n’a été prononcée. Une honte ? Elle est totale.

Sur le gâtisme intellectuel (de Pascal Bruckner à Jacques Julliard)

Je précise de suite que je ne vise pas l’âge des personnes que je vais attaquer. Mais leur état d’esprit, ce qui n’est déjà pas si mal. Voyons le premier. Pascal Bruckner. Je n’ai rien lu de lui, sauf ce si mauvais livre intitulé Le Sanglot de l’homme blanc (Tiers-Monde, culpabilité, haine de soi), au tout début des années 80. Je me souviens de la prose grotesque d’un homme blanc bien né, qui ne supportait plus, pauvre ange, que l’on s’interroge sur un monde où une fillette peut vendre son cul à dix ans tandis qu’un bavard du Nord peut gagner tout l’argent qu’il veut en refilant quelques lignes à un journal obèse.

Bruckner attaquait – je n’ai pas rouvert le livre – le tiers-mondisme, idéologie très prégnante dans les années soixante du siècle passé. Et elle avait ses (nombreux) ridicules, je n’en disconviens pas. Et elle devait être critiquée, et elle devait disparaître, j’en suis d’accord. Mais le fond est ailleurs. Le fond est que beaucoup de ses tenants étaient révulsés par le sort fait aux miséreux. Et voilà ce qui n’aura jamais effleuré un Bruckner. Il officie dans ce pitoyable journal qu’est devenu Le Nouvel Observateur, et vient, dans le numéro 2376 du 20 mai 2010, de rendre compte d’un livre sur le climat, écrit par le mathématicien Benoît Rittaud (Le mythe climatique, Le Seuil). Bah ! ce n’est que prétexte à dire que toute cette affaire climatique n’est que billevesée. Car, rions, rions, pour le Giec et ceux qui croient en sa « climatomancie », le « réchauffement, c’est le refroidissement ».

Il est assez incroyable tout de même que la parole soi-disant intellectuelle soit offerte à de tels sots, à de si considérables ignorants. Bien sûr, Bruckner ne sait rien. Mais comme les autres non plus, et que notre homme a son rond de serviette posé en travers des colonnes de l’hebdomadaire, on lui laisse tout écrire. Le livre de Rittaud a été lu par Sylvestre Huet, journaliste scientifique sans tache, et voici ce qu’il en dit: « Les sources de Claude Allègre sont de plus en plus fantaisistes, comme le livre de Benoit Rittaud (Le mythe climatique au Seuil) qui n’a rien d’une publication scientifique (il suffit de lire les pages 98 et 99 pour se rendre compte que ce mathématicien ne sait même pas que les cycles de Milankovitch sont considérés par les paléo climatologues comme la clef explicative des bascules climatiques depuis le début du quaternaire, et que les GES ne font qu’amplifier ces bascules mais ne les provoquent pas. C’est pure invention que de prétendre qu’ils ont dit le contraire, pourquoi Rittaud reprend-il ce mensonge de Claude Allègre ?). En outre, Benoit Rittaud invoque le « Rasoir d’Occam » pour traiter ce sujet et donc propose de « choisir » entre l’influence de la mécanique céleste (donc de l’ensoleillement) sur le climat de la Terre et celle de l’effet de serre modifié (naturellement dans le passé ou par l’homme aujourd’hui) pour expliquer un changement climatique. Qu’il ne lui vienne pas à l’esprit que la seule climatologie scientifique est celle qui prend les deux phénomènes en compte et tente de quantifier leurs parts respectives dans l’évolution du climat démontre son absence totale de crédibilité. Mais ce mathématicien ne sait peut-être pas que l’effet de serre est un phénomène physique reproductible en laboratoire et mille fois vérifié ».

Vous pensez bien qu’un Bruckner se contrefout des cycles de Milankovitch. Que ferait-il d’un tel fardeau ? Dans Libération, en janvier 2010, il signait une tribune pour dire la même chose, en plus crétin peut-être, ce qui frôle l’exploit. Citation : « Depuis quelques semaines, l’Europe, l’Amérique du Nord, la Chine subissent les assauts d’un hiver glacial. Le thermomètre est descendu à – 20° près de Paris, à – 41° en Norvège, à – 21° en Ecosse, à – 45° aux Etats-Unis, la Floride grelotte, le Royaume-Uni est paralysé par des chutes de neige comme il n’en a pas connu depuis trente ans, partout les transports sont paralysés ou retardés, de nombreuses personnes décèdent, les réseaux d’électricité peinent à fournir l’énergie. Bref, nous n’avons jamais eu aussi froid depuis qu’on nous alerte sur les effets dramatiques du réchauffement ».

Ce n’est pas même le café du Commerce, où il se dit des choses plus intéressantes. C’est madame Michu, son cabas sous le bras, et qui peste contre le retour du froid en hiver. Mon Dieu ! si bas. Un autre qui vaut bien Bruckner – peut-être se seront-ils causé ? -, c’est Jacques Julliard, l’un des directeurs du Nouvel Obs. Il est considéré, je vous le jure bien, comme une autorité morale et politique. Et dans le monde tel qu’il est, tombant en miettes explosives sous nos yeux, c’est un fait qu’on juge clairvoyant celui qui n’est que pauvre borgne au royaume des aveugles. Que voit un borgne ? C’est la bonne question. Il est certain que Julliard n’a jamais pris le temps de lire un seul ouvrage sérieux sur la crise écologique. Cela se saurait, il en aurait fatalement parlé. Julliard nie par le silence, l’ignorance et finalement l’incompétence l’événement le plus important de l’histoire humaine.

Lui aussi a ses côtés madame Michu. Dans le même numéro 2376 du Nouvel Observateur, il reprend l’antienne de Bruckner, qui doit bien être un « cher ami ». Voici : « Duflot, la gaucho-centriste environnementale, qui ne parle plus actuellement de réchauffement climatique, parce qu’en ce printemps pourri elle risquerait de se faire lyncher ». On aura remarqué comme moi que c’est écrit sans y toucher. Il ne dit pas que.  Il laisse le lecteur faire le travail. Il ne prétend rien, il constate. Moi, j’affirme qu’il lance un clin d’œil à ses lecteurs les plus béotiens. Si le printemps est pourri, hein, qu’est-ce que c’est que cette histoire de réchauffement, hein ?

Mon Dieu ! j’aimerais les plaindre. Mais enfin, et pour être franc, je les exècre. Ces intellectuels que l’on nous présente comme des universalistes ne sont que de pauvres « provincialistes » de la pensée, qui n’auront jamais franchi le périphérique entourant leur lot de connaissances. La science, l’écologie et les écosystèmes, la biodiversité, les océans, les animaux ? Pouah ! Parlons plutôt de l’individu-roi – avec Bruckner – ou de la préparation des élections de 2012, 2017, 2045, 2125 et 2748, avec Julliard. Ces grands personnages, donc, regardant de leur fenêtre le temps qu’il fait, pensent à quel point nous avons froid. Et donc à quel point on nous raconte des salades. On n’ira pas beaucoup plus bas dans la sottise accomplie. Car nous ne sommes plus depuis longtemps dans la pensée. Un homme « cultivé », ayant accès aux livres, qui ne sait pas faire la différence entre le temps qu’il fait à Paris, ou en France, ou même en Europe, et la température moyenne du globe telle qu’exprimée par des mesures objectives prises depuis 130 ans, mérite-t-il la moindre considération intellectuelle ? Moi, je crois sincèrement que non.

Selon les données du National Climatic Data Center (NCDC), le mois d’avril 2010 a été le plus chaud sur terre depuis 1880, année des premiers relevés. Je précise que nul ne conteste ces chiffres, pour la raison qu’il s’agit de relevés automatiques, ne dépendant d’aucune volonté humaine. Ce qu’on appelle des faits. Mais de quel poids comptent des faits en face des fulgurances d’un Pascal Bruckner ? 2010, année des intellectuels.