Archives mensuelles : juin 2010

Ces pékins bien nourris (retour de manif)

Pour Marie-Pierre, pour Les Issambres, pour la Panhard et la Frégate, et pour l’enfance qui ne passera jamais

Cela n’a rien à voir, je suis sérieux. Ce n’est qu’évocation, ce n’est que pur et simple sautillement de l’esprit. Il ne me viendrait pas à l’idée de mêler pour de vrai la personne d’Alexandre Issaïevitch Soljenitsyne à nos petits tracas domestiques. Je sais par ailleurs à quel point ce dernier est mal connu, calomnié au-delà de sa mort, traité comme un malpropre, un calotin orthodoxe, un ennemi du progrès, bien pire encore.

Moi, que voulez-vous, je l’aime d’un amour fraternel qui ne me quittera qu’au moment du trépas. Je ne connais que bien peu de textes littéraires, politiques, moraux, historiques qui puissent seulement oser la comparaison avec L’Archipel du Goulag. Les trois tomes de ce livre capital entre tous ont été un peu achetés il y a trente-cinq ans, et bien moins lus. Ils résument pourtant tout ce qu’un homme digne du nom a besoin de savoir pour affronter le grand large de la vie. Si je devais un jour conseiller un viatique, ce serait probablement celui-là. Car il mêle la révolte incandescente à la soumission, l’horreur du Bour – le cachot – à l’extrême beauté de l’évasion. La liberté à l’abjection. La fraternité à la trahison la plus vile. Où trouverait-on pareil résumé de l’aventure humaine ?

Je ne me fais pas d’illusions. La doxa parisienne, l’absence de pensée française ont condamné à la mort symbolique Alexandre Issaïevitch. Ici même, je crois que certains ressortiront des calembredaines sur le compte de ce héros de l’homme. Je m’en fous bel et bien, soyez-en certains. J’ai la chance insigne de ne pas rechercher la popularité. Qui veut me lire le peut. Et qui ne le veut m’oublie. Je suis parfaitement à l’aise avec cet arrangement.

Ce qui ne m’empêche pas de vous parler, à vous, qui me lisez en ce moment. Pourquoi évoquer cette figure-là alors que je souhaite dire deux mots sur la manifestation parisienne contre la réforme des retraites, à laquelle j’ai donc participé ? Pas de rapport ? En effet, pas de rapport. Mais le plus simple est de vous citer un morceau de la page 194 du tome 3 de L’Archipel, dans son édition de 1976 (Le Seuil). Voici :

«“Tuez les mouchards !”, le voilà, le maillon ! Flanquez-leur un coup de couteau dans la poitrine ! Fabriquons des couteaux, égorgeons les mouchards, le voilà le maillon ! Aujourd’hui, tandis que je suis en train d’écrire ce livre, des rayons de livres humanistes me surplombent sur leurs étagères, et leurs dos usés aux ternes éclats font peser sur moi un scintillement réprobateur, telles des étoiles perçant à travers les nuages : on ne saurait rien obtenir en ce monde par la violence ! Glaive, poignard, carabine en main, nous nous ravalerons rapidement au rang de nos bourreaux et de nos violenteurs. Et il n’y aura plus de fin…

Il n’y aura plus de fin…Ici, assis à ma table, au chaud et au net, j’en tombe pleinement d’accord.

Mais il faut avoir écopé de vingt-cinq ans pour rien, mis sur soi quatre numéros, tenu les mains derrière le dos, être passé à la fouille matin et soir, s’être exténué au travail, avoir eté traîné au Bour sur dénonciations, foulé aux pieds plus bas que terre, pour que là-bas, au fond de cette fosse, tous les discours des grands humanistes vous fassent l’effet d’un bavardage de pékins bien nourris ».

Je vous l’avais dit et le répète, sans espoir pourtant d’éviter les malentendus. La réalité du Goulag n’a évidemment rien à voir avec la nôtre. Mais ce passage a toujours résonné en moi avec une force particulière. Car il exprime admirablement l’ambivalence existentielle qui tient tant d’hommes, dont je suis. Hier, revenant de la manif, j’ai croisé à la sortie du métro Daniel, un voisin que j’aime vraiment bien. Et nous avons évoqué ensemble la grandiose perspective d’un embrasement. D’un sursaut vrai. D’une grève absolument générale contre ce gouvernement indigne, jusqu’à ce qu’il tombe.

Le verrai-je ? Le verrons-nous ? Chi lo sa ? Mais en rentrant, j’ai également pensé à Alexandre Issaïevitch, comme vous voyez. D’un côté, ma raison et mon expérience me situent sans détour dans le camp de la non-violence. Bien sûr ! Comment donc ! Pardi ! Nous n’obtiendrons rien, par elle, qui puisse nous élever au-dessus de nous mêmes. Mais comme c’est vrai ! D’un autre côté plus physique, plus essentiel peut-être, je suis porté à l’affrontement direct. Je voudrais tant signifier jusqu’où monte en moi le dégoût de ce monde et de ses maîtres. Les petits comme les grands. Les ministres français comme les patrons de BP. Le constructeur indien de bagnoles Nano comme notre philosophe de poche BHL. Le roi du soja brésilien, le gouverneur Blairo Maggi, comme madame Laurence Parisot. Le désormais « philanthrope » Bill Gates comme madame Christine Lagarde, qui sommait il y a trois ans la France d’arrêter de penser *.

Je passerai le reste de cette matinée du 25 juin 2010, alors que chantent les oiseaux à ma fenêtre, à penser à Alexandre Issaïevitch. Et à tous ces « pékins bien nourris » qui nous entourent.

* Le 10 juillet 2007, Christine Lagarde déclare devant l’Assemblée nationale : « Mais c’est une vieille habitude nationale : la France est un pays qui pense (…) C’est pourquoi j’aimerais vous dire : assez pensé maintenant. Retroussons nos manches ». L’italique est dans le texte distribué par les services de la ministre.

 

C’est tout bête ( sur la retraite)

C’est le jour du grand refus. De la manif, de centaines de manifestations à travers la France pour protester contre le projet gouvernemental sur les retraites. J’y serai, oh oui ! J’enfile en ce moment mes chaussures de marche assorties de guêtres, lustre mon chapeau d’Indiana Jones, ajuste ma veste de chasse, et compte les minutes. J’y serai pour deux raisons au moins. L’une est conjoncturelle, et l’autre plus fondamentale.

La première devrait être commune à tous. Ce gouvernement n’a évidemment pas la moindre légitimité pour imposer une réforme odieuse au peuple de ce pays. Je rappelle, sans entrer dans les détails, que bonne part du changement sera payée par les prolétaires – je ne connais pas de mot meilleur -, lesquels vivent déjà bien moins, et bien moins bien que les cadres supérieurs. Ces derniers, je le rappelle aux oublieux,  passent leur vie à chercher les moyens d’extraire davantage de plus-value sur le dos des premiers. C’est une loi économique, ce n’est pas de la méchanceté. Reste qu’à 35 ans, l’écart entre l’espérance de vie des cadres supérieurs et celle des ouvriers est de six ans, et même de 10 ans pour l’espérance de vie « sans incapacités ». Prolo, un sport dangereux. Je note que les retraités, qui gagnent – en moyenne – davantage que les actifs, ne seront pas sollicités. Pour la raison éclatante qu’ils demeurent une base sociale essentielle de la droite au pouvoir.

Et quelle droite ! Ce gouvernement compte dans ses rangs des racistes condamnés – Brice Hortefeux, chef des flics -, des truands au cigare – Christian Blanc, qui a fait payer à la France 12 000 euros de cigares en un an, à peu près ce que gagne un smicard dans le même temps -, des truqueurs de permis de construire – Alain Joyandet, convaincu de fausse déclaration pour l’agrandissement d’une maison dans le golfe de Saint-Tropez -, d’étranges pourfendeurs de l’évasion fiscale – Éric Woerth fait les gros yeux aux planqués des comptes suisses tandis que sa dame conseille les mêmes -, des traitres de (mauvaise) comédie – Kouchner en paillasson, Besson en histrion, Bockel en homme invisible – d’Arabes de service – on ne présente plus Fadela Amara, son appartement de fonction prêté à sa famille, et ses plans en faveur des banlieues qui par malheur restent toujours en plan -, des bateleurs de foire dont le numéro commence à faire rire – Borloo dans le rôle fellinien du grand Zampano de La Strada.

Bon, on aura compris que je n’aime guère ces gens-là. Avouons que je les exècre, ce sera plus franc, leur chef à tous en première ligne, bien entendu. J’ai commencé à regarder de près la politique quand j’avais autour de 13 ans, alors que s’effaçait De Gaulle et que lui succédait Pompidou, en 1969. Nombre de connards et de crapules se sont succédé depuis, y compris après la « victoire » de la gauche en 1981, mais je n’ai jamais ressenti un tel écœurement. Tant de bassesse concentrée, tant d’idiotie, tant d’âpreté au gain et de clinquant, non. Jamais. On se croirait dans La Curée, de Zola, ce roman où le ministre Eugène Rougon aide son frère Aristide à dépecer Paris.

Leur réforme de classe sur la retraite est aux dimensions de leurs personnes. Elle est un acte de guerre sociale, une insulte à ces générations de travailleurs qui, depuis les débuts de la révolution industrielle, ont perdu leurs poumons, leurs mains et bras, leurs âmes, leurs vies, pour que les papas et mamans passés de nos Excellences puissent continuer de roter discrètement entre deux libations. Tenez, regardez comment Prévert voyait nos maîtres dans son immortelle Tentative de description d’un dîner de têtes à Paris-France (1931) :

Ceux qui pieusement…
Ceux qui copieusement…
Ceux qui tricolorent
Ceux qui inaugurent
Ceux qui croient
Ceux qui croient croire
Ceux qui croa-croa
Ceux qui ont des plumes
Ceux qui grignotent
Ceux qui andromaquent
Ceux qui dreadnoughtent
Ceux qui majusculent
Ceux qui chantent en mesure
Ceux qui brossent à reluire
Ceux qui ont du ventre
Ceux qui baissent les yeux
Ceux qui savent découper le poulet
Ceux qui sont chauves à l’intérieur de la tête
Ceux qui bénissent les meutes
Ceux qui font les honneurs du pied
Ceux qui debout les morts
Ceux qui baïonnette… on
Ceux qui donnent des canons aux enfants
Ceux qui donnent des enfants aux canons…

Voilà pour la première raison de ma participation à la manif d’aujourd’hui. Je crois que pour l’occasion je vais ressortir mon poing tendu. Quant à la deuxième, voici : la question de la retraite est une occasion unique – aurait été une occasion unique – de discuter ensemble de ce qu’est une vie humaine. De ce que représente le travail. Des liens nécessaires au bien public entre les jeunes et les vieux. De la place de la formation. De la durée globale du temps contraint, à l’échelle d’une vie. De l’intérêt qu’il y a à se lever le matin pour contribuer à la fabrication d’un nombre incalculable d’objets inutiles et souvent désastreux pour notre avenir commun. Et cetera desunt.

L’équipe en place est bien entendu incapable par nature d’ouvrir un débat sur de tels sujets, car il prendrait vite la forme d’un gigantesque cahier de doléances d’une société épuisée, affolée, angoissée par un avenir qui devient chaque jour plus fatal. J’irai donc, bien que sachant qu’aucune des questions que je juge essentielles pour notre malheureuse humanité – n’y aurait-il pas aussi, quelque part, un Sud ? – ne sera abordée par les manifestants. Il est des jours où il faut marcher, et c’est tout. Je marcherai.

Même si j’étais le seul

Je remets le couvert ? Oui da. À propos d’une histoire qui n’intéresse pas grand monde ? Et qui, dans le cas contraire, divise les lecteurs de Planète sans visa ? Oui da. L’épisode Vincent Cheynet est symptomatique de ce que je nommerai sans trembler une certaine décadence de l’esprit public. Tout est possible, tout est permis. Une nouvelle chasse l’autre. On survole un article comme on survole la France du haut d’un avion de ligne. Sans y prêter la moindre attention sérieuse. On a le droit de mettre gravement en cause un homme dans l’exercice de son métier sans encourir aucune rétorsion. De traiter de fou qui vous ennuie sans être soumis à la moindre interrogation. On a le droit de violer les règles les plus élémentaires sans que cela soit suivi de la moindre conséquence. C’est la belle vie, dites-moi !

Je remets en circulation ci-dessous deux commentaires du texte précédent, suivis de deux courts ajouts de ma main. Je ne le souhaite nullement – je souhaite en réalité le contraire -, mais même si j’étais le seul à dire ce que je dis de monsieur Vincent Cheynet, je le dirais. Je le dirais, car sans clarté, sans honnêteté, sans confrontation authentique, rien ne changera jamais. Et l’avenir appartiendra aux petits marquis, aux petits censeurs, aux misérables esprits. Je continue de penser qu’il existe une autre voie.

 Jeddo le 23 juin 2010. Ces (petites) querelles de personnes sont bien dommages. Inutile d’aller vous — Fabrice Nicolino et Vincent Cheynet/La Décroissance — ruiner dans un procès. L’écologie et la gauche ont besoin de pluralisme et de débats, pas de puérilité ni de pugilats. De grâce, battez-vous pour vos grandes idées plutôt que pour vos petites personnes.

Jeddo, lecteur de tout ce petit monde.

Freddi le 23 juin 2010. Moi j’aime bien ton blog & j’aime bien aussi La Décroissance qui nous apporte comme toi des idées de réflexion sur ce monde en pleine déréliction et déliquessence. Ils sont certes parfois durs mais toi aussi. Et c’est tant mieux! Je ne te connais ni toi, ni Vincent Cheynet, Ni Mermet, ni personne. Peut être êtes vous tous des idéalistes et activistes pour “la bonne cause” mais malheureusement des êtres chiants & infréquentables personnellement. Je n’en sais rien et finalement ne veux pas le savoir car l’Histoire retiendra de vous et vos actions/écrits/enquêtes/combats pour sauver ce qui peut encore l’être mais aussi votre lucidité & clairvoyance. Dommage pour ces querelles de personnes qui ternit un peu tout le monde, mais je continuerai d’être un lecteur assidu de vos deux parutions. Animo!

Freddi et Jeddo,

Difficile d’être plus en désaccord avec vous que je ne le suis. Difficile. La question de savoir si je suis supportable dans l’espace privé ne concerne que moi et mes proches. En revanche, le débat public devrait intéresser chacun. Et la forme qu’il prend aussi.

Je préfère ne pas insister, mais si vous ne comprenez pas que se joue, à un niveau certes microscopique, la question de la liberté et de l’honnêteté, c’est navrant. Il n’y a nulle question d’ego de ma part. Non que je sois incapable de succomber à ce travers humain, bien entendu. Mais en la circonstance, non. Il s’agit de principes. De principes oubliés par une lente, mais irrésistible déliquescence de la pensée critique, dont à mes yeux le stalinisme et ses pseudopodes si nombreux sont parmi les premiers responsables.

Une question, qui n’est pas ici pour vous ennuyer : avez-vous réellement lu ce que j’ai écrit et ce que monsieur Vincent Cheynet a écrit ? J’ai comme un doute. Peut-être aurez-vous cru qu’il ne s’agissait que d’une guéguerre entre deux personnes ? En ce cas, vous vous trompez, et lourdement. Le texte de monsieur Cheynet contient des éléments de vérité essentiels qui touchent à la déréliction de la pensée humaine. Libre à vous de ne pas le voir. Libre à moi de le démontrer, car je pense l’avoir démontré.

Fabrice Nicolino

Un rajout,

Le net ne se prête évidemment pas bien à la réflexion. Je ne me fais aucune illusion, et sais bien que de nombreux lecteurs de blogs ne lisent pas, mais survolent et se font une idée en deux secondes sur ce qu’ils croient, éventuellement de bonne foi, avoir lu.

Je ne dis pas que tel est le cas de Freddi et Jeddo, car je n’en sais strictement rien. En l’occurrence, j’aimerais que cela soit le cas. Pour eux, pas pour moi.

Fabrice Nicolino

Ce si valeureux Vincent Cheynet (un dernier mot)

Lionel m’a envoyé un mot sans lequel je n’aurais pas su que Vincent Cheynet, (petit) patron du journal La Décroissance avait fait une réponse à la charge que je lui avais adressée au début de juin (lire ici). J’ai eu l’occasion de dire que je ne lis rien de ce journal, et rien encore de cet impressionnant rebelle. Cela fait donc exception. Monsieur Cheynet a écrit son poulet sur le site d’un improbable Institut d’études économiques et sociales pour la décroissance soutenable. Comme il est heureux de voir autant de sérieux en aussi peu de mots !

On pourra lire le texte de monsieur Cheynet de deux façons. La première, en cliquant ici même ; la seconde en regardant l’espace Commentaires après cet article, où je reproduis in extenso la prose de notre Décroissant en chef. Bien entendu, j’aurais pu laisser pisser le mérinos, et tel a bien été mon premier mouvement. Puis non, car il me semble tout de même que la captation d’une idée intéressante par un faussaire de la pensée mérite quelques mots.

Premier élément de taille : monsieur Cheynet se moque à ce point de ses lecteurs qu’il ne leur octroie pas le droit de lire. En effet, il entreprend de « répondre » à mes attaques sans dire le moins du monde de quoi il s’agit. Et c’est plus prudent puisque le motif de la querelle, au point de départ, est l’appropriation privée d’un journal par l’un de ses membres – lui – et sa transformation en dérisoire [cri de putois, modifié sur la juste demande d’Anne] éructation contre tout ce qui déplaît au maître de maison. Le lecteur de la « réponse » de monsieur Cheynet est privé du droit de savoir pourquoi j’ai écrit ce que j’ai écrit.

Voilà qui commence bien. Dans le même temps, comme monsieur Cheynet est incapable du moindre débat intellectuel et moral, il lui faut bien trouver quelque chose d’autre à se mettre sous la dent. Ce quelque chose, vieux comme le monde chez les indigents, c’est la disqualification. On ne débat pas, on tente de décrédibiliser, d’étouffer sous l’insinuation et la calomnie. Pour être franc, je vois très bien où ces pratiques ont trouvé à se déployer au mieux de leur énergie négative. Et ce n’était pas en France. Mais baste, poursuivons. Que dit monsieur Cheynet de moi ? Que j’aurais rendu publics des courriels, ce qui est exact. Mais des courriels privés, ce qui est évidemment faux. Ceux que j’ai publiés concernaient un échange politique, ouvert du reste à d’autres que les protagonistes directs, autour d’un projet de journal qui se voulait différent.

Cela, le lecteur de la diatribe de monsieur Cheynet ne le saura pas. En revanche, il « apprendra » que je travaille pour différents journaux – la liste est obligeamment fournie – et que me faire confiance, sur le terrain professionnel, serait d’une grande légèreté. En effet, ma supposée révélation de courriers privés est lourde de sens : « Cela constitue en tout cas un avertissement sans frais pour toutes les personnes avec qui il travaille. Que feriez-vous si un de vos partenaires se livrait à cette pratique ? ». Relisez avec moi ce qu’écrit si astucieusement monsieur Cheynet. Oui, que feriez-vous ? Eh bien, vous ne travailleriez plus avec moi. Tel est le fond du message. Et je me dois d’ajouter que si monsieur Cheynet, sous d’autres cieux d’autres temps, avait disposé d’une quelconque parcelle de pouvoir d’État, je crois bien que j’aurais eu quelque souci professionnel à me faire.

Preuve qu’il ne s’agit pas d’un moment d’inattention, monsieur Cheynet me traite de fou, à la manière oblique qui semble être sa marque de fabrique. Mais c’est bien sûr ! J’écris sur Planète sans visa presque chaque jour – cela embête monsieur, cela lui fait envie ? -,  ce qui n’a bien entendu rien de normal. J’ai publié sans recevoir un centime d’euro environ 650 articles en moins de trois ans, et une telle démarche ne peut s’apparenter qu’à un dérèglement de l’esprit. J’invente ? Lisons ensemble, je vous prie : « Cette pratique [écrire presque chaque jour] ne peut que rendre fou, à moins d’être un génie, et apparemment Fabrice Nicolino ne l’est pas davantage que la majorité de ceux qui s’aventurent à cet exercice ».

Derechef, je me demande le sort qui serait le mien dans un monde où une fraction du pouvoir de l’État serait entre les mains d’un monsieur Cheynet. Neuroleptiques ou camisole de force ? Je devrais en rire, et à la vérité, j’en ris, même si monsieur Cheynet ne le croira pas. J’ai déjà passé un moment avec une amie à enrichir le dictionnaire de la langue française grâce au concours involontaire du (petit) patron de La Décroissance. Ainsi, les mots cheynet, cheynétiser, cheynétisation y font leur entrée en fanfare, de même que l’expression : « fais pas ton cheynet ».

J’ajoute et je termine sur les inventives fantaisies de monsieur Cheynet, qui ne peut qu’aller encore bien plus loin selon moi. À le lire, je serais une sorte d’agent masqué de la droite – évident, non ? -, je serais un adversaire de la décroissance – frappant, n’est-il pas ? -, etc, etc. Il y a un passage qui me remplit d’une joie malsaine, et c’est celui où monsieur Cheynet parle de « choisir son camp ». Le sien, je ne lui fais pas dire, est celui d’Hugo Chávez, président du Venezuela et partisan de la militarisation de toute la vie sociale. Ce Chávez formé à la politique par le fasciste et négationniste argentin Norberto Ceresole.

Comme cela tombe bien ! Je n’appartiens pas au camp de cette ganache adepte du triptyque cher à Ceresole : « caudillo, ejército, pueblo ». Autrement dit : le chef, l’armée, le peuple. Eh non, bien désolé pour monsieur Cheynet, je n’ai jamais appartenu ni n’appartiendrai jamais au camp de l’État et de la police politique. Comme le souligne notre limier, et cela me désole encore davantage, une telle opposition au phare du grand « socialisme bolivarien » me place en adversaire du Monde Diplomatique, de l’Acrimed et de Daniel Mermet. Au moins. Et bien plus. Monsieur Vincent Cheynet, moraliste de combat.

PS : Je ne suis pas du genre à trop me laisser embêter. J’ai parfaitement compris que monsieur Vincent Cheynet tournait certaines de ses phrases immortelles de manière à ne pas offrir de prise directe à une éventuelle confrontation judiciaire. Mais sait-on jamais ce qui peut se passer ? Comme j’entends défendre ma réputation, comme j’ai de bons amis avocats, je vais – exceptionnellement – me montrer attentif à un éventuel dérapage, qui conduirait droit au prétoire.

La mer, c’est grand

Je crois bien me souvenir que je vous ai fait faux bond. Sans prévenir, sans m’excuser, avec un sans-gêne qui devrait me gêner. Mais non, pour dire la vérité. Je me suis sauvé, je me suis ensauvé et j’ai gagné l’océan majeur de nos côtes, cet Atlantique qui est l’athlète définitif  de tous mes rêves. Je ne peux me passer longtemps de ce contact physique. Six mois est une sorte de maximum. Or j’avais passé ce délai, puisque je me suis baigné la dernière fois en novembre. Presque huit mois avant de me jeter dans l’eau froide et folle de ce géant infatigable. Mon Dieu, croyez-le, le bonheur existe.

Un lien d’une puissance surnaturelle, à ce point surnaturelle qu’elle m’est spontanée et sans appel, me lie à la mer. Nul n’y pourra rien changer, je vous en préviens à toutes fins utiles. Notre corps est pour l’essentiel fait d’eau et de sodium, je ne crois pas vous apprendre grand chose. De l’eau et du sodium. Il me semble, et qu’on me corrige si je divague – ce n’est pas un jeu de mots – que 70 % de notre carcasse est constituée d’eau, à quoi il faut rajouter bon poids – 15 % du total ? – de sodium, dont le chlorure est comme notre sel de cuisine. Nous sommes la mer. Elle est nous-même. Nous en venons, nous y retournons, nous y finirons d’une manière ou d’une autre, même si cela doit prendre un peu de temps, à l’échelle dérisoire qui est la nôtre. La mer, je préfère que les choses soient claires entre nous, est ma mère et ma fille et mon amour éternel, et mon berceau et mon tombeau.

En somme comme en résumé, j’ai nagé et pris du soleil pleine face. J’ai tout oublié du reste. Mais y avait-il un reste où que ce soit ? Je me dis que non. Je me dis que j’ai gravement tort, eu égard à la marche des événements et du monde en déroute, mais je dois me répéter : il m’a semblé qu’il n’y avait rien au monde en dehors de ce que je vivais. Et c’est fini. Et me voilà.