Archives mensuelles : août 2010

Jaime Semprun est mort

Inutile de beaucoup parler. La plupart ignoraient tout de Jaime Semprun, mort ces derniers jours. Il était un intellectuel, dans un sens perdu depuis si longtemps qu’il paraît n’avoir jamais existé. Penseur dans le fil situationniste, il avait créé et dirigeait une maison d’édition admirable, L’Encyclopédie des nuisances. Comme il était libre, il s’est beaucoup trompé. Je ne partageais pas la vision générale qu’il s’était faite de la vie sur cette terre, mais sa pensée était profonde, mais elle était féconde. Dans ce monde de pacotille qui est le nôtre, il était inévitable que sa disparition ne fasse pas une ligne, en dehors de l’hommage que lui a rendu Jean-Luc Porquet dans Le Canard Enchaîné.

Si vous avez envie de lire certains de ses livres, vous finirez bien par les trouver. Il ne se contentait pas de réfléchir, il savait écrire. Et sinon, restons-en là. Éditeur, il avait publié avec Ivrea quatre tomes prodigieux de textes et de lettres de George Orwell. Cette seule action suffirait à illustrer une vie, à mes yeux du moins. Voilà. Fini.

Les ours sont toujours là (merci, Jean-Gabriel !)

Jean-Gabriel envoie un lien « pour se changer les idées ». Ma foi, c’est réussi ! Malgré l’immense connerie coalisée contre l’ours des Pyrénées, celui-ci vit. Et se gratte le dos, comme vous pourrez le voir en cliquant ici. Je précise que ces images sont prises par des caméras à déclenchement automatique de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS). Malgré l’épouvantable intitulé de l’organisme, cet office est bourré de naturalistes de grand talent, qui défendent avec sincérité la vie et sa diversité. Mais regardez, car c’est beau comme le jour. Car c’est beau comme la nuit.

PS : J’en oublie de remercier le site La buvette des alpages, qui a mis en ligne ces images. De nouveau, une pub méritée pour ce lieu rare.

GDF-Suez, mes factures, les barrages, et la haine

Deux nouvelles, dont l’une fracasse. Un, je donne du fric à GDF-Suez en échange du gaz qui me chauffe. Avant, je donnais à une société nationale qui, certes, arrachait des contrats comme n’importe quelle boîte privée, avec les mêmes moyens, mais qui incarnait une histoire, liée à la Libération. Gaz de France (GDF) avait été créée, en effet, par une loi de nationalisation du gaz et de l’électricité, en 1946. Avant de se vendre, sur ordre de Villepin, à Suez, en 2006. Encore merci, monsieur le grand gaulliste.

Deux, GDF-Suez vient de fusionner avec un groupe énergétique britannique, International Power (lire ici), ce qui en fait un géant mondial. Youpi, nous avons un géant mondial de plus dans notre petite escarcelle, c’est le bonheur. Seulement – le croirez-vous ? – GDF-Suez détruit le monde à peu près partout où le groupe passe. Ainsi de la rivière Madeira, dans l’État brésilien du Rondônia, principal affluent de l’Amazone. C’est à ce point magnifique que GDF- Suez, qui contrôle le consortium Energia Sustentável do Brasil, y construit le barrage géant de Jirau, qui sera accompagné de quatre centrales hydroélectriques.

Jirau déplacera au total des milliers de familles riveraines et saccagera à jamais les terres de plusieurs tribus indiennes, y compris celles de groupes isolés, pratiquement sans contact avec notre si joli monde. Le Prix Nobel de littérature Jean-Marie G. Le Clézio et le directeur de Survival en France, Jean-Patrick Razon – salut, Jean-Patrick ! -, ont dénoncé ensemble et publiquement l’opération. Il ne fait aucun doute à leurs yeux retors que nous cautionnons ainsi « non seulement la destruction d’une région d’une exceptionnelle biodiversité, mais surtout la disparition, plus que probable, de quelques-unes des dernières sociétés qui constituent une part essentielle de la diversité humaine (ici) ».

Ce n’est pas tout, car ce ne sera jamais suffisant. Survival publie en anglais un rapport accablant, déprimant, désespérant sur la relance des grands barrages partout dans le monde (ici). Cette frénésie s’était un peu calmée après la parution il y a dix ans d’un autre rapport, celui de la Commission mondiale des barrages. Ce texte livrait sans fard le bilan des 45 000 grands barrages qui existaient alors sur terre. Écologique, bien sûr, mais aussi social, culturel, humain. Des centaines de millions de pauvres avaient été déplacés de force pour laisser place à la fée Électricité, celle qui aide si bien à la fabrication des bagnoles, des télés, des ordinateurs et des téléphones portables.

Une sorte de pause – une sorte seulement – donc, ces derniers temps, mais voilà que ça repart, avec en première ligne la Chine, avide comme aucun autre pays dans l’histoire de tout enfourner, avant de tout recracher. Que dit Survival en 2010 ? C’est la curée. La Banque mondiale, des banques chinoises, brésiliennes, la Banque africaine de développement financent des centaines de nouveaux projets, dont la plupart s’attaquent de plein fouet aux peuples autochtones jusqu’ici épargnés. Dans les forêts d’Afrique, en Malaisie, dans le bassin amazonien, partout. Notre monde fou avance, et de plus en plus vite. Ce mot d’un chef tribal du Sarawak (Bornéo), qui tente de lutter contre le barrage de Bakun : « Même si nous étions payés des millions de dollars, cet argent ne pourrait garantir notre survie. L’argent peut être imprimé, mais la terre ne peut pas être créée ».

Je cherche, et j’espère ne pas être le seul,  le moyen de faire payer son infamie à GDF-Suez, à qui je suis contraint pour l’heure de payer mes factures de gaz. Mais il doit bien exister d’autres comptes, et d’autres factures. Il faudra bien régler cela.

Ce si pauvre uranium appauvri

C’est l’été nucléaire. Logique : après l’hiver du même nom, l’été. Brûlent les terres de toutes les Russies, et meurent les enfants de Falloujah. Cette ville irakienne d’environ 300 000 habitants, à 70 kilomètres à l’ouest de Bagdad, est bordée par l’Euphrate. Faut-il vraiment vous rappeler que ce fleuve est l’un des lieux d’origine de notre belle civilisation ? Faut-il rappeler que Turcs, Persans, Kurdes, Arabes, Arméniens lui donnent un nom différent ? L’Euphrátês des Grecs de l’Antiquité devrait être notre flambeau, il est notre honte.

En 2004, un an après la si glorieuse invasion américaine, la ville est aux mains d’insurgés fondamentalistes, qui défient l’ordre nouveau à coup de massacres et de bombes. Dans la nuit du 6 au 7 novembre, les troupes américaines y lancent l’opération Phantom Fury, qui durera un peu plus de trois semaines. Les fantoches de l’armée irakienne servent de supplétifs à la reconquête du bastion extrémiste. Chacun sait alors, et les Américains mieux que personne, qu’une part importante de la population civile est demeurée en ville. Mais Falloujah est un symbole, et les symboles doivent être traités comme tels. Rien de tel qu’une bonne préparation d’artillerie contre des écoles, des immeubles, des dispensaires et des mosquées. Il est établi depuis des années que la soldatesque étasunienne – entre 10 000 et 15 000 soldats suréquipés – a bombardé massivement une ville, utilisant notamment des obus au phosphore blanc, qui vitrifient sur place leurs victimes. Il est probable que du napalm, en théorie interdit, a également servi à nettoyer les rues. Charmant, le napalm, il suffit de demander aux Vietnamiens rescapés des folles années 60 et 70 du siècle passé.

Ce qu’on vient d’apprendre ajoute à la fraîcheur de ces événements. Un article (lire ici) publié dans International Journal of Environnemental Research and Public Health démontre par des chiffres précis que Falloujah a été le théâtre de crimes contre l’homme. Contre l’humanité, si vous préférez, et au diable les simagrées juridiques ! Entre 2005 et 2009, le risque relatif de développer un cancer était 4,22 fois plus élevé dans la ville irakienne qu’en Égypte par exemple. Et 12,6 fois chez les moins de 14 ans, ce qui explique en partie une mortalité infantile quatre fois plus forte que dans les pays voisins ! Ajoutons que les cancers constatés semblent bien proches de ceux observés dans la ville japonaise d’Hiroshima après la bombe de 1945. Enfin, et comme à Hiroshima, le nombre de garçons a brutalement chuté après 2005.

C’est un constat, qui n’explique rien des causes de ce massacre silencieux. Mais tout concorde pour désigner un coupable possible et même infiniment probable : l’uranium appauvri ( lire ici). Cet uranium-là est utilisé dans les charges d’obus destinés à percer les blindages les plus épais et les bunkers de béton. L’Amérique vertueuse, évangéliste, puritaine et criminelle de mister W. Bush, maintes fois accusée depuis six ans d’utiliser ce matériau radioactif, ne s’en est que mollement défendue. Pardi ! Quelle armée se priverait d’un si merveilleux instrument de destruction ? Croyez-vous sérieusement que la France des droits de l’homme fait exception ? Les armées de l’Otan n’ont-elles pas massivement utilisé des obus de ce type dans l’ancienne Yougoslavie ? La règle d’or des militaires a toujours été de tester ses nouveautés in the field, sur le terrain même d’opération.

Voilà donc. Presque rien. Des gosses qui meurent. Des familles qui pleurent. De bon Chrétiens qui continuent d’aller à la messe le dimanche, la main bien placée sur le cœur. Rien d’autre que notre monde en action. Et cette nausée authentique qui me prend au moment où j’écris ces lignes. Que se passe-t-il en Afghanistan, bande de salauds ?

Prière stérile aux vents de la terre (sur le nucléaire)

Je lis, comme vous j’imagine, les nouvelles en provenance de Russie. Les incendies de forêt géants menacent d’atteindre des installations nucléaires, dont le très redoutable centre ultrasecret Arzamas 16, proche de la ville de Sarov, elle-même lieu saint de la religion orthodoxe. Arzamas 16 a été créé en 1946 pour y travailler, en toute tranquillité, sur les armes nucléaires. Qui a la moindre idée de l’esprit de cette époque en terre stalinienne sait que tout y aura été tenté. Que tout y a été possible. Que tout n’y aura été que mensonge et dissimulation.

Ce centre est fatalement un lieu de stockage des pires déchets nucléaires de la planète. Et le feu est aux portes, qui peut, comme l’on dit, « remobiliser » des radionucléides avant de les entraîner des centaines ou des milliers de kilomètres plus loin. Voilà la réalité du nucléaire, et il n’en est aucune autre. Mais le débat n’aura évidemment pas lieu chez nous, car la France s’est vendue sans état d’âme à la surpuissante industrie nucléaire. Comme aucun autre pays au monde. Au moins les trois quarts de notre électricité proviennent de l’atome, ce qui fait de la France une terre à part. Une terre encore plus imbécile que la plupart des autres.

Surveillez avec moi la situation, qui est grave. L’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), censé nous protéger, en est à déclarer : « Ces incendies de forêt posent deux questions : si ces incendies touchent des territoires contaminés lors de l’accident de Tchernobyl, les particules radioactives remises en suspension lors de la combustion du bois peuvent-elles atteindre la France ? Ces incendies menacent-ils la sûreté de certaines installations nucléaires russes ? ». Et il ajoute (lire ici) : « D’éventuelles traces de pollution radioactive (…) ne pourront être décelées que si la France est exposée au panache de fumées. Or, depuis ces derniers jours, le territoire est plutôt sous des vents orientés nord-ouest ».

Relisons ensemble cet involontaire chef-d’œuvre. L’IRSN ne conteste nullement le danger. Simplement, il s’en remet à la rose de vents, en priant Dieu qu’elle permette de seulement polluer la Scandinavie. Voilà. J’ajoute que notre impuissance à lutter contre l’incroyable puissance de feu du lobby nucléaire n’est pas de bon augure face à la crise écologique planétaire. J’ose espérer que cela n’annonce pas, d’ores et déjà, notre défaite en rase campagne. Il existe à Gentioux, dans la Creuse, un monument aux morts de 14-18 à peu près unique en France. On lit sur la stèle ces simples mots : « Maudite soit la guerre ! ». Moi, je le clame, sans espoir que cela change quoi que ce soit : « Maudit soit le nucléaire ! ».

PS : Hacène me rappelle, dans un courriel privé, que nous sommes le 6 août ! Le 65 ème anniversaire de la bombe A lancée sur Hiroshima. Honte, honte éternelle à ceux qui osèrent. Et une pensée pour les hibakusha, les 266 598 victimes reconnues par le gouvernement japonais.