Archives mensuelles : octobre 2010

Gatignon, maire écolo de Sevran (stalinien un jour, stalinien toujours)

Une nouvelle recrue d’Europe Écologie, membre du parti communiste jusqu’à sa brutale conversion, vient d’être chopé à fabriquer des fausses cartes d’adhérents. 400, dont beaucoup de Tamouls de la Seine-Saint-Denis, probablement touchés par la grâce écologiste au cours d’une belle nuit d’octobre. Bienvenue chez les adeptes de la « politique autrement ».

Stéphane Gatignon a décidé d’être gentil avec moi, et de m’offrir en cadeau une énième démonstration de mon obsession adorée : le stalinisme. Car il a été pris la main dans le sac, ou plutôt dans l’urne. Ce qui fait désordre pour ce valeureux, bien que nouveau, militant « écologiste ». Vous qui entrez ici pour la première fois, rassurez-vous si vous pouvez : le rendez-vous que j’ai créé, Planète sans visa, est consacré à la crise écologique, et le restera. Mais pour affronter cette crise, il faut aussi détruire quantité de formes anciennes de la politique, dont l’héritage stalinien fait partie, ô combien. Les plus fidèles lecteurs connaissent cette chanson par cœur, j’en ai bien conscience. Mais je suis un multirécidiviste, je ne sais pas m’arrêter.

Alors, et ce Gatignon ? C’est un maître, je vous en préviens. Né en 1969, il est le rejeton d’une famille d’apparatchiks de la Seine-Saint-Denis. Qu’est-ce qu’un apparatchik ? Un bureaucrate ayant fait toute sa carrière dans l’Apparat, ignoble mot soviétique qui désigne l’univers de l’Appareil, cette structure opaque créée sur le dos du peuple pour mieux s’emparer de son travail. Je vous le dis sans trémolos, il ne reste pas beaucoup de gens capables de vous dire ce que fut le stalinisme triomphant de la défunte « banlieue rouge », quand 27 maires de Seine-Saint-Denis sur 40 appartenaient au PCF, ainsi que 9 députés sur 9. Moi, j’ai connu. Je n’ai aucun mérite : la roulette sociale m’avait projeté dans ce territoire spectaculaire. Au fil des ans, j’ai notamment habité Aulnay, Drancy, Noisy-le-Sec, Livry-Gargan, Tremblay, Les Pavillons-sous-Bois, Bondy, Noisy-le-Grand, Villemomble, Gagny, Clichy-sous-Bois, Montfermeil. Dans cette dernière cité riante, j’ai posé mon sac au 5 rue Picasso, dans la cité des Bosquets, considérée comme l’une des pires de France. Je crois connaître la banlieue.

Et je crois connaître les staliniens. Pour la raison que je les ai affrontés – avec d’autres, bien sûr -, y compris sur le plan physique. Je ne regrette rien. Rien d’autre que d’avoir raté quelques bourre-pifs. Je sais, figurez-vous. J’ai conscience de nuire à mon image de marque. Le bourre-pifs est mal vu. Mais je dis, et le reste m’indiffère. J’ai défendu pendant des années, dans cette zone dévastée, un point de vue démocratique et révolutionnaire sur l’avenir de la société. J’avais peut-être tort, mais les staliniens étaient à coup sûr de purs salauds. Qui n’hésitaient jamais à envoyer leurs sbires – souvent des employés municipaux à la botte des maires – cogner des petits jeunes dans mon genre. Je me souviens de quantité d’événements, vous ne pouvez pas même imaginer. Je me souviens de l’épouvantable campagne que les staliniens avaient montée en 1980/1981 contre les Gitans, autour de Rosny-sous-Bois. Non, ce n’était pas les Roms de 2010, mais les Gitans de 1980. Qui s’en souviendra jamais ?

Gatignon, maire de Sevran, est l’héritier de cette histoire maudite, que je conchie sans l’ombre d’une hésitation. Après au moins 20 ans au service du parti communiste, tel une fleur du jour, Gatignon a décidé de rejoindre Europe Écologie, en novembre 2009, puis de représenter ce parti aux régionales de 2010 en Seine-Saint-Denis. Comme tout cela est crédible. Comme cela sent la rose des prés. Il faut aller voir ce que le monsieur écrit sur son blog depuis qu’il est devenu « écologiste ». Par Dieu, on jurerait du Verlaine (ici) : « Pour conduire cette révolution démocratique dont la gauche et l’ensemble des démocrates et progressistes ont la charge, il est indispensable que la gauche rompe avec ses égoïsmes partidaires étriqués. Pour engager la transformation démocratique, écologique, sociale et civilisationnelle de notre pays, il faut déborder la tendance au retour en arrière, déborder le régime actuel par une véritable dynamique de toute la société ». Je ne sais pas si vous appréciez comme moi le ton général. Moi, j’en redemande. Interrogé par le journal  Marianne (ici) en avril 2010, Gatignon tente d’expliquer ce qu’il faudrait garder, selon lui, de l’idée communiste. Et cela donne cela, qui ouvre sur un gouffre sans fond : « Il y a certaines valeurs du communisme dont nous avons besoin pour construire la société de demain. On pourrait citer la question du cosmopolitisme, de la culture commune par exemple ». Oh, mais cet homme ne serait-il pas un penseur ?

Venons-en au sujet du jour, il n’est que temps. Vous lirez à l’entrée des commentaires la copie d’un article publié par Le Monde le 5 octobre, sous la signature de Sylvia Zappi. Gatignon a jeté sur la table, comme au poker (menteur) 400 cartes de nouveaux adhérents. Tous de son fief de Seine-Saint-Denis, bien sûr. Et toutes payées en liquide. Et dont bon nombre, sur le papier en tout cas, appartiennent à des Tamouls. Je rappelle qu’un congrès de fusion entre les Verts et Europe Écologie doit avoir lieu en novembre. Et que les bureaucrates qui visent des postes doivent se montrer, bomber le torse, annoncer la couleur. Laquelle est verte, n’est-il pas?

J’ajoute et je termine : Gatignon fait partie depuis des années de ce que la presse appelle les « rénovateurs » du PCF. Ne me demandez pas ce que cela veut dire. Plutôt, je peux répondre : rien. En faisaient partie jusqu’à ces dernières semaines Patrick Braouezec, le chéri des couillons, et François Asensi, qui mena en 1980 une odieuse campagne à propos des immigrés de la Seine-Saint-Denis. On s’en fout ? Pas moi. Quant à Europe Écologie, comme dirait l’ami Arthur, « Oh ! ne les faites pas lever ! C’est le naufrage…». Ces gens font entrer n’importe qui chez eux, tout en prétendant incarner la morale – important, la morale -, et quand le scandale leur explose au visage, tout ce qu’ils trouvent à dire, c’est : damned. Il sera instructif de voir ce que feront nos moralistes associés du cas Gatignon. Bien entendu, il ne mérite qu’une chose : retourner à Sevran s’occuper de la cité des Baudottes. Mais rien n’est moins sûr, car les choses ne sont pas si simples. Un débat de titans de prépare en effet. À main droite, le chef autoproclamé des Verts, Jean-Vincent Placé. À main gauche, Eva Joly et Daniel Cohn-Bendit, qui voudraient tant nous convaincre qu’ils incarnent l’avenir. Ne pas se gourer : en la circonstance, Gatignon et ses Tamouls sont embedded with Eva Joly. C’est du propre.

Marina Silva, consécration d’une véritable écologiste

Il est bien rare qu’une élection me détourne ne fût-ce qu’une seconde d’occupations plus utiles. Mais je vous ai beaucoup parlé du Brésil, ce pays où une gauche égrotante, menée par un productiviste forcené – Lula – laisse détruire en souriant le cerrado – l’immense savane – et la somptueuse forêt amazonienne. Je me permets de vous renvoyer à moi-même (ici, ici, ici, ici, entre autres), car je n’ai pas grand chose à ajouter sur le cas désespéré de cette social-démocratie des tropiques.

En tout cas, le premier tour des présidentielles vient d’avoir lieu, et la candidate de Lula, Dilma Vana Rousseff n’a pas réussi à passer au premier tour, comme tout le monde le prédisait pourtant. Et si elle n’a pas réussi son affaire, c’est que Marina Silva a fait 19,3 % des voix. Or cette femme est, à mes yeux, admirable. Car c’est une écologiste, de combat. Élevée en pleine forêt, parmi les récolteurs de latex, elle est restée – elle – proche du peuple et des sans-terre. Elle fut l’amie de Chico Mendes, cet autre écologiste assassiné en 1988 par des sicaires au service des grands propriétaires. Je suis heureux. Cela ne durera pas, j’en profite.

Gloire éternelle à Pierre Authié (cathare et Bon Homme)

Il n’est pas absolument certain que vous connaissiez Pierre Authié. Moi-même, j’ignore à peu près tout de lui. Mais enfin, voici en trois phrases ce que je sais. Ou plutôt, ce qu’on croit savoir. Pendant environ trois siècles, diverses hérésies ont habité ce que l’on n’appelait pas encore la France. On les nommait, selon les cas, des Patarins, des Tisserands, des Publicains, des Piphles. C’est entre Toulouse, Albi et Carcassonne qu’ils furent les plus nombreux, les plus fervents. Nous avons pris l’habitude d’appeler ces derniers des cathares, qui n’est qu’un vilain jeu de mots mêlant le nom d’une secte et les adorateurs du chat, supposément satanique. Le mot « cathare » n’a aucune valeur historique. Vers le 12ème siècle, quand ces dissidents habitaient librement le Languedoc, le Roussillon, le comté toulousain, ils se désignaient entre eux comme des Bons Hommes, ou des Bonnes Femmes, car ils ne faisaient pas la différence épouvantable entre les sexes qui dévasta tant nos sociétés. « Cathare » est pour l’essentiel une invention, qui date d’un livre paru en 1848 (Voir par exemple : Les cathares, par Anne Brenon, Gallimard).

Rassurez-vous, je ne pars pas en croisade. Je sais trop peu de choses certaines sur le catharisme pour prendre en bloc sa défense posthume. Mais en tout cas, Pierre Authié. C’était un notaire d’Ax-les-Thermes (Ariège), et il était un prédicateur cathare. Au mauvais moment, car à l’extrême fin du 13ème siècle, les hordes barbares catholiques venues du Nord faisaient régner la terreur depuis des décennies dans les régions qui leur résistaient encore. Pierre était rentré dans sa chère contrée ariégeoise après avoir été ordonné Bon Homme en Italie, où la répression était moindre. Et il était revenu prêcher, probablement sans grande illusion sur son sort personnel, la vraie foi. La sienne, qui jetait à bas les croix et les statues et les prélats dodus. Je ne suis pas sûr que j’aurais aimé le catharisme, mais on prête à Authié, qui fut chopé par les flics de l’époque, avant d’être brûlé en 1310 à Toulouse, une phrase que je trouve sublime. La voici : « … Dieu ne fait pas de beaux blés et n’en a cure, c’est le fumier qu’on met dans la terre qui les fait …».

Je dois ajouter que les cathares les plus croyants ne mangeaient pas de viande et se refusaient à tuer le moindre animal. Je me répète : loin de moi l’idée d’en faire un modèle rétrospectif. Mais cela me donne à réfléchir, et j’espère que cela aura le même effet sur vous. Car enfin, si les cathares avaient sauvé leur pensée et leur monde, il y aurait dans le sud de la France un autre pays, parlant une autre langue, peut-être – on ne le saura jamais – un peu moins cruel vis-à-vis de ce qui n’est pas humain. Peut-être – rêvons, rêvons ! – un peu moins sot que celui qui l’a finalement emporté, et qui est le nôtre. Ce que je veux dire, et que vous comprendrez, c’est que la fatalité ne me semble pas une donnée permanente des sociétés humaines. Il y avait d’autres voies, d’autres valeurs, d’autres conceptions de la vie ensemble. Et elles se mariaient, en l’occurrence, avec une spiritualité exigeante, constante, supérieure. Y eut-il des bûchers chez les cathares ? Non. Y en aurait-il eu ? Il n’y en pas eu, et telle ma réponse. Ce qui ne peut que nous renvoyer tous à la certitude de la liberté. Pierre Authié, requiescat in pace.

Mais que sont nos rivières devenues ?

Je lis un article sur le site américain de la revue National Geographic (ici), qui décrit calmement l’état réel des fleuves et rivières du monde. Il me demeure étrange que de telles informations ne fracassent pas le poste, les micros, toutes les connexions de ce monde soi-disant informé en temps réel. Désolé d’avoir, une fois encore, à  hurler dans le vide sidéral sans aucune chance de changer quoi que ce soit. Cette fois, il s’agit d’une étude parue dans la revue scientifique Nature, dont le titre est : Global threats to human water security and river biodiversity. Soit : Menaces globales sur la sécurité des ressources en eau et la biodiversité des rivières. Il doit y avoir meilleure traduction.

Dans un éditorial de la revue (ici), Natasha Gilbert livre son sentiment, argumenté, sur l’étude. Si je cite ce texte, c’est que je n’ai pas eu accès à l’étude elle-même, qui est fort logiquement payante. J’espère que vous m’en excuserez. En tout cas, Gilbert rassemble quelques leçons du désastre en cours et note dès la première phrase : « Presque 80 % de la population du monde fait face à de graves menaces concernant l’approvisionnement en eau ou la biodiversité ». J’ai par ailleurs lu quelques présentations de l’étude sur des sites américains, et voici ce que je peux en dire. Les chercheurs ont défini 23 paramètres de stress hydrique, parmi lesquels la pollution, les barrages, l’agriculture, la disparition des zones humides et ils ont ensuite modélisé le tout sous la forme de cartes.

Des cartes pour montrer le niveau des ressources disponibles. Des cartes pour signifier l’état de la biodiversité. La superposition des deux montre les zones les plus globalement menacées. Je me contenterai de pointer quelques faits. Sans surprise, il n’existe presque plus de rivières vivantes, pleinement vivantes. On en trouve essentiellement au centre de l’Amazonie, dans le nord du continent américain, dans le nord de la Russie. Parce qu’il n’y a pas d’hommes, je crois qu’il vaut mieux regarder les choses en face. Autre information marquante, parmi tant d’autres : la carte concernant la biodiversité est accablante pour l’Europe et les États-Unis. Je l’ai sous les yeux, et c’est bien le moins que je puisse écrire : accablante. L’essentiel de nos territoires riches est dans l’orangé ou le rouge, c’est-à-dire le pire. La France fait évidemment partie du lot.

La plupart des habitants de ce pays ne comprennent pas ce que l’industrialisation du monde a fait disparaître. Une rivière serait une rivière. Mais qui se souvient par exemple de ce qu’était le Rhin il y a seulement 200 ans, à l’époque où Cassini le cartographiait ? Si vous avez la chance de mettre la main sur l’une de ces cartes magnifiques, regardez donc cette tignasse ! Le Rhin était un chevelu immensément étiré, dont les radicelles pénétraient au fond de gigantesques forêts alluviales. Le fleuve étendait ses crues bienfaisantes sur des kilomètres, de part et d’autre de ses rives naturelles. Et combien de bras morts ? Combien de refuges ? Combien de nurseries ? La richesse biologique d’un être vivant de cette taille défie bien entendu toute description. C’est cela que nous avons perdu. Le béton et le pauvre savoir des ingénieurs ont réussi à faire croire qu’un cours d’eau n’est jamais qu’un tuyau dans lequel coule un fluide. Et nous l’avons cru, imbéciles que nous étions.

Je reviens une seconde à l’étude de Nature. On peut télécharger les cartes de ce travail sur ce site suisse, si le cœur vous en dit. Que puis-je ajouter ? Le changement, s’il survient, ne pourra passer d’abord par la voie politique. La seule chose sérieuse à tenter, c’est de détruire les valeurs culturelles et morales qui ont permis de fonder un monde absurde, capable de faire disparaître une à une les seules richesses authentiques dont nous disposons. Est-il besoin d’une preuve ? Le Mondial de la bagnole commence. Et personne n’ose dire que cet engin est un crime contre l’homme et la nature. Combien d’écolos – oui, c’est péjoratif – se contentent de demander des crédits pour cette merde de voiture électrique ?

PS : on peut trouver les cartes de Cassini ici : http://cassini.seies.net/fr_ne.htm Ensuite, cliquer dans le carré qui vous intéresse.