Archives mensuelles : décembre 2011

À ceux qui nous préparent des lendemains atroces (à propos du climat)

Il se tient en ce moment à Durban (Afrique du Sud) une énième conférence mondiale sur le climat. Je ne regarde que de loin, car je sais l’essentiel : il n’en sortira rien. Rien. Certains, y compris peut-être chez les écologistes officiels, jugeront bon de faire accroire qu’un pas a été accompli. Mais ce sera faux, bien entendu. Je ne dis pas cela pour décourager qui que ce soit de croire au Père Noël. J’ai toujours aimé le Père Noël. Mais je crois préférable, chez un peuple d’adultes, de laisser cette noble croyance aux plus jeunes d’entre nous.

Je ne vous ferai pas la liste des conférences précédentes, toutes effroyablement gâchées. Celle de Copenhague, à la fin de 2009, peut être considérée comme un archétype. On palabre, on applaudit, on conspue, on se congratule pour finir, sur fond de désastres de plus en plus évidents. Officiellement, la France est vertueuse, et se promène du reste toujours auréolée de grands discours creux, dont ceux de Sarkozy donnent une image assez juste. Officiellement, la France comme l’Europe sont vertueux, et prétendent en conséquence faire les gros yeux à ces vilains Américains et à ces affreux Chinois, qui ruinent tous nos si magnifiques efforts. Que vous dire ? Oui, c’est une supercherie totale, mais dont tout le monde se contrefout – je vais y revenir – au long de ce fameux axe politique droite-gauche, qui inclut je le précise tout de suite Europe-Écologie-Les Verts.

Quelle supercherie ? Je vous renvoie à Jean-Marc Jancovici, polytechnicien et néanmoins formidable vulgarisateur de la question énergétique. Ceux qui voudraient me chercher à son propos doivent savoir que je l’ai constamment critiqué pour ses positions très favorables au nucléaire. Il reste que cet homme pense, et souvent des choses passionnantes. Au nom de quoi devrait-on l’oublier, dans ce monde pétrifié ? Jancovici, donc, a publié un calcul remarquable, et je dois ajouter : incontestable. Si. Je maintiens : incontestable. Selon ce travail (ici), chaque Français émet 13 % de gaz à effet de serre de plus en 2010 qu’en 1990. 1990, telle était la date retenue au sommet de Kyoto – 1997 -pour jauger et juger les efforts de réduction des émissions de gaz des uns et des autres. Le protocole prévoyait ainsi que les pays développés s’engageaient à réduire leurs rejets de 5 % en moyenne à l’horizon 2012 par rapport à 1990. 2012, nous sommes bien d’accord ? c’est dans un mois.

C’est dans un mois et les charlatans qui nous gouvernent prétendent que, notamment grâce au nucléaire, notre pays serait au rendez-vous de Kyoto, qui soit dit en passant n’était déjà rien, RIEN, en égard des véritables enjeux climatiques. Mais tel n’est pas le cas. Et si nous émettons 13 % de gaz à effet de serre en plus, par rapport à 1990, c’est que les calculs ministériels oublient un détail. La consommation hystérique de biens matériels fabriqués ailleurs. Eh oui ! C’est simple comme bonjour : à qui diable attribuer les saloperies made in China, made in India, made in partout ailleurs, qui arrivent par milliers de tonnes dans nos ports, pour satisfaire une fringale sans but ni fin ? On refile les émissions liées à leur fabrication aux autres, et pas à nous ! De la sorte, nous pouvons dormir tranquillement. Les joujoux, les cotonnades, les ordinateurs, les télés, les téléphones ? C’est pas nous, c’est les barbares de tout là-bas !

Et voilà pourquoi votre fille est muette. Voilà la vérité à peine cachée de notre monde réel. Et le fondement d’une unité nationale qui ne dira jamais son nom. Mélenchon, par exemple, qui se prétend écologiste quand il n’est jamais qu’un politicien mollettiste (1) de plus, réclame une augmentation de la consommation des biens matériels en France, ce qui le rend complice – qu’on se rassure, il ne sera jamais jugé – de l’aggravation si prévisible de la situation climatique. Il n’est pas le seul. Tous continuent de danser sur le pont du Titanic, et les Verts, qui se battent au couteau pour des places de députés, ne font évidemment pas exception.

Des organismes qui pourtant soutiennent la marche folle de ce monde assassin, comme l’Organisation météorologique mondiale (OMM), le Programme des nations unies pour l’environnement (Pnue), l’Agence internationale de l’énergie (AIE), notent avec une grande force que, sans un sursaut qu’on peine à imaginer, la température moyenne du globe s’apprête à devenir incontrôlable. La barrière des 2° d’augmentation – digue ridicule s’il en est – sera sous peu pulvérisée. Nous allons vraisemblablement vers 4 ou  5 degrés de plus, voire 6 à l’horizon 2100. Ce que nous promettent ces perspectives, si elles devaient se réaliser, c’est la fin des civilisations humaines. Attention !  Je ne parle pas là de la disparition des hommes, mais d’une régression sans précédent depuis qu’existent des sociétés civilisées. Et j’en profite pour vous rappeler ce truisme : sans l’exceptionnelle stabilité du climat que nous connaissons depuis des millénaires, pas de Pharaons, pas de Phéniciens, pas d’Athéniens ni de Spartiates, pas de pax romana, pas de cathédrales, et pas même de Révolution française. Nous devons tout, absolument tout à l’extrême bonté d’un climat favorable.

4, 5 ou 6  degrés de plus, c’est la fin concrète des agricultures productives, la migration forcée de centaines de millions d’êtres, et peut-être davantage, c’est la guerre sous toutes ses formes, le massacre, l’ensevelissement de l’idée humaine, et pour longtemps. Je vous renvoie à un article de l’historien du climat Emmanuel Le Roy Ladurie (ici), qui n’a rien d’un écologiste. Le dérèglement du climat, historiquement – à des niveaux dérisoires par rapport à ce que nous vivons -, signifie l’affrontement entre les hommes. Et pourtant, nul ne met cette question au centre de la discussion publique chez nous, à quelques mois d’une élection présentée comme importante. Que la droite veuille poursuivre cette marche forcée à l’abîme, soit. Elle semble née pour nous entraîner au chaos. Mais la gauche, mais les gauches, mais ces écologistes estampillés ? Ils font exactement pareil. Mutatis mutandis, ces gens me font penser à ceux qui couraient sur le terrain d’aviation du Bourget à la rencontre de l’avion de Daladier, retour de Munich. On s’en souvient, Édouard Daladier, Président du Conseil en cet automne 1938, était allé vendre la Tchécoslovaquie à Hitler, dans le fallacieux espoir de sauver la paix. De retour en France, il redoutait, apercevant la foule sous les ailes de l’avion, d’être lynché par des antifascistes révulsés par sa couardise. Au lieu de quoi, il fut acclamé par une foule d’imbéciles.

Eh bien, sachant dès l’avance que je vais choquer des lecteurs fidèles, je fais un rapprochement avec la situation présente, dont j’ose écrire qu’elle est pire, incomparablement. Ceux qui soutiennent des partis indifférents au chaos climatique qui vient, et qui s’apprêtent à voter pour eux, ressemblent à ceux qui apportaient des fleurs au Bourget à ce damné connard de Daladier (2). Il y a des moments, et nous en sommes là, où la rupture mentale est une nécessité absolue. Je ne voterai pas en mai 2012, car tous, TOUS nous préparent des lendemains atroces.

(1) Mollettiste renvoie à Guy Mollet, ancien dirigeant de la SFIO, qui donna naissance au parti socialiste. Mollet avait commencé sa carrière politique en 1945, tonnant du haut des tribunes et maniant une langue souvent plus « à gauche » que celle du parti stalinien (communiste). Sa spécialité fut donc d’apparaître comme une sorte de révolutionnaire de pacotille. Ce qui n’empêcha pas son parti, dès 1947, de réprimer les grèves par la violence étatique, sous la conduite de Jules Moch. Et à Mollet lui-même de couvrir et même encourager la torture de masse en Algérie lorsqu’il devint président du Conseil en 1956.

(2) Rappelons que Daladier fut un personnage-clé du gouvernement de Front populaire en 1936.

4 livres en vrac oubliés sur ma table

Ah ! il n’est que temps. Je remets mon devoir à plus tard, demain, mañana por la mañana. On appelle cela, quand on est bien malpoli, de la procrastination. Je procrastine, et je ne dois pas être le seul. Que devais-je faire depuis si longtemps, que je n’ai toujours pas fait ? Vous parler de quelques livres, parmi tant d’autres qui m’ont plu, mais qui ne pourraient tous trouver leur place ici. Alors voici, dans le désordre inévitable de ma vision personnelle.

D’abord le livre d’un ami, ce qui ne peut suffire à le disqualifier. François de Beaulieu publie un remarquable Dictionnaire de la nature en Bretagne (éditeur Skol Vreizh, Morlaix), agrémenté de dessins et aquarelles de Sandra Lefrançois. Il me plaît énormément que l’on passe sans transition du lierre au lièvre, du moro-sphinx – un papillon – à la morue. On entre dans ce dictionnaire en sifflotant, certain d’y trouver ce que l’on n’y cherchait pas. Appelons cela une immense balade par monts et par vaux, avec le pouce-pieds – vous savez ce que c’est ? -, le porc blanc de l’ouest, le rat, la sterne arctique, les crevettes et le cormier. De Beaulieu a assemblé en maître 374 articles, qui combleraient, je crois, tous les appétits. Ses textes sont clairs, bourrés d’infos précises, fiables, étymologiques, naturalistes, poétiques, rigolotes. Quand je pense à tout ce que j’ignorais et continue d’ignorer, je ne suis pas peu heureux d’avoir ce bouquin près de moi. Idéalement, mais ne nous ne vivons pas dans un monde idéal, il faudrait un tel ouvrage pour chaque région de France. Mais qui s’y mettra ? François, que je salue bien sûr, est doté d’une force de travail peu commune. Qu’on ne trouve pas toujours sous le sabot d’un poney Dartmoor (private joke). Je me dois d’ajouter que le prix est terriblement élevé : 59 euros. Et j’ai beau savoir ce que coûtent les livres, il est certain que ce montant sera dissuasif, hélas.

Autre livre qui n’a rien à voir : L’homme contre le loup (Une guerre de 2 000 ans), par Jean-Marc Moriceau (Fayard, 26 euros). Moriceau est un excellent historien, et avant tout, qu’on me permette de réparer un funeste oubli (un de plus). En 2010, il a publié un travail percutant intitulé Repenser le sauvage grâce au retour du loup (publié aux Presses universitaires de Caen).

J’ai découvert Moriceau en 2007, à l’occasion de la sortie d’un autre de ses livres, Histoire du méchant loup, (3 000 attaques sur l’homme en France, du XVème au XXème siècle), également chez Fayard. J’en ai parlé dès les premiers pas de Planète sans visa (ici), ce qui m’a valu de me fâcher avec certains défenseurs du loup, que je connaissais et appréciais depuis de longues années. En deux mots, le livre de Moriceau faisait s’effondrer en moi bien des années de croyance. Je pensais sincèrement que le loup n’avait pratiquement jamais attaqué l’homme chez nous, et qu’il ne faisait que traîner une mauvaise réputation liée à la concurrence historique entre lui et nous. J’avais tort, mais certains défenseurs du loup ne l’entendaient pas de cette oreille, et me firent savoir sans détour que j’étais un renégat. Eh bien soit ! je salue de nouveau le grand travail de Moriceau.

Et j’en viens donc à ce nouveau bouquin, enfin. Dans L’homme contre le loup, l’historien affine, précise, détaille son propos, étayé par des milliers de sources écrites. Ce que l’on voit apparaître est bien une guerre. Le loup, qui devait compter entre 15 000 et 20 000 individus en France (200 actuellement) au XVIIIème siècle, a bel et bien désorganisé la vie de nombreuses communautés rurales – et d’ailleurs citadines en certaines occasions -, prélevant localement un fort tribut sous la forme de veaux, vaches, chevaux et moutons, entre autres animaux domestiques. Et certains de ces loups, pas seulement enragés, et même loin de là, se sont laissés tenter par un gigot de pâtre ou une fesse de jeune – et moins jeune – paysanne. Les faits sont désespérément têtus, et le travail de Moriceau si impeccable qu’il faut en effet admettre cette réalité : le loup, prédateur fabuleux, animal opportuniste s’il en est, n’est pas une peluche de salon.

Moi, je l’accepte sans aucune gêne. Je ne défends pas avec vigueur la présence en France du loup, de l’ours ou du lynx au motif qu’ils feraient joli dans le paysage. Je les défends parce que je ne conçois pas la vie sans eux. Présents ici quand nous n’étions nous-mêmes que des bandes de pouilleux à peine capables de se tenir debout, ils forment la splendide tribu des vrais sauvages de France. Leur rôle de régulation est irremplaçable, leur beauté est sans égale, leur avenir est donc le nôtre. Ils mordent ? Moins que nous, beaucoup moins que nous, de toute éternité. Mais je n’oublierai plus la force astronomique de leur mâchoire.

Un troisième livre, à nouveau d’un ami cher : Jean-Claude Pierre. Ce Breton exceptionnel est connu dans sa région comme le loup blanchi qu’il est. Combien de centaines de conférences aura-t-il données pour tous les publics possibles et imaginables ? Lui seul le sait, à peu près. Créateur de l’association Eau et Rivières de Bretagne, porte-parole du grand réseau Cohérence (ici), il est l’homme du concret. L’homme du changement réel, jour après jour. D’une certaine manière, je suis fort éloigné de lui, moi qui continue à rêver de grandes ruptures. Mais avec lui, je suis et demeure en excellente compagnie. Ce qui explique que j’ai pu travailler avec lui, pendant deux ans, dans le cadre de la revue Les Cahiers de Saint-Lambert, hélas disparue. Et avec le plus grand bonheur. Jean-Claude a toujours une idée positive qui traîne, il est une sorte de génial intercesseur, un passeur qui permet à quantité de gens différents de se parler, et quelquefois de se comprendre. À mes yeux, il est l’un des grands écologistes (méconnus) de France.

Et son livre ? Il s’agit de L’appel de Gaïa (Liv’éditions, ici). Jean-Claude y fait parler notre vieille terre, Gaïa, qui s’adresse sans détour à nous, les hommes. Ce qu’elle dit notamment : « Matrie ! Ce mot, je t’en conjure, prends-le au sérieux, fais-le connaître, explique-le; il est l’un des moyens d’arriver à la prise de conscience plus que jamais nécessaire pour rompre avec des pratiques qui me détruisent ». Prix : 15 euros.

Enfin, une réédition que l’on doit à Charles Jacquier, éditeur chez Agone que j’ai déjà signalé et remercié plusieurs fois ici. Le roman de Victor Serge Les années sans pardon était indisponible depuis bien longtemps, après une ultime édition à la fin des années 70 dans la petite collection Maspero. Ce qui suit n’a rien à voir avec l’objet central de Planète sans visa, c’est-à-dire la crise écologique. Seuls mes plus fidèles lecteurs – pardon aux autres – savent que je voue une admiration intense à Serge, né en 1890 et mort en 1947. Charles Jacquier m’a donc fait un immense plaisir en m’adressant ce livre, qui m’a replongé dans l’infernal chaudron du stalinisme flamboyant des années trente du siècle écoulé. Le livre raconte le destin d’une « génération de fusillés » au travers de quatre histoires. La tragédie d’hommes et de femmes qui ont cru au  « pays du mensonge déconcertant » que fut l’Union soviétique. Poursuivis, calomniés, emprisonnés, torturés, assassinés, ils incarnent une histoire que je trouve aujourd’hui encore éclairante. Ce n’est pas le roman de Serge que je préfère, mais il a quelque chose en lui qui poursuit. Une sorte d’odeur. Un remugle. Prix : 22 euros.

Voilà. Comme dirait l’autre, c’est tout pour aujourd’hui.