Archives mensuelles : janvier 2012

Michelin se fout du monde et de l’Inde

Donc, comme je vous l’ai signalé ces derniers temps, Michelin, chantre historique du catholicisme social – mais oui -, construit une usine en Inde, dans le Tamil Nadu. Les natifs ces sots, de la caste des Intouchables, ne veulent pas. Je ne reprends pas tout, que vous pouvez retrouver en utilisant le moteur de recherche interne à Planète sans visa. Qu’y a-t-il de nouveau ? Aujourd’hui, mes amies chères Annie Thébaud-Mony et Josette Roudaire, en présence de l’Indienne Madhumita Dutta, ont tenu une conférence de presse à Clermont-Ferrand, siège de Michelin, soutenus par le syndicat CGT de l’entreprise.

Gloire à eux, bien entendu. Et le combat continue, bien entendu. Vous pouvez lire un papier du Parisien, ici ou regarder un reportage de France 3, ici. Dans ce dernier, le petit ponte de Michelin est pathétique.

Édification (sur Michelin et sur l’Inde)

Je vous ai invités voici quelques jours à signer une pétition contre la construction d’une usine de pneus Michelin au Tamil Nadu (Inde). Bien que vous sachant, dans l’ensemble, éclairés sur ces sujets, je me permets de vous signaler deux choses. Un, Michelin, comme vous verrez plus bas, a réagi par la voie d’un communiqué. Ce texte est d’une indigence, d’un ton, d’une langue de bois, d’une manipulation dignes des grands spécialistes de la chose. Je ne sais s’il faut en féliciter les auteurs. Je ne crois.

Deux, je vous invite à regarder un film tourné sur place, qui dure vingt minutes, avec des sous-titres anglais. Désolé pour qui ne lit pas cette langue. On y voit un village, quantité de visages, des animaux, de la dignité, de la souffrance, du désespoir. En ce sens, j’oserais dire que ce petit documentaire renferme plus de vérité sur l’état du monde que des centaines et milliers de péroraisons. Je regrette amèrement de ne pas savoir faire plus pour les villageois de Thervoy Kandigai, que je salue comme des frères.

Le film est ici : http://vimeo.com/20166574

Le communiqué de Michelin, sans commentaires :

Date : 13/01/2012
A PROPOS DES ALLÉGATIONS A L’ENCONTRE ?DE LA CONSTRUCTION DE NOTRE USINE EN INDE

A diffuser : à partir du 13/01/2012 avant le 16/01/2012
Périmètre de diffusion : Groupe     Publication Intranet : Oui ( 13/01/2012)
Destinataire final du document : jusqu’au niveau tout le personnel ?Utilisation du document : Pour votre information

En réponse aux pétitions qui circulent sur Internet appelant à l’arrêt du projet de construction de notre usine près de Chennai en Inde, le Groupe souligne qu’il n’y a pas de conflit entre Michelin et les villages localisés aux alentours du site que nous louons à l’Etat de Tamil Nadu. ??Cette usine de production de pneus poids lourds, qui représente un investissement de 600 millions d’euros sur sept ans pour le Groupe, entrera en production début 2013 et elle emploiera à terme 1 500 personnes. Notons qu’il ne s’agit pas d’une délocalisation, mais d’une implantation visant à servir les marchés régionaux.

A propos de l’implantation par Michelin d’une nouvelle usine

Le Groupe a prouvé par le passé, lors de l’installation de précédentes usines en Europe, en Amérique ou en Asie par exemple, qu’il agissait de façon responsable envers les habitants et leur environnement. Il n’en est pas autrement en Inde. Michelin n’y a détruit aucune forêt, aucun pâturage. Au total, et bien que l’usine n’entre pas en production avant un an, Michelin aura investi en 2011 plus d’un million d’euros pour participer à l’amélioration des conditions de vie des villageois.

A propos de notre implication dans la vie locale

L’objectif de Michelin est de vivre en harmonie avec son environnement, partout où l’Entreprise est implantée. Dans le cas présent, alors que l’usine n’est pas encore sortie de terre, nos réalisations en cours, élaborées en allant au contact des villageois, consistent à : favoriser l’emploi des habitants de la région, former des adultes des 31 villages alentours à des disciplines aussi variées que les langues, la mécanique, l’informatique, la plomberie, la charpenterie, la boulangerie, la conduite, etc. afin d’améliorer leur employabilité, faire dispenser un soutien scolaire aux enfants ; organiser des soins et des opérations ophtalmologiques (plus de 2 000 personnes déjà suivies), des soins de médecine générale, de pédiatrie ou encore de gynécologie (plus de 1 000 personnes déjà suivies) ; ne rejeter aucun déchet et préserver l’environnement et les ressources en eau de la région, installer des unités de production de bio-gaz, désensabler des lacs et canaux d’irrigation de rizières.

A propos de l’opposition entre les protestataires et le gouvernement de l’Etat du Tamil Nadu?

Quelques dizaines de personnes s’opposent depuis le début du projet à la création d’une zone industrielle par le gouvernement de l’Etat du Tamil Nadu dans la région. Ces réclamations doivent être adressées au gouvernement de l’Etat du Tamil Nadu, propriétaire des terrains et seul décideur concernant cette zone industrielle. Si Michelin est le premier industriel à avoir démarré la construction d’une usine dans cette zone, d’autres entreprises sont en train ou vont également s’y installer prochainement parmi lesquels Bekaert India (production de câbles), Harsha Glass (verre), etc.

Le gouffre du nucléaire (sur le fric)

Ce qui suit est un article paru le 11 janvier dans Charlie-Hebdo. Mais en tout cas, il est de moi, et mon petit doigt me dit que tous les lecteurs de Planète sans visa ne lisent pas cet hebdo. Mon papier a été écrit – et même publié – avant celui de La Tribune, hier. Le quotidien économique révélait l’essentiel d’un rapport de la Cour des Comptes, à paraître fin janvier. En résumé, l’opacité est reine. On ne sait rien de sérieux sur le coût du démantèlement des vieilles centrales. On n’en sait pas davantage sur le prix qu’il faudra payer pour « sécuriser » les milliers de tonnes de déchets nucléaires. Bref, mais vous le savez déjà, les imbéciles ingénieurs et les odieux politiques qui nous ont plongés dans ce désastre sont bien imbéciles et odieux. Je vous laisse avec mon papier de Charlie.

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La bonne blague de la semaine passée : l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) demande des travaux lourds dans les centrales nucléaires, exigeant des « investissements massifs » dans notre parc de 58 réacteurs. Combien de fric  ? L’ASN n’a pas osé chiffrer, de peur d’embêter EDF. Laquelle a aussitôt perdu pied en Bourse, avant de présenter une addition de 10 milliards d’euros, évidemment sous-évaluée. Ce qui est déjà énorme, car la note s’ajoute aux 40 milliards d’euros nécessaires pour pousser la durée de vie des centrales nucléaires à 60 ans, alors qu’elles étaient conçues pour 30. Soit 50 milliards, juste pour continuer comme avant. Commentaire avisé de Lacoste, patron de l’ASN : « Je n’imagine pas que les milliards d’euros nécessaires pour augmenter la sécurité du parc de centrales d’EDF n’aient pas une traduction sur son prix de revient ».

En somme comme en résumé, le cochon de payant verra sa facture d’électricité exploser pour les beaux yeux de Proglio, le copain que Sarko a mis à la tête d’EDF. Au fait, pourquoi l’ASN sort-elle un rapport ? À cause de Fukushima, pardi. Une partie des nucléocrates admet désormais sans détour qu’une cata monstre est parfaitement possible chez nous. Benjamin Dessus et son compère Bernard Laponche, excellents connaisseurs du dossier et néanmoins antinucléaires, aiment à rappeler ce constat imparable (1) : le calcul de probabilité officiel n’imaginait que 0,014 accident grave au cours des trente dernières années. Or de l’Ukraine au Japon, quatre réacteurs ont pourtant pété, soit 286 fois plus que ce que les servants de l’atome juraient sur la tête de leurs pauvres gosses. Les mêmes assuraient au bon peuple que la qualité française interdisait toute mauvaise surprise.

Le nucléaire est donc bien le royaume du mensonge obligatoire. Cette cruelle vérité ne doit pas faire oublier le reste,. Qui est donc André-Claude Lacoste, le chef de l’ASN ? Un type du sérail, évidemment, puisque le nucléaire ne connaît que cela. Ingénieur des Mines, comme l’ont été les grands pontes de l’atome français, de Guillaumat à Giraud, il a fait toute sa carrière au ministère de l’Industrie, haut lieu de la révolte et de l’incandescence comme on sait. En 1993, Eurêka, Lacoste prend la direction de la Sûreté nucléaire. La majuscule s’impose, car bien sûr, la structure est indépendante. La preuve par DSK, qui le nomme à ce poste juste avant de quitter sa place de ministre de l’Industrie et devenir lobbyiste pronucléaire, payé par EDF (2).

Morale de l’affaire : si un anarchiste de la trempe de Lacoste réclame tant de mesures de sûreté, c’est que ça craint.  Si un homme élevé au biberon nucléaire admet la possibilité du drame, et exige des milliards, peut-être des dizaines de milliards d’euros d’investissements, c’est parce que le feu est au lac. Et pendant ce temps perdu, l’Allemagne.

Tout le monde – ou presque – s’extasie sur les performances économiques du voisin outre rhénan, mais personne – ou presque – ne semble voir ce qui se prépare. Or pendant que Sarko, Proglio and co claquent notre argent commun dans une aventure du passé, Berlin prépare hardiment le seul avenir concevable. En investissant massivement dans les énergies éolienne et solaire. Il est de bon ton en France de nier la puissance à venir de ces nouvelles énergies, mais les Allemands s’en foutent, et ils ont bien raison.

En renonçant au nucléaire, la mère Merkel n’a pas oublié de chouchouter ses industries de demain. À elles seules, les éoliennes ont produit là-bas 7,5 % de l’électricité au cours du premier semestre 2011 et le soleil 3,5 %, soit déjà 11 %. À comparer aux grandioses chiffres français au même moment :  2,2 % pour le vent et 0,1 % pour le solaire. Les Allemands misent d’ores et déjà sur 35 % d’électricité renouvelable en 2020, dans huit ans, quand nous ne saurons toujours pas payer le démantèlement du monstre Superphénix ni traiter les montagnes de déchets radioactifs. Et carrément 100 % en 2050, quand Proglio aura été oublié depuis des lustres.

Autre anodine différence entre la France et l’Allemagne. Cette dernière a vu sa consommation d’énergie globale diminuer de 4,6 % en 2011, ce qui s’appelle faire plus avec moins. En France, en 2010, la consommation d’électricité a augmenté de 5,5 %. Certes, l’électricité n’est qu’une partie de l’énergie, mais la leçon reste claire : EDF doit à tout prix fourguer son électricité nucléaire, fût-ce sous la forme d’un imbécile chauffage qui achève de ruiner les pauvres. Le serpent se mord la queue, et même le reste.

(1) Voir notamment : http://www.global-chance.org/spip.php?article250

(2) Charlie n’invente rien. DSK a bien été payé par EDF pour vanter les mérites du nucléaire, notamment chez ses copains allemands du SPD.

Une signature vaut mieux que rien (Michelin en Inde)

ATTENTION, LES SIGNATURES DOIVENT ÊTRE ENVOYÉES ici

Je vous prie tous, amis lecteurs, de relayer la pétition ci-dessous, que j’ai signée bien entendu. J’ai pu d’ailleurs écrire un article sur le sujet, qui me tient au cœur. Il ne s’agit plus du lointain et méchant Monsanto. Il s’agit de Michelin. Il s’agit bien de nous. Prenez le temps de lire. Prenez le temps de signer, et de diffuser. Merci.

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Bonjour à toutes et tous,
Toute une région du Tamil Nadu est actuellement mobilisée contre l’implantation d’une usine Michelin, ruinant la survie de milliers de villageois. Toute la population, hommes et femmes, s’est mobilisée. Il y a eu plusieurs grèves de la faim. Des militants ont été mis en prison. Nous vous demandons de diffuser largement cet appel à signatures et de nous adresser votre signature ici.

En soutien aux initiatives citoyennes indiennes, nous lançons un appel à tous ceux et celles qui refusent la loi du plus fort

                                     Michelin ne doit pas construire cette usine en Inde !

Le mouvement social ne peut plus se contenter de dénoncer abstraitement la délocalisation de l’économie. Non seulement cette dernière ruine l’emploi chez nous, mais elle détruit souvent à la racine les conditions de vie des plus pauvres au Sud. En Inde, un conflit terrible oppose un village d’Intouchables – les plus méprisés de ce pays de castes – et Michelin, notre grande transnationale du pneu.

Thervoy Kandigai est un bourg du Tamil Nadu, État du sud de l’Inde. Il compte environ 1500 familles, qui vivent depuis toujours des pâturages et forêts proches de Thervoy. Tel est leur territoire, que Michelin s’apprête à détruire pour l’éternité avec cette usine. Non seulement la forêt, espace indispensable à la survie de cette population sans terre, est confisquée mais elle a déjà commencé à être détruite, risquant par la même de tarir les lacs approvisionnant les villages locaux en eau. Notre transnationale a en effet réussi à convaincre les autorités fédérales, et entend bâtir une usine ultramoderne de pneus en lieu et place de la forêt des Intouchables. L’espace est déjà clôturé, des bâtiments déjà en construction, le centre de formation déjà ouvert.

Les villageois se battent seuls depuis deux ans, multiplient les actions, grèves de la faim. En retour, ils subissent la répression : coups, présence policière, emprisonnement, certains depuis février 2011. Ils viennent d’élire un Panchayat – sorte de maire – ouvertement opposé à l’installation de Michelin. Et ils appellent à l’aide internationale. La France est en première ligne, et les signataires de cette pétition demandent, comme les habitants de Thervoy Kandigai l’annulation du projet. Michelin India proclame sur son site internet : « Une des valeurs essentielles de Michelin, c’est le respect des personnes ». Le moment est venu de prouver que ces paroles ne sont pas que de la propagande commerciale. Ne touchez pas à la forêt des Intouchables de Thervoy Kandigai !

Les  soussignés exigent :
L’annulation de ce projet de construction d’une usine Michelin à Thervoy Kandigai
la restitution des terres aux villageois
l’indemnisation des villageois pour les terres détruites
la libération des 8 emprisonnés, l’amnistie pour les 61 en attente de jugement et l’arrêt de toute violence contre la population !

Premiers signataires

Thébaud-Mony Annie, sociologue, présidente de l’association Henri Pézerat, santé – travail – environnement, Fontenay-sous-bois

Nicolino Fabrice, journaliste, association Henri Pézerat, Fontenay-sous-bois

Roudaire Josette, présidente du Comité Amiante Prévenir et Réparer, Auvergne, association Henri Pézerat

Roca François, CGT Michelin, Clermont Ferrand

Souzon Thierry, CGT Michelin

Chevalier Michel, CGT Michelin

Gascuel Jean-Sébastien, hebdomadaire Paysan d’Auvergne

Serezat Jean-Pierre, Université populaire, Clermont Ferrand

Panthou Eric, Historien,Syndicaliste FSU, Clermont-Ferrand
Quinson Laurent, Bibliothécaire, Syndicaliste FSU, Lyon

Védrine Corine, ethnologue, Saint-Etienne

Sur une idée fixe (l’interdiction de la pêche industrielle)

Pardonnez-moi de revenir à une idée exprimée plusieurs fois sur Planète sans visa. Je pense souvent à ce qui se passe sous la surface des océans, d’où nous venons tous, rappelons-le. Passons, même s’il ne le faudrait pas, sur le désastre des pollutions telluriques, c’est-à-dire celles venues des côtes, par les cours d’eau devenus égouts à ciel ouvert. Passons. Le reste est pire, je crois, car en moins d’un siècle de pêche industrielle, des équilibres vieux de millions d’années au moins, et parfois bien plus, ont été rompus. Le passage des usines flottantes et de leurs immenses racloirs, qu’ils soient filets dérivants – certains atteignent 100 km de long – ou chaluts, rompt irrémédiablement des chaînes alimentaires immémoriales.

Je ne vais pas, aujourd’hui du moins, vous accabler de chiffres et d’études. Je les connais, vous les connaissez au moins en partie. Et je vous renvoie si vous le souhaitez au très complet livre signé Yves Miserey et Philippe Cury, Une mer sans poissons (Calmann-Lévy). L’un des plus grands biologistes des pêches de la planète, Daniel Pauly, rejoint évidemment leur point de vue, qui s’impose à tous (ici). Nous sommes pour sûr dans le grand Déluge des récits bibliques. Nous sommes dans l’extrême catastrophe. Ce qui existait n’est plus, et malgré l’évidence, les imbéciles qui décident pour nous tous se réfugient dans des pensées tristement mécaniques. Ainsi, les promoteurs canadiens d’un moratoire sur la pêche à morue, voici vingt ans, ont-ils cru qu’il suffisait d’arrêter la pêche quelque temps pour revoir le mythique animal. Lequel n’est toujours pas revenu, ni ne reviendra jamais dans les quantités phénoménales de jadis. Un écosystème n’est pas un bouton électrique qu’il suffirait d’allumer et d’éteindre à volonté. La place de la morue a été largement prise par d’autres espèces, et ce poisson qui a fait la fortune de générations de pêcheurs est désormais un souvenir sur les bancs de Terre-Neuve.

Ce n’est plus même un crime. C’est un suicide collectif, dont seule la taille géante le sépare de celui de la secte du révérend Johnson au Guyana, en 1978. Que faire ? La réponse est évidente, et pourrait marquer un tournant dans l’histoire humaine si elle était reprise par suffisamment de voix. Il faut bien entendu INTERDIRE la pêche industrielle. Ne plus composer sur tel et tel aspect du massacre, comme le font par exemple le WWF ou Greenpeace. Mais au contraire déployer haut et fort la seule bannière qui vaille : la prohibition planétaire. Elle seule peut arrêter la tuerie, elle seule peut permettre de lier le sort des pêcheurs artisanaux du monde entier, France comprise. La clé est là, en effet : s’il est désormais essentiel de désarmer les bateaux de grande taille, il faut dans le même temps offrir aux communautés de pêcheurs du monde entier et à ceux qu’ils nourrissent des moyens plus efficaces, plus sélectifs, plus économes de prélever ce qui peut l’être, sans plus menacer l’équilibre général.

En théorie, une coalition mondiale des petits pêcheurs, des écologistes, de tous ceux décidés à sauver la vie peut encore agir. Mais le temps presse tant que je ne peux que répéter mon angoisse. Ce n’est pas un sentiment ordinaire, car il me plonge droit dans les abysses les plus profonds des mers du globe. Je sens de plus en plus que nous perdons peu à peu dans cette affaire les chances d’un avenir commun. Mais comme la vie ne saurait s’arrêter, il faut bien tenter quelque chose. Ce pourrait être un Appel mondial sans concessions, avec à la clé – pourquoi n’y parviendrions-nous pas ? – une pétition de 100 millions de signatures, suivie d’opérations de blocages dans les ports de ces bateaux-usines qui tuent toute perspective.

Je me souviens, au vrai je me souviendrai toujours des pêcheurs de Soumbedioune, un village tout proche de Dakar, au Sénégal. Les piroguiers partent et reviennent, souvent dans la même journée. Et le soir, des mammas exhibent en criant, coupent, découpent et vendent des poissons gris et roux, à peine sortis de l’eau. Il règne sur ce sable une atmosphère de conte de fées et de furie mêlés, emplie de joie, de faim, d’espoir. Je suis allé en mer avec plusieurs de ces piroguiers, et j’ai vu de mes yeux ce qu’ils maudissent chaque jour. Ces saloperies de chalutiers russes, coréens, chinois, européens hélas, qui pillent leur mer et leur mère en échange de quelques bakchich distribués aux corrompus en place au pouvoir. Je pense à ceux de Soumbedioune. Mais aux pêcheurs du Pérou et du Chili. Mais à ceux de l’Inde et de la côte de Malabar. Mais à ceux des îles et îlots d’Indonésie ou du Vietnam. Et aux ligneurs de bars du raz de Sein. Autrement dit, je pense aux poissons sublimes, aux crustacés de rêve, aux innombrables coquillages, à la folle diversité de ces fonds que nous ne connaissons pas ; et aux hommes qui pourraient en profiter, à condition  de ruiner à jamais l’industrie qui nous menace tous de mort.

Je répète : une coalition mondiale; une pétition de 100 millions d’humains pour l’abolition de la pêche industrielle ; enfin, des actions concrètes d’immobilisation des bateaux de la désolation.