Me voilà empêtré dans mes propres proclamations. Quand j’ai commencé Planète sans visa, en août 2007, absurdement encouragé par mon cher Alban, j’ai commis une déclaration d’intention. Laquelle disait, au détour d’un paragraphe : « Ce site parlera donc de la crise écologique, à ma manière. Sans concessions, sans inutiles précautions, sans vain respect pour les hommes et les institutions qui ne le méritent pas. S’il doit avoir un sens, ce sera celui d’écrire librement ». Librement ! Madonne, pourquoi ce librement ? Je me sens depuis tenu, ce qui est un comble à propos de ce noble adverbe. Mais tant pis, c’est trop tard.
Je connais Yves Paccalet depuis une vingtaine d’années. Cet écrivain, naturaliste et voyageur, a accompagné Cousteau dans nombre de ses missions, et cosigné avec lui plusieurs livres. À partir de 1994, et pendant plusieurs années, j’ai fait avec lui ce que Terre Sauvage, magazine pour lequel nous travaillions, appelait des Sentiers Sauvages. Chaque mois, nous marchions sur des chemins, de traverse et de beauté le plus souvent, et nous racontions cela aux lecteurs. Yves réalisait un Carnet du naturaliste, à partir d’une longue balade, et moi je faisais trois autres marches en solitaire, dans la même région. C’était un bonheur incroyable, autant qu’insolent.
J’ai donc bien connu Yves Paccalet, et même si je suis loin d’avoir été d’accord avec lui sur tel ou tel événement de sa vie publique, je lui ai constamment conservé mon estime. Il est un écologiste, bien que conseiller régional Europe-Écologie. Il est un formidable amoureux de la nature, et un authentique pédagogue. À ces titres, il a beaucoup fait pour notre cause commune, ce qui suffirait comme éloge. Mais j’ajoute que ce que j’ai pu voir de l’homme privé me le rend proche. Sera-ce assez pour me faire pardonner ? Espérons toujours.
Je viens de lire un désastreux papier, par lui signé, sur le site du Nouvel Observateur (ici). Disons qu’il s’agit d’un hymne amoureux à l’endroit de madame Kosciusko-Morizet, ci-devant ministre de l’Écologie, devenue ces derniers jours porte-parole du candidat Sarkozy. Franchement ! Que dit Paccalet ? Qu’elle est intelligente, qualificatif répété à deux reprises dans un panégyrique qui reste court. Intelligente, et fine : ce deuxième terme se rapporte-t-il encore à l’esprit ou au corps ? Si je m’autorise cette question, c’est évidemment parce que Paccalet provoque le doute, évoquant même les talons hauts de son idole. Je le cite : « Je l’avoue : j’aurais aimé (j’en ai l’âge, hélas !) avoir une fille de la stature de Nathalie Kosciusko-Morizet. Brillante polytechnicienne et subtile dialecticienne ».
Mazette ! elle lui a vraiment tapé dans l’œil. Cela, c’est bien son droit, après tout. Seulement, le dérapage est là, et bien là. Paccalet ne se rend apparemment pas compte de l’effet désastreux du rapprochement – lequel figure dans son texte – entre la Légion d’Honneur que lui a remise personnellement madame la porte-parole, et son jugement délirant. Commençons par la « preuve » d’intelligence de la dame, telle que rapportée par Paccalet. Je n’ai pour ma part vu que deux choses. Un, elle est polytechnicienne. Dieu du ciel ! quelle blague. Deux, « elle sait de quoi elle parle, et elle le formule avec conviction. Elle connaît ses sujets : climat, énergie, eau, pollutions, agriculture, OGM ou biodiversité ». Ce qui est le minimum pour un responsable public semble donc à Paccalet un exploit intellectuel. Bah ! Le pire est que ce n’est même pas vrai. Elle connaît mieux les questions qu’un Borloo, qui s’en tapait ouvertement. Mais cela ne signifie pas qu’elle savait. Car, je vais vous dire, si elle « aurait su, elle aurait pas venu », pour reprendre l’expression du Petit Gibus. Si elle avait compris les enjeux de la crise écologique, elle n’aurait certes pas accepté de servir une telle politique.
Non, Yves, elle ne « connaissait » pas ses sujets. Mais continuons. Paccalet écrit sans hésiter cette énormité : « Elle incarna une droite sincèrement préoccupée d’éviter le désastre climatique, la pollution de l’air et des eaux, ou encore le saccage des forêts et des mers ». Mais où ? Mais quand ? Où sont les actes ? Où sont même les vraies paroles, celles qui engagent ? Et où sont donc les résultats ? Nous voilà entré dans le vaste domaine, mal éclairé, de la désinformation. Et ce n’est pas fini. Madame l’ancienne ministre de l’Écologie – Paccalet devient psy – défendrait désormais, depuis qu’elle est le porte-parole de Sarkozy, « des positions idéologiques et politiques qu’elle ne partage pas, voire qu’elle déteste ». Ce qu’elle doit souffrir, la malheureuse ! D’autant que la voilà « contrainte d’ânonner des textes de Claude Guéant tout juste démarqués de ceux du Front national…». C’est simplement ridicule. Madame Kosciusko-Morizet, victime d’un odieux guet-apens, serait obligée de répéter ce que ses geôliers l’obligent à dire. Mais que fait donc la police, Yves ?
En excellente logique, constatant à quelle point l’héroïne est une pure écologiste, Paccalet lui suggère de quitter l’UMP et de rejoindre Europe-Écologie, dont les rangs sont « accueillants ». Je manque peut-être d’humour, mais je prends le propos au premier degré. Et je me dis à moi-même : comment une telle confusion est-elle possible ? Ma réponse, sans m’attarder sur des considérations psychologisantes pourtant évidentes, c’est que ce texte d’amoureux transi renvoie à l’indigence du mouvement écologiste officiel. Politique, en la circonstance. Europe-Écologie ne se contente pas d’être dirigée par des apparatchiks définitifs comme Jean-Vincent Placé. Ce mouvement est aussi représenté, et massivement, par des gens capables de confondre en pleine lumière une paille et une poutre. Capable de propulser comme candidate à la présidentielle une femme – respectable, aucun doute – qui hésitait il y a seulement deux ans à rejoindre Bayrou, et qui apprend en ce moment deux phrases et trois mots d’écologie dans le dictionnaire. Non, il y a comme de l’abus.
Madame Kosciusko-Morizet est une banale politicienne. Obsédée par son image et sa carrière. En 2005, elle se laisse photographier dans son jardin de banlieue en robe légère, jouant de la harpe. En 2007, elle lance la grande entourloupe du Grenelle de l’Environnement, qui lui aura permis d’avancer ses pions et de crédibiliser la fable d’un Sarkozy écologiste. Hé, Yves, que reste-t-il de cette fameuse « révolution écologique » dont vous parliez tant à l’époque, toi et tes amis ? En 2008, elle censure sans état d’âme le livre pourtant achevé de son mari, intitulé : Où c kon va com ça ? J’ai raconté dans mon livre Qui a tué l’écologie ? cette scène surréelle où la ministre, en son ministère, reçoit l’éditeur de son époux, tournant les pages du manuscrit, et répétant en boucle : « ça, c’est subversif ! ça c’est subversif ! ». Entendez, bien entendu, gênant pour la carrière de l’épouse.
Je poursuis. Entre le printemps 2010 et novembre de la même année, date d’un remaniement ministériel, la belle amie de Paccalet aura visité tous les chefs militaires de la France. Pourquoi ? Parce qu’elle faisait le siège de Sarkozy en vue de devenir ministre de la Défense. Et pourquoi ? Mais évidemment pour la raison, qu’elle a exprimé en toutes lettres dans un livre, qu’elle vise la présidence de la République, en 2017 ou 2022. Un ministère régalien lui apparaissait comme le meilleur moyen d’avancer dans cette direction. L’écologie, Yves ? Mais elle s’en fout évidemment. Ce qui compte, et qui ne le voit en dehors de toi et quelques autres enivrés ? c’est sa seule personne. Voyons !
Ayant été bien long, je conclus rapidement. Elle vient donc de lâcher le ministère et défend en toute conscience les mots de son maître. Reconnaissons que, si elle avait dû dire le contraire, elle n’aurait pas hésité davantage. Sachez du moins qu’elle a laissé derrière elle ce qui ressemblera sous peu à des champs de ruine. Primo, le Conseil national de la protection de la nature (CNPN) est sur le point d’être supprimé, et sur ses ordres. Cet organisme créé en 1946, consultatif, mais où les vrais protecteurs de la nature pouvaient à l’occasion être majoritaires, va être fondu dans un grand machin-chose où les lobbies industriels, la FNSEA, les chasseurs et les services d’État seront très largement les plus nombreux. In memoriam. Deuzio, l’Agence pour la maîtrise de l’énergie (Ademe) est en passe de se retrouver, par la magie d’un décret, sous la coupe des préfets de région. Si cela se produit, inutile de faire un dessin. Les énergies renouvelables et la lutte contre la gabegie énergétique, polope !
Ces deux régressions claires, sans appel, ont été préparées sous le règne « écologiste » de la polytechnicienne si chère au cœur d’Yves Paccalet. Je dois avouer pour ma part, insensible au charme de madame Kosciusko-Morizet, que je la tiens pour l’une des plus redoutables adversaires du combat écologiste. Le vrai, pas son simulacre.