Archives mensuelles : décembre 2013

Pour ceux qui respirent encore un peu

Bref. L’air est « cancérigène certain » depuis octobre dernier selon le classement du Centre international de recherche sur le cancer (Circ), antenne de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). C’est une révolution. Respirer représente un danger potentiellement mortel. Pas une réaction des politiques, tous occupés à autre chose. Ohé, amis mélenchonistes, comment cela se fait-il ?

Le 9 décembre, la revue The Lancet publie une méta-analyse s’appuyant sur 22 études européennes, soit au total 367 251 personnes. En résumé, les normes de l’Union européenne concernant les particules fines, celles qui font moins de 2,5 micromètres – un micromètre égal un millième de mm -, sont bidon. Des effets délétères sont observés à des concentrations bien moindres. Pas un politique ne s’avise de monter au créneau.

Enfin, des alertes à la pollution de l’air, notamment à cause des particules fines, se multiplient d’un bout à l’autre de la France. Des gens en meurent chaque jour qui passe. Pas un discours, pas un seul mot sur ces putains de voitures, qui jouent un si grand rôle dans l’affaire. Il ne faut pas désespérer PSA, pas ? Qui osera rappeler le lobbying criminel de l’ancien patron de Peugeot, Jacques Calvet, en faveur du diesel ? Il profite toujours de sa généreuse retraite et anime l’Institut Montaigne (ici), où les belles âmes discutent des moyens d’abattre ce qu’il reste de protections sociales.

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Et à part cela, mais en lien tout de même, quels branquignols, ces socialos ! Ils se sont fourvoyés dans le merdier appelé Écotaxe, pour la raison qu’ils sont incapables de défendre une politique de santé publique passant par une fiscalité alourdie sur le transport routier. Et au moment où meurent leurs propres concitoyens à cause de leur impéritie, ils se taisent obstinément, n’ayant rien à dire, rien à proposer, rien à ajouter. Des branquignols ? Je reste très en-deçà de ce que je pense au fond de moi.

L’état réel du monde (l’enfumage de l’entreprise Wilmar)

Ce papier ne concerne pas notre quotidien. Mais un écologiste sincère peut-il détourner son regard de ce qui se passe ailleurs, au loin, qui touche les hommes, les bêtes, les arbres ? Vous avez comme moi la réponse, et c’est pourquoi je souhaite que vous lisiez ce qui suit avec l’intérêt que cela mérite. Mais commençons par planter le décor : Wilmar.

Wilmar est une énorme entreprise asiatique, qui fait son chiffre d’affaires – près de 45 milliards de dollars en 2011 – dans l’agriculture industrielle. Et plus précisément encore grâce au palmier à huile, dont on tire non seulement des matières grasses à bon marché, mais aussi des biocarburants, autrement appelés nécrocarburants. La si précieuse Emmanuelle Grundmann a écrit il y a peu un livre bourré d’informations rares sur le sujet (Un fléau si rentable, Calmann-Lévy, 262 pages, 16,90 euros, 2013). Je ne me souviens pas d’y avoir lu mention des surfaces plantées en palmier à huile, mais le chiffre doit y être. Celui qui me tombe sous la main, qui date de 2009, parle de 15 millions d’hectares dans le monde. Nous devons en ce cas avoir dépassé les 20 millions, car cette culture industrielle est une peste qui se répand comme telle.

Inutile de m’appesantir : le palmier à huile n’est comparable, dans les temps présents, qu’au désastre total engendré par le soja transgénique, qui a changé la structure physique de pays comme le Paraguay, l’Argentine (au nord), le Brésil (au sud). Et comme lui, il détruit tout : les cultures paysannes locales, les animaux, les forêts bien sûr. Parler de crime paraît modéré, compte tenu de l’extrême violence des destructions. Mais si l’on doit s’accorder sur le mot, disons alors qu’il s’agit d’un crime majeur.

Wilmar, donc. Le 9 décembre dernier, je reçois un message des Amis de la Terre, association pour laquelle j’ai une sympathie mesurée, mais réelle. Son titre est un cri de triomphe : Huile de palme : la multinationale Wilmar cède sous la pression de la société civile et de ses financeurs. Une telle annonce est si inattendue qu’immédiatement, et contre l’évidence, j’espère une vraie bonne nouvelle. Ce que dit le communiqué, c’est que « les Amis de la Terre ont interpellé BNP Paribas, la Société Générale, le Crédit Agricole et Axa. Seule la BNP Paribas a réellement pris au sérieux la gravité des pratiques dénoncées et reconnu sa responsabilité en tant que financeur de Wilmar. Alertée, la banque française a à son tour fait pression sur Wilmar pour leur demander de rendre des comptes ».

Wilmar, rendre des comptes, et sous la pression des Amis de la Terre ? Dès la lecture de cette phrase, je savais qu’on se trouvait en pleine fantasmagorie, celle qui préside aux communiqués triomphants d’autres associations, comme Greenpeace ou le WWF, qui ont un besoin vital de prouver à leurs chers donateurs que l’argent est bien employé. Oui, une complète fantasmagorie. Et le reste était pire encore : « Lucie Pinson, chargée de campagne Finance privée pour les Amis de la Terre conclut : “L’annonce de Wilmar montre que notre stratégie de pressions sur les banques peut être très efficace et entraîner des changements au sein des entreprises. Nous avons pu le constater lors des différents entretiens avec BNP Paribas. Il est donc plus que jamais utile que les citoyens se mobilisent pour interpeller leur banque” ».

Oh ! des changements au sein des entreprises ? Wilmar la vertueuse aurait décidé de ne plus s’approvisionner auprès de fournisseurs d’huile travaillant dans l’illégalité. Fantastique ! Je profite de l’occasion pour dire aux Amis de la Terre qu’en Indonésie et en Malaisie, terrains privilégiés de profits pour Wilmar, la loi, c’est eux, représentée sur place par leurs amis. Inverser un tel rapport de forces nécessite un peu plus qu’agiter ses petits bras. Croyez-en un vieux cheval fourbu comme moi.

Ce n’est pas tout, car j’ai reçu dans le même temps que ce communiqué une information accablante de l’association Grain, l’une des plus chères à mon âme (c’est ici). Vous lirez, je l’espère, mais je dois en faire un commentaire, qui conclura mon propos. Nous sommes cette fois au Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique avec ses 170 millions d’habitants. Je ne sais évidemment pas ce que cette poudrière va devenir, mais il faudrait être bien sot pour espérer qu’elle n’explosera pas. Les affrontements entre chrétiens, animistes et musulmans ne sont que l’une des faces d’une dislocation générale, sur fond de folie écologique.

Dans ce pays ne subsistent que des confetti de forêts tropicales, et ces confetti se changent en poussière rouge latérite. Le village d’Ekong Anaku, dans le sud-est du pays, conserve – conservait ? – l’usage d’un lambeau de quelques milliers d’hectares. Et puis les corrompus de Lagos, la capitale, se sont emparés de ce que les villageois avaient accepté de transformer en réserve. 10 000 hectares d’un seul tenant. Un vol pur et simple dans ce pays dirigé par des kleptocrates. En 2011, le voleur, qui n’avait pas payé un centime son butin, décide de le revendre à une opportune société étrangère, empochant un nombre indéterminé de millions de dollars. Et cette entreprise, c’est Wilmar International, celle qui s’achète une belle conscience auprès des naïfs des Amis de la Terre.

Le point de vue d’un chef villageois : « Obajanso [le voleur] n’avait absolument pas le droit de vendre ces terres. Si vous achetez un bien volé, vous ne pouvez pas dire qu’il vous appartient. » Si. Au Nigeria comme en Malaisie, c’est possible, et c’est même certain. Wilmar a commencé de planter des palmiers et on voit mal cette transnationale rendre le bien si mal acquis à ses légitimes propriétaires.

Quelle morale à tout ce qui précède ? J’en vois une : faire semblant d’agir et d’obtenir des résultats est encore pire que de ne rien faire du tout. Cela détourne, cela assoupit, cela trompe. J’en vois une autre : qui n’a pas envie d’affronter les monstres doit rester à la maison. La bataille contre la destruction du monde fait partie d’une guerre de tranchées dans laquelle nous avons le grand privilège d’être à l’arrière, buvant du champagne et festoyant, tandis que d’autres meurent. Je n’ai aucune envie de mourir, mais il serait temps de se mettre d’accord sur les enjeux du combat et les risques que nous décidons en conscience de courir. En attendant, qu’on nous foute la paix avec les bluettes. Les activités d’une transnationale sont par définition amorales. Et quand elles s’attaquent ainsi, frontalement, aux être vivants, à tous les êtres vivants, arbres compris, il faut avoir le courage élémentaire de désigner un ennemi. Pas un adversaire. Un ennemi.

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Une centrale nucléaire dans le chaudron jordanien

Cet article a été publié le 4 décembre dans Charlie Hebdo

Rions avant de sangloter : la Jordanie confie à la Russie la construction d’une immense centrale nucléaire. Mais ne veut pas entendre parler des traités internationaux qui surveillent le nucléaire civil comme le lait sur le feu. Et pas question de miser sur une énergie solaire surabondante.

La Jordanie s’amuse, la Jordanie rigole, la Jordanie se lance dans le nucléaire. Sans filet, sans aucune garantie portant sur la sécurité, et au moment même où la région ne parle que de l’Iran et de la bombe. D’abord un point sur ce rugueux territoire, bordé par tant de charmants et pacifiques voisins : la Syrie, l’Irak, Israël et la Cisjordanie-Palestine occupée, l’Arabie saoudite enfin. La Jordanie s’étend sur 92 000 kilomètres carrés (1/6 de la France), mais ne compte que 6 400 000 habitants, ce qui n’est pas très étonnant dans une contrée à 90 % désertique.

Cela n’empêche pas le mouvement et l’exercice au volant de bagnoles climatisées. La consommation énergétique du pays, par tête, est déjà l’une des plus élevées au monde, mais ce n’est rien encore, car la demande en essence augmente de 7,5 %par an et celle d’électricité de 5 %. La Jordanie importe 96 % de ses besoins : le pétrole arrive d’Irak, le gaz d’Égypte. Mais bon, jusqu’à quel point est-ce raisonnable ? Les gazoducs égyptiens ont une fâcheuse tendance à être attaqués par des brigands plus ou moins islamistes, avant que d’exploser. On s’interroge, de même, sur la régularité des approvisionnements irakiens. Comment sortir de ces menus soucis vitaux ?

Heureusement,  il ne manque pas de visionnaires. Sans remonter à Mathusalem – un gars du coin -, signalons l’épisode Kouchner. Oui, le nôtre, la serpillière de Sarkozy. Le 30 mai 2008, notre ami Bernard, alors ministre des Affaires étrangères, signe à Amman, la capitale jordanienne, un accord de coopération nucléaire. VRP de l’atome, il prépare le terrain d’Areva, qui entend bien fourguer sur place une centrale nucléaire rutilante.

Ce sera Atmea 1, du nom d’une société franco-japonaise créée pour l’occasion. En mai 2012,  la Commission jordanienne de l’énergie atomique (JAEC) présélectionne Atmea, qui, selon la propagande commerciale d’Areva, correspondrait « le mieux aux besoins du pays, tout en assurant les plus hauts niveaux de sûreté ».

Mais les Russkoffs d’Atomstroyexport continuent un savant travail de lobbying – et plus si affinités -, qui va finir par payer. Fin octobre 2013, le ministre de l’Information jordanien, Mohammed Moman, annonce qu’un contrat d’un coût estimé de 10 milliards de dollars a été conclu avec Moscou pour la construction d’une immense installation nucléaire dans le désert au nord d’Amman. Une deuxième entreprise russe, Rusatom Overseas, ferait fonctionner la centrale.

Selon les proclamations locales, la Jordanie pourrait devenir, quand les poules auront des dents en uranium, un exportateur net d’électricité. En attendant ces beaux jours, et sur fond sans doute de révolutions arabes, ça gueule comme rarement. Le phénomène le plus intéressant est sans doute la rencontre entre un mouvement écologiste naissant – un parti vert de gauche demande en ce moment son enregistrement – et certaines factions minoritaires de l’appareil d’État. Un Raouf Dabbas, très connu en Jordanie, où il est un conseiller écouté du ministère de l’Environnement, ne dit en fait pas autre chose que les activistes de Coalition for Nuclear Free Jordan.

Les deux pointent les risques considérables d’un projet lancé sans aucune étude d’impact dans un pays à forte activité sismique. Et Dabbas de poser en outre cette redoutable question : « Comment un pays aussi pauvre en eau que la Jordanie peut-il construire une centrale nucléaire. Le plus grand défi sera le refroidissement des réacteurs ». Les uns et les autres restent prudents sur les risques possibles de prolifération nucléaire. Et pourtant ! Les Jordaniens auraient refusé tout net de signer des conditions contraignantes, notamment l’Initiative de sécurité contre la prolifération, ce qui ne manque pas de rassurer pour la suite.

Dernier point, que l’on trouve dans une excellente étude de Greenpeace (google, puis : The Future of Energy in Jordan). Il y aurait assez de vent et surtout de soleil pour satisfaire 60 fois les besoins d’énergie de la Jordanie à l’horizon 2050. Il doit donc y avoir un truc.

« Le nucléaire et l’homme ne sont pas compatibles »

Cet entretien a été publié par Charlie Hebdo le 27 novembre 2013

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Charlie a interrogé longuement Janick Magne, qui vit au Japon depuis 35 ans. Elle s’est rendu à quatre reprises dans la zone interdite de Fukushima, et raconte l’horreur nucléaire dans un pays de haute technologie et de brillants ingénieurs. Comme est la France.

Vous êtes au Japon depuis une vie. Combien d’années, en fait ?

35 ans. Je rentre en France, bien sûr, pour des vacances ou de courts séjours, mais pour le reste, oui, j’habite ici. Rien ne me prédestinait à ce pays. Entre autres choses, j’ai fait en France des études de russe et à un moment donné, j’ai obtenu une bourse d’études pour suivre une année universitaire à Moscou. C’est comme ça que j’ai rencontré celui qui allait devenir mon premier mari japonais, professeur de russe à Tokyo.  Nous avons toujours parlé cette langue, y compris, plus tard, devant nos enfants, qui le comprenaient sans le parler. (rires)

Vous êtes immédiatement partie avec lui au Japon ?

Non. Jamais je n’aurais imaginé m’installer dans un pays comme celui-là. On parlait beaucoup de la maladie de Minamata, du nom de cette baie contaminée par le mercure pendant des décennies. Des amis m’avaient apporté des articles pour me prévenir que je partais vers les Enfers (rires). En vérité, le Japon était un pays bien plus hospitalier que ce que l’on pouvait imaginer. J’ai débarqué ici le 18 décembre 1978, et ma première impression a été la stupéfaction. Je ne pensais pas qu’il pouvait y avoir dans la capitale autant de bâtiments vétustes, de maisons en bois et même de logements franchement pourris ! Les quartiers étaient sympas, mais bâtis n’importe comment, comme bricolés. Cela donnait vraiment une impression de pauvreté. Comme j’avais vécu en Union soviétique, je disais sans rire que j’avais le sentiment d’être encore en Russie (rires). Étonnant, n’est-ce pas ?

Oui, en effet. Venons-en à l’objet de cet entretien. Comment en êtes-vous arrivée au nucléaire ?

Je me suis intéressée à ces questions bien avant Fukushima. En réalité, toute jeune, en France, j’appartenais à la mouvance antinucléaire. Et par la suite, comme j’ai vécu dans l’ancienne Union soviétique et que  je parle le russe, j’ai été évidemment marquée par la catastrophe de Tchernobyl, en 1986. Mais dès avant cette date, j’avais le sentiment que nous vivions sur un volcan, au sens propre puisque le Japon connaît constamment des tremblements de terre. Je me suis vite posé la question : mais où sont donc les centrales nucléaires au Japon ? Et en regardant la liste, j’ai aussitôt eu une peur terrible. La centrale de Hamaoka, à 200 kilomètres au sud-ouest de Tokyo, est construite au point de jonction de trois plaques tectoniques, ce qui en fait peut-être la plus dangereuse au monde.Dès qu’on touche au nucléaire, ici, tout est aberrant.

Pour en revenir à mon itinéraire, j’ai eu la chance, grâce à mon mari, qui était membre du parti communiste japonais, de rencontrer des Japonais antinucléaires. Les communistes d’ici sont résolument antinucléaires, même si cela peut surprendre. Quand je viens en France et que je rencontre des militants communistes ou du Parti de Gauche, je ne loupe pas une occasion de le placer. Il serait temps qu’ils comprennent un peu les choses, non ?

Parallèlement, j’ai commencé à m’intéresser au mouvement écologiste français grâce à mon…père. Mon père, qui a toujours été de gauche, était passé à Génération Écologie, et a été élu conseiller régional d’ Île-de-France, en 1992. J’ai toujours eu beaucoup  de discussions avec lui, qui a été résistant communiste pendant la guerre, et j’ai été très marquée par son évolution, que je juge admirable. Car il a été profondément stalinien, et rompre avec cet univers a été pour lui une grande souffrance.

Et la bagarre au Japon, quand a-t-elle commencé ? Avec Fukushima ?

J’ai 61 ans, et avant Fukushima, je pensais rester au Japon jusqu’à l’âge de 70 ans, date de ma retraite de professeur d’université. Tel était mon plan de vie.  Fukushima est tombé sur la tête de beaucoup d’étrangers vivant ici, car brusquement, ils ont compris qu’ils seraient peut-être obligés de quitter le Japon définitivement. Le 15 mars – la catastrophe a eu lieu le 11 mars 2011 et les explosions de réacteurs du 12 au 15 -, je suis allée me réfugier à Osaka, dans la famille de mon ex-mari. C’était l’époque, on l’a su après, où le gouvernement japonais envisageait d’évacuer Tokyo !

Je ne suis rentrée définitivement à Tokyo que le 30 mars, après un détour par la Nouvelle-Calédonie. Il y avait des images à la télé, mais très peu d’explications. À cause des tremblements de terre qui avaient coupé les routes, il régnait un début de panique, car à Tokyo, l’approvisionnement venu du Nord, où se trouve Fukushima, était bloqué. Jour et nuit, et pendant des semaines, la terre tremblait ! Nous dormions habillés ! C’était l’enfer !

J’ai participé à un premier rassemblement antinucléaire dans les tout premiers jours d’avril, où il y a avait quelques milliers de personnes, mais c’est passé très vite à 50 000, 100 000, 200 000. On n’avait jamais vu ça. Très vite, la protestation s’est portée sur la centrale d’Hamaoka, dont je vous ai parlé. Il fallait obtenir sa fermeture immédiate [Hamaoka a été fermée en mai 2011 sur ordre du Premier ministre d’alors, Naoto Kan. NDLR].

Par la force des choses, j’ai réussi à créer un groupe d’une trentaine de Français vivant au Japon, qui se retrouvaient dans les manifs. Je distribuais des pancartes et j’ai ensuite fait fabriquer des banderoles.  J’ai également adhéré à Europe Écologie Les Verts, et me suis présentée aux élections législatives de 2012 dans la 11ème circonscription des Français de l’étranger.

Puis les gens ont commencé à acheter des compteurs Geiger. Moi, quand j’ai mesuré chez moi, j’ai été stupéfaite de voir que dans la pièce centrale de mon appartement,  qui n’a pas de fenêtre, j’avais un taux de radioactivité plus élevé que celui des autres pièces et très supérieur au bruit de fond naturel, de 0,05 à 0,08 microsieverts par heure : j’étais à 0,3, soit entre quatre et six fois plus.

Janick, vous êtes allée quatre fois maintenant dans la zone interdite de Fukushima. Vous nous racontez la première fois ?

C’était en février 2012. Une amie, dont la famille paternelle est originaire de Futaba, juste à côté de la centrale, m’a proposé de l’accompagner sur place, avec son père, ses oncles et tantes.  À Futaba se trouvent les réacteurs 5 et 6 de Fukushima-1. Petite, mon amie y allait passer ses vacances, car cette région des bords du Pacifique, montagneuse et boisée, est magnifique. Je savais que la visite proprement dite ne pourrait durer que cinq heures : j’avoue que cela m’a fait peur. Je suis partie quand même avec eux, en voiture, en prenant l’autoroute du Tohoku  quatre heures pour faire les 250 kilomètres jusqu’à la sortie d’Iwaki.

Au check-point, on a présenté nos autorisations, et les employés civils de Tepco – le gestionnaire de la centrale – nous ont donné des tenues de protection: couvre-chaussures, trois paires de gants en fonction de ce qu’on ferait sur place, masque facial très simple pour bloquer la poussière, bonnet, dosimètre, et un talkie walkie par voiture.

Vous avez pu entrer dans la maison familiale de Futaba ?

Non. J’ai pris des photos, mais je n’ai pas voulu être indiscrète. Tout était sens dessus-dessous. Des aliments avaient pourri, certains animaux étaient morts. L’étrangeté est terrible à voir. Beaucoup de maisons sont intactes, avec des rideaux aux fenêtres. Le linge sèche pour l’éternité dehors, à côté des vélos des gosses. Vous avez cette impression atroce que les gens vont revenir d’un instant à l’autre. Mais non, la ville est habitée par des fantômes. À d’autres endroits, comme dans la rue principale, certaines bâtisses sont impeccables, mais d’autres ont perdu leur toit, carrément  posé sur la route.

Votre amie et ses parents n’ont pas eu envie d’emporter des souvenirs personnels ?

Les autorités leur avaient dit de ne surtout rien prendre,  mais une dame a voulu emporter un manteau d’hiver. Au check-point de sortie, la dame au manteau a dit qu’elle n’avait rien, et comme elle avait placé le vêtement dans le coffre, elle a pu passer. Plus tard, un proche qui travaille dans la décontamination a pu faire des mesures, et lui a dit : « Ton manteau est trop contaminé, mais si tu le passes trois ou quatre fois dans la machine à laver, ça pourra aller ». Et c’est ce qui s’est passé.

Comment jugez-vous en cette fin d’année 2013 l’évolution de l’opinion japonaise ? On est passé en effet d’un Premier ministre antinucléaire, Naoto Kan, à un gouvernement de droite (PLD) franchement pronucléaire, après les élections de décembre 2012. L’atome ne fait pas assez peur ?

Pourquoi le PLD de Shinz? Abe a-t-il obtenu une majorité aux deux Chambres ? Ce que je peux dire, c’est qu’Abe a beaucoup tiré sur la corde nationaliste, profitant des tensions avec la Chine et la Corée, et qu’il a promis par ailleurs une relance massive de l’économie, ce qui en a convaincu plus d’un. Ajoutons une très forte abstention et de nombreuses irrégularités qui ont conduit à une quinzaine de procès qui réclament de nouvelles élections. Vous le saviez ?

Non.

Le sentiment général est très complexe à saisir. On a l’impression que beaucoup ont baissé les bras, mais il y a toujours des manifestations. La dernière à laquelle je suis allée, fin octobre, a réuni quand même 40 000 personnes. Et une nouvelle mobilisation se met en place autour du projet de loi sur la protection des secrets d’État. M. Abe veut faire voter cette loi au parlement le 6 décembre. Si elle passe, le gouvernement pourra nommer secret d’État ce qui lui convient. Ce sera le cas pour la sécurité des centrales nucléaires, ça a été annoncé, et il ne sera pas difficile de prétendre que telle information est en lien avec la sécurité nucléaire. Et donc secret d’État. Dans le cas où cette chape de plomb s’abattrait sur le Japon, les contrevenants seraient passibles de dix années de prison.

En attendant, tous les réacteurs sont à l’arrêt, n’est-ce pas ?

Oui. Aucun des 50 réacteurs nucléaires restants n’est plus en activité depuis le 15 septembre. Et les enquêtes nationales, par exemple celle récente du quotidien Asahi Shinbun, montrent qu’une majorité de Japonais continuent à vouloir l’arrêt définitif du nucléaire. Ils sont aux alentours de 60 %, contre 80 % il est vrai juste après Fukushima. Même dans le grand parti de droite au pouvoir, la discussion fait rage. L’ancien Premier ministre Junichiro Koizumi, l’une de ses principales figures, a appelé M. Abe, qui fut son bras droit, à renoncer à cette « horreur nucléaire », comme il l’appelle.

Pour autant qu’on peut le savoir, la situation, à Fukushima, est-elle sous contrôle ?

Comment pourrait-elle l’être ? Le corium des trois réacteurs explosés a traversé le fond des cuves, et nul ne sait où ce magma fondu est passé. Aucun spécialiste ne peut dire si cela va durer cinquante ou cent ans. Ou plus. Ce que je vois, sans vouloir exagérer une seconde, c’est qu’ils ne savent pas ce qui se passe. Ils le reconnaissent, voyez-vous. Ils le reconnaissent ! Ils versent de l’eau pour refroidir les ruines, et remplissent des citernes avec l’eau radioactive récupérée : il y a sur place plus de 1000 réservoirs pleins, et qui fuient. Et puis 11 000 barres de combustibles usés.

Je suis sûre pour ma part que la tromperie a été organisée, et elle est criminelle. Des villes entières auraient dû être évacuées. À commencer par Fukushima, qui compte tout de même 290 000 habitants. Avec les mêmes mesures que celles que j’ai prises sur place, Tchernobyl a été évacuée. Pas Fukushima ! La moitié de la ville, soit 150 000 personnes, souhaite partir, mais elles ne le peuvent pas, car on n’évacue pas sans aide matérielle.

Le gouvernement a tout au contraire rehaussé les normes de radioactivité admissibles, de manière à permettre le retour de populations évacuées dans les premiers jours, mais même ainsi, il est obligé de faire machine arrière. Sur les 11 villes où la population devait revenir, on a appris que dans 8 d’entre elles, il faudrait attendre au moins plusieurs années. Vous savez ce que m’a dit l’ancien maire de Futaba ? « Témoignez partout et dites aux gens que le nucléaire et l’homme ne sont pas compatibles ». Il a raison. Le nucléaire et la vie sont irréconciliables.

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(encadré)
Un si grand désastre

Pour les nucléocrates, à commencer par les nôtres, Fukushima n’est pas supportable. Tchernobyl, en 1986, avait été attribué à l’incurie des bureaucrates soviétiques, mais comment faire avec des ingénieurs et techniciens japonais, dont l’excellence était vantée dans les discours officiels d’EDF et Areva ?

Rappelons les faits : le 11 mars 2011, un tremblement de terre, suivi d’un tsunami, détruit les réacteurs 1, 2 et 3 de la centrale de Fukushima, au bord du Pacifique. L’affaire est classée au niveau 7 de l’échelle des accidents nucléaires, le plus élevé. La suite n’est qu’une colossale série de dissimulations et de mensonges.
L’entreprise privée qui gère Fukushima, Tepco (Tokyo Electric Power), est contrainte de publier en octobre 2012, 18 mois après le drame, un document autocritique. On y apprend que ces salopards ont sciemment minimisé les risques d’un tsunami avant le 11 mars,, de peur de payer de coûteuses mesures de sécurité. Après le  11 mars, reconnaît Tepco, « il y avait cette inquiétude que si de nouvelles et sévères mesures étaient imposées, la sécurité de toutes les centrales existantes serait devenue un sujet de préoccupation », ce qui aurait pu « donner plus de vigueur au mouvement antinucléaire ».

Depuis cette date, tout montre la perdition. Il faut des quantités massives d’eau pour renouveler celle des piscines d’entreposage, et constamment refroidir les combustibles irradiés. Mais cette eau se charge de radionucléides et en l’absence de toute solution véritable, elle est récupérée et injectée dans un millier de réservoirs de 1 000 tonnes chaque.

Le menu problème est que ces cuves sont presque toutes remplies, et que beaucoup fuient déjà. La nappe phréatique et le Pacifique sont pollués pour l’éternité, et les déversements continuent sans qu’aucune autorité ne soit capable de les empêcher. Quant au corium, le mystère est total. Le corium est un magma provenant de la fusion des réacteurs, mais contrairement à celui des volcans, qui refroidit très vite, il continue à produire une extrême chaleur ultratoxique pendant des décennies. On a toutes les raisons de penser que le corium des trois réacteurs détruits de Fukushima a percé le fond des cuves et qu’il se balade sous terre, en grignotant tout sur son passage.
La situation reste hors de contrôle.

Appel à participation

Bonjour à tous,

Je cherche, dans le cadre d’une enquête, des contacts avec qui connaît (très) bien la situation dans le Nord-Pas-de-Calais. Notamment le système politique régional et ses liens avec les acteurs économiques. Si vous avez des informations ou des idées, n’hésitez pas à m’en faire part à cette adresse :

nicolino.fabrice1@orange.fr

Je vous en remercie à l’avance.