Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 9 juillet 2014
Pauvre Areva ! Pauvre EDF ! Nos deux clampins du nucléaire tentent de faire croire que leur nouveau réacteur est une merveille. Malgré les fiascos finlandais et normand. Mais en Chine, plus personne ne répond sur la sécurité des deux EPR en cours de construction. C’est la merde.
Où trouver plus grands voyous que dans le nucléaire ? Avant d’aborder l’abominable dossier des réacteurs chinois, un passage par la France, où Luc Oursel, patron d’Areva, a confié ses malheurs au grand journal des vieux cadres et des archiretraités de droite, c’est-à-dire Le Figaro. Areva est un groupe public dans une panade telle que, si l’État ne laissait pas filer les déficits, ce serait la faillite, la fermeture des crédits, le chômage de masse. Mais précisons, tant ça fait plaisir : un gros trou de 2,5 milliards d’euros en 2011, suivi d’un petit trou de 99 millions en 2012, précédant un moyen trou de 494 millions en 2013.
Donc, Oursel dans ses œuvres. Le 30 juin, il déclare au quotidien précité : « Mon discours de vérité ne doit pas se réduire aux épreuves et aux incertitudes. Il faut donner un sens aux efforts demandés et inspirer confiance en l’avenir ». Ben mon colon, si c’est pas du beau français, ça y ressemble. La vérité est qu’Areva a décidé de tout miser sur les réacteurs nouveaux, qu’on appelle EPR. Comme le Rafale de cet excellent M. Dassault, au reste proprio du Figaro, c’est très cher et ça ne se vend pas. La seule différence, c’est qu’EPR, en plus, ne marche pas.
On résume. Il existe en Europe deux vitrines pour les VRP du nucléaire. Deux prototypes en cours de construction, l’un en Finlande et l’autre en Normandie. Le résultat est délirant, les retards se comptent en années, les surcoûts en milliards d’euros. Sans exagération, c’est la Bérézina. En Normandie, à Flamanville, de nouvelles malfaçons dans le béton – avec des trous de 42 centimètres de diamètre – viennent d’être révélées par Le Canard, mais on s’en fout, car on est les meilleurs.
Reste la Chine. Areva y tripatouille du nucléaire depuis plus de vingt ans et emploie sur place – cocorico ! – 2 600 personnes. Mais son grand rêve futuriste s’appelle, là-bas aussi, EPR, dont deux réacteurs sont en cours d’achèvement à Taishan (province du Guangdong, à 160 kilomètres de Hong Kong). Dès qu’on emmerde Areva – et EDF, qui supervise les travaux – sur les désastres finlandais et normand, les communicants sortent la carte chinoise, et prétendent que dans ce beau pays sans casse-couilles, tout va bien et de mieux en mieux. Sauf que c’est un très gros mensonge. Et qui le dit ?
Bloomberg, une agence d’infos spécialisée dans le conseil financier aux transnationales, connue dans le monde entier. Deux journalistes, Tara Patel et Benjamin Haas ont interrogé le directeur des relations internationales de notre glorieuse Autorité de sûreté nucléaire (ASN), un certain Stéphane Pailler. Lequel leur a aussitôt balancé : « Il n’est pas toujours très facile de savoir ce qui se passe sur le site de Taishan ». Ajoutant pour les sourdingues : « Nous n’avons pas de relations régulières avec les Chinois sur le contrôle de l’EPR comme c’est le cas avec les Finlandais ». Traduit de la novlangue, cela signifie que les Chinetoques planquent ce qui pourrait faire désordre.
Ce qui fait désordre, gros désordre. D’autant que ce n’est que le début. La bureaucratie chinoise en charge de la sécurité nucléaire, National Nuclear Safety Administration, refuse de répondre à la moindre question, tandis que les Français, essaient de rassurer. Un Hervé Machenaud, vice-président d’EDF, jure ses grands dieux qu’il « existe en Chine un contrôle réel, indépendant, qui marche au moins aussi bien que dans d’autres pays ».
Le problème est très simple : sans EPR, EDF et Areva coulent. Les deux prototypes chinois sont les seuls qui permettent d’entretenir l’espoir, et dans ces conditions, faut-il croire Machenaud ? Sur le chantier normand d’EPR, où l’on croise des trous de 42 cm, il y a eu 140 inspections depuis 2007, sans compter des centaines de courriers de l’ASN et deux arrêts de chantier. À Taishan, riante contrée d’un pays totalitaire où l’information est surveillée par le parti, rien.
Rien. Le dernier commentaire sur la sécurité publié sur le site internet du site EPR chinois date de 2009. On se fout de nous, mais grave.