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Quand Cécile Duflot écrit des histoires

AJOUT INTÉRESSANT DE STÉPHANE LHOMME LE 15 SEPTEMBRE 2014, EN BAS DE L’ARTICLE

Ce qui suit est une critique du livre récent signé Cécile Duflot (avec Cécile Amar), paru chez Fayard (De l’intérieur, voyage au pays de la désillusion, 231 pages, 17 euros). On me jugera peut-être cruel, excessif, injuste. Cela reste un droit. Ainsi que demeure, ici du moins, celui de dire ce que je pense.

En préambule, cette précision : je n’ai jamais rencontré Cécile Duflot, et je ne doute pas qu’elle a des amis. Il est visible qu’elle aime ses enfants, lesquels, je l’espère pour tous, le lui rendent bien. En bref, je n’ai réellement rien contre cette personne, mais cela tombe bien, car ce n’est pas d’elle qu’il s’agit, mais d’une apparatchik qui s’est emparée de son nom, et a dirigé pendant six ans le parti dit écologiste EELV (Europe Écologie Les Verts).

Bon. Le fond. On est si frappé par l’indigence du propos qu’on espère à chaque ligne ou presque que cela va changer au paragraphe suivant. Mais non, c’est ça, et rien d’autre. Les dramatiques questions de la crise écologique planétaire sont tout simplement ignorées. D’évidence, elles n’existent pas pour Cécile Duflot. Le climat, l’eau, la forêt, la pêche industrielle, la biodiversité, l’hyperconsommation au Nord, l’obsolescence voulue des biens matériels – et leur déferlement -, la surpuissance des transnationales et les traités qui la traduisent, les nécrocarburants, les industries de la chimie ou de la bidoche ont 100 fois – 1000 fois, un million de fois ? – moins d’intérêt que les états d’âme de l’ancienne ministre au sujet du 14 juillet, auquel est consacré un chapitre entier. On reviendra plus loin à l’écologie.

De quoi est fait le reste ? Ma foi. Cécile parviendrait presque à faire croire à sa fraîcheur, à sa candeur, à son honnêteté sans rivage. Elle met copieusement en scène ses supposées faiblesses (par exemple page 32), ce qui est un excellent truc pour désarmer la critique. Qui serait assez méchant pour douter d’une telle personne, si attentive au sort de ses amis et de ses proches ? Moi. Le 15 mai 2012, ainsi qu’elle le raconte sans fard, c’est elle qui décide de la présence dans le gouvernement Ayrault, à ses côtés, du gentillet Pascal Canfin (ici et ici), qui ne risque pas de lui faire trop d’ombre. Mais quelle admirable façon de faire de la politique autrement !

La voici donc ministre du Logement. On a droit à de nombreuses proclamations, qui peuvent se résumer à ceci : Cécile Duflot est de gauche, la loi Alur qu’on lui doit est de gauche, et tous ceux qui sont contre ne le sont donc pas. Je ne commente pas, car tout cela est simplement politicien. Duflot est probablement attachée au sort des mal-logés, mais en ce cas, pourquoi avoir quitté un poste alors que le plus délicat de la loi – les décrets d’application – était à venir ? Fût-elle restée dans ce foutu gouvernement que Valls n’aurait pas pu détricoter ce texte présenté par elle comme grandiose. Alors, pourquoi ? Je ne peux m’empêcher de penser, à propos de Duflot, au phénomène de doublepensée si bien amené dans le 1984 de l’oncle George.

Non, quelque chose ne tourne pas rond, et mon petit doigt me dit avec insistance que Duflot a obéi à une stratégie précise, qui consistait à sortir de la galère à temps pour ne pas être engloutie avec, et pouvoir se présenter au premier tour de 2017 avec quelque chance de battre le pauvre record de Noël Mamère en 2002, soit 5,25 % des voix. La vérité, en tout cas une vérité plus proche du vrai que le salmigondis du bouquin, c’est que Cécile Duflot est une politicienne assez ordinaire, propulsée pour des raisons qu’on ignore – mais que d’autres savent – à la tête d’un parti où elle avait adhéré seulement cinq ans plus tôt.

On se moque des ministres qui sautent d’un ministère à l’autre, et l’on a raison. Ils ne savent à peu près rien des questions dont ils ont soudain la charge, et sont bien incapables de marquer le terrain qu’on croit être le leur. Mais c’est exactement le cas de Cécile Duflot, qui se vante d’une loi – peut-être la plus longue de l’histoire de la République – de 177 articles et 300 pages, qui ne saurait être lue, et encore moins comprise par qui que ce soit en France. Est-ce un hasard ? Duflot se montre d’une ignorance crasse au sujet de la réelle structure administrative de l’État, et n’a pas même un mot sur la « noblesse d’État » décrite par Bourdieu, et ces ingénieurs des Ponts qui sont l’ossature du ministère qu’elle a occupé deux ans. Telle est pourtant l’une des clés des grandes décisions structurantes des 60 dernières années.

Ne va-telle pas jusqu’à rendre hommage à Eugène Claudius-Petit, pilier – de droite – des gouvernements de la Quatrième République, rapporteur en 1950, devant le gouvernement d’un Plan national d’aménagement du territoire auquel nous devons tant de merveilles ? Au-delà, mais il n’est pas lieu de s’étonner, sa loi aurait dû exiger un tournant historique concernant les lieux de construction – faut-il sacrifier encore des sols agricoles, par exemple ? -, les matériaux à utiliser – quand a-t-on parlé de logements bioclimatiques, de chaux, de terre, de bois ? -, l’obligation de respecter un plancher d’autonomie énergétique ?

Le récit de ses 21 mois au ministère du Logement est un monument entier à la gloire du vide. Je résume. J’ai – moi, Duflot – eu foi en Hollande, j’ai cru que je pourrais le convaincre – d’être de gauche, croit-on comprendre -, mais je n’ai pas réussi. Oh là là, mais quel malheur ! Extrait drolatique : « Ces deux dernières années ont marqué la mort du politique et le règne de la technocratie » (page 106). Bien entendu, on se pince. Comme cela a l’air d’être du français, cela doit signifier qu’avant 2012, « le » politique vivait et que la technocratie ne régnait pas. Mais comme c’est ridiculement faux, que penser ? Que Cécile Duflot n’a pas la moindre idée de qu’elle raconte ? Retenons cela comme une hypothèse.

Hollande. Le psychologisme de Duflot explose à son endroit tous ses records. Tout est affaire d’individu. D’honnêteté – son dada -, les yeux dans les yeux. De respect des engagements. Il va être convaincu, et puis non, il ne l’est pas, ce gros vilain. L’histoire, l’histoire politique n’est pas fondée sur les structures sociales et les luttes idem, le glissement des partis le long d’un axe idéologique mouvant comme le ruisseau, les rapports de force, le contexte général d’une société qu’il faudrait tout de même analyser un peu. Non pas.  Tout repose ur la bonne volonté de Machin et de Trucmuche. Cécile Duflot croit, apparemment de bonne foi, que tout se joue en face à face instantané, qui peut décider de l’avenir commun.

Je ne peux que pardonner à Cécile Duflot de ne pas me lire. Tout occupée à distribuer des prébendes avec son compère Jean-Vincent Placé, elle aura loupé deux de mes articles, parus avant l’élection de François Hollande. Et qui disaient assez clairement ce qu’on pouvait attendre de lui (ici et ici). Si elle ne savait pas en 2012 qui est Hollande, ce que son livre prétend, elle est une imbécile. Si elle le savait, elle une honnête calculatrice, ce que son livre dément à chaque ligne. Peut-on miser sur un mélange des deux ?

Montebourg. J’ai déjà brocardé ce splendide histrion plus d’une fois, et j’y reviens pas. Cet homme a, comme tous devraient le savoir, commencé par refuser en bloc et en totalité l’extraction des gaz de schiste en France, avant de défendre les gentils industriels du secteur, Total en tête, et de réclamer une exploration, dont chacun sait qu’elle mène aux forages. Il est donc, désormais, pour les gaz de schiste, pour le nucléaire bien sûr, pour l’ouverture de mines en France, comme celle de Salsigne, et en général, partisan de tout ce qui peut détruire un peu plus encore. Il est l’ennemi déclaré de toute politique digne d’être défendue. Mais Cécile Duflot, qui ne cesse décidément de rappeler qu’elle est avant tout « de gauche », s’en moque bien. Montebourg n’incarne-t-il pas l’aile « gauche » de ce parti socialiste qu’elle accuse de virer à droite ? Si. Ce qui explique qu’elle accepte de former une petite bande « de gauche » en compagnie de ce beau guerrier de l’avenir, de Benoît Hamon et de Christiane Taubira. Et d’envisager sereinement de peser avec elle sur la ligne du gouvernement.

L’austérité. On touche au dur. On est en pleine fantasmagorie. Cécile Duflot est contre l’austérité. Pour ma part, je ne sais pas trop ce que cela veut dire. Il va de soi, ainsi que je l’ai écrit des dizaines de fois, que je suis pour le Grand Partage. Ici en Europe, mais surtout à l’échelle du monde. Et cela inclut le partage des richesses, mais de toutes les richesses, y compris, bien sûr, écologiques. Et cela inclut tous les hommes, bien sûr, mais aussi toutes les espèces vivant sur Terre, depuis les mousses et lichens jusqu’à ces grands emmerdeurs que sont les Loups, les Ours, les Tigres, les Éléphants. Sans aucune analyse, Cécile Duflot se contente de critiquer l’austérité dont parlent toutes les gazettes. C’est-à-dire, in fine, le droit d’une partie du Nord à consommer encore plus qu’elle ne le fait. Au détriment de qui, au détriment de quoi, chers amis lecteurs ? Des autres, cela va de soi.

Dire qu’on veut donner plus aux pauvres, sans autre examen, signifie clairement faire venir davantage de colifichets du vaste bagne industriel qu’est la Chine. Et produire davantage de déchets pourris. Et disséminer un peu plus plastiques et perturbateurs endocriniens – je ne prends que cet exemple entre 1000 autres. Et prendre ainsi le parti de ces épidémies émergentes que sont le cancer, l’obésité, le diabète, les allergies, Alzheimer, etc. Je rappelle à ceux qui hurleront contre moi – Dieu, ils ont bien le droit ! – que selon les calculs, certes très approximatifs, de Global Footprint Network (ici), nous avons collectivement épuisé, au 21 août, ce que peut donner la Terre en un an. Pendant plus de quatre mois, nous attaquerons donc l’os, les grands équilibres si menacés, la vie elle-même. Oser présenter l’austérité comme le fait Duflot n’est que complète franchouillardise. Ce serait lamentable de la part d’un politicien quelconque. C’est insupportable sous la plume d’une politicienne se réclamant de l’écologie.

La Firme. Cécile Duflot consacre un chapitre à son parti, sous le nom que lui a donné récemment Noël Mamère : la Firme, précisément. Ici, la doublepensée chère aux habitants d’Oceania atteint des sommets indépassables. Oncle George décrit la chose ainsi dans son merveilleux roman, qui s’applique à la perfection : « Oublier tout ce qu’il est nécessaire d’oublier, puis le rappeler à sa mémoire quand on en a besoin, pour l’oublier plus rapidement encore. Surtout, appliquer le même processus au processus lui-même. Là était l’ultime subtilité. Persuader consciemment l’inconscient, puis devenir ensuite inconscient de l’acte d’hypnose que l’on vient de perpétrer. La compréhension même du mot « double pensée » impliquait l’emploi de la double pensée ». Dans le chapitre La Firme, Duflot geint. Elle se plaint des méchants garçons et vilaines filles qui osent la critiquer à propos du fonctionnement autocratique de son parti. Je l’ai écrit plus haut, Duflot dit d’elle-même la vérité quand elle écrit avoir choisi Canfin pour l’accompagner au gouvernement. Des dizaines d’autres exemples, accumulés depuis des années de discussions avec les cadres d’EELV, m’ont abondamment montré qu’il s’agit d’une règle. Qui décide et pourquoi ? En l’occurrence Placé et Duflot, au service d’intérêts qui n’ont aucun rapport avec l’objet écologique et social du mouvement créé en 1984. Ainsi de la désignation d’Emmanuelle Cosse au seul bon plaisir du duo de tête.

Rions avec elle de la farce qu’elle nous propose page 142 : « Le plus ironique, c’est que pendant les dix ans à la direction de mon parti, je n’ai jamais eu de plan de carrière ni d’ambition cachée ». De Placé, elle ne dit strictement rien, ce qui est en effet plus prudent. On ne saura donc rien du jeu mis en place à la sortie du gouvernement de Duflot. À elle une ligne « de gauche », susceptible de lui permettre de chevaucher une base plus exigeante – sait-on jamais ? – qu’elle et sa camarilla. À lui le soin de cornaquer les parlementaires à la mode De Rugy, qui n’ont jamais rêvé que d’une chose, être notable. Avec mamours à la droite présentable, en attendant peut-être davantage. Je redis ici, sans espoir d’être cru, qu’il n’y a pas l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette entre les deux compères. Je ne sais, et pour le coup j’imagine, ce que Placé lui susurre. Peut-être que l’élection présidentielle de 2017 sera décisive. Que le parti et la France ont besoin d’elle. Qu’en agissant comme elle le fait, elle sert une cause supérieure, etc. Le plaisant, c’est qu’elle se raconte forcément une histoire voisine, en tout cas compatible.

Un bref retour sur l’écologie, à laquelle Duflot consacre un chapitre désopilant, digne des assemblées environnementalistes des années 60. Il faut le lire pour le croire, je vous l’assure (à partir de la page 113). Comme elle n’a rien à dire, elle se concentre dès l’entrée sur ce que les médias qui la fêtent ont retenu : l’épisode de pollution atmosphérique de mars 2014. Qui est, ainsi qu’écrit, un épisode, qui aurait pu se passer et s’est passé d’ailleurs un nombre incalculable de fois. Quel est le problème ? On ne le saura pas, car il faudrait s’intéresser à la place de l’industrie, automobile au premier chef, à l’air intérieur, à la chimie de synthèse, aux fulgurances de l’asthme, à la cancérogénicité désormais officielle de l’atmosphère extérieure, à la dégradation constante de la santé publique, que personne n’ose considérer. En somme, il faudrait au moins se poser des questions. Mais Cécile Duflot, à qui on ne la fait pas, se contente de vanter le bilan écolo de Sarkozy et de son si funeste Grenelle de l’Environnement. Je n’invente pas, je cite ( page 119). Elle est si constamment aveugle qu’elle maintient ce qu’elle avait écrit à propos d’un discours de Hollande, en septembre 2012 : « Je pèse mes mots : ce discours du président de la République est historiques et infiniment émouvant à entendre pour une écologiste ». Ô misère ! En ouverture d’une désastreuse Conférence environnementale, Hollande avait enfilé quelques perles multicolores (ici), puis était retourné à sa lecture favorite, celle du quotidien L’Équipe. Mais Duflot avait senti le vaste souffle des plus belles tempêtes.

Je vois à quel point cet article est long, et passablement inutile. Ma foi, ce ne sera pas la première fois. Mais un jour comme celui-là, et je vous prie de me croire au premier degré, trop, c’est trop.

PS 1, qui n’a rien à voir : Franchement, 17 euros pour 230 pages pleines de gros interlignes, aux chapitres séparés de nombreuses pages blanches, est-ce bien raisonnable ?

PS 2 : Bien entendu, je l’ai acheté, et non reçu.

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Message de Stéphane Lhomme, ajouté le 15/9/14

Stéphane Lhomme |

Lors du congrès EELV de 2011, auquel j’assistais en tant que participant à la primaire pour les présidentielles, seuls Hulot et Joly devaient apparaitre, les autres candidats (6 à l’époque) n’ayant pas le droit d’apparaitre.

Bien que parfaitement au courant des moeurs de ces gens-là, je n’ai quand même pas pu m’empêcher d’exploser de colère, incendiant devant une salle de 800 personne le superviseur de la primaire, le chercheur Philippe Meirieu et exigeant la présence au premier rang des 6 candidats et non des seuls Hulot et Joly (encadrant la vraie star, Duflot).

Tnat et si bien qu’on fini par m’apporter une chaise mais en plaçant Dominique Voynet (sans être désobligeant, il faut savoir qu’elle s’est passablement “élargie” physiquement) entre les “grands” candidats et moi.

Puisque j’étais là, et que j’avais piqué ma crise, je tentais d’être visible, jusqu’à ce que Voynet me dise “Mais arrête, tu me colles là !”.

Eh bien, croyez le ou pas, moi-même je dois parfois me pincer pour me dire que je n’ai pas rêvé : Duflot, entendant cela, de tourne subitement vers moi et me lance “Tu viens d’agresser Dominique, je peux te faire exclure de la primaire”.

A son grand désappointement (elle doit avoir l’habitude que les gens baissent la tête devant la grande “chef”), je lui ai ri au nez en lui disant “Allez vas-y, exclue moi pour qu’on rigole un peu “.

Je dois d’ailleurs reconnaître que Voynet, qui en a pourtant vu d’autres, a eu l’honnêteté de dire “Non non, il ne m’agresse pas, faux pas exagérer”.

Visiblement déçue, Duflot s’est retournée vers ses vedettes et surtout vers les photographes qui mitraillaient les 3 stars. Le “cordon sanitaire” opéré par Voynet a… largement fonctionné !

Tout ça est une pauvre mascarade, j’y ai mis les pieds brièvement pour contester l’ “écologie” à la sauce people avec Hulot, et je suis au plus vite retourné dans mon cher Sud-Gironde rural, où l’air y est bien plus sain…