Bienvenue à Aéroville

 

(Entre nous, pour lire ce qui suit, il faut du temps. Et davantage de compréhension pour mon cas que d’habitude. Je suis sincère, à vous de voir.)
Les gars, les filles, je suis à nouveau furieux, cela n’étonnera personne du côté de chez vous. Figurez-vous que je connais fort bien le 9-3, la Seine-Saint-Denis, car j’y ai vécu l’essentiel de ma vie. Et pas au Raincy, chez le député-maire Éric Raoult, dont je vous parlerai tantôt. Pas dans les rares beaux quartiers du département, non. Dans les désastreuses cités de ce territoire dévasté. Souvent dans des HLM. J’ai ainsi habité aux Bosquets, à Montfermeil, 5 rue Picasso. Dans le cours de ma première nuit là-bas, on a volé la Mobylette bleue, neuve, de mon ami Luc. Qu’il faillit pouvoir racheter le même jour, au marché noir, à son voleur. Moi, j’étais déjà parti travailler. J’étais apprenti chaudronnier, j’avais dix-sept ans. On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans. « Nuit de juin ! Dix-sept ans ! On se laisse griser./La sève est du champagne et vous monte à la tête…/On divague, on se sent aux lèvres un baiser/Qui palpite là, comme une petite bête… »

J’ai aimé puissamment ces lieux maudits, et puis j’en suis parti. Mais j’y ai mené des années de politique active, à une époque où le parti communiste y comptait neuf députés sur neuf, et 27 maires sur 40 (de mémoire). J’étais l’adversaire décidé de ceux que j’appelais et nomme toujours des staliniens. Le temps a passé, les silhouettes se sont courbées, mais certains hommes sont encore là. Parmi eux, le député-maire de Tremblay, François Asensi, communiste dit refondateur.

En 1980, mais qui s’en souviendra jamais ?, le parti communiste a mené une campagne indigne contre l’immigration. Non qu’il n’y ait eu, dès cette époque, de très graves problèmes. Mais simplement parce que le parti communiste, essayant déjà de sauver son appareil municipal et ses ressources d’institution, avait alors choisi, clairement, de faire de l’immigré un bouc émissaire. Ne protestez pas avant d’avoir regardé les textes de 1980, cela vous évitera des erreurs. Le 28 octobre 1980, conférence de presse du parti à Aulnay-sous-bois (9-3), en présence de François Asensi, qui n’est à ce moment, le pauvre, que député-suppléant. Il introduit le propos de Pierre Thomas, maire d’Aulnay, et James Marson, maire de La Courneuve. Deux extraits du discours de Thomas. Le premier : « En 1975, les étrangers représentaient 14,5 % de la population totale du département, et 16 % en 1980 ». Le deuxième : « Sans pointer l’index sur les immigrés et sans penser le problème de l’immigration en termes de sécurité, force est de constater que le rapport préfectoral de 1979 établit que 28,7 % des délits sont le fait de cette population plongée dans l’état de misère matérielle et morale que j’ai dit ».

Brillant, non ? Je n’entends pas, je me répète, prétendre que la question était simple et univoque, car tel n’est pas le cas. Mais il est manifeste qu’en cette fin d’année 1980, le parti communiste avait deviné, grâce à ses 100 000 capteurs dispersés dans les banlieues ce qu’allait révéler l’affaire de Dreux, en 1983, puis l’épouvantable surprise des européennes de 1984. Je veux dire la percée de Le Pen, sur fond de crise sociale identitaire.

Et le parti communiste avait, en toute conscience, décidé de surfer sur la vague raciste et sécuritaire de ces années-là, sans se soucier des conséquences. Comme un adolescent attardé, il se croyait immortel. La conférence d’Aulnay n’était qu’un élément dans un ensemble voulu, lucide. En quelques mois, aujourd’hui recouverts sous la cendre des années, le parti communiste a en effet détruit au bulldozer un foyer pour immigrés en construction, à Vitry, fait la chasse aux caravanes de Gitans à Rosny-sous-Bois, dénoncé des vendeurs de shit arabes, publiquement et par leur nom, à Montigny. Dans cette dernière ville, le maire s’appelait Robert Hue. Oui, Bob Hue, rocker et pontife, héros plus tard de Frédéric Beigbeder et de la haute couture, le temps d’un carrousel.

Je suis long, je suis lent, certes. Mais c’est mon privilège. Où veux-je en venir ? Il est extraordinaire que le parti communiste jouisse à ce point de l’impunité politique. Car le drame des banlieues, auquel j’ajoute par force les émeutes récentes de Villiers-le-Bel, qui ne compte pourtant pas de grandes cités folles, ce drame est imputable aussi aux staliniens. Aussi. Je sais le rôle écrasant de la droite et de l’État, je le connais. Mais enfin, sans un consensus incluant le parti communiste, l’immigration des Trente Glorieuses n’aurait jamais eu cette forme-là. C’est bien parce que les communistes ont trouvé intérêt à créer des villes ouvrières, jugées inexpugables, qu’elles ont pu proliférer de la sorte. Et c’est quand l’immigration a paru menacer la stabilité de leur pouvoir et de leurs ressources financières qu’ils ont lancé leur si vaine et si scandaleuse campagne.

Il eût fallu, pour être crédible, lutter pied à pied, décennie après décennie, contre l’entassement, l’abomination urbanistique, l’isolement géographique organisé des ghettos, appuyé sur des transports publics misérables. Au lieu de quoi on a laissé faire. Au lieu de quoi on a encouragé la construction d’innombrables barres et tours odieuses. Qui dira jamais les arrangements entre amis ? Avec ces chers amis du BTP ? Qui dira jamais les besoins d’argent frais d’appareils de milliers de permanents, ce qui fut le cas pendant un demi-siècle au moins ? Qui paiera jamais pour les 3000, les 4000, le Chêne-Pointu, les Bosquets, la cité Karl Marx de Bobigny, les Beaudottes de Sevran, etc, etc, etc ?

Non, que personne n’ose me dire que le parti communiste n’a pas sa part de responsabilité dans ce qui est advenu. Certaines villes sont gérées par lui depuis bientôt soixante-dix ans, comme Bagnolet, et ce sont des enfers urbains. Montrez-nous les jardins, montrez-nous l’architecture au service des rencontres et du voisinage, montrez-nous la gaieté de centres-villes habitables ! Le bilan est innommable.

J’ai habité à Noisy-le-Grand en 1982, quand la ville était communiste. Le parti avait accompagné – en échange de quoi ? – la création d’un centre-ville posé sur une dalle de béton de 150 hectares, au-dessus d’anciens champs de betterave. L’espace existait pourtant, puisqu’il s’agissait d’une campagne. Mais la spéculation foncière, mais la spéculation immobilière : nous connaissons tous la ritournelle. J’y suis retourné plus d’une fois depuis que j’ai quitté la ville dix ans plus tard. L’ensemble est une honte qui jamais ne s’effacera. Avec des immeubles tartignoles signés Nunez ou Bofill, aux noms grotesques : Les Arènes de Picasso, Le Palacio d’Abraxas, le Théâtre. Mais c’est d’une tragédie qu’il s’agit. La plupart des immeubles sont devenus des ghettos ethniques : tel empli de Noirs d’Afrique; tel autre d’Asiatiques; celui-là d’Antillais; un quatrième d’Arabes. Entre autres.

Au sous-sol de la dalle, un centre commercial géant, Mont-d’Est, qui a déjà connu des bagarres fulgurantes, des meurtres, et qui connaîtra bien pire encore, je vous le prédis. Oui, qui paiera jamais la note politique de ce naufrage ?

Si j’ai commencé sur Asensi, archibureaucrate du parti communiste, c’est parce que je savais bien que je finirais sur lui. Maire de Tremblay-en-France, il vient d’avoir une énième idée de génie. Plutôt, il soutient de toutes ses forces une énième idée de génie : un projet de centre commercial de 100 000 m2, tout proche de l’aéroport de Roissy. Il faut connaître les lieux comme moi pour apprécier toute la portée de cette décision. Sur 10 hectares, il s’agit de créer, à partir d’un champ d’herbes folles, 143 boutiques, un hyper Auchan, des banques, etc. Le tout assaisonné par l’architecte de Portzamparc et le grand spécialiste Anibail-Rodamco, qui compte à son actif Le Forum des Halles, à Paris, et les Quatre Temps, à La Défense.

Voilà l’avenir auquel rêve Asensi pour la jeunesse du 9-3 : des avions, du kérosène, de pitoyables murs anti-bruit partout au-dessus; des magasins et l’aliénation généralisée au-dessous. Aéroville – c’est son vrai nom – mériterait, si nous en étions capables, une révolte foudroyante. Ô que vienne !

13 réflexions sur « Bienvenue à Aéroville »

  1. la description de cette ville donne trés envie d’y habiter …….. ;o))) c’est de l’humour noir. ces ghettos me révoltent. et entendre Sarkozy dire que ce n’est pas un probléme social aussi . une honte de dire ça!
    j’ai également vécu en HLM jusqu’à mes 20 ans mais c’étaient de petits batiments de 4 étages dans une ville moyenne du nord avec peu de batiments et je me dis avec le recul que c’était une bonne école pour se faire des amies d’origines diverses Anna, Antonia, Fafia, Fadila ,Bérangére etc

  2. pour payer mes études dans les années 90, je faisais entre autre des sondages chez B.V.A. . A Corbeille Essones ,on devait demandé aux gens s’ils estimaient qu’il y avait trop d’étrangers dans leurs quartiers, s’ils fallait les renvoyer chez eux (texto).C’était un parti politique qui avait demandé ce sondage (je vous laisse deviner lequel). On m’a aussi proposé un poste de vacataire dans une asso de quartier à Villier Lebel.La responsable essayait de sauver un peu son quartier où effectivement on avait parqué les nord africain bâtiment A, le centre afrique bâtiment B, l’Asie bâtiment c.Les immeubles étaient en plein champ (pas encore de pavillon à l’époque) à 5 km du centre ville accessible seulement par une ligne de bus , le tout arrosé d’un taux de chômage énorme et du regroupement familial = 10 à 15 gamins par trois/quatre pièces, et deux à quatres épouses .A l’époque, les jeunes se tiraient dessus dans les squares .aujourd’hui, la mairie semble surprise de l’ampleur du phénomène .mensonges, hypocrisie à tous les étages, chabadabada .

  3. Je vous parle d’une autre planète…

    Je vis loin de toute banlieue, sur ma planète il n’y a pas d’Aéroville…
    Ces jours derniers lors des évènements que chacun sait, du côté de Villiers-le-Bel, j’entendais sur une radio d’information continue que la municipalité avait décidé de maintenir l’éclairage public toute la nuit, histoire d’y voir plus clair sans doute…
    Ici sur ma planète, au même moment, EDF rétablissait le courant au lampadaire qui éclaire la route devant chez moi. En mai dernier, un violent orage s’était abattu sur une maison du voisinage, nous privant ainsi d’éclairage public. Cela a duré six mois ! Six mois, où la nuit il faisait vraiment nuit, me permettant ainsi d’admirer de beaux cieux étoilés. Je m’étais habitué à cette nuit noire, pas effrayante du tout… Le courant est revenu et si certains sont rassurés, moi, je n’ai plus qu’à faire quelques centaines de mètres pour voir les étoiles puisque ce lampadaire est le dernier de la route, après il n’y en a plus…
    Sur ma planète, il y a aussi des élections et pas plus tard que dimanche dernier, lors d’une cantonale partielle, c’est un nouvel élu communiste qui a fait basculé à gauche la majorité départementale… Pourvu que personne ne lui parle d’Aéroville… comme à Tremblay-en-France, ce ne ferait pas non plus un beau projet pour ici.
    Je ne sais pas pourquoi, mais je sortirais bien faire un tour du côté du lampadaire moi, avec mon « rouspic » juste histoire d’éteindre la lumière. Je ne veux pas y voir plus clair !

    Le cyclo écolo
    P.S. dans le pays d’où je viens, un rouspic c’est une fronde !

  4. ici aussi dans ce coin ce Cévennes où j’habite on a fait mettre ces hideuses lampes jaunes travesties en lanternes d’autrefois et qui brûlent toute les nuits pour éclairer Quatre chats et les souris qui les narguent.
    On nous a suprimé l’éternité pour voir le bout de nos pieds…Mon vieux voisin m’a dit qu’il séen fout, désormais il fermera ses volets, les autres disent que c’est le progrès. Je dis que le progrès, on doit d’abord le choisir et lequel… J’ai refusé ces lampes inutiles devant chez moi, encore un peu de répis.Quant aux banlieues, j’y ai passé toute mon enfance, si j’y ai de bons souvenirs d’enfants, je souhaite à tous ma chance, quand mon père cheminot nous annonça à sa retraite, on part en Bretagne…Pendant deux mois, je ne suis pas allé à l’école, j’étais sur les grèves, comme un fou, comme un oiseau qu’on a sorti de la cage, c’était en 69…et pourtant cela n’a rien à voir avec ce qu’y vivent les familles et gamins d’aujourd’hui. L’étonnement n’est pas que la révolte gronde, mais plutôt pourquoi elle ne gronde pas plus fort.

    Merci pour ces pages quotidiennes, pour ce ton unique, pour cette sensibilité et cette intelligence qui nourrissent ma réflexion et donnent à espérer

  5. ici aussi, un peu dur d’observer les étoiles, cependant la grande ourse brille de tous ces feux juste au-dessus du toit, alors je ne désespère pas et sors régulièrement la longue vue ! le bétonnage est partout, mais la nuit, la vie reprend ses droits .Une nuit, à deux heures du matin j’ai vu un chevreuil avec sa quinzaine de biches,sont également présents les crapauds et les hérissons, les chauves souris. A l’aube, on apperçoit les cailles en famille, les faisans toujours aux mêmes endroits, les lièvres gourmands des potagers, parfois une buse et même des hérons…

  6. Ayant connu de prés des militants dits « staliniens », je ne retrouve pas dans vos propos les valeurs qu’ils véhiculaient et j’en arrive à la conclusion habituelle que dans tous les systèmes, ce sont les élites qui le pervertissent à leur profit et que le chemin qui méne au pouvoir corrompt ceux qui le parcourent.
    Il n’est donc qu’un système valable, c’est celui qui abolit l’injuste hiérarchie entre les humains et qui les impliquent dans leur vie (peut etre est ce la démocratie participative). A moins que, dans ce système aussi, les élus et la propagande ne reprennent le dessus.

  7. Dans la ligne de ce que vous dites, je crois que le PS, qui a longtemps été au pouvoir, à aussi bien profité de la vague raciste populaire pour garder le pouvoir face à la droite. Mais comment faire en démocratie? Dès que, par le progrès social, on améliore le sort des plus faibles, ceux ci « s’embourgeoisent » et vote à droite, laissant sur le bas coté ceux qui n’ont pas eu le temps de monter dans le train.
    Pareil pour les logements, une politique de la ville favorisant la mixité sociale ne résoud en rien les problèmes. Elle les étouffe, elle casse la « conscience de classe » qui apparait dans les ghettos mais pour autant ne remets pas en question le fond.
    Bien à vous

  8. Pour finir, j’habite un département ou il n’y a pas si longtemps, les élus de tous bords, tels des gogos, nous ont « pris la tete » avec un projet de troisième aéroport international qui devait créer des emplois dans 20 ans. Ben Laden a réglé une partie de la question et le prix du pétrole, a, je pense, réglé l’autre.
    Quel manque de clairvoyance…Ce n’est pas rassurant pour l’avenir

  9. une autre pollution des citées dont on ne parle pas dans futura science ce matin : la violence des images distribuées quotidiennement et leurs influences certaines sur leurs comportements

  10. je viens de lire que Pierre Bernard, ex-maire de Montfermeil et raciste notoire a reçu la légion d’honneur en 2006 sur proposition de NS

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