Que crèvent ces pauvres cons d’Indiens

Publié dans Charlie Hebdo le 3 avril 2013 (depuis cette date, l’Atlantic Star a changé de route, et se trouverait en Turquie)

Bateau sur l’eau. L’Atlantic Star, un navire de 241 mètres de long, part se faire démanteler en Inde. Le fric pour les armateurs, l’amiante et le cancer pour les peigne-culs au pied nu.

Le Karaboudjan ! Dans Le Crabe aux pinces d’or, Tintin est prisonnier à bord de ce foutu cargo au nom arménien. Or l’Arménie n’a pas d’accès à la mer, ce qui n’est pas bien grave, car le navire sera bientôt rebaptisé, après un faux naufrage, Djebel Amilah. La suite de l’histoire s’appelle l’Atlantic Star. Ce bateau de croisière immensément étiré – 241 mètres de longueur, 1585 passagers possibles – a été construit aux chantiers navals de La Seyne (Var) en 1982, et livré en 1984 à une compagnie italienne, sous le nom de FairSky. Il s’appellera aussi Sky Princess, Pacific Sky, Sky Wonder, changeant au moins quatre fois d’armateur.

Le dernier, l’Espagnol Pullmantur Cruises, est une filiale – attention, ça devient complexe – d’une énorme boîte américano-norvégienne, Royal Caribbean International, basée à Miami mais inscrite au registre du commerce de Monrovia, charmante capitale de l’État fantôme appelé Liberia. Mais simplifions. Après divers suicides à bord, le viol et l’assassinat d’une passagère, une méningite mortelle, et diverses pannes très graves, le navire manque s’échouer sur les côtes turques après une collision en 2008. L’affaire est devenue de moins en moins rentable. Le 13 septembre 2010, portant enfin le nom d’Atlantic Star, il jette l’ancre dans le port de Marseille, où il devient, dans le jargon maritime, un navire ventouse, car il ne bouge plus.

Et soudain, le 18 mars 2013, l’Atlantic Star se fait la malle. Ses moteurs sont-ils en si mauvais état ? En tout cas, il est tiré par un remorqueur panaméen, Ionion Pelagos. Et il ne s’appelle plus Atlantic Star, mais seulement Antic : les proprios se sont contentés de faire effacer quelques lettres sur la coque. À Paris, l’un des meilleurs connaisseurs du transport maritime, Jacky Bonnemains, sursaute. Le président de Robin des Bois voit immédiatement l’embrouille, car l’Antic est bourré jusqu’à la gueule d’amiante, et probablement de quantité d’autres saloperies, très dangereuses à manipuler. Des leurres sont lancés comme bouteilles à la mer, probablement par l’armateur. Le navire irait en Turquie, pour s’y faire démantibuler. Ce bon Antic, ne donne pas sa position, mais le remorqueur, si.

« Il est entre la Sicile et l’île de Malte, raconte pour Charlie Christine Bossard, de Robin des Bois [le 28 mars], et il devrait être en vue de Port-Saïd, sa nouvelle destination, le 30 mars. Juste à l’entrée dans le canal de Suez ». Pour les détectives de Robin des Bois, il n’y a pas de doute : le navire pourri part en direction des chantiers navals d’Alang, en Inde, où atterrissent la plupart des bateaux de croisière en fin de vie. « Ce n’est pas certain, mais c’est désormais le plus probable, ajoute Christine Bossard. L’Antic risque de rejoindre, dans l’indifférence générale, quantité de navires européens, et par exemple un fleuve entier de porte containers allemands, qui vont se faire démanteler en Inde ».

À l’automne 2012, la merveilleuse revue de photojournalisme 6 mois publie une enquête du cinéaste bangladais Shaheen Dill Riaz. Dans les chantiers navals de Chittatong, le grand port du Bangladesh, les vrais pauvres du monde éventrent les navires du Nord les pieds nus dans la boue et les déchets de métal, sans aucune des protections conquises au Nord. Ils n’ont pas le temps de se plaindre, car ils meurent, remplacés par d’autres candidats au suicide.

Comme c’est étrange ! En 2006, un vaste show avait permis à Greenpeace de monter une opération héliportée contre le porte-avions Clemenceau, qui partait se faire désosser en Inde. Farci d’amiante, le bateau était revenu piteusement à Brest. Et aujourd’hui, total silence de la galaxie écologiste.

Comme c’est étrange ! Charlie vous gardait le meilleur pour la fin. L’Antic n’appartient plus, en fait, à Pullmantur Cruises, qui l’a opportunément revendu à STX France, juste avant son départ de Marseille. Or STX, c’est nous : l’État est actionnaire à hauteur de 33,34%. Pourquoi Hollande et Ayrault ont couvert l’opération ? Parce que Pullmantur a promis d’acheter à la France un mégapaquebot de la classe Oasis of the Seas, qui remplira les carnets de commande de Saint-Nazaire. Que crèvent donc ces connards d’Indiens au pied nu.

13 réflexions sur « Que crèvent ces pauvres cons d’Indiens »

  1. Bonjour,

    Apparemment ça chauffe sévère à NDDL ! Quelqu’un aurait des infos s’il vous plaît ? Merci d’avance, et toutes mes excuses pour le hors-sujet.

  2. C’est a pleurer. Bravo et merci pour l’enquete. l’Inde est aussi un des rares pays ou l’industrie de l’amiante est en croissance (ou serait-ce le seul? Je ne sais pas). C’est un pays en proie a ce que Arundhati Roy appelle un mouvement secessioniste de l’elite, qui tout en s’appropriant l’exclusivite des ressources, s’efforce de vivre dans un pays fantasmatique, quelquepart entre les Etats-Unis, la Suisse, Dubai ou la Lune…

  3. Comme quoi la vie d´un ouvrier de chantier naval en France a plus de valeur que celle d´un loqueteux en Inde. C´est vrai que l´ouvrier français lui, au contraire du « connard d´indien au pied nu », il consomme, il a des crédits à rembourser, le crédit à la consommation, les traites de sa bicoque ou de sa voiture. Il envoie ses gosses à l´école, alors que ceux de l´Indien en guenille passent leur temps à jouer sur les décharges, soi-disant à la recherche de nourriture. Les bons à rien ! Le brave ouvrier de Saint-Nazaire construit, lui, il met son savoir-faire au service de la société. Il sert à quelque chose. Grâce à lui des paquebots luxueux ou des porte-conteneurs sillonnent les mers, les uns emportant leurs passagers vers des destinations « de rêve », les autres chargés de toutes les belles marchandises sans lesquelles nous ne pourrions plus vivre ! Alors ? Le choix est vite fait. Entre l´ouvrier de chantier naval à Saint-Nazaire et le va nus-pieds indien, le coeur du système politico-industriel ne balance pas ! Il faut du fric et des électeurs. Alors tant pis pour les pauvres types en Inde qui démantibulent les rafiots pourris. Z´avaient qu´à naître du bon côté de la planète 🙁
    Et tant pis aussi pour les pauvres types en Afrique, la poubelle de l´Occident. On se rappelle encore aujourd´hui la tragédie sanitaire et environnementale provoquée par le déchargement en plein Abidjan, de déchets toxiques qui provenaient du cargo Probo Koala, affrété par Trafigura. La société fondée par Eric de Turckheim et Claude Dauphin.

  4. tiens en parlant d’amiante : je suis allée à la mairie ce matin pour demander où et comment je pouvais me débarrasser de plaques en amiante ciment qui étaient sur un vieux toit . La déchetterie ne les prends pas , il faut s’adresser à une société équipée pour cela et ça coûte une blinde . Résultat : les gens se défont de ces déchets amiantés en les planquant un peu n’importe où dans la nature . Conclusion de l’employée de mairie fataliste  » eh oui , c’est comme ça , on n’y peut rien … » ah bon ?

  5. Pour François,

    j’ai reçu ce message :

    *Un des paysan **(Nom du gardé a vue : C. de Coëron) **de Notre dame
    > des landes se trouve en garde à vue*
    > *merci d’appeler la gendarmerie pour demander sa sortie immédiate ou prendre des nouvelles :*
    > *Gendarmerie de Châteaubriant*
    > *19 Rue des Déportés Résistants, 44110 Châteaubriant*
    > *Téléphone : N° 02 40 81 00 17
    >
    >*On sature le standart dès à présent*

    Alors je viens d’appeler(à presque 23 heures), et je suis tombée sur un standard de la gendarmerie de Nantes, « ah non, ici Madame, on gère les urgences, on a pas de nouvelles des gardes à vue… »
    Demain matin, j’aurai sûrement plus de chance.. !

  6. La catastrophe de Dhaka, ainsi qu’un hopital qui s’est effondre hier a Bhopal (Inde), et un pont d’autoroute urbaine qui s’est effondre le mois dernier a Kolkata (Inde), tous ces morts enfouis sous des tonnes de beton « moderne », sans parler des survivants des immeubles en beton effondres pendant les seismes qui retournent s’installer dans leurs vieilles maisons et immeubles traditionels apres la catastrophe, peut-etre « insalubres » mais toujours debout, tout ca me rappelle cet appel il y a 2 ans en Chine, suite a une catastrophe ferroviaire d’un train a grande vitesse:

    « Chine, ralentit ton rythme effrene, attend un peu ton peuple, attend un peu ton ame, attend un peu ta conscience! »

    http://www.china.org.cn/opinion/2011-07/25/content_23067015.htm

    C’est un Chinois qui a ecrit ca donc il parle de la Chine, mais ca pourrait etre un autre pays…

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