Faut-il vraiment rire de la Banque mondiale ?

Je suis comme vous, du moins j’espère que vous êtes comme moi, sur un point au moins. Et c’est que j’aime rire. Comme je ne raconte pas mes Mémoires, je ne peux vous dire quand tout cela a commencé, mais c’était il y a fort longtemps. Le drame était chez moi plutôt quotidien, et si je n’avais pas souvent explosé de rire en face d’événements d’une rare tristesse, je n’aurais pas survécu. Nul n’est contraint de me croire, c’est pourtant la simple vérité.

Je ris, donc, en lisant la nouvelle suivante : un monsieur Makhtar Diop, vice-président de la Banque mondiale pour l’Afrique, a des idées merveilleuses pour sortir le Sahel de sa dépendance aux fantaisies de la pluie. Mais avant de continuer, deux éclairages. Le premier sur le Sahel, cette bande de terre au sud du Sahara, qui court de l’Atlantique à la mer Rouge, sur environ 5500 kilomètres de longueur et 400 à 500 kilomètres de largeur. Il y pleut, du nord au sud, entre 100 et 500 mm d’eau par an, mais d’une manière affreusement irrégulière. Les orages peuvent ainsi être dévastateurs, en plus d’être imprévisibles. Il y aurait autour de 80 millions d’habitants, répartis en dizaines, voire en centaines de groupes ethniques, et selon les calculs entre 10 et 14 États, tous très pauvres bien sûr.

Quant à la Banque mondiale (ici), que vous dire ? C’est une infernale saloperie, dont seule la disparition pourrait sembler un pas en avant. Et revenons au cas de ce monsieur Makhtar Diop. Il vient de déclarer au cours d’un colloque tenu au Sénégal, pays sahélien, que l’avenir était à…l’irrigation de l’agriculture. Pas là où il pleut, non pas. Au Sahel. Citation : « Dans notre sous-région du Sahel, nous sommes véritablement en face d’un défi de la généralisation de la maîtrise de l’eau pour l’agriculture sahélienne. (…) Aujourd’hui, peu ou prou, le Sahel compte 400.000 hectares irrigués. Faire passer ce nombre à 1 million d’hectares en 2020, c’est le défi que je nous lance à tous ». Et il ajoute – le mantra est obligatoire – que telle est la voie de la croissance. La croissance, telle que vue par la Banque mondiale, au Sahel.

Cela n’arrivera évidemment pas. L’irrigation je veux dire. Le fric mobilisé dans les années 70 pour soi-disant réaliser la même chose a disparu dans des poches anonymes, et celui qu’on trouvera peut-être finira dans des poches similaires. Bien au-delà, ces propos absurdes d’un homme ignorant nient toutes les réalités agricoles et humaines de la région. Et tournent le dos au seul avenir concevable, autour de l’agroécologie. Je n’y insiste pas.

Je souhaite en revanche dire deux mots au sujet de l’eau. De la situation réelle des ressources en eau dans tant de pays de la planète. Une parfaite occasion m’est donnée à la lecture d’une info publiée par un institut américain dont je garantis le sérieux, le World Resources Institute (WRI). Selon l’une de ses dernières études (ici), le quart de la production agricole mondiale vient de zones soumises à un stress hydrique élevé. Le stress hydrique est un indicateur signifiant le déséquilibre entre la ressource en eau disponible et la demande. Or donc, le quart de la production agricole dans des régions qui s’approchent à grand pas de la pénurie. Et dans le même temps, note le WRI, 40 % de cette même production vient de l’irrigation, dont les dégâts – c’est moi qui précise – sur la qualité et la quantité de l’eau sont l’une des causes du vaste pandémonium planétaire où nous sommes rendus.

Bref. Ce monsieur Makhtar Diop, vraisemblablement diplômé des meilleures écoles d’Occident, est un ignorant total, qui propose, sous les vivats des politiques à sa botte, une direction simplement criminelle. Arrivé à ce stade, je crois devoir formuler la question qui se trouve dans le titre : faut-il vraiment rire de la Banque mondiale ? J’avoue, malgré la forte et saine tendance qui est mienne, que j’ai quelque mal.

4 réflexions sur « Faut-il vraiment rire de la Banque mondiale ? »

  1. Moi aussi j’aime rire et j’avoue l’avoir fait lorsque j’ai lu que ce Mr Makhtar Diop voulait irriguer le Sahara. J’attends qu’un prochain expert du FMI, de la Banque Mondiale ou de l’U.E. vienne proposer d’y importer du sable.
    Chez nous aussi il y a des occasions de rire grâce aux vannes quasi-quotidiennes des saltimbanques du cirque politico-médiatique. Ainsi on nous assure le plus sérieusement du monde que la crise est finie, que tout va repartir comme en 60, que l’Europe nous sauvera, que Marine Le Pen n’est pas comme son père, que le nucléaire nous rend indépendant, que nous n’avons pas payé de rançon pour la libération des otages,… et tout ça dans la même journée !

  2. Apres les « confessions » de John Perkins, il y a toujours autant de « tueurs a gages economiques », toujours plus meme, et leurs moyens sont devenus plus subtils et plus efficaces, ils infiltrent les universites et les centres de recherche, dont la « cote » se mesure a leur habilete a reduire la distance qui les separe des labos mercenaires de Monsanto et Cie. L’Inde toute entiere est parsemee de barrages vides, de canaux pleins de poussiere, d’aqueducs n’ayant jamais vu couler l’eau. Tous projets finances sur fonds publics, avec prets de la Banque Mondiale. C’est le meme mecanisme que l’abolition des lois anti-pauvrete en Grande-Bretagne en 1834, abolition consideree alors necessaire pour creer suffisament de pauvres pour subvenir a ce qui etait considere comme les « besoins » de la revolution industrielle. Aujourd’hui l’echelle d’application est beaucoup plus grande, elle consiste a detruire l’environnement naturel de regions entieres, et plus la destruction est avancee moins on prend de gants pour eliminer ce qui reste. Un peu comme la pratique classique des pilleurs qui egorgent les habitants et mettent le feu en partant, pour cacher qu’ils ont deja tout prit avant… Fabriquer plus de pauvrete avec l’argent meme des pauvres. On espere que M. Diop changera d’attitude avant d’avoir atteint l’age ou M. Perkins a change la sienne!

  3. Sans compter (j’oubliais) les barrages qui aggravent les inondations au lieu de les « controler », qui declenchent des famines, et qui en plus, envasent les rivieres et aggravent la malaria. Comme explique par Rohan D’Souza dans ‘Drowned and Dammed’: Colonial Capitalism and Flood Control in Eastern India…

  4. Certains disent que les grands projets qui ne fonctionnent pas, ou pire, qui déclenchent les catastrophes écologiques et alimentaires mêmes contre lesquelles ils étaient censés nous protéger, révèlent « l’amateurisme » de la « science officielle ».

    Mais on peut se demander si cet « amateurisme » n’est pas sciemment mis en œuvre, d’une manière qui, si l’on considère qui prend les décisions et qui en profite, est au contraire « habile » si l’on peut se permettre cette expression !

    Je reprends ici presque mot pour mot une phrase de Rudolf Steiner dans une conférence publique en 1918, qui remarquait que l’aggravation catastrophique du chaos politique en Europe de l’Est et au Moyen-Orient témoignait certes du terrible « amateurisme » des dirigeants locaux, mais elle témoignait tout autant, du point de vue de la contribution factuelle des dirigeants d’Europe Occidentale à ces catastrophes, « d’une considération plutôt experte des ces choses, si vous me permettez cette expression vulgaire » (sic).

    Ainsi il faut quand même se demander, lorsque l’amateurisme est si efficace dans la destruction, à quel point son bras n’est pas armé d’une vision beaucoup plus « experte », même si nécessairement bien plus discrète !

    John Perkins dans son livre autobiographique raconte son évolution personnelle, d’abord de « l’idiot utile » à « l’expert corrompu », puis à la prise de conscience graduelle de sa propre corruption, et enfin à son revirement radical. Masanobu Fukuoka travaillait dans les années 1930 dans un labo de pointe sur l’agriculture chimique, et Bhaskar Save, le « Fukuoka Indien », était l’un des premiers fermiers à importer des engrais et des pesticides chimiques dans son pays, dès les années 1960 !

    On peut se demander si cela n’est pas une évolution par laquelle nous devons tous passer d’une manière ou d’une autre.

    De nombreux cas sont même comiques, comme tous ces hauts fonctionnaires dénonçant les crimes de l’Etat, ou ces militaires dénonçant la corruption dans l’armée… mais une fois à la retraite ! Ou ce scientifique militaire, qui ayant passé la partie la plus active de sa vie à inventer des missiles et mettre en œuvre des essais nucléaires, se découvre soudainement « Gandhien »… mais après être devenu Président de la République ! (cherchez qui…)

    Mais aujourd’hui que la science est plus que jamais inféodée à l’argent, les « experts corrompus » trouvent l’habit d’ « idiot utile » bien confortable, et ils sont de plus en plus nombreux.

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