Les jolis flocons de la tour Montparnasse

Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 21 novembre 2013

Le symbole lourdingue des années Pompidou recrache de l’amiante dans les poumons. La tour Montparnasse est sous enquête judiciaire, et court le risque d’être évacuée pendant des années. Mais qui paiera la note ?

L’incroyable bordel de l’amiante. Le dernier rebondissement est dans le droit fil d’un siècle de scandale complet : la justice enquête sur la tour Montparnasse, un monstre de 150 000 tonnes planté à l’emplacement de la vieille gare du même nom.

La tour est un condensé de ce que les vieilles barbes appellent le gaullisme immobilier. Un mélange de combines et de foi grotesque dans le béton et le gigantisme. Malraux, ministre de la Culture – si -, accorde le permis de construire en 1968 – si -, et l’année suivante, Pompidou-président annonce que la tour sera dotée d’un somptueux centre commercial. En 1973, inauguration et vivats. New York sera bientôt ridiculisé par 10, 100, 1 000 tours Montparnasse. La première a  210 mètres de haut, compte 59 étages, 56 piliers en béton armé s’enfonçant à 70 mètres sous terre, et elle est farcie jusqu’à la gueule d’amiante, comme d’innombrables lieux publics et privés de son époque.

Or l’amiante se dégrade, or les flocages de jadis se font la malle, or les fibres délétères volettent dans l’air, sous le pif des 5 000 salariés permanents de la tour et du million de visiteurs annuels. Monter sur le toit, c’est fun, surtout pour les poumons. Bien sûr, le syndicat des copropriétaires jure qu’il n’y a aucun problème, que tout est sous contrôle. Hum. Racontons l’histoire telle qu’elle s’est déroulée, cela ne peut pas faire de mal.

Le 13 mars 2005, le Journal du Dimanche publie un dossier affriolant, sous le titre « La tour Montparnasse est truffée d’amiante ». L’affaire est en réalité connue depuis des années car, rapporte l’hebdo, « Les experts qui se sont succédé depuis 1996 dans les 59 étages du plus haut immeuble d’Europe y ont trouvé, à tous les niveaux, de l’amiante sous toutes ses formes ». Pourquoi n’avoir rien branlé depuis ? Parce que le désamiantage complet coûte trop cher, pardi. On parle alors de 4 millions d’euros par étage, et les copropriétaires n’étant pas candidats au suicide collectif, ils ont patiemment attendu que l’affaire soit rendue publique pour bouger le premier orteil.

La suite est une litanie de Pleureuses et de gros chèques. Fin 2007, 27 étages ont, en théorie, été désamiantés. 1 000 mesures d’air annuelles garantissent, sur le papier, que l’amiante ne passera pas. Un nouvel ascenseur doit permettre « d’évacuer rapidement les déchets amiantifères ». 110 millions d’euros supplémentaires sont débloqués pour de nouveaux travaux. En 2009, tout doit être fini. En 2011, tout continue. Commentaire d’un responsable technique : « C’est un chantier atypique ». Tu l’as dit.

En 2013, on y est encore. Le 27 juin, 500 employés de la tour, qui bossent pour une filiale du Crédit Agricole, sont évacués en urgence et recasé tant bien que mal dans les Yvelines. Comme le seuil réglementaire – 5 fibres d’amiante par litre d’air – est dépassé pour 8 étages, nouvelle enquête. Avec le feu au cul des proprios, car la préfecture de Paris, qui a, elle aussi, les jetons, menace froidement d’utiliser l’arme nucléaire en ordonnant l’évacuation totale jusqu’à la fin de travaux prévus, pour l’heure, jusqu’en 2017.

On en était là quand on a appris ces jours-ci l’ouverture d’une information judiciaire pour « mise en danger de la vie d’autrui », qui peut conduire à peu près à tout, y compris à la ruine de la tour Montparnasse. D’accord, c’est rigolo, mais pas tant. Le chantier de désamiantage de l’université parisienne de Jussieu, qui devait coûter 183 millions d’euros et durer 36 mois, s’est en fait étalé sur 19 ans pour une facture de 1,8 milliards d’euros. La cour des Comptes a saisi la justice, mais franchement, à quoi bon ?

Ce que révèle la folie Montparnasse, que personne ne veut voir, c’est que le dossier de l’amiante n’est pas démerdable. Des milliers de bâtiments publics, comme par exemple la plupart des salles de spectacle, ont été joyeusement bardés d’amiante, et ne pourront évidemment être tous nettoyés. La note, qui ne sera jamais payée, se chiffre en centaines de milliards d’euros. Peut-être en milliers.

7 réflexions sur « Les jolis flocons de la tour Montparnasse »

  1. Je me souviens d’une anecdote, qui prouve le sérieux des pouvoirs publics et des professionnels au moment où il a été décidé d’interdire l’amiante.
    Ce devait être en 1996 et un architecte, avec qui j’étais en relation pour un chantier, m’avait tranquillement expliqué, a priori sans cynisme, que les entreprises du bâtiment avaient jusqu’à la fin de l’année pour utiliser (se débarrasser) de leurs stocks avant que ce produit soit interdit.
    Un beau cadeau des pouvoirs publics, qui amorçaient ainsi une bombe à retardement avec de lourdes conséquences sanitaires et financières.

  2. Bonsoir,

    Merci.

    Hors sujet. Drôles de cocos, ces écolos.

    Bientôt des stades recouverts de publicités géantes?

    Un amendement au projet de loi ALUR de Cécile Duflot, adopté au Sénat, propose d’autoriser les publicités géantes dans les stades, une disposition jusque là réservée aux gares et aux aéroports. Une initiative à laquelle Martine Aubry n’est pas étrangère.

    ———–

    PS. Ai cherché un papier original sur la fameuse tour Monparnasse, mais de fil en fil, me suis « perdue » ailleurs.

    http://www.antiochus.org/article-21986644.html

    Oui je sais …. Cosse toujours! 🙂

    Grosses bises,

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