Une centrale nucléaire dans le chaudron jordanien

Cet article a été publié le 4 décembre dans Charlie Hebdo

Rions avant de sangloter : la Jordanie confie à la Russie la construction d’une immense centrale nucléaire. Mais ne veut pas entendre parler des traités internationaux qui surveillent le nucléaire civil comme le lait sur le feu. Et pas question de miser sur une énergie solaire surabondante.

La Jordanie s’amuse, la Jordanie rigole, la Jordanie se lance dans le nucléaire. Sans filet, sans aucune garantie portant sur la sécurité, et au moment même où la région ne parle que de l’Iran et de la bombe. D’abord un point sur ce rugueux territoire, bordé par tant de charmants et pacifiques voisins : la Syrie, l’Irak, Israël et la Cisjordanie-Palestine occupée, l’Arabie saoudite enfin. La Jordanie s’étend sur 92 000 kilomètres carrés (1/6 de la France), mais ne compte que 6 400 000 habitants, ce qui n’est pas très étonnant dans une contrée à 90 % désertique.

Cela n’empêche pas le mouvement et l’exercice au volant de bagnoles climatisées. La consommation énergétique du pays, par tête, est déjà l’une des plus élevées au monde, mais ce n’est rien encore, car la demande en essence augmente de 7,5 %par an et celle d’électricité de 5 %. La Jordanie importe 96 % de ses besoins : le pétrole arrive d’Irak, le gaz d’Égypte. Mais bon, jusqu’à quel point est-ce raisonnable ? Les gazoducs égyptiens ont une fâcheuse tendance à être attaqués par des brigands plus ou moins islamistes, avant que d’exploser. On s’interroge, de même, sur la régularité des approvisionnements irakiens. Comment sortir de ces menus soucis vitaux ?

Heureusement,  il ne manque pas de visionnaires. Sans remonter à Mathusalem – un gars du coin -, signalons l’épisode Kouchner. Oui, le nôtre, la serpillière de Sarkozy. Le 30 mai 2008, notre ami Bernard, alors ministre des Affaires étrangères, signe à Amman, la capitale jordanienne, un accord de coopération nucléaire. VRP de l’atome, il prépare le terrain d’Areva, qui entend bien fourguer sur place une centrale nucléaire rutilante.

Ce sera Atmea 1, du nom d’une société franco-japonaise créée pour l’occasion. En mai 2012,  la Commission jordanienne de l’énergie atomique (JAEC) présélectionne Atmea, qui, selon la propagande commerciale d’Areva, correspondrait « le mieux aux besoins du pays, tout en assurant les plus hauts niveaux de sûreté ».

Mais les Russkoffs d’Atomstroyexport continuent un savant travail de lobbying – et plus si affinités -, qui va finir par payer. Fin octobre 2013, le ministre de l’Information jordanien, Mohammed Moman, annonce qu’un contrat d’un coût estimé de 10 milliards de dollars a été conclu avec Moscou pour la construction d’une immense installation nucléaire dans le désert au nord d’Amman. Une deuxième entreprise russe, Rusatom Overseas, ferait fonctionner la centrale.

Selon les proclamations locales, la Jordanie pourrait devenir, quand les poules auront des dents en uranium, un exportateur net d’électricité. En attendant ces beaux jours, et sur fond sans doute de révolutions arabes, ça gueule comme rarement. Le phénomène le plus intéressant est sans doute la rencontre entre un mouvement écologiste naissant – un parti vert de gauche demande en ce moment son enregistrement – et certaines factions minoritaires de l’appareil d’État. Un Raouf Dabbas, très connu en Jordanie, où il est un conseiller écouté du ministère de l’Environnement, ne dit en fait pas autre chose que les activistes de Coalition for Nuclear Free Jordan.

Les deux pointent les risques considérables d’un projet lancé sans aucune étude d’impact dans un pays à forte activité sismique. Et Dabbas de poser en outre cette redoutable question : « Comment un pays aussi pauvre en eau que la Jordanie peut-il construire une centrale nucléaire. Le plus grand défi sera le refroidissement des réacteurs ». Les uns et les autres restent prudents sur les risques possibles de prolifération nucléaire. Et pourtant ! Les Jordaniens auraient refusé tout net de signer des conditions contraignantes, notamment l’Initiative de sécurité contre la prolifération, ce qui ne manque pas de rassurer pour la suite.

Dernier point, que l’on trouve dans une excellente étude de Greenpeace (google, puis : The Future of Energy in Jordan). Il y aurait assez de vent et surtout de soleil pour satisfaire 60 fois les besoins d’énergie de la Jordanie à l’horizon 2050. Il doit donc y avoir un truc.

21 réflexions sur « Une centrale nucléaire dans le chaudron jordanien »

  1. « Il doit y avoir un truc », un détournement à des fins militaires, mais non, il y a et il y aura toujours 4 , non 5 , non 6, non 7, non 8, non 9 pays à avoir cette arme de destruction massive, sans parler des problèmes de sécurité du .nucléaire civil.

  2. C’est une nouvelle catastrophique pour toute la région…
    Et le pire : avec plus de 60 millions d’habitants et la première agriculture mondiale, voilà que la France (!) souhaite imiter la Jordanie et voudrait elle aussi… se lancer dans le nucléaire ! « Sans filet » non plus à vrai dire ! 😉
    Vous imaginez la bérézina sur l’agriculture en cas d’accident ? Et avec une telle densité de population, aucune région ne possède de grande ville suffisament éloignée des lieux prévus pour les centrales en cas de problème sérieux.
    Mais… c’est bien connu : les problèmes sérieux, ça n’existe jamais en France, donc ça n’existera jamais, c’est quand même évident, non ?!

  3. Bonjour,

     » Le 30 mai 2008, notre ami Bernard, alors ministre des Affaires étrangères, signe à Amman, la capitale jordanienne, un accord de coopération nucléaire. »

    Ami Bernard?

    NON! Ferme, définitif, avec risette!

    —–

    Avenir ir(radieux). Une vraie pétaudière!

    Merci Fabrice.

    Bien a vous tous,

  4. mais oui vous avez raison, vive le charbon !
    « In Jiangsu and Zhejiang provinces visibility was reduced to less than 50 metres earlier this week and in the city of Nanjing a red alert for pollution was maintained for five consecutive days.

    The analysis traced the chemicals which are made airborne from burning coal and found a number of health damages were caused as a result. It estimates that coal burning in China was responsible for reducing the lives of 260,000 people in 2011. It also found that in the same year it led to 320,000 children and 61,000 adults suffering from asthma, 36,000 babies being born with low weight and was responsible for 340,000 hospital visits and 141 million days of sick leave.

    « This study provides an unprecedentedly detailed picture of the health fallout from China’s coal burning, » said Dr Andrew Gray, a US-based expert on air pollution, who conducted the research. Using computer simulations, Gray said he was able to « draw a clear map tracing the trail of health damages left by the coal fumes released by every power plant in China, untangling the contribution of individual companies, provinces and power stations to the air pollution crisis gripping the country. »http://www.theguardian.com/environment/2013/dec/12/china-coal-emissions-smog-deaths

  5. Avec le charbon, il est vrai, on paie cher et comptant. Avec le nucléaire, on paie à crédit, on sait ni quand, ni combien, mais on peut d’ores et déjà imaginer que ce sera trèèèèèèès cher.

    Yen a qui préfèrent. Les vieux, surtout, mais pas que. Après eux, le déluge?

    On peut aussi avoir les deux, pourquoi se gêner?

  6. je n’argumente pas avec les talibans qui font rimer
    hiroshima et fukushima, c’est une perte de temps . la culture scientifique de ces promoteurs de facto du charbon est de toute manière trop aléatoire ; ah
    le juteux commerce de l’ignorance. Nos enfants cracheront des glaviots charbonneux sur leurs tombes.

  7. oh, excusez moi, vous ne le prenez pas bien, j’avais
    envie de me soulager sur un religieux.
    si vous avez le temps de sortir de votre blog, aidez nous et signez
    Protect Palawan’s Pristine Environmenthttp://act.350.org/letter/save_palawan_stop_coal?source=fb-AK

    over and out

  8. Philippe Girardeau, Bill Gates et vous-memes pouvez sans doute vous permettre de vous passer du solaire, mais ce n’est probablement pas le cas pour les millions d’enfants des Sundarbans, en Inde et au Bangladesh, dont les familles vivant avec 1 ou 2 dollars par jour et n’ont pas les moyens d’acheter le diesel pour les lampes a huile, et pour qui c’est une solution pratique pour etudier le soir apres le travail et se sortir de la pauvrete. Et la vulgarite n’est pas une excuse pour l’ignorance…

  9. Ni le charbon ni le nucleaire ne peuvent ameliorer la vie quotidienne comme le solaire peut le faire:

    http://www.sv.uio.no/iss/english/research/projects/solar-transitions/gallery/sunderbans-gallery/solar_lantern_800.jpg

    http://sulekhaink.co.in/awarness.htm

    http://sundarbandiaries.blogspot.in/2012/03/dreams-and-other-narratives.html

    J’ai achete un systeme solaire fixe avec 2 lampes il y a 10 ans, avec 50% de subventions, et a l’epoque il a permis d’economiser sa valeur en diesel pour la lampe a huile en 3 ans seulement. Aujourd’hui c’est moitie moins cher, meme sans subvention. Les lampes qui durent toute la nuit et se rechargent en 5 heures coutent 10 euros et se vendent comme des petits pains.

  10. Je precise qu’aujourd’hui les subventions au solaire sont arretees presque partout, mais qu’en Inde le diesel (« kerosene oil ») pour la cuisine et l’eclairage est toujours subventionne… a plus de 50%!

    Et malgre cela, sur un an, le solaire est maintenant moins cher qu’une lampe a huile au diesel. De plus, l’immense majorite des gens des Sundarbans, comme probablement l’immense majorite des gens sur la planete, n’auront jamais l’electricite au charbon, au gaz ou au nucleaire, mais seulement la montee des eaux et les radiations qui en resultent. Chacun sa part.

    C’est vrai que qu’il y a de l’emploi a Fukushima depuis Mars 2011… Bill Gates et Philippe Girardeau y travaillent surement pour y gagner leur pain! Les Japonais admirent d’ailleurs les Russes, qui ont eu le courage d’evacuer Pripyat en 3 jours, et regrettent que la ville de Fukushima, par contre, ne sera probablement jamais evacuee.

  11. je pense avec jancovici, qu’il y a là une opportunité à saisir; les jordaniens corrompus ayant
    préférés les russes aux francais,l’accident devient possible. et donc la création d’une belle réserve naturelle au milieu du désert . pour vous distraire je cite mon gourou :
    Du point de vue des écosystèmes, et ce n’est pas du tout de l’ironie, un accident de centrale est une excellente nouvelle, car cela crée instantanément une réserve naturelle parfaite ! La vie sauvage ne s’est jamais aussi bien portée dans les environs de Tchernobyl que depuis que les hommes ont été évacués (la colonisation soviétique, à l’inverse, a été une vraie catastrophe pour la flore et la faune). Le niveau de radioactivité est désormais sans effet sur les écosystèmes environnants, et le fait d’avoir évacué le prédateur en chef sur cette terre (nous) a permis le retour des castors, loups, faucons, etc. On a même profité de cette création inattendue de réserve naturelle pour réintroduire des bisons et des chevaux de Przewalski , qui vont très bien merci. La hantise de la radioactivité vient de la crainte que nous avons tous quand nous ne comprenons pas ce qui se passe. Mais ce que nous ne comprenons pas n’est pas nécessairement dangereux pour autant…».

  12. Girardeau votre dernier commentaire est tres interessant. Vous ne savez peut-etre pas a quel point il faut le prendre au premier degre, « sans ironie » justement. La destruction des possibilites de vie d’un nombre croissant d’humains est effectivement l’une des methodes d’un capitalisme devenu extreme, dont le nucleaire fait partie. Mais je vous laisse la parole, vous le dites mieux que moi.

  13. « J’ai toujours pense que je detestait les Opel parce c’est les voitures de la police, en Suisse. Mais j’ai compris recemment la vraie raison. J’ai lu un livre sur la guerre de 39-45, qui raconte comment les sous-officiers Allemands avaient des Opel, pour se rendre d’un camp de concentration a un autre. Alors que les officiers superieurs, eux, avaient des Mercedes. Et la raison pour laquelle je n’aime pas beaucoup les gens qui ont une Opel, c’est que ce sont des gens qui VOUDRAIENT avoir une Mercedes. »

    (Sarclo, apres avoir chante « La fille qui nous sert a bouffer » dans un concert public)

    Voila, en deux courtes phrases, une realite importante de notre destin technique! Qui eclaire notre rapport au nucleaire d’une lumiere plus crue que des divagations misanthropes a la sauce pseudo « ecologiste ».

    Jancovici n’est peut-etre pas un naturaliste, mais ce n’est pas une excuse car s’il s’etait un peu renseigne il saurait que la faune et la flore souffrent autant de la radiation que les humains.

  14. Areva a-t-elle offert un avion au président du Niger ? L’Observatoire du nucléaire publie de forts indices

    Camille Martin (Reporterre)

    Vendredi 20 décembre, Stéphane Lhomme, animateur de l’Observatoire du nucléaire sera confronté au Tribunal de grande instance de Paris à la compagnie Areva, qui l’a assigné en justice. Areva estime que l’accusation de corruption de l’Etat nigérien – versement de 35 millions d’euros – que porte contre elle M. Lhomme est infondée et le poursuit pour diffamation.

    L’Observatoire du nucléaire publie sur son site un document à l’appui de ses dires.
    la suite :
    http://www.reporterre.net/spip.php?article5187

  15. Et dire qu’en Jordanie on peut dès maintenant produire de l’électricité solaire pour 5 à 6 c€/kwh, alors que la place ne manque pas pour de grandes centrales solaires.

    http://energeia.voila.net/electri2/mediterranee.htm

    Avec la baisse de coûts du photovoltaïque et l’entrée du stockage dans une baisse des coûts comparable à celle du solaire depuis dix ans, l’ensemble solaire + stockage quotidien sera lui aussi moins cher que le nucléaire en 2025.

    D’autant plus que les besoins ne sont pas très différents selon les saison et que la production solaire est à peu près stable tout au long de l’année pour ce pays.

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