Au pays des déchets et des ordures

Cet article a été publié le 20 mars 2014 par Charlie hebdo

Un clan mafieux à la française contrôle l’enfouissement de déchets dangereux, façon Camorra de Naples. Derrière les gros titres de la télé, une autre réalité : les services d’État laissent faire les magouilleurs, car c’est la seule solution qu’ils ont trouvée.

Les journaux aiment enfiler des perles, ça passe le temps. Exemple entre cent : l’affaire de la décharge mafieuse. En deux mots, une famille de la grande truanderie – le clan Hornec -, installée à Montreuil, tout près de Paris, magouillait de manière à enfouir illégalement des déchets toxiques. Où ? À la frontière entre Seine-Saint-Denis et Seine-et-Marne, à Villeparisis. La combine est fort simple : on propose d’embarquer des déchets spéciaux, qui devraient être retraités dans des installations adaptées, et on les enterre dans des champs, si possible près de décharges autorisées, pour contrarier de très éventuels contrôles. Si l’industriel respecte la loi, il paie bonbon. S’il refile ses merdes sans savoir où elles atterriront, il fait une belle affaire.

S’agit-il, comme le répètent en boucle les gazettes, d’une importation des mœurs de la Camorra italienne, qui a pourri toute la région autour de Naples, la Campanie ? Rien n’est moins sûr. L’affaire de Villeparisis révèle en fait une impasse radicale, celle de la gestion des déchets de notre monde. En 2007, la farce du Grenelle de l’Environnement avait juré de réduire le volume de déchets ménagers de 7 % par habitant en cinq ans. Il est passé de 29,3 millions de tonnes en 2008 à 31,9 en 2012, soit une augmentation de 9 % qui ne veut de toute façon rien dire, car personne ne contrôle véritablement de tels flux.

Pour ce qui concerne les déchets industriels, les classements statistiques distinguent à la louche folklorique les déchets dangereux et non-dangereux. Vous m’en mettrez 315 millions de tonnes en 2008, dont 15 seraient craignos. Dans tous les cas, il faut banquer, et comme on ne parvient plus à ouvrir une décharge sans provoquer une levée de fourches, le système est auto-bloqué. La vérité approximative de l’affaire de Villeparisis, c’est que tout le monde est au courant, et que tout le monde regarde ailleurs.

La preuve par ce fait divers rapporté dans un coin du Parisien le 3 mai 2013. Près d’un an avant le supposé scandale en cours, la Direction départementale des territoires (ancienne DDE) fait les gros yeux à la société RTR, celle impliquée dans l’affaire Hornec. Des camions remplissent 18 hectares de terres proches de Villeparisis – là même où les flics viennent de débarquer – et exigent l’arrêt du déversement de déchets. RTR continue comme si de rien n’était. Un type de la DDT, dans Le Parisien : « Ces pratiques diffuses se multiplient. C’est difficile à contrôler ».

Ne rêvons pas : si les flics sont cette fois intervenus, ce n’est pas pour empêcher des enfouissements illégaux, mais pour coincer leurs ennemis jurés, les Hornec. Sur place, à Villeparisis, une association locale comme on les aime se bat depuis des années le dos au mur, dans l’indifférence la plus totale.  L’Adenca (http://adenca.over-blog.com) s’inquiète notamment pour les Grues, une petite rivière qui coule dans la Beuvronne, un affluent de la Marne. Le captage d’Annet, qui abreuve en eau potable 500 000 habitants, est juste en aval. Combien de points de contrôle de la qualité des eaux des Grues ? Aucun.

Aucun, et c’est plutôt vertigineux, car les Grues reçoivent les eaux de ruissellement de RTR – dépôt illégal -, de déchets dangereux de la société Paté de Villeparisis – dépôt illégal -, de l’ancienne décharge « Les Remblais Paysagers de Claye-Souilly » – dépôt illégal -, de la décharge BMR – dépôt illégal. Un mot de plus sur BMR, spécialisée dans « les déchets de chantier ». La boîte a pourri pendant 13 ans le site des Murs à pêche de Montreuil – chez les Hornec ! – déversant le chargement dégueu de centaines de camions, sans aucune autorisation. Ont-ils reçu la visite des flics ? Jamais. Après une énième mise en demeure, BMR a jugé plus prudent de quitter Montreuil pour dégueuler sur Villeparisis. Et se trouve depuis octobre 2013 en règlement judiciaire. Le nettoyage, s’il a lieu, sera payé sur fonds publics.

La morale de l’histoire est limpide : incapables de faire face à une situation délirante – la surproduction de déchets, y compris toxiques -, les services d’État laissent faire les margoulins. On pourrait presque ouvrir une chronique hebdomadaire.

9 réflexions sur « Au pays des déchets et des ordures »

  1. Gageons que Ségolène Royal va mettre bon ordre à tout cela. Sur le sujet, on peut voir (ou revoir) le film documentaire de Martin Esposito « Super Trash ». Edifiant !

  2. Je connais juste à côté un site, Les Monts Gardés, bien gardés par une femme comme ça, Agnès. Allez-y, voyez ce qu’elle a déjà réalisé, et soutenez là autant que vous pourrez, merci d’avance. http://www.les-monts-gardes.com/

    En parlant de surproduction de déchets, ne laissez pas le vélo de papy qui rouille au fond de la cave en devenir un, pensez à la Cyclofficine. (voir site)
    Amicalement

  3. Alimentation de la chronique hebdomadaire :
    Dans mon petit village de l’Yonne non loin d’Auxerre, il n’y a pas si longtemps que cela encore rural ,mais aujourd’hui bouffé par l’urbanisation ,les communautés de communes ,d’agglomérations, les zones d’activités inactives,bref de tout ce qui va avec une bonne vieille reprise de cette croissance de merde, les VNF (voies navigables de France )sont au pays des magouilleurs
    A grands renforts de dotation ,poignon du contribuable,les dites VNF ont décidé de draguer la petite dizaine de km de canal de dérivation qui traverse la commune. Travaux de dévasage qui n’ont servi a rien puisque les rives ne sont plus entretenues depuis perpette et se cassent la gueule de partout .Sauf que les boues retirées se sont révélées chargées à fond de métaux lourds et d’HPA . pas moins de 30000 m3 de merde chimique qui au lieu d’être retraités ,ont été fourgués à un ou deux agriculteurs du coin par l’entreprise de dragage sous traitante véreuse ; contents les cultos, on leur donne de l’argent pour répandre des boues fertilisantes sur leur terres .
    Un dossier accablant a été envoyé à la mairie , à la préfecture de l’Yonne ,au ministère ,à FNE , à la section locale d’EELV ,une seule réponse :la préfecture qui justifie son inaction en envoyant de nouveaux résultats d’analyses miraculeusement redevenus normaux !!

  4. ça commence à faire beaucoup pour le pauvre « neuf-trois » dont tu nous comptes les amputations régulièrement…
    Fabrice, peux-tu préciser l’emplacement (coordonnées pour le voir dans GoogleMaps), ou est-ce que cela déclencherait des foudres diplomatiques ?

  5. Le premier déchet que produit ce capitalisme en déclin est la marchandise-force de travail ; l’homme , producteur de tout ce qui est encore transformable et consommable en ce bas monde toxique , est devenu depuis la fin des soi-disant  » 30 glorieuses  » , une marchandise que certains disent obsolètes , d’autres superflus , bref un déchet que le capital et l’Etat , encore trop scrupuleux pour se résoudre au méthodes radicales des chambres à gaz , perfusent à coup d’ allocations ( on ne sait jamais , ça peut aider à relancer la machine à sur-consommmer !) , boutent hors des frontières , laissent se débrouiller dans des secteurs informels ou , dans le bas de la benne à ordures ,laissent pourrir sur pied ; et encore , ne nous plaignons pas , ces pratiques ont lieu au coeur des vieux pays industriels ; dans les autres pays de la planète , émergents ou immergés encore dans les basses-fosses de l’ économie néo-colonisée , les humains survivent comme ils peuvent et pas longtemps , quand ils ne se massacrent pas entre eux pour les dernières ressources vitales encore disponibles . La majorité de cette population mondiale reste fascinée par les frasques étincelants de ce capitalisme qui n’ est pourtant plus en crise depuis presque un demi-siècle , ayant définitivement franchi le stade des relances perpétuelles . Tel un serpent se mordant la queue , ce capitalisme mondialisé s’ auto-détruit et son autophagie atteint désormais la tête . La vision spectaculaire de ce catastrophisme sidère la majorité d’ entre nous , en attendant que les derniers oripeaux du capital tombent dans les poubelles de l’histoire chères au vieux Karl .

  6. Chez nous, les maires de la CdC n’ont aucun chiffre sur la revente du tri par le syndicat des ordures, et n’osent surtout pas en demander…ils se feraient remarquer par les autres CdC, c’est ce qu’ils nous on dit !!Ils attendent que les citoyens ordinaires fassent le boulot à leur place, saisissent la cour des comptes,etc..de vrais trouillards que je soupçonne en plus d’être des feignants.

  7. au secours René! Supertrash est une escroquerie, le niveau zéro (et peu plus bas encore si c’est possible) du documentaire – complaisant et narcissique il ne raconte absolument rien de rien.

  8. Spino,

    Je conviens volontiers que le terme de documentaire n’est sans doute pas approprié pour le film Super-Trash où Martin Esposito s’affiche de façon outrancière.Cela dit,le spectateur n’oubliera pas de sitôt les images de ces norias de camions déversant quotidiennement leur cargaison de déchets et de rebuts dans cette déchetterie de Villeneuve-Loubet. On peut d’abord constater que rien n’est trié, que des denrées de toute sorte, périmées ou non, ( aliments sous cellophane, plaquettes de médicaments …) se retrouvent avec des cercueils,des objets publicitaires, des hydrocarbures et de nombreux produits chimiques.On remarquera au passage que sont jetés aussi dans cette décharge et mêlés au reste, sans que l’on se soucie du gaspillage, les tapis rouges du festival de Cannes que l’on change chaque jour, Aucun recyclage n’est prévu,le spectateur peut donc s’interroger sur la dangerosité et la toxicité des produits déversés.

    Ce film est une dénonciation de notre société de consommation: il en montre avec insistance l’envers du décor. A ce titre, et parce qu’il conduit à une prise de conscience, il mérite d’être vu.

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