Marie-Lys Bibeyran contre les châteaux du Médoc

Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 4 juin 2014

Les pesticides tuent, mais au pays des Bouygues, Rothschild, Pinault, rien ne va plus. Une prolo de la vigne mène un combat au couteau contre la chimie de synthèse, en souvenir de son frère, mort d’un cancer rare en 2009.

Fallait pas emmerder cette fille, c’est clair. Aurait pas fallu que son frangin Denis meure d’un cancer en 2009. Aurait pas fallu qu’elle lise autre chose que Le Journal de Mickey. Aurait pas fallu que Marie-Lys Bibeyran soit une combattante. Dommage pour les grands crus du Médoc, dommage pour les châteaux du Médoc, dommage pour le margaux, le saint-estèphe, le moulis.

Mais reprenons dans l’ordre. La fille a 36 ans et elle a grandi dans les vignes de Listrac-Médoc comme d’autres à la mine de Loos-en-Gohelle. Son père est maître de chai – il élève et chouchoute le vin –, elle a commencé à travailler dans les vignes dès l’âge de 13 ans, entre deux cours. Quand son frère Denis meurt à 47 ans, elle ne supporte pas. Son cancer des voies biliaires est rare – un cholangiocarcinome -, et il bossait comme elles dans les vignes, depuis plus de trente ans, pissant le sang à répétition pendant les épandages de pesticides.

Marie-Lys, qui ne croit pas à la coïncidence, réclame dès 2011 une reconnaissance en maladie professionnelle, qui lui est refusée. En 2012, elle tombe sur un article du magazine Lyon Capitale qui raconte l’aventure du petit labo Kudzu Science. En gros, il devient possible, grâce à un test, de tracer la présence d’une quarantaine de pesticides en analysant une simple mèche de cheveux.

La grande bagarre peut commencer. Aidée par l’association Générations Futures (http://www.generations-futures.fr), Marie-Lys organise entre octobre et novembre 2012 une collecte de cheveux. Elle a réussi à convaincre des prolos agricoles de son coin, et le résultat, connu en février 2013, est sans appel. Il y a 11 fois plus de pesticides dans les tifs de ces derniers que chez les riverains qui habitent loin des vignes.

On retrouve jusqu’à dix pesticides différents chez une seule mèche, et les malheureux qui vivent près vignes sans y travailler ont encore cinq fois plus de résidus de pesticides dans le cheveu que les veinards qui vivent à des kilomètres de là. Plus de 45 % des « molécules retrouvées sont classées cancérigènes possibles en Europe et aux USA », et « plus de 36 % sont suspectées d’être des perturbateurs endocriniens ».

La suite est sans fin. Marie-Lys, qui a une gosse de 9 ans, continue à travailler dans les vignes, et à traiter. Mais elles gueule comme jamais, semant un souk invraisemblable dans le village de Listrac-Médoc (Gironde), où elle habite, entourée de 600 hectares de vignes. Or le Médoc est devenu le pays des Bouygues, Pinault et Rothschild, qui se battent contre des boîtes comme Axa ou Allianz pour acheter vignes, caves et châteaux.

Autant dire que l’action de Marie-Lys Bibeyran n’est pas populaire, surtout chez les puissants. Elle vient d’obtenir à la mairie une copie du registre des décès entre 2002 et 2011, qui pourrait lui permettre de comparer le taux de cancer à Listrac et dans le reste de la France. Et presque tous les jours, sur sa page Facebook, elle monte à l’assaut comme en 14. Extrait du 25 mai : « Ça traite sur Listrac malgré le vent, côté Donissan, Moulin de Laborde, le Tris… ».

Extrait du lendemain : « Courrier à l’attention de Mr le Maire de Listrac remis en mairie hier matin, courrier comportant ma requête sur l’affichage de la mention “Traitements insecticides contre la flavescence dorée du 02 au 22 juin” ». Avant de pointer des infractions liées à la vitesse du vent au moment des épandages, et de rappeler des textes dont tout le monde s’est toujours contrefoutu.

Mais quelque chose est en train de basculer, et elle n’y est pas pour rien. Fin avril, un proprio de vignes – en Dordogne – a été reconnu définitivement coupable de « faute inexcusable « pour n’avoir pas suffisamment protégé ses salariés. L’une d’entre eux avait été gravement intoxiquée en 2007 par des pesticides au cours d’un énième épandage. Le 8 novembre prochain, l’avocat François Lafforgue, grand spécialiste du désastre de l’amiante, tentera d’arracher une reconnaissance de maladie professionnelle pour Denis, le frère zigouillé de Marie-Lys Bibeyran. On vous tient au courant.

11 réflexions sur « Marie-Lys Bibeyran contre les châteaux du Médoc »

  1. Manee, sur la vigne et les vergers de pruniers il y a 15 traitements au minimum, c’est le programme que concoctent les techniciens pour les agriculteurs.Je pense qu’il y en a moins sur les céréales.

  2. Petite question un peu bète peut etre mais bon question tout de meme, si mes souvenirs sont bons, le raisin une fois récolté et mis en presse n est pas spécialement lavé, ce qui veut dire que toutes ces doses de pesticides se retrouvent au moins en partie dans le jus qui fait le vin ? Pas top, les escargots et les araignées passe encore mais toute cette chimie, ça donne meme plus envie de boire un coup de rouge….

  3. Rien à voir ou presque pusque c est dans ce monde que l on vie, 20 pauvres filles ont encore été enlevées, quasi au meme endroit, au Nigeria alors que le monde se fout totalement de l horrible sort qui les attends puisque le foot c’est plus important, ben oui. Si au lieux de dépenser tout se fric pour rien et qu au lieu de hurler pour rien assis sur un canapé tout les footeux et sympatisants prenaient l avion pour Abouja, à 1 milliard on arriverait surrement à les retrouver et à péter la gueule aux ravisseurs, non?

  4. Arno, faut essayer de remonter un peu aux sources… Ayant lu l’article de Fabrice il est clair qu’il serait vain de « peter la gueule » aux prolos de l’epandage, qui de toutes facons sont passes a pertes et profits par les decideurs, et surtout que comme ils sont aux premieres loges certains comme Marie-Lys Bibeyran agissent infiniment plus qu’un consommateur de vin qui se contente d’avoir « une opinion »… Et de maniere similaire, il faudrait avant tout etablir avec plus de clarte qui sont les commanditaires de ces crimes atroces au Nigeria, c’est a dire qui les finance, les dirige et les protege, et c’est clair pour beaucoup de gens que cette strategie n’a pas ete elaboree et n’est pas controlee depuis le Nigeria, qui a probablement bien d’autres chats a fouetter, mais plutot au sein des « services » d’un groupe de pays Occidentaux… Dont NOUS sommes indirectement responsables puisque nous pretendons elire nos decideurs!

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