Gloire éternelle à Jiang Rong

Un livre. Je ne l’ai pas fini, mais je n’y tiens plus, il faut que je vous en parle. Je suis loin de l’avoir terminé, par bonheur : me voilà rendu à la page 208. Sur 565. Mais je sais depuis le début qu’il s’agit d’un grand bouquin qui restera présent en moi, quoi qu’il arrive désormais.

Le totem du loup (Bourin éditeur) a été écrit par Jiang Rong, un Chinois né dans une famille de militaires en 1946. En 1967, la Révolution culturelle met tout le pays sens dessus dessous. Des millions de jeunes urbains, souvent intellectuels, partent de gré ou de force dans les campagnes les plus lointaines, pour y être « rééduqués ». Jiang Rong est apparemment volontaire pour aller vivre en Mongolie dite intérieure, séparée de l’autre Mongolie – une République indépendante proche de l’URSS – par une invisible frontière qui coupe la steppe en deux.

Jiang Rong y restera finalement onze ans avant de revenir en ville, où il est aujourd’hui enseignant. Ce grand voyage dans l’intérieur de son pays et de lui-même n’aura pas été inutile, car il vient donc de publier un livre merveilleux, dans lequel le héros humain – Chen Zhen -, lui ressemble comme un frère.

Chen apprend la vie de berger au milieu d’un campement mongol, sous la yourte. Lui, le Han, lui le fils des grands peureux abrités durant des siècles derrière la Grande Muraille, se prend d’une passion totale pour l’univers des Mongols. Ce peuple du cheval, ce peuple nomade, minuscule au regard de la puissance chinoise, a toujours inquiété ses voisins, cent fois plus nombreux, mais mille fois moins aventureux.

D’où vient la force étonnante des cavaliers ? Je ne peux trahir le livre, ce serait un crime. Disons que le loup devient peu à peu le personnage central. Pour ce qui me concerne, je n’avais jamais lu encore de telles descriptions de chasses. Menées par le loup. Ou dirigées contre lui, le plus souvent. Ce n’est pas beau, c’est somptueux.

Chez Rong, les loups sont des stratèges, souvent beaucoup plus intelligents que les hommes. Ils sont l’esprit vivant de la steppe, qu’il convient de respecter avant toute chose. C’est du moins le sentiment du vieux Bilig, désespéré par le comportement insensé des autorités maoïstes, qui ne pensent qu’à exterminer les animaux sauvages. Chen Zhen/Jiang Rong va-t-il écouter le sage mongol, ou au contraire jouer le rôle que les Chinois attendent de lui ?

Au stade où j’en suis, je n’en sais rien. Mais certaines scènes sont gravées. Un tout petit extrait, pour vous donner une idée: « La rage des loups était effrayante. Bat en était frappé de stupeur. Il avait les mains et les pieds glacés d’effroi, et ses vêtements trempés de sueur ne tardèrent pas à raidir sous le vent glacial. Conscient que tout était irrévocablement perdu, il voulait pourtant sauver quelques chevaux de tête. Il tira sur la bride et, d’un saut, sa monture enjamba les loups qui l’encerclaient. Il fonça sur les quelques chevaux de tête mais, sous l’effet du sauve-qui-peut général, le troupeau s’était dispersé. Les rescapés fuyaient dans le sens du vent, indifférents au marécage qui se rapprochait.

La pente plus raide accéléra la galopade des chevaux, qui déboulèrent avec la force d’une avalanche droit sur l’immense bourbier. Ils foulèrent bientôt de leurs sabots la glace, qui se brisa en mille morceaux. Le marécage ouvrait grande sa gueule pour accueillir ces misérables créatures qui préféraient mourir asphyxiées plutôt que de devenir la proie des loups. Ce suicide collectif, c’était leur dernier acte de résistance, à la fois héroïque et poignant, parce qu’ils étaient des chevaux de la steppe mongole, une race dont l’endurance et la ténacité ne céderaient jamais rien aux loups ».

Bon, il reste une hypothèse, et c’est que vous soyez insensible à ce souffle de glace et de sang. Mais en ce cas, mille excuses : pour ma part, j’y retourne.

PS J’ai oublié un détail qui n’en est pas un pour tout le monde : ce livre vaut cher. 25 euros. D’un côté,  il les vaut largement. Mais de l’autre, ce peut être décourageant. Et j’en serais dans ce cas désolé.

6 réflexions sur « Gloire éternelle à Jiang Rong »

  1. Merci! quel plaisir à venir, ce livre m’a échappé, mais c’est de ceux me sont vitaux. Je viens d’aller au seul endroit « urbain » où je réussis encore à aller, à Etonnants Voyageurs, y ai vu des livres extraordinaires, entendu des auteurs fabuleux, qui nous font découvrir des mondes âpres, somptueux, des vrais récits fous, romans ou témoignages. Je viens de terminer « les bisons du coeur brisé, de Dan O’brian (qui date du festival dernier) et qui raconte comment un homme, a contribué à réimplanter des bisons dans les Grandes Plaines des USA pour sauver ces lieux extraordinaires, tués par l’élevage intensif de vaches. Belle expérience, même si c’est tout de même encore un élevage, mais tellement plus respectueux de l’animal, y compris sa mort. Moi, je m’arrête avant la mort, je ne peux pas, mais il y a l’amour de l’animal, ces êtres incroyables.

  2. Surtout, n’hésitez pas, mais alors vraiment pas, à nous faire part de vos lectures, de vos découvertes. Même si elles datent un peu. On passe souvent à côté d’un trop grand nombre de bons ouvrages… Quoi qu’il en soit, celui-ci sera lu prochainement !
    Merci

  3. Bonjour
    je suis en train de lire « Black Elk speaks ». C’est un grand classique, surement connu par beaucoup, mais quelle claque !

  4. Merci à JG, suis pareille, avide de récits de ces temps pour nous à jamais éloignés, sauf en prenant le chemin des livres.

  5. Commencé hier soir, le livre m’attirait depuis pas mal de temps et ce billet n’avait rien arrangé !
    J’ai attendu l’édition poche (moins cher et surtout moins de place).
    Je me suis rappelé du passage cité plus haut en le relisant du coup je voulais juste passer un merci pour l’évocation.

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