Justice pour Kesar Bhai (Bhopal, suite sans fin)

Jean-Paul Brodier m’envoie copie d’un article paru dans le quotidien sud-africain Mail and Guardian. Et je l’en remercie, car c’est un excellent texte. Mais comme il se trouve aussi dans le grand journal britannique The Guardian, c’est ce lien que je vous propose (ici, en anglais), car il est assorti d’une photo. Et le sujet traité mérite qu’on le regarde en face, les poings serrés.

L’histoire que raconte Randeep Rames, depuis Delhi, nous croyons la connaître, au moins dans les grandes lignes. En décembre 1984, une usine qui fabrique notamment des pesticides explose à Bhopal et répand alentour un gaz mortel. Un gaz de combat formé de 40 tonnes d’isocyanate de méthyle. 5 000 personnes meurent dans la nuit – le même chiffre que celui des morts de la première attaque au gaz sur terre, en 1915, à Ypres – et 15 000 dans les semaines qui suivent. Union Carbide, la multinationale qui gère le site, n’entend pas payer les conséquences du crime.

Certes, bien obligée, elle paie une amende de plus de 400 millions de dollars, qui ne sera pas perdue pour tout le monde en Inde. mais Warren Anderson, son patron, refuse de se rendre dans ce pays, où il est poursuivi pour homicide. Et il meurt dans son lit en 2007, lui qui avait pourtant négligé 30 problèmes de sécurité majeurs signalés dans l’usine de Bhopal.

Venons-en au présent, à ce présent que raconte Randeep Rames dans son article. Le croirez-vous ? À Bhopal, cela ne s’arrange pas, près de 25 ans après le drame. En 1998, sans expliquer pourquoi, le gouvernement indien a cessé toutes recherches sur les conséquences médicales de l’explosion. Il est vrai que les victimes sont pauvres et souvent membres de castes inférieures ou de minorités ethniques. Il est désormais certain, écrit Rames, que les effets sur les enfants nés de parents contaminés sont aussi nombreux qu’effrayants. Mais de quelles affections parle-t-on ? Et touchant combien d’humains ? Tout le monde s’en moque.

L’usine est en ruines, mais contient encore environ 5 000 tonnes de pesticides qui contaminent peu à peu les sols, les eaux et l’air des environs. Nul n’a songé à nettoyer, seul le temps géologique s’en chargera. Au milieu de ces catacombes modernes et industrielles, une femme pleure. Citée par le journaliste, Kesar Bhai tient dans ses bras son fil de 12 ans, Suraj. Victime de Bhopal, la mère ne peut que constater que son fils est né avec le cerveau gravement endommagé. Il ne peut s’asseoir, il ne peut parler, il ne peut manger seul.

Cette histoire m’inspire des sentiments extrêmement violents, dont je ne sais quoi faire ici. Je voudrais au moins vous dire ceci, qui nous concerne tous. Appartenons-nous bien à la même espèce ? Rien n’est moins sûr. Un tel événement serait impensable en Europe, du moins dans ses développements, mais ce n’est pas le plus important. Le plus grave, évidemment, c’est que notre regard à tous – certes, je le sais, à des degrés très divers – sélectionne dans l’horreur ce qui est horrible et ce qui ne le sera jamais.

Fourniret, tueur de jeunes filles et salaud intégral, c’est si moche qu’on peut en parler ad nauseam, 25 fois par jour pendant six mois. Un mois de mai médiocre assure, de même ou presque, des lamentations interminables et collectives. À la rigueur, une épidémie de légionellose dans un hospice lorrain fera l’affaire pour ressouder l’esprit commun. Mais que des milliers de destins soient écrasés pour la seule raison qu’une société du Nord – notre Nord – doit préserver sa « profitabilité », cela n’est rien.

Je sais que j’enfonce une porte ouverte, mais cette porte existe, car je la vois, car j’y tiens. Elle est la frontière entre l’humanité et cette autre chose qui domine le monde. Et qui nous engloutira tous si nous ne sommes pas capables d’inventer ce neuf dont l’époque a la nécessité. Nous avons désespérément besoin de devenir des hommes. Et même si ce message est destiné à dériver sur les flots, emporté par une bouteille qui ne sera jamais ouverte par personne, je l’écris quand même : justice ! Justice pour Kesar Bhai et Suraj !

19 réflexions sur « Justice pour Kesar Bhai (Bhopal, suite sans fin) »

  1. A l’heure où l’on condamne de prison les expatriés du sud, il est important de continuer à raconter l’histoire de kesar bhai, et d’autres . Jusqu’à ce que la pluspart, lassés peut-être, s’assoient enfin pour écouter .Je ne sais pas au fond, ce que c’est qu’être « homme » . J’ai des idées sur la question, certains penseront des idéaux , parmis lesquels « partage », « écoute », « dignité », « tendresse » sont présents .

  2. pour être plus claire, ces sujets me mettent profondément en colère . Nous avons appauvri, désertifié, noyé, l’hémisphère sud . a présent, les émigrés clandestins du bangledesh ont le choix entre la noyade chez eux ou la prison chez nous . Honte à l’Italie , honte à la france, honte à l’allemagne, honte à l’angleterre, honte à l’espagne et les autres ! Jamais je n’accepterai ces lois indignes , nous devons lutter contre ces durcissements et apprendre enfin à partager , d’autant que nous avons tout volé .

  3. encore me ! Au sujet de Fourniret , en passe de devenir un symbole pour sa plus grande joie , combien d’autres ? Qui se soucie en effet des viols de femmes roumaines, albanaises , ect qui arpentent nos chaussées la nuit moyennant quelques euros ? et des enfants qui dorment sur les trotoirs de Manille et sont inquiétés chaque nuit ? A quand le réveil générale ??????

  4. Oui, c’est pourquoi la « pédagogie des catastrophes » ne pourra avoir un jour des effets positifs, hélas, que lorsque l’Homme occidental moyen gavé de tout (hier encore, une famille aux revenus modestes : 4 personnes = 4 télés !) sera touché à son tour – mais, ce jour-là, ce sera peut-être trop tard…
    Sinon, il faut se rendre à l’évidence : pour beaucoup, les victimes lointaines ne comptent que le temps où elles font les gros titres, après… Il y a un poème d’Eluard à ce propos : « Un compte à régler ».

  5. Un compte à régler

    Dix amis sont morts à la guerre
    Dix femmes sont mortes à la guerre
    Dix enfants sont morts à la guerre
    Cent amis sont morts à la guerre
    Cent femmes sont mortes à la guerre
    Cent enfants sont morts à la guerre
    Et mille amis et mille femmes et mille enfants

    Nous savons bien compter les morts
    Par milliers et par millions
    On sait compter mais tout va vite
    De guerre en guerre tout s’efface

    Mais qu’un seul mort soudain se dresse
    Au milieu de notre mémoire
    Et nous vivons contre la mort
    Nous nous battons contre la guerre

    Nous luttons pour la vie

    Paul Eluard

  6. La comparaison entre les méfaits de Fourniret et ceux de Warren Anderson et de ses (hélas) nombreux comparses m’évoque soudain le magnifique monologue de « Monsieur Verdoux » dans le film de Chaplin, qui dit en résumé: « Je suis un amateur, messieurs, un dérisoirement petit amateur, à côté de vous, mes maîtres. »

    N’oublions pas, non plus, que derrière ces anonymes multinationales malfaisantes, il y a des êtres humains. Pourquoi sont-ils si nombreux à accepter d’être les bras, les yeux, les jambes, les mains d’une entité abstraite qui serait aveugle et impotente sans leur concours?

  7. J’ai fait un tour sur des sites de zones humides remarquables en Ille et Vilaine.

    Je confirme une aggravation de leur destruction.
    Le pire c’est qu’après avoir tout grillé au desherbant en toute illégalité (et cerise sur le gâteau avec la bénédiction de la DDA )ils n’ont pas pu (pour l’instant) y faire du maïs.
    Faune et flore rare détruite dans l’indifférence générale.
    La mort brutale chez les pauvre, une mort lente chez nous.

  8. @ stan, bah mon vieux…heureusement qu’on a pas parlé de Gif sur Yvette…enfin, tant que tu t’occupes des orchidées . Tiens, tu pourrai nous en dire quelque chose justement . c’est comme Jivaro dont je flatte le museau de loin, comment se porte ce brave canasson ?

  9. J’ai parlé d’orchidées mais cela concerne surtout le bassin versant d’une réserve d’eau potable qui alimente Rennes.
    Les gros cochonniers ont racheté tous les bas fonds.
    Elle est déja largement polluée.
    Sur ces terrains on ne pouvait y aller qu’en botte.
    On avait répertorié plus de 250 espèces végétales.
    Ils ont essayer d’y implanter du maïs.
    Avec la pluviométrie ils ont arosé deux fois.
    En pure perte puisqu’il est encore tombé 40mm cette nuit.
    Il y a des coulées de boue partout.
    Derière il y a des problèmes sanitaires alarmants avec un circonvirus le PCV2 ou MAP qui est la porte d’entrée pour la mutation du H5N1.
    Pour se protéger de cet agent pathogène ils en sont arrivés à faire naitre les petits cochons par césarienne.
    Les bâtiments et silos sont sous air filtré, les cochettes sont acheminées dans les élevages par camion à air filtré.
    On parle de filière assainie.
    Il y a de fortes chances que ces élevages de sélection déménagent vers des régions comme le massif central pour éviter les risques liés à la concentration.
    Vous n’avez pas cà à Gif sur Yvette heureusement pour vous.

  10. Stan à Bénédicte. ??? Jivaro n’est pas musicien…ce n’est pas une « canne à sons « …quoique parfois lorsqu’il part au triple galop …! Actuellement il est magnifique. Stop ! je ne dirai pas que c’est l’herbe ( je l’écris )Pour certaines orchidées , j’en saurai plus mercredi après le comptage de Sabots de Vénus dont la floraison est laborieuse.J’incite les lecteurs de ce blog à mettre leurs « grolles » ,leurs bottes (même trouées)et à participer a des actions pour essayer de sauvegarder ce qu’il reste de la nature.

  11. Canlou c’est le nom de mon hameau.
    Cela veut dire le chant de loup.
    Nous sommes peu à aller sur le terrain.
    A chaque fois je reviens la gueule de travers par autant de sauvagerie.
    Parmi ces zones saccagées se trouvent les 14 hect de terre d’une personne agée de 80 ans.

    Elle louait ses terres à un agriculteur qui vient de prendre sa retraite.
    Il les a mis dans le nom de sa femme pour deux ans.
    C’est un cochonnier qui fait la terre a sa place illégalement.
    Il a abattu tous les arbres et il est parti avec.

    La propriétaire est terrorisée.
    Je suis allé voir la gendarmerie, mais il y a peu de chance qu’elle porte plainte.

    Sa maison est du xv em siécle avec un vrai jardin de curé autour.
    Elle veut vendre sa maison.

    Merci de ton message bénédicte.

  12. Sur un cas comme celui ci,il faut rejoindre une association de protection de la nature qui pourra,éventuellement ,déposer une plainte.Il serait bon ,aussi,d’avoir l’avis de la DASS.Peut être celui du Conseil supérieur de la pêche.Surtout ne pas se battre seul !.Amicalement ,stan.

  13. @ canlou, dans ma région à 50 bornes de Paris, il y en a des cochoniers, de la promotion OGM aux promoteurs . C’est peut-être un des derniers « jolis » coins d’Ile de france, avec ses falaises, ses restes de boccages, ses zones humides, mais sous le coup d’une OIN (opréation d’intérêt nationale)en prime …j’ai un espoir dans les conseils municipaux qui se font un peu plus actifs, à suivre .salutations à la vieille dame, et , en effet, il existe bon nombre d’associations environnementales, sociales ou sanitaires qui pourraient la soutenir .
    @ Stan, je n’y suis pour rien tout de même si Jivaro n’est pas musicien et si tu n’es pas poète (aller mettre des sabots à vénus, tout de même…), et comme je ne suis pas fakir, je n’irai pas dans le marais en bottes trouées ! Mais tu as raison, observons avec délicatesse, et replantons…

  14. Stan àBénédicte. Je suis confus , car cela doit être typiquement Lorrain. Chanson :
    En passant par la Lorraine avec mes sabots…..

  15. C’est en n’enfonçant plus ces portes réputées ouvertes qu’on s’enfonce soi-même dans dans cet égoïsme qui nous menace tout un chacun. La vigilance du coeur rejoint précisément celle de la raison. N’ayons de cesse de nous élever humainement. Notre véritable bonheur est à ce prix, me semble-t-il.

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