Nesterenko, le savant qui savait (la vérité)

Hommage. L’homme qui est mort le 25 août 2008 était un savant courageux. On n’utilise plus beaucoup le mot savant, qui vient de sachant, qui désigne sans détour celui qui sait. Et c’est normal, car l’époque tourne le dos au véritable savoir. Oui, Vassili Borissovitch Nesterenko mérite cent fois qu’on s’incline devant sa dépouille.

Ce physicien nucléaire élevé dans l’Union soviétique stalinienne était né en 1934, dans un village ukrainien. Et au moment de l’infernale catastrophe de Tchernobyl, en 1986, il était aux premières loges. Les bureaucrates se bouchaient les oreilles, les bureaucrates n’osaient bouger un orteil, les bureaucrates refusaient d’envisager l’évacuation des centaines de milliers de personnes exposées aux radiations. Et lui, Nesterenko, qui avait compris l’essentiel dès la première minute, tentait l’impossible. Svetlana Alexievitch, cette femme qui a écrit La Supplication (Lattès), chef d’oeuvre sur Tchernobyl, décrit une scène d’anthologie qui se déroule trois jours après l’explosion. C’est Nesterenko qui parle : « Le 29 avril 1986, à 8 heures du matin, j’attendais déjà dans l’antichambre de Sliounkov [le premier secrétaire du Parti communiste de Biélorussie]. A 5 h 30 du soir, un célèbre poète biélorusse est sorti du bureau. Nous nous connaissions bien. Il me dit : “Avec le camarade Sliounkov, nous avons abordé les problèmes de la culture biélorusse”. J’ai explosé : “Mais bientôt il n’y aura plus personne pour développer cette culture. Il n’y aura plus de lecteurs pour vos livres, si nous n’évacuons pas d’urgence les habitants des environs de Tchernobyl. Si nous ne les sauvons pas !” ».

La suite est banale. Le KGB menace Nesterenko, qui perd son travail. En 1990, le physicien déchu crée avec le soutien d’un autre Juste, Andreï Sakharov, l’Institut Belrad, pour venir en aide aux enfants contaminés. 370 Centres locaux de contrôle radiologique seront lancés, qui formeront médecins, enseignants, infirmières à la radioprotection. La clé d’une vraie prévention consiste à traiter les aliments pour en diminuer la contamination et donc la dangerosité.

Je n’insiste pas davantage sur la carrière extraordinaire de Nesterenko et vous renvoie pour des précisions vers un communiqué (ici) et surtout un entretien passionnant (ici, en français par chance). La question posée est finalement simple : y a-t-il eu manipulation planétaire à propos des conséquences réelles de Tchernobyl ? Nesterenko le pensait, et quelques autres avec lui. Je crois de même. Les chiffres officiels s’appuient sur des données de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), dont le statut lui impose la promotion du nucléaire civil.

Et l’on sait que les suites sanitaires de Tchernobyl, comme le rappelait sans cesse Nesterenko, ont été évaluées à partir d’un précédent qui n’a rien à voir, celui des bombes de 1945 lancées sur Hiroshima et Nagasaki. Au Japon, les radiations ont été, pour l’essentiel, extérieures et homogènes. Le sol n’a pour ainsi dire pas été pollué. En Ukraine en revanche, l’explosion a libéré des quantités effarantes de matières nucléaires dont les éléments hétérogènes se désintègrent à des rythmes très variés. On pense que les sols du Belarus – la Biélorussie – ont pu absorber jusqu’à 70 % de la pollution nucléaire. Et les plantes alimentaires qui y poussent, par force, recyclent sans fin cette épouvante. Jusque dans le corps des êtres vivants, pour être plus clair.

Tel est l’incroyable drame, qui continue et continuera. Des êtres d’exception, comme Youri Ivanovitch Bandajevsky (ici) ou Nesterenko ont vu de leurs yeux les milliers de malades – demain, les millions ? – de Tchernobyl, dans le temps où se forgeait une vérité officielle sur la catastrophe. Si ces deux savants ont raison – et comment pourraient-ils avoir tort, compte-tenu de l’existence de milliers d’autopsies sans appel ? -, l’industrie nucléaire, puissance mondiale géante, ne pouvait pas reconnaître les faits. Les reconnaître, c’était condamner une technologie plus dangereuse qu’aucune autre. Il fallait. Il a donc fallu. Malgré Vassili Borissovitch Nesterenko.

6 réflexions sur « Nesterenko, le savant qui savait (la vérité) »

  1. On peut voir l’homme (si je ne me trompe pas), je ne sais à quel moment du film, dans le documentaire « Alerte à Babylone ». Il est sur Youtube, découpé en 10 parties. On y voit et entend Nesterenko, avec des enfants malades. Voici la première partie du documentaire, dont on gagne à voir la totalité : http://fr.youtube.com/watch?v=kNtimDRcs8g

  2. Bandajevsky, Nesterenko et Sakharov, seront toujours de grands scientifiques, certains de nos gouvernants feraient bien de tirer des leçons de ce drame et démanteler Fessenheim et Bugey centrales peu fiables situées dans des zones à risques sismiques.
    PS Qui peut répondre à ma question : comment se fait-il que Alain Madelin, François Guillaume, Michèle Barzach , pellegrin et les experts de l’onu prétendant que cette catastrophe n’a fait que 3000 morts, ne se sont pas portés volontaires comme liquidateurs.

  3. quand on voit ce qui s’est passé a tchernobyl,les « incidents mineurs et sans impact  » du site de tricastin font peur.
    et dire que l’état me taxe un maximum sur les clopes et m’accuse , moi pauvre fumeuse;) de tuer mon entourage a petit feu et de couter un max a la sécu! et qu’il laisse, avec beaucoup de complaisance, tous les autres lobbyes industriels nous empoisonner quotidiennement par l’eau remplie de pesticides et de PCB, la nourriture rendue « toxique » par le mode de production, par la pollution quotidienne des villes etc etc! bref a ce rhytme, j’ai bien peur que ca soit pas la cigarette qui me tue…..

  4. réflexion du soir qui n’a rien à voir, encore que : un quart d’heure consacré ce soir au journal de France 2 à Gustav (qui sévit aux Etats-Unis), 45 secondes généreusement réservées aux moussons catastrophiques en Inde, les pires depuis un demi siècle, qui ont déjà fait 80 morts, 500 000 déplacés, des centaine sde villages coupés du monde.
    Je sais, on a rien à attendre de bon de la télé, mais il ne faut pas oublier que pour la majorité des gens c’est la seule source d’informations

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