Les patrons s’engagent

C’est peut-être le livre le plus drôle de la rentrée. Sans doute, même, car lorsque des grands patrons parlent d’écologie, le fou rire est pratiquement garanti. Dans l’ouvrage qui vient de paraître au Cherche Midi (1), 21 patrons expliquent leur conception du développement durable, qui est comme on s’en doute singulière. Question à Thierry Desmarest, P-DG de TotalFinaElf :  » Dans votre entreprise, le concept de développement durable est-il avant tout synonyme de protection de l’environnement ? « .Réponse d’icelui :  » Ce serait restrictif « . C’est beau, mais ça devient magnifique avec Francis Mer, ci-devant patron d’Arcelor, et aujourd’hui ministre de l’Economie.

Rappelons, pour mieux goûter encore le propos, qu’Arcelor est un fabricant d’aciers destinés surtout à la bagnole, aux emballages, à l’électroménager. En Europe, trois boîtes de boisson en acier sur dix viennent des hauts-fourneaux d’Arcelor. Or donc, un temple du gaspillage et du non-sens écologique. A la question :  » Qu’est-ce que le développement durable ? « , après quelques phrases convenues, Mer lâche le morceau.  » J’insiste, fait-il, au moins autant sur le mot développement que sur le mot durable.  »

Tout est de la même veine. Jean-Marc Espalioux, qui dirige Accor – 3700 hôtels dans 90 pays – s’interroge gravement sur les risques que le tourisme de masse fait courir à l’écologie et conclut ainsi une belle tirade sur les efforts de son entreprise :  » Ailleurs, c’est le nettoyage des plages qui sera privilégié. Les initiatives locales sont nombreuses et encouragées « .

On ne sait finalement à qui décerner la palme, car tous sont épatants, excellents comme à leur habitude. A Maurice Lévy, peut-être ? Le patron de Publicis – près de 21 000 salariés dans le monde entier – aura plus contribué que beaucoup à la dévastation de la France et du monde. L’industrie du mensonge qu’est la publicité commande, au moins en partie, aux journaux les plus réputés, diffuse des envies folles jusqu’au fin fond de la planète, développe durablement frustration, rancoeur et rancune chez des milliards d’humains.

Y a-t-il oeuvre plus noble ? Non, on peut le garantir. La preuve par Lévy, qui est, soit dit en passant, un philosophe.  » En réfléchissant un peu, assure-t-il, je suis tenté de dire que le développement durable est un triptyque composé de trois valeurs : éthique, connaissance et responsabilité.  » Bien, on y voit déjà plus clair. Méditons pour finir ce profond aphorisme du même :  » Rêver d’un monde meilleur, c’est la plus belle chose que l’on ait à faire, ne serait-ce que pour mieux s’évader de la réalité « .

(1) Développement durable, 21 patrons s’engagent, par Pierre Delaporte et Teddy Follenfant. Le Cherche Midi, 170 pages, 17 euros
Cette chronique a paru en septembre 2002 dans le numéro 715 de Politis

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