Est-il possible ? Oui

Au mois d’avril de l’an passé, j’ai sorti du tréfonds de ma mémoire une phrase admirable de Rainer Maria Rilke. Et je l’ai écrite ici même. Pardon à ceux qui penseraient que je radote. Je ne radote pas. Ou plutôt si, évidemment, je ne fais que cela. Et je m’en moque. Rilke. Ceux dont la peau se hérisse en entendant ce nom comprendront aisément mon émotion. J’ai pensé une fois encore à ces mots tirés de l’un de ses textes, Les cahiers de Malte Laurids Brigge.

Les voici : « Est-il possible, pense-t-il, qu’on n’ait encore rien vu, rien su, rien dit qui soit réel et important ? Est-il possible qu’on ait eu des millénaires pour regarder, pour réfléchir, pour enregistrer et qu’on ait laissé passer ces millénaires comme une récréation dans une école, pendant laquelle on mange sa tartine et une pomme ? Oui, c’est possible ».

Il parlait d’autre chose. C’est-à-dire exactement de la même chose.

29 réflexions sur « Est-il possible ? Oui »

  1. un bon millier de personnes contre la F1 à Flins ! vous en entendrez peut-être parler ce soir .C’est , je l’espère , un début .

  2. Moi, je crois qu’on a pensé et dit des choses importantes et justes, mais qu’il y a de multiples angles pour approcher le réel… 🙂

    Ce que tu veux peut-être dire, c’est qu’on a oublié une donnée essentielle pour penser l’économie, les rapports sociaux… dans les cinquante dernières années, et que cet angle, c’est celui des limites physiques de la planète. Le culte de la croissance économique, c’est surtout une approche d’après-guerre, même s’il s’appuie sur une conception du « progrès » héritée des Lumières…

    Mais même si on dit cela, on oublie qu’on a dit des choses importantes et pertinentes sur ce sujet, mais qu’elles ont toujours été dans la marge, et n’ont pas structuré les théories dominantes; c’est Jacques Ellul sur la technique; c’est Georgescu-Roegen sur l’économie…

    La question qui vient, c’est: pourquoi? On n’a pas fini d’y répondre…
    :-#

    Mais peut-être que j’interprète mal ce que tu as voulu dire?

  3. Élodie,

    Non, là, je crois que l’on ne se comprend pas. Note bien que ce n’est pas grave. Ce que dit Rilke, c’est cette grande nécessité d’ouvrir les yeux comme au premier jour. Et c’est bien le premier jour d’un monde autre que nous avons devant nous.
    Tu réponds politique, raison, idées là où Rilke – je ne fais que me faufiler dans son ombre magnifique – fait appel au coeur, à la poésie, à l’émotion des profondeurs de la vie.

    Je ne crache pas sur la raison raisonnante. Mais il existe d’autres formes, ébouriffantes, stupéfiantes, sublimes quoique différentes, de comprendre les choses. Le monde. Les êtres. On ne se bat pas pour un taux de croissance. On ne se bat pas davantage pour un taux de décroissance. Il me semble.

    Fabrice Nicolino

  4. Oui, oui… Mais alors, que veux-tu dire toi, lorsque tu fais référence à cette phrase de Rilke?

    La beauté et la douleur de la vie, la force de la nature et des relations humaines, on les a exprimées dans la littérature et dans l’art, et d’une certaine manière dans la pensée mystique, il me semble…

  5. Élodie,

    Oui, oui… ou Non, non … ? Ce que je sens n’est pas forcément ce que je veux dire, on est d’accord ? Je sens bien des choses que je suis incapable d’exprimer avec des paroles humaines. Quand j’avais disons quatorze ans, j’ai récupéré un texte dont je ne sais plus l’auteur. A-t-il seulement existé ? Ce bout de texte disait quelque chose comme : « Quand elle fut dite, la grande vérité, on s’aperçut qu’il n’y avait aucune oreille pour l’entendre ».

    Où veux-je en venir ? Nulle part. Je juge évident que nous devons, dans un temps bref, nous débarrasser de cette tunique de Nessos qui colle à notre peau, à notre semblant de cerveau, et finira par consumer tout ce qui peut l’être encore. Il nous faut nous dépouiller d’un fatras d’idées folles en l’espace d’une seconde. Et ce n’est pas la raison qui nous y aidera.

    Je crois que quiconque ne sent pas dans le fond de son âme que le principe de la vie est en jeu passera fatalement à côté de lui-même. Je suis sûr que cela ne s’explique pas. J’espère que cela peut quand même se propager.
    La politique, au sens où visiblement tu l’entends, est devenue une terre lointaine, étrangère et même hostile. Ahimé !

    Fabrice Nicolino

  6. En fait, je ne m’exprimais pas forcément à propos de la politique, mais plutôt de la pensée académique du monde (qui, pour sûr, formate la pensée politique).

    Mais soit, bien sûr que cette pensée n’est qu’une approche (et si réductrice!) du monde…

    Si tu me le permets, je dirais qu’il y a dans ton approche quelque chose de profondément spirituel, que les différentes cultures ont déjà exprimé avec leurs propres mots, mais de manière convergente…

    Ce ressenti n’appartient à personne et en même temps à chacun de nous… Il est au delà des mots mais les mots peuvent le suggérer…

  7. « Il y a encore des nuits, il y a encore des vents qui agitent les arbres et courent sur les pays. Dans le monde des choses et celui des bêtes, tout est plein d’évènements auxquels vous pouvez prendre part. »
    J’ai bien fait d’aller marcher aujourd’hui avec la banderole , scandant comme une môme joyeuse  » du bio, pour sauver l’eau » car je suis en ébullition ! Et croyez moi, c’est bien de cela qu’il s’agit .Nous tentons de défendre des centaines d’hectares sur lequel se trouvent 37 forages, reliés entre eux depuis 2006 par un réseau complexe de bassins, également souterrains mis en place par des scientifiques de la lyonnaise des eaux . ce système tout nouveau tout beau permet de dépollué 30% plus l’eau des nitrates qu’elle contient . En 2008, la lyonnaise voulait inaugurer à cet endroit un parc pour observer le biotop , car l’enjeu est de taille : il y a la A13, l’usine renault et des années d’agriculture intensive, bref, la pollution est dense, et pourtant, l’eau captée abreuve 400 000 à 500 000 personnes du département . mais la réussite est là, avec ce système écologique, plus de boue d’épandage, économie et pureté de l’eau . L’Europe avait offert des subventions pour aider des agriculteurs bio pour occuper la surface . Car planter de l’agriculture biologique permet d’avoir des résultats exceptionnels sur les nappes phréatiques, autrement dit : grand nettoyage à moindre frais . La région avait signée, les agriculteurs trouvés, la safer avait donné son feu vert ! Et Mr Bédier a décidé de préempté pour faire son circuit de F1, promettant 50 000 emplois, un circuit « haute qualité environnementale », tout en bois ! lze circuit sera financé avec 150 millions d’euros publics !Et beaucoup d’inconscients le suivent , c’est le nouveau blason de la région . Comprenez vous ? ce n’est pas anodin ! Nous devons créer un mouvement national et exiger que de telles inepties cessent de voir le jour . Nous devons prendre le relais de journalistes comme Fabrice, de président d’association comme François Veillerette ,que ces petits dictateurs locaux cessent de faire tomber le déluge systématiquement après eux dans le seul but de flatter leurs égos . faisons cessez cette honte dont cette action est un symbole . rejoignez les anti-circuits de Flins, parce que l’eau c’est la vie et parce que nous refusez enfin d’être à genoux ! debout ! Si nous laissons faire, c’est que nous ne valons pas mieux que tous les bédier du monde !

  8. Benedicte, tu as mille fois raison, mais ce soir.., je crains les murs, les bédiers, les sourds, et les lourds, les sans âmes et les cons.
    Et Vlan! dans les tibias, dérision, ce n’est pas mon rayon!..et pourtant parfois une envie fugace..
    Alors, encore du verbe employer l’arme, patience, patience, patience, patience, infinie patience.
    prendre modèle sur l’âne, aux yeux si grands, et au dos douloureux.
    le travail de l’abeille
    et la grimace du clown.
    Jour après jour.
    essayer de tresser d’invisibles passerelles
    avec le ciel.

  9. Fabirce, « (…)rien vu, rien su, rien dit qui soit réel et important ? (..) » je suis désolé de radoter moi aussi, mais ça me fait furieusement penser à la nouvelle anthropologie de Gilbert DURAND… il a probablement trouvé l’une des clé pour que l’on se comprenne ENFIN comme hommes à part entière… mais notre époque est complètement ignorante de ses travaux.
    Pour ceux que ça intéresse, j’en avais parlé ici en commentaires :
    http://fabrice-nicolino.com/index.php/?p=458

    Merci Fabrice pour cette piqûre de rappel.

  10. Est-il possible qu’un Paris Dakar ne soit ni sur le continent de Paris ni sur le continent de Dakar ? Oui.
    Est-il possible que cette entité incongrue exporte des problèmes écologiques sur le continent sud-américain ? Oui.
    Est-il possible que des cadavres poussent sous ses roues ? Oui.

    Est-il possible de le stopper ?

  11.  » Il parlait d’autre chose. C’est-à-dire exactement de la même chose. »

    C’est quoi cette phrase sibylline ?

    Perso, je préfère le concret, comme par ex. , cette découverte que j’ai faite ce soir, en allant sur Google et en tapant « deep ecology ».

    Enfin une approche intelligente de l’écologie !

    J’en dis quelques mots sur mon blog. C’est sûr et certain, j’ai trouvé mon chemin :), avec cette approche nouvelle pour moi.

    Quelqu’un sur ce blog qui connaissait déjà cette conception ?

  12. Hifi,

    Sibyllin ? Oui, en effet, ça l’est. Et alors ? Ne me dites pas que cela vous dérange ! Le mot vient, vous le savez sans doute, de ces oracles grecs qu’on appelait les sibylles. Lesquelles étaient considérées comme l’incarnation de la sagesse la plus profonde qui soit, aussi vieilles que le monde lui-même.

    C’était donc sibyllin, et volontairement. Par ailleurs, je suis ravi que vous ayez fait la belle découverte de « l’écologie profonde ». Vous ne serez plus jamais le (la) même.
    Bien à vous,

    Fabrice Nicolino

  13. Lecteur silencieux de votre blog, j’aurai dû me douter que vous étiez de la famille éparpillée des lecteurs de Rilke… Merci de nous faire ressouvenir des cahiers.

    Je ne sais pas si vous avez lu le recueil nommé Requiem, chez Fata Morgana, on y trouve cette autre citation, qui m’accompagne depuis quelques temps : « C’est cela la faute, si quelque chose comme une faute existe : ne pas multiplier la liberté de qui l’on aime par toute la liberté dont on dispose en soi. »

    Bon dimanche, cher Fabrice.

  14. Ce soir à 21h25 sur France 5, un reportage sur les « bio »carburants: « Biocarburants: chronique d’un désastre annoncé ».

  15. @ Marie, la grimace du clown , je connais un peu, (le mien s’appelait « plume »), bon, je suis plus cigale qu’abeille! merci de m’apaiser avec la douce beauté de l’âne . par contre, rien ne m’empêchera d’abattre ce mur là ! Avant hier, une trentaine de contestataires, hier, 1300 sur le bitumes et 4700 signataires de la cyberaction, demain, rejoignez nous pour être 10 000 , 100 000, bien plus .
    @ Anne-marie, il ne tient qu’à nous et je crois en demain . bien à toi

  16. @ greg, le plus drôle : ce matin une personne me commente « regarde le bio, ça n’est pas pérenne non plus , on a cru aux biocarburants, et quel échec ! »

  17. Pierre-Antoine,

    J’ai lu Requiem il y a un siècle ou deux, et je ne me rappelais pas cette phrase, non. Elle est belle. Elle embellira mon dimanche. Je vous offre celle-ci en retour, de Requiem aussi. Elle est tirée du poème « Requiem pour une amie », en hommage à Paula Modersohn-Becker : « Nul n’est plus avancé. À tous ceux qui ont soulevé leur sang pour une œuvre qui s’avère longue, il peut arriver de ne plus le tenir à bout de bras et qu’il retombe, privé de valeur et vaincu par son poids ».

    Mais cela n’arrivera pas, n’est-ce pas ? Bien à vous,

    Fabrice Nicolino

  18. Voici la voix d’Anna de Noailles, morte en 1933
    Certains la trouvent désuète ou manièrée
    je l’adore.

    L’offrande à la nature
    Nature au coeur profond sur qui les cieux reposent,
    Nul n’aura comme moi si chaudement aimé
    La lumière des jours et la douceur des choses,
    L’eau luisante et la terre où la vie a germé.

    La forêt, les étangs et les plaines fécondes
    Ont plus touché mes yeux que les regards humains,
    Je me suis appuyée à la beauté du monde
    Et j’ai tenu l’odeur des saisons dans mes mains.

    J’ai porté vos soleils ainsi qu’une couronne
    Sur mon front plein d’orgueil et de simplicité.
    Mes jeux ont égalé les travaux de l’automne
    Et j’ai pleuré d’amour aux bras de vos étés.

    Je suis venue à vous sans peur et sans prudence,
    Vous donnant ma raison pour le bien et le mal,
    Ayant pour toute joie et toute connaissance
    Votre âme impétueuse aux ruses d’animal.

    Comme une fleur ouverte où logent des abeilles
    Ma vie a répandu des parfums et des chants,
    Et mon coeur matineux est comme une corbeille
    Qui vous offre du lierre et des rameaux penchants.

    Soumise ainsi que l’onde où l’arbre se reflète
    J’ai connu les désirs qui brûlent dans vos soirs
    Et qui font naître au coeur des hommes et des bêtes
    La belle impatience et le divin vouloir.

    Je vous tiens toute vive entre mes bras, Nature,
    Ah ! faut-il que mes yeux s’emplissent d’ombre un jour
    Et que j’aille au pays sans vent et sans verdure
    Que ne visitent pas la lumière et l’amour

  19. Oui, Fabrice, Rilke nous invite,comme tous les vrais poètes,à contacter notre âme, plutôt que de lutter dans le combat l’inutile combat de l’avoir. C’est pour cela que je l’aime.
    « Je crois que quiconque ne sent pas dans le fond de son âme que le principe de la vie est en jeu passera fatalement à côté de lui-même. Je suis sûr que cela ne s’explique pas. J’espère que cela peut quand même se propager. » Oui, bien sûr! Dire que l’humanité passe son temps à passer à côté de la vie pour se consacrer à la survie… il est temps que cela change!

  20. PAR MALHEUR

    Heureusement qu’il reste
    Du sang-froid chez les poètes
    Pour éviter les contemplations
    Insipides des guerres
    Féministes ou écolos

    Heureusement que la cour de récré
    Ne contient qu’une pomme
    Pour éviter les cultures
    Intensives des virus
    Multiplicateurs de sérieux

    Heureusement qu’il y a toujours
    Des morts pour en sourire
    De ces histoires de la lune
    Cette rousse aux longues jambes
    Et au pubis délirant

  21. Fabrice, si nous parlons de la même chose : il est des moments extrêmement rares où d’un seul coup une sensation immense et profonde nous envahit, une pensée fugace nous traverse où nous avons conscience que la vraie vie se joue ailleurs, pas dans ce monde palpable. C’est comme une vague: en même temps que cette impression de vérité nous avons la sensation de légèreté mais cet instant s’échappe aussitôt. Pour moi, pour ma sensibilité, ces perles de vie sont toujours dans ce qu’il est commun d’appeler la nature et souvent quand mes yeux se posent dans le ciel.
    Pour en avoir déjà parlé avec d’autres, certains appellent cela la grâce, en d’autres temps, j’avais parlé de bonheur et maintenant pour moi,il n’y a pas de mots …

  22. Thierry,

    Ah non, ce n’est pas du tout la même chose. Je suis désolé, mais je n’ai pas le temps de développer. La Décroissance se situe dans le fil – tout au bout – des pensées issues de la Révolution française. La deep ecology, quoi qu’on puisse en penser, est une rupture mentale complète. Bien à toi,

    Fabrice Nicolino

  23. Wikipédia ( http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89cologie_profonde ) propose une définition et des principes fondamentaux de « l’écologie profonde » qui me conviennent, dans la mesure où ils me semblent raisonnables : considérant « l’humanité comme étant partie intégrante de l’écosystème. » J’espère que nous aurons un jour l’occasion d’approfondir la question.

  24. Requête. Si cela est possible, Jivaro, Léo, stan, et le tout qui les entoure ici, aimeraient lire disons un petit « développement » sur la « deep écology » par le (les) acteur (s) de ce blog, afin qu’elle n’y fasse pas qu’un passage fugace. A Bénédicte; j’espère que tu es bien remise de ta grippe. Rien de tel qu’une bonne manif pour éclaircir la voix. Ici à q q kms l’humain fabrique du bio(nécro)carburant à tout va, de quoi alimenter plusieurs saisons de F1…c’est dans l’air 29 ?.

  25. Deep ecology : réponse à Stan va déjà sur internet à la recherche d’un certain unabomber, théodore Kaczynsky professeur de mathématiques..attention, il est en prison, pour ses actes et ses idées. c’est un monsieur absolument pas fréquentable. Mais j’aime sa radicalité. son livre est publié aux éditions du Rocher (je crois)

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