Sornettes coutumières au sujet du plastique

Je tempête tant, intérieurement, que j’hésite à poursuivre ce texte. On verra. Vous le savez certainement, un pompeux sommet mondial commence ce 29 mai 2023 à Paris, censé préparer le terrain à un éventuel traité sur l’usage du plastique. On parle de 175 États représentés. On parle d’un agenda. On parle de 2040, et je gage ici qu’on parlera plus tard de 2050. Mais ce n’est pas même un problème de date.

Qui reçoit en notre nom ? Christophe Béchu, ancien président du conseil départemental du Maine-et-Loire, ancien sénateur, ancien maire d’Angers. Pourquoi est-il là ? Parce qu’il a tapé dans l’œil de Macron pour une raison qu’on ignore. Il n’a jamais, jamais, jamais montré le moindre intérêt pour la nature et l’écologie, ce qui le désignait probablement pour cette tâche.

J’ai déjà dit du bien, c’est-à-dire du mal de ce monsieur ailleurs, et je vous en fais part immédiatement : « L’examen non exhaustif du cabinet de Béchu n’incite pas au compliment. Directeur de cabinet : Marc Papinutti, ingénieur des Ponts, des Eaux et des Forêts. Directeur adjoint  : Alexis Vuillemin, ingénieur des Ponts, des Eaux et des Forêts. Directrice adjointe : Amélie Coantic, ingénieure des Ponts, des Eaux et des Forêts. Qui s’occupera de la nature, dans ce vaste conglomérat ? Guillaume Mangin, « conseiller prévention des risques, santé, environnement, urbanisme et aménagement ». Notons l’encerclement du mot environnement par la santé et l’urbanisme. Pas l’écologie, l’environnement. L’écologie oblige à considérer l’homme en relation avec d’autres existants. Pas l’environnement, qui comme son nom l’indique, s’en tient à ce qui environne l’homme, placé de facto au centre. Mais ce n’est pas le pire : Mangin est lui aussi ingénieur des Ponts, des Eaux et des Forêts.

Voici venue la minute pédagogique. Les Ponts et le Génie rural, les Eaux et Forêts ont fusionné en 2009. Les premiers, dont le corps a été fondé en…1716, sont à peu près derrière toutes nos si belles constructions. Les routes et autoroutes, les cités de banlieue et leur urbanisme guilleret, les villes nouvelles, de nombreux centres commerciaux géants – Rosny 2 -, et jusqu’aux châteaux d’eau hier et les ronds-points inutiles aujourd’hui. Ils bâtissent, et gagnent de l’argent en coulant du béton. Les Eaux et Forêts aiment à faire remonter leur origine à un édit de Philippe-Auguste, en…1219. On leur doit, depuis la guerre, la atteintes les plus graves à la biodiversité qu’a connues ce pays. À la tête du ministère de l’Agriculture et des anciennes et surpuissantes directions départementales de l’agriculture et de la forêts (DDAF), ils ont tout remodelé.

Ils nous auront tout fait : les plantations de résineux en monoculture, le remembrement et l’arasement des talus boisés – 400 000 km pour la seule Bretagne -, le recalibrage à la hache de milliers de cours d’eau, consistant en des travaux lourds destinés à augmenter la productivité. Et bien sûr, soutenu de toutes leurs forces l’usage massif de pesticides et d’engrais industriels. Les deux Corps qui ne font plus qu’un sont en tout cas nés sous l’ancien régime, et ont résisté aux guerres et aux tumultes. Sont-ils au service de la République ? Ils le disent. Sont-ils au service de leur Corps qui, de manière féodale, maintient des liens de suzerain à vassal ? Ils le nient férocement. Notons un dernier point, décisif : ce corps de la « noblesse d’État » (Bourdieu) détient, avec celui des Mines, un monopole de l’expertise technique. Tout projet public d’importance passe entre leurs mains avisées. Qu’on ne peut contester ».

Revenons à la farce du sommet sur le plastique. On est fort loin d’un traité – compter dix ans, ou vingt -, mais s’il était signé, il ne servirait à rien, car il n’est pas question de s’attaquer vraiment à cette plaie universelle, mais de réduire. Un peu, on ne sait combien. C’est très engageant, car les centaines de millions de tonnes de plastique déjà répandus sur les sols et les mers, dans l’eau des lacs et des rivières, dans notre alimentation et notre eau de boisson, ont une espérance de vie qui se compte en siècles.

Diminuer, donc. Pour juger le sérieux d’un Béchu, notons qu’il propose, très décidé, qu’on n’utilise pas de plastique au moment des JO de Paris de 2024. En tribunes, précisons, c’est-à-dire sous le regard des caméras. Ailleurs business as usual. Autre proposition baroque : le ministre veut un GIEC du plastique. Ça ne mange pas de pain, mais ça reste grotesque, car de vous à moi, depuis 1988 – date de sa naissance – le GIEC n’aura servi à rien d’autre qu’à remettre des rapports, aussitôt digérés, car la machine aime manger. Or, et bien que les chiffres soient incertains, la production mondiale de plastique approche les 500 millions de tonnes, et pourrait au rythme divin de la plasturgie, tripler encore d’ici 2060. En 1950, selon les sources, elle oscillait entre 1 million et 1,5 million de tonnes.

Visiblement, Béchu commence à s’y croire. Ses communicants ne doivent pas être si mauvais, puisque les journaux le placent pour un instant dans la lumière. On trouve même dans l’article d’une gazette ces quelques mots d’ouverture, qui ressemblent – sans en être – à un publireportage : « Plastic Béchu. Le ministre de la Transition écologique part en guerre contre le plastique ». Nul ne part, nul ne partira en guerre. Le plastique, on l’oublie le plus souvent, est tiré du pétrole, et sera donc défendu par des intérêts colossaux, les mêmes qui interdisent tout combat véritable contre le dérèglement climatique. C’est piteux ? Pire encore.

Si nous disposions des géants qui nous manquent tant, au pays des nains de jardin, il y aurait déjà une coalition mondiale pour l’interdiction du plastique, dont les humains se sont agréablement passés pendant deux millions d’années, disons depuis Homo habilis. Et une considérable flottille – elle existe – serait en ce moment en Méditerranée et dans le Pacifique à ramasser ce plastique qui tue massivement les écosystèmes marins. Rien ne résume davantage la misère de la politique. Elle est incapable de poser le problème dans sa vérité. Quant à imaginer le régler, je pense qu’on peut avoir toute confiance dans Plastic Béchu, l’as des as. Non ?

10 réflexions sur « Sornettes coutumières au sujet du plastique »

  1. Cher Fabrice, je partage tout de votre billet : la description de Christophe Béchu (je suis angevin), pantin de la macronie, dont le seul objectif était d’obtenir un portefeuille de ministre; la vaste pantalonnade qu’est ce « sommet du plastique » parce que c’est sûr, comme les sommets pour l’environnement ou la biodiversité n’ont servi à rien, celui-ci sera tout aussi inutile.
    Ils sont tous incapables de regarder la réalité de la catastrophe car cela impliquerait de remettre en cause tout le système économique et sociétal du monde entier et, alors, ils disparaitraient immédiatement dans les limbes de l’histoire.
    Heureusement, la Nature est encore là pour m’apporter un peu de sérénité.
    Jusqu’à quand ?

    1. Et que je te remercie de m’avoir remercié, ce n’est pas mon genre, puisque je ne suis généralement d’accord sur rien ni avec personne, mais je partage néanmoins la vision d’Alain et de Patrice sur la malfaisance de cette caste d’ingénieurs qui sont partout, à tous les postes clefs de notre pays, d’un tel conformisme d’ailleurs qu’Albert Jacquard disait qu’avec ces concours d’entrée dans ces grandes écoles on recrutait les plus « dangereux » !
      Mais le vrai problème est ailleurs – dans le capitalisme économique néolibéral mondialisé dit « progrès » que tout le monde adore !

      « À l’avenir, on fera aimer aux gens leur servitude, ce qui produira une dictature sans pleurs, une sorte de camp de concentration sans douleur pour des sociétés entières, avec des citoyens privés de leurs libertés mais qui aimeront cette situation, parce qu’ils seront détournés de tout désir de se rebeller par la propagande ou le lavage de cerveau, appuyé ou non par des méthodes pharmacologiques. » [Aldous Huxley, 1961.]

  2. Il y avait une belle expression dans les années 70 du siècle dernier: « alternatives et parallèles ». Aujourd’hui les institutions de l’état traduisent cette expression avec les mots: « terroristes et conspirationistes ». Les mots les plus souvent employés par les autorités, dans le monde entier, pour designer les militants écologistes. Mais ils loupent au passage l’essentiel: Ce n’étaient jamais des personnes qui étaient « alternatives » ou « parallèles », mais des groupes de personnes, qui se reconnaissaient par le cœur, qui travaillaient ensemble, pour un temps, le temps de construire quelque chose qui leur survivrait, motivées par une loyauté de l’âme.

    « la ruine des institutions » lamentait justement Bruno Latour, mais sans pouvoir résoudre la question de la base sur laquelle elles sont fondées. Question que Schiller avait commence à clarifier, à l’époque de la révolution Française, dans ses « Lettres sur l’éducation esthétique de l’Homme », et dont la réponse n’est ni dans un « consensus » autocentré (qui mène inéluctablement à ce que Lucien Sfez nomme « le Tautisme ») ni dans l’individualisme héroïque, mais dans le jeu entre ces deux pôles, et dont la science (que Bruno Latour ne comprenait pas), en tant que méthode de connaissance centrée sur l’individu mais dont les méthodes sont partagées, est un des modes de réalisation.

    Nous ne détruirons plus la Bastille. Car c’est elle qui nous nourrit, et pour faire la révolution il faut des révolutionnaires vivants. On ne fera pas sauter les centrales nucléaires sinon on mourra tous (comme Pierre Fournier l’avait dessiné dans l’Hebdo Hara-Kiri en 1969, et dont on est passés très près en Ukraine), on ne vas pas brûler les Tesla, ni même détruire l’Etat, aussi incompétent et corrompu soit-il, et les Syriens, peut-être les premiers d’entre nous, l’ont progressivement compris, entre 2011 et 2018.

    Les communautés de l’âme qui se construisent, insaisissables et fluides comme de l’eau, ne détruirons pas davantage les institutions déjà si pourries, si meurtrières et même suicidaires (comme la catastrophe en cours du covid, ou la guerre d’Ukraine, l’illustrent), car la disparition brutale de ces institutions rendrait la situation encore pire, mais les feront revivre, en les détournant de leur but officiel, secrètement si l’on ose dire, en douce, et en même temps de manière entièrement transparente.

    Alternatives et parallèles: Cette idée, forgée par nos parents, est devenue une réalité.

  3. Et les autorites, plus on est non-violent, plus elles paniquent. Elles ne savent pas comment gerer. La non-violence « c’est le bordel, c’est ingerable, incontrolable »… Sur qui Macron, Modi, Biden s’acharnent avec tant de passion ? Les memes… Et la violence de l’etat est inevitable, il faut lui faire face. Comme disait Derrida, la deconstruction ne peut pas se faire sans devoiler la violence, sans la mettre a nu. La confrontation est inevitable. Et en meme temps, plus on se laisse entrainer par la violence plus on est recuperable. Le plastique, le nucleaire, le covid… chaque couche s’ajoute aux autres, et ne prend jamais fin. « Alternative et Parallele », la vie continue, pour toujours, defiant tous les plans !

  4. Moi aussi je bouillais hier soir en écoutant cette émission sur France Inter, où un défenseur de l’industrie du plastique nous expliquait à quel point il était fantastique !
    Il y a plus de vingt ans, avec une asso nous allions dans les supermarchés faire nos courses et laisser tous les emballages plastiques à la caisse, cela mettait la panique parmi le personnel et le directeur du magasin détestait ce que l’on faisait…. que s’est-il passé depuis ce temps ? Rien, ou pas grand chose. Les industriels se foutent toujours royalement de nous refourguer leurs produits plastifiés. Pire encore, c’est le développement depuis, des viandes bio de producteurs, vendues en direct, emballées sous plastique. Il m’arrive pourtant d’en acheter avec très mauvaise conscience. Ils me disent qu’ils n’ont pas le choix, que la législation l’impose…Où allons nous alors, si même les producteurs bio ne trouvent pas de solutions pour bannir le plastique ??
    Je reviens à cette émission qui est très intéressante,(car on a opposé au monsieur des arguments de poids) qui donne des chiffres et aide à prendre la mesure de la catastrophe qui est déjà en marche :

    https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-telephone-sonne/le-telephone-sonne-du-mardi-30-mai-2023-4374525

    Le deuxième round des négociations internationales contre la pollution plastique a démarré ce lundi à Paris. 175 pays essaient de trouver un accord contraignant pour limiter notre production et nos déchets de plastique. Quels comportements adoptés au quotidien pour réduire son utilisation ?
    Avec

    Nathalie Gontard directrice de recherche en sciences de l’aliment et de l’emballage à l’INRAE
    Joseph Tayefeh Secrétaire général de Plastalliance, syndicat national de la plasturgie et des composites
    Sandy Dauphin journaliste spécialiste environnement à France Inter

  5. C’est une super idee de laisser tous les emballages a la caisse ! Ca les emmerde tellement que vous pouvez etre sure qu’ils reflechiront comment resoudre ou au moins reduire le probleme. Il n’y a pas de changement sans emmerder quelqu’un, c’est inevitable.

    Pendant le covid tous les marchands de the sur le trottoir en Inde proposaient des tasses en plastique ou en papier. Mais je refusais: pas de verre en verre, pas de the !

    Et parfois ils sont contents: Quand je rends en souriant le sac en plastique dans lequel ils ont mis mes provisions, certains commercants ont un sourire jusqu’au oreilles ! Ou quand j’amene ma boite en acier inox pour mettre les sucreries… Le sourire d’enfant de la reaction du vendeur, il faut le voir !

    Et puis se souvenir d’une chose: « La culture du jetable » n’a rien de mauvais… tant qu’on s’en tient a ce qui est vraiment recyclable ! Mais le plastique n’est pas vraiment recyclable, plus on le recycle et plus il pollue:

    https://www.downtoearth.org.in/news/waste/plastic-free-planet-recycling-increases-toxicity-of-plastics-warns-greenpeace-study-89640

  6. Finalement on en revient toujours à la même chose : On ne fait nulle part autant d’argent qu’en fabriquant des poisons, et le nucléaire, le plastique, le covid, l’intelligence artificielle, pourquoi l’argent investit dans ces domaines continue-t-il d’augmenter exponentiellement malgré tous les dangers non seulement reconnus, mais qui plus est, officiellement reconnus ? C’est le niveau final du capitalisme, un processus de plus en plus astucieux de légitimation de la fabrication et de l’utilisation des poisons, physiques, biologiques, psychologiques. La guerre comme « train de vie » occidental, « non-négociable »… Le plus astucieux, c’est de sous-traiter la partie sale à la Chine ou à des « états » (souvent plutôt des régions sans gouvernance que de vrais états) vassaux, et de ne garder que la partie « légitimation », car qui contrôle la légitimation des poisons n’a plus besoin de contrôler leur production. Le « soft power », l’ordre mondial « basé sur des règles »… Mais faire un travail qui n’empoisonne pas (ni les hommes ni la terre, c’est la même chose, bien sûr, c’est tellement triste qu’on soit obligés de préciser à notre époque si bête), c’est à dire un travail considéré comme « normal » il y a seulement 200 ans, 100 ans même, est devenu révolutionnaire. Et faire le travail soi-même, pas le sous-traiter à des régions sans états, maintenues en esclavage. L’écologie est devenue la révolution la plus fondamentale.

  7. Merci M. Nicolino de continuer à nous éclairer avec toujours autant de talent !

    Pendant que les politiques font leur cinéma cynique habituel, certains citoyens agissent ! Voyez le projet génial du célèbre navigateur Yvan Bourgon :

    https://www.theseacleaners.org/fr/manta-innovation/

    Certes, cela ne résout pas le problème à la source, mais il faut, je pense, agir sur les deux tableaux : stopper la production de plastique ET nettoyer ce qu’il peut encore l’être, avant que le plastique ne se désagrège en particules si fines qu’on ne peut plus dépolluer.

  8. Cher Fabrice Nicolino,

    Dans l’article du « Monde » daté du 16 juin 2023 page 6 et intitulé « Pesticides SDHI : l’expertise minée par la discorde », Stéphane Foucart écrit : « La controverse s’est déployée plusieurs mois durant : auditions à l’Assemblée nationale, publication par l’Anses [Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail] d’un rapport d’expertise d’urgence plutôt rassurant, parution dans « Le Monde » d’une tribune de 450 scientifiques -parmi lesquels une dizaine de spécialistes de la respiration cellulaire- demandant le retrait des SDHI [inhibiteurs de la succinate déshydrogénase], publication d’un livre-enquête du journaliste Fabrice Nicolino (« Le crime est presque parfait », Les liens qui libèrent, 2019), etc.

    Ca avance, Fabrice, ça avance.

    Amitiés,

    Jacques Faule

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