Adresse au Monde Diplo et à l’Acrimed (sur le Nicaragua)

Pour ne rien vous cacher (ou presque), je suis installé face à mon vallon du bout des terres habitées. Le vent souffle et fait plier les frênes, le ciel est bleu, et ce matin de rêve, tôt, un long bras, aussi blanc que langoureux, occupait le dessus du ruisseau. L’humidité, bien sûr. Regarder mon ruisseau est une perpétuelle leçon de choses. Aujourd’hui, donc, formation et dissolution d’un nuage. Je vous l’assure, c’était d’une beauté à douter de notre intrinsèque faiblesse.

Je devrais, je le sens, vous parler plutôt du monde incroyable qui m’entoure, et que je peux parcourir à pied, inlassablement. Ce soir peut-être, avant la nuit, Patrick me montrera une vaste mare qu’il a découverte ces dernières semaines, à quelques centaines de mètres du hameau. Or il habite ici depuis trente-cinq ans ! Voyez, je ne suis pas près de bien connaître ce pays qui se referme peu à peu à l’homme. Bien entendu, qui dit mare permanente, surtout ici, signifie présence d’animaux, comme autour d’un marigot africain. Je crois que je vais une fois de plus vers le bonheur.

Oui, mais. Oui, mais il y a une paire de jours, j’ai dû descendre vers la plaine, et me rendre à la gare de M. Là, j’ai acheté – ce qui ne m’arrive jamais – le journal Le Monde Diplomatique. Pourquoi ? Parce qu’il contenait une double page consacrée au Nicaragua. Avec un long article du journaliste Hernando Calvo Ospina – que je ne connais pas – (ici), suivi d’un encadré de l’un des piliers du journal, Maurice Lemoine (ici). Le Nicaragua, pour des raisons qui appartiennent à mon passé et à mon cœur, est en moi jusqu’à la fin de mes jours.

J’ai lu. Je ne cherche pas à insulter – à quoi bon ? -, mais ces deux papiers appartiennent à mes yeux, sans conteste, à la tradition stalinienne de la pensée politique. J’en ai souvent parlé, et si j’y reviens, c’est parce que cette maladie de l’âme, qui a une histoire, Dieu sait, reste un obstacle sur la voie d’une pensée nouvelle, où la crise écologique deviendrait le cadre général, et non plus un quelconque ajout. Je ne vais pas vous embêter à faire l’exégèse des deux textes. Et je me contenterai d’un seul exemple : les élections municipales qui se sont déroulées en novembre 2008 au Nicaragua.

Le président en place, Daniel Ortega, est sandiniste. Après avoir été chassé du pouvoir en 1990, il y est revenu, avec 38 % des voix, en 2006. Il fait partie de ce petit groupe guerillero appelé Front sandiniste de libération nationale (FSLN) qui a pris le pouvoir en 1979, après avoir chassé de force ce fils de pute appelé Anastasio Somoza. Je me permets cette expression de « fils de pute », car elle a – aurait – été employée par le président américain Roosevelt en 1939. Parlant alors du père d’Anastasio, qui tenait déjà le pouvoir à Managua, il avait – aurait – déclaré : « Somoza may be a son of a bitch, but he’s our son of a bitch ». C’est-à-dire : « Somoza est peut-être un fils de pute, mais c’est le nôtre ».

Résumons : en 1979, le fils du dictateur, dictateur lui-même, est renversé par les sandinistes, dont Ortega. Lequel est un homme de pouvoir comme vous n’imaginez guère. Un caudillo dans l’âme. Pour revenir au poste de commandement, il s’est livré à des manœuvres qui rendraient Sarkozy sympathique. Et il y est parvenu. En 2006, donc. En 2008,  comme je l’ai écrit plus haut, élections locales. Truandées en grand. En Très Grand. Je vous demande de me croire sur parole ou, si vous lisez l’espagnol, de vous rendre compte par vous-même (ici). Cette épouvantable manipulation a mené le pays, une fois de plus, au bord d’affrontements meurtriers. Mais nul lecteur du Monde Diplomatique n’en saura rien.

Et pourtant ! Une très grande part des sandinistes historiques sont dans l’opposition au caudillo Ortega, bien entendu ami proche du président vénézuélien Hugo Chávez. Dans le désordre, je citerai Ernesto Cardenal, Sergio Ramírez, Dora María Téllez, Henry Ruiz, Luis Carrion, Victor Tirado et encore beaucoup d’autres. Un mot sur Cardenal, prêtre et poète immensément populaire, qui a rompu avec le FSLN dès 1994, déclarant alors : « [Ortega] a manipulé les élections du parti avec toutes sortes de manœuvres, insultant et calomniant Sergio Ramírez et tous ceux qui ne lui sont pas inconditionnels. Dans ma lettre de démission je parle de despotisme, de verticalisme, de la direction autoritaire de Daniel. Je dénonce aussi le manque d’éthique, la corruption et dans quelques cas, les vols ».

Un mot également sur Dora María Téllez. Connue au Nicaragua comme la louve blanche qu’elle est, Dora fut à 22 ans, en 1978, l’une des principales responsables de la prise d’assaut du parlement somoziste, au cours duquel la totalité des parlementaires de la dictature d’alors furent pris en otage par la guerilla sandiniste. Ce sont ces gens, tous ces gens souvent admirables qui considèrent aujourd’hui Ortega comme un traître et un salaud. Mais de tout cela, aucun lecteur ne trouvera la moindre trace dans ce grand journal altermondialiste qu’est Le Monde Diplomatique.

En place et lieu, ils auront droit à un long article de savante désinformation. Je ne doute pas que le vertueux Serge Halimi, directeur du mensuel, publiera dès le mois prochain un rectificatif qui remettra les pendules à l’heure. Et en attendant, j’espère vivement que l’association Acrimed (ici), qui traque sans cesse la désinformation chez les autres, saura aussi la reconnaître chez ses amis du Monde Diplomatique. Que tous sachent que je publierai sans aucune censure leur éventuel commentaire à cet article.

6 réflexions sur « Adresse au Monde Diplo et à l’Acrimed (sur le Nicaragua) »

  1. Est-ce qu’on sait comment Ortega entre au FSNL et pourquoi est-ce lui, finalement, qui se présente en 1985 ? Est-ce qu’il a toujours été comme aujourd’hui ?
    Pourquoi le RMS n’a pas l’audience du FSNL ? Est-ce le clientelisme ?

  2. Jo le Bug,

    Vastes questions. Et les réponses (me) manquent. Ce que je pense, c’est qu’Ortega aime plus que tout le pouvoir, ce qui se rencontre partout. La question qui me vient aussitôt après est : pourquoi a-t-il gagné la partie ?

    Fabrice Nicolino

  3. Je pense que toutes les utopies ont été salies par les élites avides de pouvoir. Cela remet il en cause la validité de l’utopie?

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