La rivière ukrainienne qui a tout changé

L’Ukrainien Volodymyr Boreyko est un petit malin. Ce directeur du Centre écologique et culturel de Kiev a lancé l’idée de décorer la rivière Irpine. De la décréter « héroïque rivière ». De faire d’elle une personne. Déclarant pour l’occasion : « Je pense que la rivière Irpine devrait recevoir le titre de « rivière-héros » et bénéficier de protections environnementales solides, car cette année[2022], l’Irpine, en compagnie des forces armées ukrainiennes, a joué l’un des rôles les plus importants dans la défense de notre capitale depuis 1 000 ans ».

Ah. Un coup de projecteur s’impose. La rivière Irpine, longue de 162 km, est un affluent du Dniepr, sur sa rive droite. Qui rejoint le fleuve à hauteur du grand Réservoir de Kiev. Dans les années 60, sans se poser l’ombre d’une question, l’Union soviétique, alors chez elle en Ukraine, construit à la manière stalinienne un ensemble pour stocker de l’eau, incluant un barrage. Sur l’Irpine et le Dniepr.

Et c’en fut fini de la plaine inondable de l’Irpine, que les témoins, les yeux encore humides, décrivent comme une sorte d’Amazonie ukrainienne. Soit une immense zone humide faite de tourbières, de marécages et de marais, de roselières denses le long des berges, de dunes de sable fin . Les poissons-chats, les esturgeons et les castors étaient les rois de la fête, tandis que dans le ciel, guettant leurs proies, régnait le pygargue à queue blanche.

Et c’en fut fini, car les esthètes de Moscou, à la manière d’un Mussolini asséchant les marais Pontins en 1928, se mettent à drainer la zone. L’Irpine devient une (toute) petite rivière. Les maisons et constructions bancroches se multiplient, les moissonneuses arrivent. Ce qui arrive aussi, c’est la guerre. Le 24 février 2022, Poutine et ses sbires attaquent, pensant qu’une guerre-éclair leur permettra d’installer à Kiev un gouvernement fantoche. Dans les derniers jours de février, les Russes sont aux portes de la capitale. Le 25, puis le 27 février, les sapeurs de l’armée ukrainienne font sauter la partie du barrage qui tué l’Irpine. Et des ponts. L’eau se répand d’autant plus que le cours de l’Irpine est trois mètres au-dessous du niveau du Réservoir de Kiev. Le flot inonde le village de Demydiv et ses 4000 habitants, remontant ensuite jusqu’à Gorenka, à vingt kilomètres en amont.

Les chars lourds sont inutilisables, les troupes russes ne peuvent traverser, et doivent envisager un long détour. La destruction du barrage fait gagner de précieux jours à l’armée ukrainienne qui, on le sait, finira par se ressaisir. L’écologie et la stratégie militaire sont bouleversées d’un seul coup (2). Inutile de mentir : pour les habitants, c’est la cata : les champs autour des villages de Huta-Mezhyhirska, Chervone, Moshchun, Horenka, Hostomel, ne sont plus accessibles. Les témoignages recueillis montrent la fierté que l’eau ait arrêté l’assaut russe, mais aussi l’attente fébrile d’un retour à la situation d’avant. En attendant, un lac peu profond recouvre 2842 hectares – jusqu’à deux kilomètres de largeur -, qui contient quantité de toxiques auparavant stockés : des déchets venus de chantiers, de fosses septiques, de pesticides, de stations-service ou de décharges sauvages. Sans oublier les chars remplis de fuel et les matériels militaires laissés sur place. Impossible, dans le climat de guerre, de faire le moindre inventaire sérieux.

Certains écologistes, comme ce Volodymyr Boreyko cité plus haut, suggèrent aujourd’hui un compromis. Le départ de l’eau – en partie -, d’accord, mais associé à un grand plan de conservation, notamment sur les rives de l’Irpine, qui permettrait le maintien d’espèces végétales – et animales – rares. Alekseï Vassiliouk, biologiste et fondateur du Groupe ukrainien de protection de la nature (uncg.org.ua/en/), en mars dernier (3): «L’année écoulée, la végétation et une véritable faune sauvage sont revenues. La meilleure chose à faire serait de laisser la vallée aussi inondée que possible et la nature se rétablir. Et on serait sûrs que les chars ne reviendront pas.» Pas de doute, cela se défend.

(1)https://www.theguardian.com/environment/2022/may/11/ukraine-hero-irpin-river-helped-save-kyiv-but-what-now-for-its-newly-restored-wetlands-aoe

(2)https://uwecworkgroup.info/plans-to-rebuild-ukraine-shaped-by-solutions-for-irpin/

(3)https://www.blick.ch/fr/news/monde/symbole-de-la-guerre-en-ukraine-un-an-apres-le-village-de-demydiv-est-toujours-sous-leau-id18372819.html

Au Venezuela, on achève bien les ONG (et les forêts)

Le Venezuela, son héros bolivarien Nicolás Maduro, et son bel ami, le Grand Insoumis Mélenchon 1er. Quoi de neuf au paradis ? Presque rien. Entre 6 et 7 millions d’exilés – selon les sources -, une inflation de 234% en 2022, en grand progrès par rapport à 2021, où elle approchait des 700%. Les pauvres mendient, leurs filles vendent leur cul, c’est la révolution.

Le régime essaie en ce moment de faire voter une loi sur les ONG. Avec son parlement croupion, cela ne devrait pas être trop compliqué. Une simple formalité. Mais pour les ONG, cela change tout, car le but en est clair : museler, réprimer, encabaner. Toute ONG devra donner la liste de ses membres, de ses mouvements financiers, de ses donateurs. Au risque d’une interdiction définitive en cas d’infraction. Ou pire. Passons sur le détail. Le fond de l’affaire est limpide : Maduro veut mettre au pas ce qui reste de société indépendante de lui (1).

Les ONG de défense de la nature, du droit des peuples autochtones, de la bagarre climatique sont dans le viseur. Le pétrole, qui a connu bien des soubresauts depuis dix ans – les infrastructures sont en ruine -, ne suffit plus aux appétits d’une clique à la dérive. Mais il y a l’or, El Dorado de toujours. Le grand désastre des mines de l’Arco Minero del Orinoco est dénoncé depuis que Maduro, en 2016, en a fait une « Zona de Desarrollo Estratégico Nacional ». Une zone de développement stratégique. L’académie des Sciences physiques, mathématiques et naturelles, la Société vénézuélienne d’écologie, l’Association des archéologues alertent depuis des années, en vain, sur une situation infernale.

Au total, la région concernée couvre 111 843,70 km2, soit le cinquième de la France, même si, pour l’heure, 5% de la surface est directement touchée par l’exploration ou l’exploitation. Le sous-sol est un trésor immense, qui contient de l’or, des diamants, du coltan – essentiel dans l’électronique -, du cuivre, des terres rares utilisées pour les missiles, les écrans, les téléphones portables, les éoliennes, les bagnoles électriques. Certaines estimations des réserves présentes sont folles. Miam.

Où est-ce ? En Amazonie vénézuélienne, au sud de l’Orénoque, haut-lieu de la richesse écologique planétaire. La zone abrite cinq parcs nationaux et des animaux aussi menacés que le tatou géant, l’ours à lunettes, le jaguar, le fourmilier, le caïman de l’Orénoque. Et n’ajoutons pas à cette liste sans fin les oiseaux, les fleurs, les arbres. Maduro s’en fout, qui a confié la « gestion » de l’ensemble à la soldatesque, à cette armée qui reste son seul authentique soutien. Toute la zone est militarisée, en relation étroite – et profitable – avec les restes de groupes armés colombiens refusant d’abandonner les armes (2). Dans une opacité totale, des transnationales sont sur place, et l’on sait que Citigroup, immense groupe bancaire et financier américain – 12ème entreprise mondiale, plus de 200 000 salariés – vendra l’or de l’Arco Minero.

On revient aux ONG ? On y revient. D’abord un salut fraternel à Cristina Burelli, fondatrice de SOS Orinoco (3). Elle dénonce sans relâche ce qu’elle nomme un écocide, décrit le sort terrible réservé aux peuples indiens par les soudards (4), dénonce l’illégalité de mines qui ne respectent pas les lois sur les aires protégées, clame que le saccage s’en prend désormais au Parque Nacional Canaima, inscrit au patrimoine mondiale de l’humanité depuis 1994. Plus de 60 mines seraient en activité, entraînant déforestation, destruction de savanes uniques, contamination des rivières par le mercure destiné à amalgamer l’or.

Le régime orwellien en place à Caracas raconte une tout autre histoire : Arco Minero serait « un modelo de minería responsable ». Et rappelle tout ce que ce pillage doit au grand homme Hugo Chávez Frías, qui dès 2012, « présenta au pays sa vision de faire de l’Arco del Orinoco un grand axe de transformation économique dans les domaines agricole, industriel, minier, pétrolier et de la pêche » (5).
Comment Cristina Burelli pourra-t-elle faire face ?

(1)en français : https://amnistie.ca/participer/2023/venezuela/les-ong-du-venezuela-sont-en-danger

(2)Dissidents des FARC et de l’ELN

(3)en espagnol : https://sosorinoco.org/es/quienes-somos/

(4)en français : https://www.gitpa.org/web/VENEZUELA%20en%202021.pdf

(5)http://www.desarrollominero.gob.ve/zona-de-desarrollo-estrategico-nacional-arco-minero-del-orinoco/

L’hydrogène, cette énergie qui leur va si bien

Revenons sur cette belle et grande nouvelle : Chemours va investir 200 millions de dollars (185 millions d’euros) pour une nouvelle usine chez nous, dans l’Oise. N’entrons pas dans la technique, et retenons que cela servira à fabriquer de l’hydrogène. Une courte précision : Chemours, c’est anciennement DuPont, une entreprise de la chimie exemplaire. On lui doit – la liste réelle est sans fin – la moitié de la poudre utilisée pendant la guerre de Sécession américaine, à peine moins pendant la Première guerre mondiale – côté américain -, la mise au point de nombreux plastiques, dont le Nylon et le Teflon, de pesticides, le plomb ajouté au bagnoles avec Exxon et General Motors – des millions de morts -, la première bombe atomique, avec quelques autres acteurs.

Or donc, d’excellentes personnes, attentifs au sort commun. Qu’en est-il à propos de l’hydrogène ? L’une des cheffes de Chemours, Denise Dignam, nous dit tout : « [nous avons] choisi d’investir 200 millions de dollars en France car nous avons senti un véritable alignement entre ce que nous voulons faire et ce que le gouvernement français veut faire ». Elle veut parler du vaste plan hydrogène lancé par Macron et ses petits amis, qui ont décidé d’injecter 2,1 milliards d’euros dans cette nouvelle filière. Lemaire, qui aime tant les mots qui ne veulent rien dire, promet que la France sera le « leader européen de l’hydrogène décarboné en 2030 ».

Il est dur d’écrire d’aussi grands personnages que ce sont des charlatans, mais enfin, c’est vrai. On ne détaillera pas ici pourquoi l’hydrogène est la plus belle opération de désinformation depuis des lustres, car il y faudrait un livre. Concentrons nos binocles sur un point : comment produit-on de l’hydrogène ? C’est bête comme chou, mais il y faut de l’énergie. Dans le monde, 96% de la production d’hydrogène est obtenue à partir des fossiles habituels : gaz surtout, mais aussi pétrole ou charbon (1). C’est de très loin le moins cher.

Autrement exprimé, et pour des décennies pourtant décisives pour le climat, produire de l’hydrogène aggravera le dérèglement en cours. Tout repose sur une arnaque sémantique qui rappelle de nombreux artifices passés de l’industrie mondiale. Comme par exemple le « développement durable », l’« écoresponsabilité », la « compensation carbone », l’« économie circulaire », la « transition écologique », les taxe et crédit carbone, etc. Autant d’expressions visant à continuer comme avant – le « développement durable », c’est le développement qui va durer – en habillant l’opération de jolies plumes multicolores dans le cul. Il ne s’est jamais agi de tailler dans la consommation d’énergie et la prolifération des objets matériels, mais en l’occurrence, de décarboner. C’est-à-dire d’utiliser un hydrogène qui n’émet pas de carbone, en effet, en laissant tout l’honneur aux énergies fossiles qui l’auront fabriqué.

En France, et les zécolos officiels et de pacotille s’en foutent bien, l’hydrogène sera massivement produit à partir de l’électricité nucléaire. La garantie que les EPR seront bel et bien construits, malgré le désastre de leurs chantiers en France et en Finlande. L’hydrogène, c’est le nucléaire pour aujourd’hui, demain et après-demain. Une dernière avant de se quitter : la farce macabre du Gaz naturel liquéfié (GNL). C’est leur nouvelle coqueluche. Total vient de mettre en service son terminal d’importation de GNL en Allemagne, sur la Baltique. Pour contourner les risques géopolitiques des gazoducs, on fait venir du GNL par bateau depuis le Qatar ou les États-Unis. Ce GNL, dont on rappelle qu’il sert à fabriquer de l’hydrogène, émet deux fois et demi plus de CO2 que celui des gazoducs et les États-Unis ont multiplié par trois son exportation vers l’Europe. Or, le GNL américain vient essentiellement du gaz de schiste, qu’on imaginait banni de France. Et c’est ainsi que, par l’opération du Saint-Esprit, l’hydrogène apparaît comme le sauveur de leur monde en perdition. Abracadabra.

(1) https://www.connaissancedesenergies.org/fiche-pedagogique/production-de-lhydrogene

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L’homme qui aimait (tant) l’oiseau.

Inutile de mentir, c’est (aussi) du copinage. Je m’honore de connaître Michel Munier, et son fils, l’immense photographe Vincent. Mais cela ne suffirait pas, de loin, à parler, de son livre extraordinaire sur le Grand Tétras, ce Grand coq de bruyère qui est en train de mourir dans les Vosges, patrie définitive de Michel. Ce bel oiseau est une relique des dernières glaciations, un survivant achevé par le tourisme et le dérèglement climatique.

Un jour de l’hiver 1969, «  équipé de mes longs skis, je m’engage (…) dans le sous-bois, glissant dans une poudreuse qui nous absorbe parfois jusqu’aux genoux. Le silence m’impressionne, lourd, étouffé, comme dans une grosse bulle ouatée, loin des hommes. Dans cette blancheur infinie, seule une partie des troncs des grands arbres marque notre horizon de bandes verticales. Nous faisons une pause, quand un bruit soudain, sourd, brise le silence. À moins de vingt mètres de nous jaillit une masse noire. Elle plonge vers le bas de la pente abrupte en glissant adroitement entre les troncs. La neige des branches secouées par cette fuite continue de tomber une fois la silhouette évanouie. Nous restons silencieux, le regard fixé sur les cimes. Georges me dit : « C’est un coq de bruyère. »
Un coq de bruyère ? Ce nom m’est inconnu ».

Il ne va pas le rester. Le coq deviendra l’épicentre de sa vie, qui lui fera passer des centaines de nuits en forêt, couché en plein hiver dans son sac de couchage, sous un sapin, à attendre le signe. Pas une heure ou deux, mais six, mais huit, mais dix, mais dix-huit. Ce n’est pas une rencontre, c’est une absorption. De Michel par le Grand Tétras. Au printemps 1973, il assiste ébahi à la première parade nuptiale : « Le chanteur le plus proche de moi accélère la cadence de son chant et, soudain, dans une déchirure de ce brouillard ténébreux, il se dévoile: fantôme des brumes! Son corps sombre et trapu est rehaussé par de longues et nombreuses rectrices, les grandes plumes de sa queue, dressées en forme de roue ».

La suite est dans ce grand livre. Qui fait pleurer, je vous en préviens, car il marque la fin d’une somptueuse féérie. Il reste moins de dix Grands Tétras dans les Vosges.

L’oiseau-forêt, par Michel Munier, avec photos. Éditions Kobalann, hélas un prix élevé de 35 euros.

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Lueur de brin de paille au Brésil*

Un brin d’espoir au Brésil ? On a tant envie d’y croire qu’on y croit. Lula, revenu au pouvoir après la chute de Bolsonaro, a comme l’on sait pris deux décisions magnifiques : la nomination de Marina Silva à la tête d’un vaste ministère de l’Environnement et du changement climatique, et celle de Sonia Guajajara une Indienne, comme ministre des Peuples autochtones.

L’eau semble – semble – avoir coulé sous les ponts depuis que le Lula de 2010 soutenait l’élevage industriel, les bio nécrocarburants et les barrages hydro-électriques en pleine Amazonie. Les deux femmes étaient alors aux avant-postes du combat écologiste. Sur le papier pour le moment, c’est un sans-faute. L’objectif, dont ne déviera pas Marina, est de parvenir à la fin de la déforestation d’ici 203O, et nul doute qu’elle démissionnera – elle l’avait déjà fait en 2008 – si Lula change de cap.

La ministre vient de déclarer au journal Folha de S. Paulo (1) que certains émeutiers fascistes qui ont envahi le Palais présidentiel le 6 janvier viennent de « secteurs liés à la déforestation, à l’accaparement des terres, au trafic de bois, à la pêche illégale, à l’exploitation minière illégale ».

Faut-il le rappeler ? Des dizaines de défenseurs de la Grande forêt sont assassinés chaque année au Brésil, profitant d’une impunité quasi-générale, et pas seulement sous le règne maudit de Bolsonaro. Est-ce que cela peut changer ? Marina le croit, qui assure sur son compte Twitter : «  C’est le Brésil qui sort de la condition humiliante de paria devant le monde ».

*L’espoir luit comme un brin de paille dans l’étable (Verlaine)

(1) https://www1.folha.uol.com.br/ambiente/2023/01/turba-enfurecida-em-brasilia-esta-ligada-a-crimes-na-amazonia-afirma-marina-silva.shtml

Connaissez-vous l’agrivoltaïsme ?

Figurez-vous que je découvre l’ampleur de ce nouveau problème. Son nom est un défi à la langue, et même à la beauté, mais en tout cas, l’agrivoltaïsme – et même agri-photovoltaïsme – se répand partout en France. Sur le papier, c’est assez simple : il s’agit de produire de l’électricité solaire au-dessus d’une surface agricole qui continuera(it) d’être cultivée. Les panneaux sont en effet installés à quatre ou cinq mètres de hauteur.

Marginal ? Je crois qu’on ne peut plus dire cela. Le Japon a lancé les premières expérimentations dès 2004, l’Autriche dès 2007, l’Italie en 2009, etc. En France, le lobby – car il y a bien sûr lobby – affirme que des dizaines de milliers de projets existent, mais pour l’heure, seuls quelques dizaines sont aboutis ou en passe de l’être. Antoine Nogier, président de la fédération France Agrivoltaïsme affirme tranquillement que cette trouvaille pourrait représenter jusqu’à 60% de la promesse gouvernementale de produire en France 100 GW d’électricité solaire en 2050. Avec moins de 1 % de la surface agricole utile. Les optimistes font par ailleurs valoir que 500 000 hectares de systèmes “agrivoltaïques” en France représenteraient la totalité de la production d’électricité nucléaire. Sur 2% de la surface agricole utile. L’agriculteur reçoit aujourd’hui, en louant ainsi ses terres à l’industrie photovoltaïque, entre 1500 et 2000 euros par an. Parfois bien moins. Parfois bien plus.

Si je vous parle de ce sujet que je ne connais pas, c’est parce que je compte sur vous pour m’éclairer. Intuitivement, j’ai le sentiment que naît sous nos yeux un nouveau lobby industriel, comme il y a un peu plus de quinze ans celui des bionécrocarburants, détournant avec la complicité de la FNSEA une production alimentaire au profit de la sacrosainte bagnole. Mais j’avoue ne pas avoir assez creusé. Un indice cependant : la composition des membres de France Agrivoltaïsme, où l’on retrouve les chambres d’agriculture et les SAFER, la FNSEA, la Compagnie nationale du Rhône (CNR) – terrible destructeur des écosystèmes -, Iberdrola – l’industrie multinationale.

Je ne vais pas plus loin ce jour. Sincèrement, éclairez-moi. Avec des bougies si nécessaire.

André Picot, preux chevalier d’une science humaine

Je connaissais un peu André Picot, grand monsieur de la science humaine. Une science qui n’oublie pas ses liens avec la société et ses besoins. Je connaissais assez André pour le pleurer, car il vient de mourir d’un infarctus, à l’âge de 85 ans.

Je ne sais plus quand je l’ai rencontré. Il y a vingt ans ? Sans doute plus. Il gravitait dans les mêmes cercles vaillants que mon si cher Henri Pézerat. Comme lui, il avait mis son immense savoir – de chimiste, en l’occurrence – au service des éternels sacrifiés de la Bête qui nous dévore tous. Il était sur tous les fronts, ne négligeait aucune bataille, jusqu’aux plus petites. Il ne refusait jamais. Et son sourire éternel paraissait d’une autre planète.

Je laisse ci-dessous la parole à ma grande amie Annie-Thébaud-Mony, qui l’a si constamment fréquenté. Annie est directrice de recherches honoraire de l’INSERM, et se bat chaque jour, comme le firent André Picot et Henri Pézerat, qui était son compagnon, contre les crimes industriels. Si nombreux. In memoriam.

La lettre d’Annie

André,
Ce 18 janvier 2023, tu as quitté ceux que tu aimais, ta famille, tes amis, l’Association Toxicologie – Chimie, nous tous qui nous appuyions sur toi. Je veux dire combien ont compté pour moi, ton accueil chaleureux, ton sourire et ton ouverture, ton immense connaissance des risques industriels qui ne cessent d’accroître ce que j’appelle la « chimisation toxique » du travail et de l’environnement.
Pour moi, André, tu es et resteras l’ami, le frère d’Henri, Henri Pézerat, mon compagnon. A vous deux, vous vous partagiez les champs de la toxico-chimie, organique pour toi, inorganique pour Henri.
Je t’ai connu un jour d’hiver 1985, quand Henri t’avait invité au Collectif Risques et Maladies Professionnels, sur le campus de Jussieu, dans les pré-fabriqués (sans doute amiantés) où les syndicats avaient leurs locaux, un lieu improbable d’où était partie la lutte contre l’amiante des années 1970. Le Collectif y avait son local, encombré des
archives, comme autant de traces des mobilisations engagées pour la prévention des risques professionnels, contre l’impunité des industriels et du patronat, contre l’inertie des pouvoirs publics et des institutions.
Tu as, dès cette époque, été présent à mon histoire, par ton partage continu avec Henri, dans vos échanges, souvent téléphoniques, sur ce qui étaient au coeur de notre travail scientifique et de nos préoccupations : comment partager le savoir accumulé et en faire un outil pour contribuer à l’élimination des substances toxiques du travail et de l’environnement, pour contribuer à la réduction des inégalités face aux dangers ?

Scientifiques non alignés l’un et l’autre, malmenés par les institutions, vous avez su, toi et Henri, partager cet immense savoir qui était le vôtre, pour aider des citoyens, un syndicat, une association, des militants, à résister à la mise en danger. Puis, vous avez, toi, Henri et quelques autres, fondé l’association Toxicologie – chimie (ATC) et ceux qui reprennent aujourd’hui le flambeau sauront mieux que moi dire ce qu’elle est et tout ce qu’elle te doit (https://www.atctoxicologie.fr/).
C’est grâce à ce partage entre Henri et toi que j’ai été amenée à te solliciter de plus en plus souvent dans mon propre travail scientifique, sur les cancers professionnels en particulier. En 2009, Henri nous as quittés et je me souviendrai toujours de tes mots en hommage à ce que vous aviez partagé (https://www.asso-henripezerat.
org/henri-pezerat/hommages/andre-picot-et-lassociation-toxicologie-chimie/
)

Dans cette période, ensemble, nous avons poursuivi le travail que vous aviez commencé, toi et Henri, pour soutenir le combat de Paul François contre Monsanto dans le procès qu’il a gagné contre la firme. Je me souviens de ton appel au soir d’une expertise médicale où tu avais accompagné Paul. Tu étais atterré de l’ignorance et de l’inhumanité du médecin-expert auquel Paul avait été confronté.
Au fil des années, j’ai pu alors continuer à faire appel à toi non pas seulement dans le travail scientifique, mais aussi dans le développement des luttes portées par l’association qui porte le nom d’Henri. Son but ? Le soutien aux luttes pour la santé en rapport avec le travail et l’environnement. Combien de fois t’ai-je appelé, à mon tour, pour que tu me fasses partager ton expérience et tes connaissances, depuis la dioxine ou les hydrocarbures jusqu’aux multiples pollutions chimiques et radioactives qui empoisonnent la vie. Je pense aux désastres industriels tels Lubrizol ou la contamination au plomb lors de l’incendie de Notre-Dame de Paris. Mais aussi «l’après-mine », que je ne peux évoquer sans penser à toi : Salsigne, Saint Felix-de-Pallières, la mine de Salau en Ariège…
C’est d’ailleurs la lutte contre les pollutions monstrueuses laissées par les exploitants miniers, avec la complicité de l’Etat, qui a été l’occasion de notre dernière rencontre, grâce à l’association SysText (https://www.systext.org/). En septembre 2022, celle-ci a organisé un « forum citoyen sur l’après-mine ». Nous avons été heureux de cette
occasion de nous revoir et d’échanger autrement qu’au téléphone. Tu étais présent à tous et chacun.e, même si tu ressentais douloureusement la mort brutale de Bruno Van Peteghem, qui a tant fait à tes côtés dans l’activité et le rayonnement de l’ATC.
J’ai su que tu t’en étais allé par ton fils qui as décroché le téléphone lorsque je t’ai appelé hier. Nouée par l’émotion, je n’ai pas su lui dire combien tu avais compté pour moi, pour nous, depuis des décennies. Mais je ne le remercierai jamais assez de ne pas avoir laissé mon appel sans réponse. Tu répondais toujours…
Vendredi, étant à l’étranger, je ne pourrai pas venir pour la célébration de tes obsèques à Chevreuse. Mais ce message sera mon moyen de partager avec tous les tiens ce moment d’adieu. Je voudrais leur dire combien je partage leur peine, combien tu nous manques et nous manqueras dans les combats qui étaient les tiens, qui sont les nôtres. Adieu, André, et merci pour ces décennies d’échange fraternel et de savoir partagé.
Annie Thébaud-Mony, 22 janvier 2023