Archives mensuelles : octobre 2008

Le grand collisionneur et la banque (fabliau du dimanche)

Ici même, en septembre, j’ai vaillamment plaisanté autour d’une perspective certes convenue, mais qui reste intéressante : la fin du monde (lire ici). L’idée générale était la suivante : le grand show organisé par le laboratoire du Cern (Organisation européenne pour la recherche nucléaire, de son vrai nom) à la frontière franco-suisse faisait courir le risque infime – mais réel – de l’apparition d’un trou noir aspirant la terre dans sa totalité, nous compris bien entendu.

Les braves gens qui tiennent le manche là-bas et ailleurs se sont abondamment moqués de ceux qui prenaient cette affaire au sérieux. N’insistons pas. Ce qui est sûr, c’est que le Grand collisionneur de hadrons (LHC selon son acronyme anglais) est en panne. Et je découvre, un sourire niais aux lèvres, que personne ne sait pourquoi ni comment (lire ici). J’apprécie au plus haut point ce qui suit, tiré du journal Le Monde : « “Une chose est sûre : le LHC n’a pas été victime d’un trou noir”. Robert Aymar, directeur général du CERN, l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire de Genève, garde le sens de l’humour. Avant la mise en route de la machine, un groupe de citoyens et de chercheurs européens s’était ému du risque de formation, lors des collisions de particules, de mini-trous noirs susceptibles d’engloutir la Terre. Une crainte balayée par un comité d’experts internationaux ».

J’adore positivement et l’humour du monsieur – si fin – et celui du journaliste, que je crois hélas involontaire. Une « crainte balayée par un comité d’experts internationaux ». Un comité. Des experts. Internationaux. Le monde est assurément en de très bonnes mains. Demandez donc à ceux de la banque Lehman Brothers, créée en 1850, et qui avait résisté au tremblement de terre de 1929. Une telle banque ne pouvait simplement pas disparaître. Et pourtant si.

Vive le Mondial de l’auto ! (attention, antiphrase)

Eh oui, mesdames et messieurs, très chers, le Mondial. À Paris, tout près de chez moi. Le Mondial de l’automobile ouvre ses portes aujourd’hui. Vous dire ce que j’en pense ? Vous le savez déjà si vous avez déjà lu deux ou trois bricoles de moi, mais pour plus de sûreté, je vous suggère de multiplier ce que vous imaginez par un facteur dix. Non, cent. Je vomis cette merde dans sa totalité.

Oui, la sacro-sainte bagnole, qui fait bandouiller cette partie de l’humanité dans laquelle je ne vois que ténèbres. Privilège de journaliste, j’ai reçu en service de presse – gratuitement, donc – un livre d’exception. Son problème, c’est le prix : 59 euros. Et je ne peux pas même vous recommander de le voler, car il est encombrant. Mais à part cela, quelle vision ! Le photographe Alex MacLean a survolé les États-Unis pendant des décennies, et nous montre ce qu’est devenue l’Amérique des pionniers, deux siècles seulement après la première grande traversée du continent par les capitaines Clark et Lewis.

Ces photographies procurent une poussée hallucinatoire qui n’est pas si loin des effets (désastreux) du LSD. Ainsi, nous en sommes là ! Dans Over (Visions aériennes de l’American Way of Life : une absurdité écologique, La Découverte/Dominique Carré Éditeur), MacLean ne nous épargne rien. Nous y voyons les mailles d’anciens projets de lotissements dans le désert. Des banlieues dantesques s’étendant à l’infini. Des centrales électriques qui tuent toute perspective. Des étendues de champs au cordeau comme la Beauce elle-même n’ose les penser. Des villages de mobile-home. Des villes entières de mobile-home. Des immensités sans borne de rocades, routes, autoroutes, idoles dédiées au monstre qui nous tue tous peu à peu.

Car le héros central du livre de MacLean est la voiture individuelle, qui a changé jusqu’à l’organisation des villes, bouleversé l’apparence de la nature et de la vie dans ses moindres détails. La bagnole est la mort de l’homme. Sur roues. (Je vous signale un très bon article sur le livre dans Le Monde, signé Hervé Kempf, lire ici).

Ma hargne n’étant pas épuisée par si peu, je vous invite à prendre connaissance du numéro d’octobre de 60 millions de consommateurs. Une enquête y révèle que les constructeurs automobiles font ce qu’ils veulent. Ce n’est pas une révélation. Non, il est vrai, et je me reprends. Une confirmation, donc, mais quelle ! Le magazine a testé la consommation de carburant de trois véhicules : la Citroën C1, la Renault Mégane, et le Volkswagen Touran. Le résultat est que la consommation réelle est comprise entre 20 % et 60 % de plus que ce que prétendent les marchands.

Et l’explication est d’une simplicité rafraîchissante : l’industrie réalise elle-même ses tests – en labo, jamais sur la route – et les confie ensuite gentiment à l’administration. Or donc, tout est bidon, à commencer par les émissions de gaz carbonique annoncées, bien entendu proportionnelles à la consommation d’essence. Ce système hautement moral semble être né en 1980, et cette date me rappelle une étude américaine dont je n’arrive pas, pour l’heure, à retrouver la trace. Sandro Minimo aurait-il une idée ? Cette étude, de 2 000 à peu près, concluait qu’en vingt ans, depuis 1980 précisément, la consommation moyenne des véhicules automobiles américains n’avait pas baissé, contrairement à ce que claironnait la publicité.

Et pourquoi ? Mais à cause des gadgets de tous ordres, et de l’explosion des ventes de 4X4, qu’on appelle là-bas des SUV. Aux lecteurs de ce blog âgés d’au moins 10 ans, je rappelle qu’ils ont vécu, douloureusement certes, dans un pays sans clim’ dans les autos. Je vous jure. Il y a six ou sept ans – plus ? -, nul en France ne parlait de climatiser les bagnoles. Et puis une campagne obsédante, digne réellement d’autres régimes et d’autres latitudes, a clamé brusquement qu’il nous fallait la clim’ partout. PARTOUT. Et que, bientôt, ceux qui n’en disposeraient pas à bord de leurs jolies totos seraient des zozos, moqués par le voisinage. Je crois – je ne vais jamais regarder de près – que toutes les voitures neuves sont désormais équipées. Détail sans conséquence autre que l’aggravation du désastre climatique : quand la clim’ marche, la consommation d’essence augmente en moyenne de 15 %. Relisez, réalisez : 15 %.

Bon, je me dois de finir sur une bonne nouvelle, et remercie Philippe pour son commentaire (lire ici) sur le combat des paysans indiens du Bengale contre l’ogre Tata, qui souhaitait bâtir une usine automobile (les fameuses Nano) sur des terres agricoles. Je trouve Philippe un chouïa optimiste, mais en effet, il semble que Tata, cher au coeur du grand écologiste français Pierre Radanne, ait pris un pain en pleine gueule (lire ici). Si cela se confirme, je jure ici, solennellement, que je me saoulerai au champagne (bio).

PS : Je me rends compte, me relisant, qu’il a pu m’arriver dans ce papier d’être grossier, ce que j’évite généralement. Mettons cela sur le compte de la détestation du monde des moteurs et de la vitesse. Je ferai attention.

Castagnettes et coucougnettes

Vendredi 3 octobre 2008, 21h34, rajout à l’article précédent. Une étude publiée dans la revue Andrologia (lire ici), nous apprend que plus de la moitié des jeunes Espagnols ont un sperme de mauvaise qualité, selon la définition retenue par  l’OMS (Organisation mondiale de la santé). Ils pourront avec de la chance avoir des enfants, mais cela leur sera plus difficile que ce ne fut pour leurs pères. L’étude montre – che sorpresa ! mais quelle surprise, vraiment – que « les niveaux les plus importants d’oligospermie (quantité anormalement faible de spermatozoïdes dans le sperme) sont constatés dans les régions les plus industrialisées ».

Les responsables les plus probables – ma che sorpresa ! , etc. – sont les produits chimiques de synthèse, parmi lesquels les pesticides. Ceux dont l’Inserm – voir l’article sopra – ne sait hélas rien du tout. Aïe, aïe, aïe, aïe, c’est pas ça qu’il faudrait dire ! (cela se chante en choeur, éventuellement avec entrain).

Quand les poules auront des dents (cancéreuses)

Je reviens de Metz, où j’ai été accueilli royalement par Michel Ribette, qui s’occupe là-bas d’une structure unique de découverte de la nature (lié au réseau de magasins Nature et Découvertes). Il m’avait invité à parler de biocarburants devant des étudiants de la fac de sciences, et j’ai passé une soirée formidable. Simplement formidable.

Je devrais donc rentrer heureux, mais finalement non. Oh ce monde ! J’ai lu dans le train Le Figaro et Libération, qui évoquaient tous deux la publication d’une expertise de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) sur les liens entre cancers et environnement (lire ici). Et j’enrage depuis. Le Figaro, dans son rôle, minimise tout ce qui peut l’être, au-delà de la simple prudence selon moi. Libération titre plus justement sur le flou qui entoure l’étrange cadeau que nous a fait l’Inserm.

Mais moi, je suis sidéré. Tout bonnement. Car la véritable information n’aura pas été donnée. Et ne le sera probablement jamais. D’abord, un point de base. La compilation de l’Inserm – car il ne s’agit jamais que d’une compilation, et pas d’une étude – est en fait un ouvrage de 800 pages. Aucun journaliste, raisonnablement, ne l’a lu. Ni ne le lira peut-être. En tout cas, « l’information » est pour aujourd’hui, et pas pour demain. Demain sera un autre jour. Et aujourd’hui, la seule chose disponible est une synthèse d’une douzaine de pages, à laquelle vous avez accès un peu plus haut dans mon texte.

C’est une première bizarrerie très dérangeante. Mais la suite n’est pas mieux. Car volontairement ou non, l’Inserm présente les faits d’une façon qui perd des journalistes il est vrai peu regardants. Citation : « En 2005, le nombre de nouveaux cas de cancers en France a été estimé à près de 320 000 pour les deux sexes confondus, 180 000 chez les hommes et 140 000 chez les femmes. On constate une augmentation de l’incidence des cancers depuis une vingtaine d’années. Si l’on tient compte des changements démographiques (augmentation et vieillissement de la population française), l’augmentation du taux d’incidence depuis 1980 est estimée à +35 % chez l’homme et +43 % chez la femme ».

Le Figaro ne s’embête pas, et ne cite aucun chiffre qui pourrait inquiéter Neuilly, Auteuil et Passy. Parfait. Libération reprend les pourcentages de l’Inserm, mais sans préciser qu’ils ne sont pas bruts, mais rectifiés pour tenir compte de l’augmentation et ddu vieillissement de la population entre 1980 et 2005. Le Monde – je viens de vérifier – fait (presque) pareil, écrivant : « Entre 1980 et 2005, compte tenu des évolutions démographiques, l’incidence des cancers s’est accrue de 35 % pour les hommes et de 43 % pour les femmes ». Et la palme revient à L’Express, qui note : « Depuis 1980, l’incidence (c’est-à-dire le nombre de nouveaux cas de cancers en un an rapporté à la population) ne cesse de progresser: + 35% chez l’homme et + 43% chez la femme ! ». Cette dernière citation comprend, vous l’aurez noté, un point d’exclamation. Car le journaliste est impressionné : + 35 % ! +43 % !

Sauf qu’il a tout faux. Car l’Inserm aurait pu, aurait dû commencer par donner les chiffres bruts, qui sont sans discussion brutaux. On est passé en effet, entre 1980 et 2005, de 170 000 nouveaux cas de cancer par an en France à 320 000. Et cela fait une augmentation stupéfiante de près de 90 % en un quart de siècle. Certes, cela ne dit pas d’où tout cela vient. Mais admettez qu’il n’est pas anodin de remplacer partout 90 % par 35 % (pour les seuls hommes). Est-on encore dans l’information, franchement ? Ou déjà dans un autre monde ?

Poursuivons. Je reprends ma lecture du résumé de l’Inserm. Cette nouvelle citation : « L’évaluation de l’impact des facteurs environnementaux reste limitée dans bon nombre de cas, en raison d’une absence ou d’une insuffisance de données permettant de quantifier les expositions sur l’ensemble de la vie des populations exposées et de préciser les co-expositions ». Prodigieux, non ? L’Inserm reconnaît des failles géantes dans le recueil de données sans lesquelles rien n’est possible. L’écrit. Et vous ne le saurez pas. Plutôt, vous ne le sauriez pas si vous ne me lisiez pas.

Une dernière, pour la route, encore plus extrémiste, qui concerne les pesticides : « Près d’un millier de molécules ont été mises sur le marché en France ; les risques liés à ces molécules ne peuvent être évalués faute de données toxicologiques et épidémiologiques suffisantes ». Vous avez bien lu, amis lecteurs. L’Inserm ne sait rien et ne peut rien savoir, en l’état, sur les effets de l’empoisonnement généralisé par les pesticides.

Et voilà donc le travail, si l’on peut appeler de la sorte une telle entreprise. Je vous pose pour finir une question facile : l’Inserm a-t-il compris le drame terrifiant que représentait l’usage criminel de l’amiante en France, qui tue par milliers chaque année ? A-t-il alerté la société, comme tel aurait été son rôle, au moment où cela aurait été utile ? Question facile, je vous l’ai dit, et réponse sans détour : c’est non.

Ce qu’est un chef d’oeuvre (Roselyne Bachelot impératrice)

Je ne vois pas qu’on puisse mieux faire. Montrer avec autant de (bonne) grâce et de force qu’on se fout du monde. Non, vrai, je crois que madame Bachelot donne à tous ses amis – qui ne ne sont pas les miens, je le confesse – une leçon d’efficacité indépassable.

D’abord, qui est madame Bachelot ? On ne sait plus très bien. Notons qu’elle est docteure en pharmacie et qu’elle fut ministre de l’Environnement, déclarant alors, un jour, que le « le nucléaire est l’industrie la moins polluante ». Le mot est connu, davantage que cet autre, qui n’est pourtant pas si mauvais : « Garer sa voiture à l’ombre évite d’avoir à mettre la clim trop fort ». Madame Bachelot est en ce moment ministre de la Santé, de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative. Je vous assure que ce titre existe, et j’ai dans l’idée qu’il vaut mieux s’en souvenir quand on est en face de madame. Malgré ses rires et ses tailleurs, malgré sa fantaisie, peut-être un tantinet surjouée.

Ministre en tout cas. De la santé. Dans un pays où l’obésité est devenue un drame. Les chiffres sont à peu près fiables : chez nous, en France, un adulte sur deux pèse trop lourd et un sur six est obèse. Avec un peu de chance, 30 % des Français seront obèses en 2020. 8 % des dépenses de santé publique seraient liées au phénomène. Faut-il insister ? Il est peu de sujets qui lient aussi clairement la santé, l’alimentation, l’avenir, la joie de vivre et même, sans se forcer, les grands équilibres écologiques. Car évidemment, la manière de s’alimenter d’un peuple riche comme le nôtre a des conséquences planétaires. La viande industrielle, pour ne prendre que ce seul exemple, oblige d’importer massivement du soja, devenue nourriture de base de notre bétail, au détriment des forêts et des cultures vivrières.

En bref, pour une docteure en pharmacie consciente de ses responsabilités publiques, la lutte contre l’obésité a quelque chose d’obligatoire et de gratifiant. Appelons cela du nanan. Sauf que la dame s’en moque, vu qu’elle est aussi une responsable de l’UMP. Pensez, lecteurs, le monde n’est-il pas à feu et à sang à cause de la crise financière ? Voudrions-nous risquer la splendide carrière de SAS (Son Altesse Sérénissime) Nicolas Sarkozy en adoptant des mesures pour une fois efficaces ? Voyons, ne déconnons pas avec les choses sérieuses.

Je résume. Le 30 septembre 2008,  la «Mission parlementaire d’information sur la prévention de l’obésité » présente 80 propositions pour lutter contre le fléau. Valérie Boyer (UMP), présidente de cette mission, explique dans la foulée qu’ « une pomme devrait être moins taxée » que des produits agro-industriels. Dingue. D’autant qu’elle ajoute, façon Al-Qaïda : « Il faudrait augmenter la TVA sur certains produits comme les barres chocolatées et la faire baisser sur d’autres, comme les fruits et légumes ».

À cet instant surgissent sur la scène des comiques-troupiers d’une telle qualité qu’ils ne seront jamais au chômage. Jamais. Le ministre du Travail, Xavier Bertrand : « Je n’y suis pas favorable, parce que vous savez ce qui se passerait ? Cela augmenterait les prix, et je ne suis pas sûr que ça change les comportements ». Ah, ah ! Xavier, as-tu déjà pensé à faire de la scène ? Roselyne arrive à la suite – c’est moins drôle, nous sommes dans le comique de répétition -, la main sur le coeur, le nez dans les sels qui l’empêchent de s’effondrer à la renverse. Qu’entends-je ? Une TVA ? Des taxes ? Mes sels, mes sels, vous dis-je.

La ministre, ayant retrouvé ses esprits, lance sur la radio Europe 1 – je ne peux, hélas, vous offrir son ton navré d’apprentie tragédienne – cette phrase sublime : « La démarche est intéressante [mais] nous sommes dans une période difficile sur le plan économique et taxer un certain nombre de produits reviendrait à taxer les plus faibles ».

Voilà. Flagrant délit. Flagrant délire indiscutable. L’industrie agroalimentaire ayant actionné les circuits d’influence qui ont fait son succès et sa renommée, le pouvoir politique se couche et meurt. Le choeur des pleureuses, ayant été retardé sur l’autoroute par une opération des routiers en colère, n’est même pas là. On aperçoit Carla Bruni, en ombre chinoise, qui soutient son pauvre petit mari. On ne sait plus trop s’il faut rire ou pleurer, cela devient gênant. Heureusement, cela sera bientôt terminé. Il me semble, en tout cas.