Archives mensuelles : décembre 2009

Le WWF est-il vraiment avec nous ? (une question douloureuse)

Ce sera un peu bâclé, faute de temps, mais cela vaut la peine. Il existe en Amérique du Sud un réseau d’une centaine d’associations d’une petite dizaine de pays appelé Iniciativa Mercosur (ici). Pour connaître l’un des responsables de ce regroupement, je puis vous dire que ce sont des gens infiniment sérieux. Le réseau rassemble des mouvements de femmes, des communautés indiennes, des associations paysannes ou de pêcheurs. Ayant cassé leur tirelire, ces gens ont envoyé en Europe, dans la perspective de la conférence sur le climat de Copenhague, une petite caravane itinérante qui les représente tous. Allez savoir pourquoi, ils relient dans leurs textes la crise climatique et le commerce mondial. Parler de l’une sans évoquer au premier chef l’autre serait stupide. Je les soupçonne de critiquer la marche du monde.

 

En tout cas, la caravane latina était ce matin même à Gland (Suisse), devant le siège du WWF International. J’ai eu l’occasion, plus d’une fois, de dire mon désaccord total avec certaines orientations clés de cette ONG, notamment sur le soja prétendument durable (ici notamment). Ceux de la caravane, furieux contre ce même WWF, sont venus protester sous les fenêtres de la douillette bureaucratie suisse de l’ONG. Je vous livre ci-dessous quelques extraits de leur critique. Car ces informations-là n’arrivent (presque) jamais jusqu’à vous. Or, Dieu sait qu’elles sont importantes.

« Ces dernières années, le WWF a initié différentes tables-rondes de “production durable” avec des entreprises multinationales sur des sujets très controversés sur les plans social et environnemental, comme le soja, la palme africaine, le sucre, le coton, l’aquaculture et les agrocarburants. Ces espaces de dialogue multisectoriel sont rejetés par les mouvements sociaux de base, parce qu’ils dévient l’attention de la gravité de la réalité. Dans bien des cas, ces modèles de production sont la cause de violations des droits de l’homme. Le WWF est accusé de couvrir les impacts environnementaux et sociaux des multinationales sous de soi-disant projets de conservation de la nature.

« Javiera Rulli, d’Argentine, a expliqué que la “table-ronde du soja responsable”, promue par le WWF, n’était qu’une plateforme entre l’industrie et les latifundistes [grands propriétaires terriens] (…)

 « Jorge Galeano, leader paysan du Mouvement agraire et populaire du Paraguay, s’est clairement opposé à la certification du soja transgénique comme culture durable (…)

 « Elisangela Araujo, coordinatrice générale de la Fédération de l’agriculture familiale du Brésil (Fetraf) a dénoncé la concentration de multinationales qu’implique le soja au Brésil (…).

Voilà. Les gens du WWF International, vitupérés au mégaphone par cette caravane venue d’ailleurs, ont fait semblant de ne pas comprendre qu’ils étaient les accusés. Selon les participants à l’action, un responsable serait même venu féliciter les manifestants. Le seul représentant de « la société suisse » qui fera partie de la délégation officielle de la Confédération à la conférence de Copenhague sera un membre du…WWF.

James Hansen, suivi d’une authentique grève de la viande

Je n’ai pas l’admiration facile, mais elle est tout acquise à James E.Hansen. Cet homme est de la race des prophètes, de ceux qui effraient sans parvenir à convaincre. Sa vie entière, pour qui la connaît – c’est mon cas – est un cinglant démenti aux malheureux délires des « climato-sceptiques ». Hansen est né le 29 mars 1941 dans une petite ville du nord de l’Iowa, Denison. Son père, fermier avant-guerre, était ensuite devenu barman. Dans l’ensemble, une vie pauvre, dans laquelle les six gosses de la famille se partageaient deux chambres. James – Jim – avait la tête dans les étoiles, et l’y aura gardée, par chance.

À la suite d’événements impossibles à résumer, Hansen est devenu l’un des meilleurs connaisseurs du climat dans le monde. Il est le directeur de l’Institut Goddard pour l’étude de l’espace (Goddard Institute for Space Studies), qui dépend de la Nasa. Auteur d’articles révolutionnaires sur la crise climatique, dont un datant de 1981, il a lancé une première alerte devant le Sénat des États-Unis dès 1987. Et n’a cessé depuis. Bête noire du lobby pétrolier, censuré sous George W Bush, il a continué son combat, qui se confond avec sa vie. Dernièrement, sa femme Anniek et lui ont adressé une lettre-supplique à Michèle et Barack Obama. Sans aucun succès.

Cet homme vient de donner un entretien que je juge exceptionnel au quotidien britannique The Guardian (ici) . Il y explique souhaiter un ÉCHEC de la conférence de Copenhague sur le climat et je suis absolument d’accord avec lui. Il ajoute : « Je préfèrerais que cela n’arrive pas [un accord à Copenhague] si les gens doivent le considérer comme la bonne voie parce que c’est la voie du désastre (…) C’est semblable au problème de l’esclavage affronté par Abraham Lincoln ou au problème du nazisme auquel Winston Churchill a fait face (…) Sur ce genre de problèmes, vous ne pouvez pas faire de compromis. Vous ne pouvez pas dire : “réduisons l’esclavage, trouvons un compromis et réduisons-le de 50% ou réduisons-le de 40%”(ici en français) ».

Par ailleurs, je dois vous informer que je suis le signataire d’un Appel des dix, en compagnie de Pierre Rabhi, Jean-Claude-Pierre, Allain Bougrain-Dubourg, Jean-Marie Pelt, Jean-Paul Besset, Franck Laval, Corinne Lepage, Sandrine Bélier, Jean-Paul Jaud. Il s’agit d’un acte purement symbolique, qui nous engage à faire la grève de la viande pendant le rendez-vous de Copenhague. Mais vous verrez, ce n’est qu’un tout petit début. Il y a un site sur le net, que je vous engage à visiter et à faire connaître au plus vite : www.viande.info.

Est-ce tout pour ce soir ? Presque. Mon livre Bidoche, que je suis de plus en plus heureux d’avoir écrit, est réimprimé pour la deuxième fois. Ce serait navrant d’être dans les derniers à l’acheter, ne croyez-vous pas ?

PS : Il est possible que je passe ce soir dans le journal télévisé de France 2. Je sais qu’il est tard pour l’annoncer, car il est exactement 19h32. Mais, qu’on le croie ou non, je l’avais oublié.

Eraste Petrovitch Fandorine, la viande et moi (en trois mouvements)

Je ne sais pas, évidemment, si vous connaissez Boris Akounine, un écrivain largement lu dans son pays, la Russie. Moi, qui le dévore en français depuis des années, je le tiens pour un très grand romancier populaire, dans la lignée d’Alexandre Dumas. Il a inventé un personnage magnifique, Eraste Petrovitch Fandorine. Fandorine ! Je ne peux en dire plus ici, sauf que j’aime follement ce personnage de détective aux tempes prématurément blanchies.

M’appuyant sur sa manière si personnelle de présenter un problème – en trois temps -, je vous dirais ce  3 décembre 2009 que, et d’un, l’élevage est au centre de la crise climatique planétaire. L’élevage, c’est-à-dire essentiellement l’élevage industriel dont je parle dans mon livre Bidoche. La FAO, en 2006, estimait dans un rapport jamais traduit en français – mystère – que 18 % des émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine proviennent de l’élevage (ici). Soit davantage que tous les transports humains, de la bagnole à l’avion, en passant par le bateau et le train. Mais attendez la suite. Une étude publiée dans une revue américaine sérieuse, WorldWatch (ici) affirme, de son côté, que 51 % des émissions anthropiques de gaz seraient le fait de l’élevage. Selon les auteurs du travail, Robert Goodland et Jeff Anhang, la FAO aurait oublié en route des données essentielles concernant le méthane, la respiration de milliards d’animaux et le changement d’usage des terres, incluant la déforestation.

Mais revenons à Fandorine. Où en étais-je ? Et de deux, quoi qu’il en soit, la meilleure façon de lutter contre le dérèglement climatique en cours serait de diviser par trois ou quatre l’hyperconsommation de viande qui est devenue notre règle. Notre santé serait meilleure, les écosystèmes de la planète et ses animaux survivants pourraient enfin souffler un peu. Et la conférence de Copenhague sur le climat commencerait enfin à devenir intéressante.

Mais, et de trois, cher Éraste, la question ne sera pas posée. Et Copenhague parlera d’autre chose. Pourquoi ? Parce qu’il faudrait s’attaquer à une industrie surpuissante, celle de la bidoche. Et que cela ne se peut, car l’industrie est le principe organisateur de notre monde malade. Attaquer ne fût-ce qu’une industrie, c’est remettre en  cause tout. Tout. Ce sera donc rien.

Boris Akounine est édité aussi en poche, dans la collection 10/18.

Flagrant délit sur le staphylocoque doré (ce qu’on nous cache)

On se fout de nous. Ce n’est certes pas une nouvelle bien fracassante, mais elle fera l’affaire. Une sacrée affaire, qui m’éberlue moi-même. Premier temps : un  communiqué en français de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA, selon son acronyme anglais). Le texte, daté du 26 novembre 2009 (ici), rend compte d’une enquête européenne portant sur le Sarm, autrement dit le Staphylococcus aureus résistant à la méthicilline. En anglais, le Sarm s’appelle MRSA (Methicillin-Resistant Staphylococcus aureus), qui n’est autre qu’une bactérie, mais ô combien redoutable : le staphylocoque doré. Pour comble, ce dernier est, dans le cas du Sarm, une bactérie mutante, qui résiste désormais à l’antibiotique qui la terrassait jadis, la méthicilline, et de plus en plus à d’autres. Aussi incroyable que cela paraisse, le Sarm aurait tué en 2005, aux États-Unis, près de 19 000 personnes, davantage que le sida (ici).

En avez-vous entendu parler ? J’en doute, pardonnez. Moi, j’ai consacré un morceau de mon livre Bidoche (éditions LLL, oui, c’est de la pub) à cette folle histoire. Pour les humains que nous sommes, l’existence du Sarm n’a rien de réjouissant, car la viande peut être contaminée par une de ces bactéries mutantes et multirésistantes qui rendent encore plus ingérable le dossier des antibiotiques. Aux États-Unis, une coalition d’ONG, Keep Antibiotics Working, s’est penchée avec le plus vif intérêt sur le Sarm. Elle a interrogé à l’été 2007 la Food and Drug Administration (FDA) sur les travaux entrepris au sujet de cette bactérie. Tout de même, 19 000 morts en une année pourraient susciter un peu d’intérêt public. Mais la FDA a bien dû reconnaître qu’elle ne s’était pas encore souciée de ce qui se passe dans les fermes concentrationnaires du pays. C’est d’autant plus dommage que tout converge vers les porcheries industrielles.

En octobre 2007, un article retentissant de la revue Veterinary Microbiology révèle des faits graves. Menée dans 20 porcheries industrielles de l’Ontario (Canada), elle montre que le Sarm est présent dans 45 % d’entre elles. Qu’un porc sur quatre environ est contaminé. Qu’un éleveur sur cinq l’est aussi. Les souches de Sarm retrouvées dans l’Ontario incluent une souche répandue dans les infections humaines par la bactérie au Canada. Et 9 millions de porcs du Canada sont importés chaque année aux États-Unis.

L’Europe n’est pas épargnée. Voyons d’abord les Pays-Bas, terre fertile, du moins en élevages industriels. En décembre 2007, une étude américaine des Centers for Disease Control établit qu’une souche de Sarm jusque-là repérée exclusivement chez les porcs est la même que celle que l’on trouve chez 20 % des humains malades. En Belgique – on se rapproche –, toujours en 2007, un autre travail, commandé par le ministre de la Santé publique Rudy Demotte, indique que, dans près de 68 % des porcheries étudiées, une souche de Sarm est présente chez les animaux. Et cette même bactérie résistante est retrouvée chez 37,6 % des éleveurs de porcs et des membres de leur famille. Or, dans une population sans rapport avec l’industrie porcine, elle n’est que de… 0,4 % !

Et en France, donc, où en sommes-nous ? Nulle part. Que fait-on du côté du ministère de l’Agriculture ? Du côté de ces innombrables agences sanitaires qu’on nous a présentées comme essentielles autant qu’exemplaires ? Du côté de l’Institut de veille sanitaire (InVS) ? De l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) ? Pourquoi aucune étude importante n’est-elle lancée sur les liens entre élevage industriel et développement foudroyant d’une maladie qui tue les hommes ?

Revenons-en au communiqué de l’EFSA, autorité européenne. Le texte français est très édulcoré par rapport au travail en anglais qu’il est censé résumer (ici). Je n’ai pas le temps d’en faire une analyse complète, et je le regrette bien. Le texte anglais commence par exemple comme suit : « Methicillin-resistant Staphylococcus aureus (MRSA) is a major concern for public health ». C’est-à-dire que le Sarm est un problème de santé publique majeur. Or il faut attendre le troisième paragraphe du communiqué français pour lire : « Le SARM représente un problème de santé publique important », ce qui n’est pas la même chose. Important n’est pas majeur.

Et tout est à l’avenant, tricoté, si l’on veut être charitable, pour ne pas affoler le monde. Si l’on veut être charitable, mais l’on n’est pas obligé de l’être. L’étude anglaise pointe ce qu’il faut bien appeler des anomalies. Sur les 24 États membres de l’Union, 7 ne signalent aucun cas de Sarm, ce qui ne se peut. On ne trouve que ce que l’on cherche, et visiblement, on n’a pas cherché. Mais les autres alignent des taux de prévalence étonnamment élevés. Souvent plus de 50 % de présence du Sarm chez les animaux étudiés.

Les autorités dites de contrôle ont-elles peur, en France, de découvrir que nos élevages industriels sont farcis de cette bactérie résistante, menaçant les éleveurs de porcs et de volaille en priorité, le reste de la population juste derrière ? Ont-elles peur une fois encore de déstabiliser un marché qui est structurellement en crise ? Ce serait d’autant plus insupportable que l’élevage industriel, si la société n’en vient pas à bout très vite, nous entraînera tôt ou tard dans une catastrophe sanitaire majeure.

Qu’attend-on ? Le désastre final ? Telle est la question que je me pose. Telle est la question que je vous pose. Pour vous aider à mettre des points sur les i, j’ajouterai que madame Catherine Geslain-Lanéelle est la directrice exécutive de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). Qui est-elle ? Un haut-fonctionnaire proche de la gauche qui s’est toujours bien entendu avec la droite. J’ai eu l’occasion, dans un autre livre (Pesticides, révélation sur un scandale français, avec François Veillerette, de détailler son rôle très controversé dans l’affaire de l’insecticide Gaucho, qui tuait les abeilles par millions et milliards. Elle était alors la patronne de la surpuissante Direction générale de l’alimentation (DGAL), place-forte du ministère de l’Agriculture.

En juin passé, le journal Le Monde publiait un article vif sur l’EFSA, pour la raison que cette autorité européenne donne toujours des avis positifs sur la commercialisation des OGM. Titre de l’article en question : « Génétiquement pro-OGM ». Il me semble, il m’a semblé que je devais vous mettre au courant. Car tandis qu’on joue aux imbéciles avec le vaccin contre la grippe porcine, opportunément rebaptisée A, puis H1N1 – ni vu ni connu -, le Sarm se répand inexorablement. La raison m’en paraît limpide. Non ?