C’est comme une déclaration de guerre, mais singulière. D’un côté les avions de combat, les chars les plus modernes, les mitrailleuses lourdes du type XM214, capables de tirer jusqu’à 6000 balles à la minute, avec des chargeurs de 500 cartouches. Et de l’autre, nous, avec nos arcs et nos flèches, qui ne sommes que piedra pequeña, cette petite pierre chère à León Felipe.
Donc, à l’Agriculture, une certaine Annie Genevard. Du parti Les Républicains. C’est une militante, et comme beaucoup de militants – bornés -, elle fait le tri instantané entre ce qui lui convient et ce qui pourrait contrarier son sommeil profond. Elle a ainsi volé au secours du journaliste Patrick Cohen, qui en novembre 2023 prenait la défense du glyphosate à la télé. Cohen se voit en grand journaliste, et un autre jour, je raconterai une mésaventure qu’il m’a fait subir. Disons pour être très charitable qu’il est un adepte de l’information industrielle. Tout propos venant de l’agrochimie est sérieux, « scientifique », quand la moindre critique des pesticides ne peut venir que des illuminés.
Genevard. À la suite de la franche déconnade de Cohen, elle commente : « Excellente mise au point de Patrick Cohen sur le glyphosate et la désinformation dont ce produit fait l’objet. » Avant de poursuivre, voyons qui est madame Genevard. Elle a passé un CAPES de Lettres il y a un moment et a enseigné le français dans le Doubs. Maman était députée – de droite, faut-il se demander ? -, papa était patron. Elle se marie en 1983 avec un pharmacien, dont le père est lui aussi député. De droite, faut-il préciser ?
C’est donc une notable de province. On aurait dit hobereau en d’autres temps. Que sait-elle du monde et de ses problèmes ? Rien. Si je m’autorise cette phrase abrupte, c’est qu’elle a passé sa vie dans l’univers sans oxygène de la politique la plus politicienne. Un espace clos – la petite ville de Morteau, autour de 7000 habitants, dont beau-papa a longtemps été maire, elle aussi -, un milieu clos, celui de la droite la plus étroite qui se puisse concevoir. Elle a été au RPR de Chirac dès 1996, puis à l’UMP, enfin aux Républicains. J’aimerais savoir ce que cette prof de français a pu lire de romans. Sans l’ombre d’une preuve, que je ne cherche d’ailleurs pas, je ne peux imaginer qu’elle ait aimé Tolstoï, Balzac, Miguel de Cervantes, Rimbaud, Shakespeare. Elle eut été transformée.
Elle n’aurait pu mener carrière aussi médiocre. Non. Et la voilà ministre de l’Agriculture, aux ordres de la FNSEA et des lobbies industriels. Le site Vakita, que je ne connais pas, liste certains de ses faits d’armes. Souffrons ensemble, cela me soulagera. Elle est pro-chasse, pour le déterrage des blaireaux et renards, pour la chasse à la glu, contre le Loup bien sûr. Je vous avais prévenu.
Mon sentiment, mille fois exposé, c’est que nous nous battons dans un cadre inadapté. L’heure n’est plus aux sempiternels accommodements des « écologistes » du genre France Nature Environnement (FNE), qui vivent d’argent public et ne cessent de tendre leur sébile. L’heure est au combat, aussi désespéré qu’il paraisse.
Mon Dieu, quelle souffrance ! Quel spectacle ! Je veux parler de la passation de pouvoir entre Bruno Le Maire, ci-devant ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique d’une part, et son successeur Antoine Armand, jeunot de 33 ans, et dents probablement.
Ces gens-là couchent ensemble, métaphoriquement parlant, et j’extrais en me pinçant le nez ces échanges entre les deux hommes. Armand : « Ce ministère a porté parmi les plus grandes réussites de la dernière décennie et je veux, évidemment, saluer l’action de Bruno Le Maire, ton action ; cher Bruno. Tu es resté sept ans à Bercy. Grâce à ton travail et à ta détermination, le chômage est au plus bas depuis quarante ans […], les impôts des ménages et des entreprises ont baissé de 60 milliards d’euros, la France est devenue le pays le plus attractif d’Europe et notre croissance est supérieure à celle de l’Allemagne. » Puis, le même : « Face à de telles réussites, je sais que j’ai de la chance d’hériter d’un tel bilan. »
Le Maire lui offre aussitôt un bâton de marche basque appelé makila – j’en ai un depuis des décennies – en l’assurant qu’il lui permettra de « franchir les cols et d’affronter les périls ». Voyez-vous, Le Maire est un poète, et quantité de journalistes de cour s’extasient à chacun de ses livres, tous tenus pour être ceux d’un écrivain.
Bon. Le Maire a eu tous les pouvoirs économiques de l’État entre les mains pendant sept ans, prodigieuse durée dans le monde qui est le sien. Il ne pouvait donc que réussir ce qu’il promettait depuis si longtemps, mais crotte, non. La France a une dette publique de 3150 milliards d’euros, dont un bon tiers a été creusé sous son règne. Et le bilan laisse en ruines des pans entiers du cœur même du pacte social : la santé, les hostos, l’éducation, les services publics en général. Dans un monde plus éveillé, Le Maire serait jugé. Et condamné. Non à la prison, à quoi bon ? Mais au moins à l’exécration publique, celle-ci l’empêchant de revenir par la fenêtre après avoir été chassé par la porte. Il reviendra, soyez-en sûr. Certain. Il reviendra, car la place ne manquera jamais aux jean-foutre de la politique.
Encore un mot sur l’écologie. En 2016, Le Maire s’est présenté à la primaire de la droite, qui devait conduire à la désignation de François Fillon pour l’élection présidentielle de 2017. Il avait pour l’occasion mis en ligne un programme de 1000 pages, pas une de moins. Si. En fait, 1012 pages. Ce monument a disparu d’internet, mais comme j’en ai une copie, voici ce que je tire de cette œuvre d’art :
« L’assouplissement des normes d’hébergement » pour les saisonniers agricoles venus du Maroc, de Pologne ou de Roumanie, car elles sont « trop contraignantes » ;
La réduction des dépenses publiques ;
La retraite à 65 ans dès 2020 ;
10 000 places de prison supplémentaires ;
L’augmentation des prélèvements en eau de l’agriculture industrielle ;
« Évacuer la ZAD de “Notre-Dame-des-Landes” par une opération d’envergure » ;
« Durcir drastiquement les conditions du regroupement familial » ;
« Accroître le délai de rétention administrative [des migrants] jusqu’à 120 jours » ;
« Faire primer les accords d’entreprise » sur tous les autres, contrat de travail inclus. Etc, etc.
Notre Génie national ne trouvait pas alors la place – en 2016 ! – de parler de la crise écologique qui ravage le monde, France comprise. Sur les 281 entrées que j’ai comptées une à une, pas une sur le dérèglement climatique qui menace de dislocation toutes les sociétés humaines. Pas une sur la sixième crise d’extinction des espèces, la pire depuis au moins 65 millions d’années, au temps de la disparition des dinosaures. Mais des odes à la bagnole et au nucléaire.
Que dire qui garde encore un sens ? Je souhaite bien du courage à quiconque essaiera.
Il se passe quelque chose sous nos yeux que nous ne voyons pas. Appelons cela, faute de mieux, un déni. Il n’y a pas que le climatoscepticisme, Dieu sait. Pensez une seconde aux femmes qui vivent un déni de grossesse jusqu’à la naissance de leur enfant. Mais je souhaitais ce jour vous parler de tout autre chose : l’eau.
Elle n’est plus acceptable. L’eau du robinet, avant le triomphe planétaire de l’industrie chimique, le déferlement des molécules médicamenteuses, des pesticides, des cosmétiques, des plastiques, des PFAS, devait ressembler à de l’eau. C’est devenu un produit industriel comme un autre, qui contient une infinité de résidus toxiques qui s’accumulent dans notre corps. Je rappelle que nous sommes de l’eau. Un adulte moyen en contient autour de 60% . Et moi, dans mon court séjour ici, j’ai décidé en conscience que je devais boire de l’eau, pas une soupe chimique. Et je bois de l’eau embouteillée, sans rien ignorer – imaginez – des problèmes que cela pose. J’ai tort ? Alors quoi penser de ceux qui boivent l’infect jus qui sort des robinets en faisant croire que tout va bien ?
Commençons par La Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR). Elle rassemble dans le domaine de l’eau plus de 500 collectivités territoriales et représente plus de 51 millions d’habitants . Même si elle est composée d’élus locaux, elle délègue dans la majorité des cas la gestion de l’eau à des groupes privés comme Veolia ou Suez.
Or ces élus ne peuvent plus suivre. Dans une tribune passée inaperçue, publiée sur le journal Le Monde le 29 mai dernier, la Fédération affirme : « Les collectivités organisatrices du service public de l’eau potable sont contraintes de se lancer dans une course permanente aux traitements de l’eau qui n’est plus tenable d’un point de vue sanitaire, environnemental, économique, en particulier pour les territoires ruraux. » Mais aussi : « Force est de constater que les crises de la qualité de l’eau, résultat de pollutions diffuses et persistantes, et de sa rareté s’intensifient sous l’effet du changement climatique, conduisant à une crise structurelle de l’eau. » D’autant que « des pollutions industrielles par les “polluants éternels”, PFAS notamment, sont venues noircir le tableau. »
Retenons ce premier point : les élus en charge de l’eau annoncent la fin d’un cycle historique, celui d’une eau de qualité distribuée à domicile. Entend-on quiconque, dans ce champ politique qui se passionne pour le dérisoire, en parler ? Passons au pesticide R471811. La bête est un métabolite d’un pesticide interdit en Europe en 2020, le chlorothalonil. Un métabolite est un produit de dégradation d’une molécule chimique. Tous les pesticides, et bien au-delà, en « fabriquent ». Combien ? Nul ne sait vraiment. Donnons un ordre de grandeur : dix. Et les métabolites peuvent à leur tour se dégrader et former de nouveaux assemblages. De nombreux métabolites sont plus toxiques que la molécule-mère dont ils sont issus. Dingue.
Et voilà que le 11 juin dernier, la préfecture de la Vienne (Poitiers) publie un communiqué qui abroge l’obligation de rechercher dans l’eau potable la trace du R471811. Pourquoi cette abrogation ? Parce que la situation est désormais sans issue, partout en France ou presque. La loi est – était – stricte : au-delà de 0,1μg par litre d’un pesticide dans l’eau potable, elle ne peut plus être distribuée. Et il ne faut pas dépasser 0,5 μg pour l’ensemble des molécules détectées. μg signifie microgramme, soit un millième de milligramme par litre.
Et ce n’est plus tenable. Donc, on ne cherchera plus, méthode radicale pour ne rien trouver. Derrière cette haute fantaisie, l’Anses, acronyme d’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail. À l’époque du mouvement des Coquelicots que j’ai créé en 2018, j’ai pilonné cette Agence pour ses liens avec l’industrie de la pire chimie. Et je ne regrette rien. Selon l’Anses, il y aurait des métabolites « pertinents », dont la limite resterait à 0,1μg par litre. Et les autres, « non pertinents », qui ne devraient pas dépasser 0,9 μg. Soit 9 fois plus. Joli truc.
La chronologie résume toute l’histoire : en avril 2023, l’Anses publie le résultat d’analyses portant sur 136 000 prélèvements réalisés sur des points de captage représentant 20% de l’eau distribuée chez nous. Il y a du R471811 dans la moitié, et un tiers des échantillons dépassent la limite de 0,1 μg. Or, jusque là, on ne le cherchait pas. Dans le système tel qu’il est, il n’y aucune solution. Alors l’Anses se dévoue, et le 29 avril 2024, elle revoiten catastrophe ses propres travaux sur le R471811, jugé jusque là « pertinent » et le change par un coup de baguette magique en « non pertinent ». Sa limite passe de 0,1 à 0,9, champagne pour les manipulateurs. Le comble, c’est que l’Anses justifie ce mic-mac par l’obtention de documents industriels. Citation garantie de l’Agence, qui explique avoir reçu, « pour le métabolite R471811, des nouvelles données fournies par Syngenta, titulaire d’autorisations (…) de produits à base de (…) chlorothalonil. »
Syngenta ! C’est une ancienne multinationale suisse de la chimie, rachetée par le surpuissant groupe chinois ChemChina, dont le PDG Ren Jianxi est un responsable du très totalitaire parti communiste chinois. Autrement exprimé, l’Anses s’appuie sur une structure d’État spécialisée dans le mensonge pour prétendre que le R471811 est un bon petit gars qui a toute sa place dans l’eau prétendument potable du robinet.
Qu’ajouter ? J’aimerais beaucoup lancer un immense mouvement, sur le modèle de celui des Coquelicots. En beaucoup plus vaste. Qui bien sûr serait organisé autour de l’eau. Et qui combattrait dans l’arène l’industrie chimique et tous ses suppôts publics. Vous en seriez ?
Jamais je ne serai patriotard. Jamais je ne serai nationaliste, cette folie humaine ordinaire qui conduit si souvent à la guerre. Le 16 mai 1971, lors que j’avais encore 15 ans, je manifestais dans Paris pour le centième anniversaire de la Commune de Paris. Et je criais, et je crierai toujours : « Les frontières, on s’en fout ».
Je déteste en bloc – et pire encore – la droite fasciste ou simili qui se développe tant en Europe. Mais aujourd’hui, je pense surtout à nos sœurs du Sud : l’Espagne, l’Italie, la Grèce. Cette dernière, c’est Athènes bien sûr, cette formidable Antiquité qui nous a tant inspirés. L’Italie, au-delà des imbéciles et criminelles conquêtes des légions romaines, nous a légué la langue latine dont nous venons tous, tant de poètes, tant de visions. Et l’Espagne d’Al Andalus, malgré tant d’horreurs accumulées, a rêvé pendant des siècles la cohabitation paisible entre juifs, chrétiens et musulmans. Je n’oublie pas Francisco Gómez de Quevedo Villegas y Santibáñez Cevallos, Miguel de Cervantes, Lope de Vega, Luis de Góngora y Argote et plus près de nous Federico García Lorca ou Juan Goytisolo Gay.
Quelque chose se passe sous les yeux des crétins nationalistes de là-bas. Le pays qu’ils prétendent chérir plus que tout disparaît à grande vitesse sous la forme qu’ils ont eu pendant des millénaires. Et ils s’en contrefoutent. Ceux de Vox – nostalgique de la canaille Franco – en Espagne; ceux de Fratelli d’Italia, du côté de Giorgia Meloni; ceux d’Aube dorée en Grèce. Tous excitent la haine de l’étranger et tous sont climatosceptiques. Comme ils sont grands.
L’Italie devient un pays tropical. Début juillet, l’édition française du National Geographic se penchait sur un phénomène inouï : « Les collines ondulantes de la Sicile qui abritaient autrefois des plantations d’agrumes et d’oliviers, font depuis bien longtemps partie intégrante du paysage agricole italien. »
Un nombre croissant de paysans de la péninsule – au sud en tout cas – se tournent vers la papaye, la mangue, l’avocat, la…banane. Déjà, la production d’huile d’olive baisse, mais aussi celle du raisin ou du blé. Si l’on ne trouve pas rapidement des variétés de ce dernier plus résistantes au dérèglement climatique en cours, on pourrait – on pourrait – voir à terme disparaître peu à peu le blé de l’Italie. Le blé. La pasta – les pâtes -, la pizza.
Nouvel extrait : « Face à la raréfaction des précipitations et l’augmentation constante des températures, de plus en plus de plantes se dégradent, voire meurent, et laissent ainsi apparaître une couche de terre brute, érodée par le vent et emportée par les pluies occasionnelles. Au fil du temps, ces sols deviennent de moins en moins fertiles, un processus connu sous le nom de désertification. »
Environ 70% de la surface de la Sicile est en train de devenir un désert. Christian Mulder, professeur à l’université de Catane : « C’est comme si 70 % de notre corps était recouvert de brûlures au troisième degré : un tel état serait fatal pour un être humain ».
Le désert. En Espagne, l’agriculture industrielle tape chaque jour un peu plus dans des nappes qui ne peuvent se renouveler à l’échelle de la vie humaine. Et l’Andalousie, cœur nucléaire de ce modèle condamné, fournit fruits et légumes à toute l’Europe. À bas prix, car ce sont les esclaves roumaines, polonaises, marocaines, équatoriennes qui triment sous les serres, enveloppés de nuages de pesticides. Selon l’ONU, 74% de l’Espagne est frappée par des formes diverses de désertification.
Quant à la Grèce, sachez que 159 000 hectares, notamment de forêts, ont brûlé en 2013. En cette toute fin d’été, le bilan est supérieur de 50%. L’Attique, que se disputèrent Poseidon et Athena, l’Attique qui abrite Athènes, devient un désert. La Grèce flambe et sombre, tandis que les touristes envahissent le moindre lieu. La Grèce, bon dieu !
Je sais que parler – écrire – ne sert à rien, ou à si peu. Faut-il arrêter de radoter ? J’avoue que j’y pense. Oh oui ! Mais il est vrai que je ne sais rien faire d’autre. En tout cas, ces bouffons nationalistes – chez nous, de Le Pen à Zemmour, ils ne manquent pas – ne peuvent cacher à mes yeux ce qu’ils sont. Ils n’aiment pas leur pays, non. Ils aiment hurler, détester, bastonner.
J’espère que Le Monde me pardonnera la publication d’un article de ce jour, qui lui appartient donc. Vous lirez l’étendue des mensonges qui disent cette vérité profonde : ils s’en moquent intégralement. Eux, tous, y compris les partis de gauche bien sûr. La crise écologique infernale est reléguée dans les oubliettes de leur monde de pure pacotille.
Je ne me lasserai jamais de prêcher la révolte. Contre eux, tous, y compris les partis de gauche bien sûr.
L’article du Monde
Transition écologique : sans boussole, l’Etat navigue à vue
Le Secrétariat général à la planification écologique est maintenu à Matignon, mais s’interroge sur sa capacité à peser sur les arbitrages du futur gouvernement alors que son influence est en berne depuis le début de l’année.
Fin août, une fois de plus, les mines sont sombres et les rires jaunes au Secrétariat général à la planification écologique (SGPE). La « lettre plafond », envoyée par Matignon au ministère de la transition écologique pour fixer son budget 2025, prévoit des baisses de crédits dans plusieurs secteurs. Au sein de cet organisme, placé sous l’autorité du premier ministre et chargé d’impulser et de coordonner les politiques « vertes » du gouvernement, l’impression prévaut de s’être « fait rouler dessus », alors que la transition implique d’accroître – et considérablement – l’enveloppe. Et l’on digère mal d’avoir étéprévenu au dernier moment. Une énième crispation, dans une structure qui traverse une crise existentielle.
Depuis l’été, quatre membres, dont deux des secrétaires généraux adjoints, sur une trentaine d’équivalents temps plein, sont partis ou sur le départ. Selon plusieurs sources, une demi-douzaine d’autres hésitent à quitter la structure, créée en juillet 2022 par décret présidentiel. Ces départs se sont concrétisés au milieu d’une période de « temps suspendu » pour le SGPE, selon les termes polis d’un de ses membres. Les scrutins électoraux ont gelé la publication de documents importants, soupesés depuis des mois, comme la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), la nouvelle stratégie nationale bas carbone (SNBC) et le troisième plan national d’adaptation au changement climatique (Pnacc).
Le 5 septembre, l’annonce de la nomination de Michel Barnier a plongé le SGPE un peu plus dans le flou. Après Gabriel Attal, hermétique aux sujets climatiques, le nouveau premier ministre aura-t-il la volonté de s’emparer de ce dossier tentaculaire ? Le Savoyard est, certes, un ancien ministre de l’environnement (1993-1995), mais il est aussi issu du parti Les Républicains, une famille politique accrochée au technosolutionnisme et opposée aux dépenses alors que le déficit de la France s’élève à 5,6 % du produit intérieur brut.
Le lendemain, Antoine Pellion, le secrétaire général à la planification écologique, a partagé sur le réseau social X une vidéo datant de septembre 2023 où M. Barnier discutait avec lui et se félicitait que la planification écologique soit rattachée à Matignon. Mais, lors de cette table ronde au Nice Climate Summit, le futur chef du gouvernement critiquait aussi l’excès de normes et de réglementations. « Il faut se méfier de cet emballement techno. (…) Je dis ça très franchement, quand les bureaucrates prennent le pouvoir, ce qui arrive très souvent, c’est que les hommes politiques leur ont laissé le pouvoir », disait-il en se tournant vers M. Pellion. Pas franchement de bon augure pour la suite.
« Gabriel Attal se fichait de nos sujets »
Selon les informations du Monde, le SGPE a eu la confirmation d’être maintenu par Matignon. En revanche, M. Pellion, ancien conseiller à l’Elysée et macroniste de la première heure, va sans doute quitter le cabinet du premier ministre, dans lequel il exerçait aussi la fonction de conseiller écologie. Et même si les départs du SGPE doivent être remplacés « fin septembre, début octobre », la structure, un « ovni » à la frontière entre l’administration et l’arène politique, cherche toujours sa place.
Peut-elle rester la tour de contrôle chargée d’aiguiller l’ensemble des politiques publiques vers le respect des objectifs climatiques, en tranchant entre les ministères ? Ou se transformer lentement en cabinet de conseil, davantage tourné vers l’analyse ?
Ces doutes et ces questionnements sont en réalité bien antérieurs à la dissolution de l’Assemblée nationale. Ils remontent plus précisément au mois de janvier, lorsque M. Attal succède à Elisabeth Borne comme premier ministre. « A partir de là, on n’a plus gagné le moindre arbitrage. Gabriel Attal se fichait de nos sujets, ne nous demandait plus rien. Depuis neuf mois, on tourne un peu à vide », témoigne un des membres du SGPE, qui, comme les autres, souhaite rester anonyme.
Entre 2022 et 2024, la double casquette de M. Pellion avait pourtant été utile. Rare conseiller à tutoyer la cheffe du gouvernement, il lui parlait presque tous les jours. Le 22 mai 2023, Mme Borne présente elle-même, devant le conseil national de la transition écologique, le plan de décarbonation concocté par le SGPE. Soutenus, M. Pellion et son équipe pèsent lors des réunions interministérielles, qui aboutissent au plan eau, au plan vélo et surtout à la nette augmentation de budget à l’automne 2023 : + 7 milliards d’euros de crédits, + 10 milliards d’autorisations d’engagement… Un travail salué par l’ensemble des acteurs de la transition.
La crise agricole, un « désastre »
Délaissé par Gabriel Attal et Emmanuel Macron, très rétifs à prendre des coups sur ce sujet, le SGPE perd rapidement son influence face aux ministères, notamment Bercy et l’agriculture.
Début 2024, la crise agricole est vécue comme un « désastre » au sein du secrétariat. Assouplissement des normes sur les haies, sur les jachères, sur les pesticides, coups de canif dans le droit de l’environnement… « Au moment de la crise agricole, la question, ce n’était plus ce qu’on pouvait gagner, mais ce qu’on pouvait sauver », témoigne un de ses membres. Même la hausse du budget 2024 laisse un goût amer. En février, l’enveloppe est rabotée ; 1 milliard d’euros amputés à MaPrimeRénov’, 400 millions d’euros de moins pour le fonds vert.
Au fur et à mesure des coups de fièvre politiques et du resserrement de l’étau budgétaire, le SGPE perd une partie de sa raison d’être. Dans sa conception d’origine, il est censé faire survivre les dossiers en dépit des crises et, même, des alternances. Un peu comme son frère aîné, le Secrétariat général des affaires européennes (SGAE), qui tient la ligne européenne de la France entre les différents ministères.
Mais les récents soubresauts ont montré que l’écologie restait une variable d’ajustement soumise aux crises politiques, à la conjoncture économique et à la personnalité du couple exécutif. « Pendant les deux premières années, nous avons établi un plan de transition secteur par secteur, sans se limiter à la décarbonation,défend cependant M. Pellion. Nous avons obtenu des moyens financiers et inscrit la culture de la planification dans le gouvernement. Tout ça n’était pas gagné. Maintenant, il faut accélérer la mise en œuvre des décisions et que tous les acteurs fassent leur part. »
« Le SGPE s’est égaré »
Petit à petit, certains des membres critiquent un glissement dans le rôle du SGPE. De moins en moins dans la transformation et la coordination des politiques publiques, davantage dans une logique de conseil, à grand renfort de PowerPoint. Une culture dont est issue une part croissante de l’équipe et dont les méthodes de travail s’opposent à celles des hauts fonctionnaires sur le départ, comme les deux secrétaires généraux adjoints, Cécilia Berthaud et Frédéric Glanois.
« Le SGPE s’est égaré », juge Pierre Cannet, à la tête des politiques publiques de l’ONG ClientEarth, estimant que la structure établit maintenant des diagnostics et des chiffrages déjà réalisés par d’autres, tels l’Agence de la transition écologique (Ademe), le Commissariat général au développement durable ou France Stratégie. « Le SGPE doit demander des comptes à chaque ministère sur la transition, choisir les politiques publiques, les obligations, les moyens budgétaires, bref décider. Pas animer », rappelle-t-il, alors que certains dossiers – l’agriculture, l’économie circulaire, la stratégie biodiversité – ont été laissés en souffrance, selon certains membres, et quela SNBC n’est pas achevée au-delà de 2030.
« L’heure n’est plus aux grands arbitrages. Il faut agir dans les territoires grâce aux COP régionales tout en continuant à publier des plans ambitieux », affirme, de son côté, M. Pellion.
Pour le SGPE, les semaines à venir seront décisives. Le nouveau gouvernement aura-t-il la tentation de détricoter la PPE, la SNBC et le Pnacc ? Le prochain projet de loi de finances sera aussi un immense test. Le secrétariat général arrivera-t-il à peser sur les arbitrages en imposant à Bercy de revenir sur lerabotage de 1,5 milliard d’euros sur le fonds vert qui est prévu ?
M. Pellion voudrait encore faire monter en puissance le financement de la transition écologique ou, au moins, revenir sur les coupes, en proposant au premier ministre des recettes supplémentaires, par exemple en revoyant les critères du malus sur les voitures ou en explorant la piste d’une modification de la taxe de solidarité sur les billets d’avion. Eloigné du cabinet,il se dit aussi que le SGPE sera moins soumis à une stricte solidarité gouvernementale. Jusqu’à s’exprimer ouvertement dans la sphère publique en cas de désaccord ? « Nous allons avoir besoin d’alliés », a-t-il glissé à plusieurs personnes, ces dernières semaines. Encore faudra-t-il en trouver dans ce futur gouvernement hétéroclite.