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Les aventures sans l’ombre d’un intérêt de François de Rugy

Pour Nicolas L.

Les Amis de Planète sans visa savent que ce lieu a été imaginé et animé depuis 2007 par moi, Fabrice Nicolino. Environ 1500 articles exclusivement écrits pour ce rendez-vous restent disponibles depuis. J’ai comme disparu depuis le mois d’octobre, car j’ai rencontré de très grands soucis dont je n’entends pas parler ici. Mais comme l’étau se desserre (un peu), je reprends possession du clavier.

Je commence très moderato, pour les mêmes raisons que celles que je ne souhaite évoquer, et comme une historiette a réussi à me faire sourire hier, je m’empresse de la partager avec vous. Elle concerne un défunt qui n’est pas mort, puisqu’il bouge encore. François de Rugy, ci-devant Great Leader d’Europe-Écologie-Les Verts (EELV), puis traître absolu, puis lèche-bottines de Macron, puis président de l’Assemblée Nationale d’icelui, puis ministre de l’Écologie du même, puis…attendons la suite.

Quiconque en aura l’envie pourra constater – grâce au petit moteur de recherche en haut et à droite – que j’ai souvent parlé de lui, surtout, au départ, parce qu’il vomissait avec beaucoup de bile les zadistes de Notre-Dame-des-Landes. Sauf erreur, mon premier article sur lui date de 2012, et le relisant tout à l’heure, j’ai eu un court accès de satisfaction, car enfin, il se trouve que c’était plutôt lucide (ici).

Je ne souhaite pas revisiter une carrière d’une telle médiocrité – sa trahison au moment de la primaire de la gauche de janvier 2017, à laquelle, mais oui, il participait, son brusque reniement de son « engagement antinucléaire », qui lui ouvre les portes de la présidence de l’Assemblée, ses goûteux homards de l’hôtel de Lassay, siège de la dite, son bref passage au ministère de l’Écologie et son éjection sans appel, etc. Le pauvre garçon n’avait plus aucun avenir en politique, sauf peut-être celui de conseiller municipal d’opposition à Nantes, Saint-Nazaire ou Couëron. Et en mars de cette année, annonçait dans l’indifférence générale qu’il se retirait de la vie dite politique.

Pourquoi s’acharner sur pareil personnage ? Eh bien, ce n’est pas de l’acharnement. Car il y a une morale finale qui nous concerne tous. Un peu, n’exagérons rien. Le Figaro annonce que Rugy a enfin trouvé un point de chute : « De président de l’Assemblée nationale au monde de la finance il n’y a qu’un pas. François de Rugy le prouve : l’ancien député de Loire-Atlantique, et ancienne figure des Verts a rejoint la banque d’affaires Alantra ». Citation du modeste héros : « J’avais envie de faire autre chose et d’agir pour l’écologie dans le domaine économique et auprès des entreprises ».

Où diable se cache donc la morale ? Je reconnais qu’il faut chercher, mais voici ce que je propose : comment se fait-il que tant de responsables estampillés EELV, soient à ce point « écologistes » ? De Guy Cambot dans les années 80 à Jean-Vincent Placé dans les années 2000 et 2010, les principaux n’avaient visiblement que foutre du dérèglement climatique, de la chute de la biodiversité, de l’omniprésence nucléaire en France. Mais pourquoi donc ? Vous trouverez sans aucun doute votre propre réponse.

Bien content d’être de retour.

Un certain Thierry Lentz

Qui est-ce ? Thierry Lentz est un historien catho, grand amoureux transi de Napoléon : il est d’ailleurs directeur de la fondation Napoléon depuis l’an 2000. Laquelle fondation, sans grande surprise, existe pour faire briller la mémoire du serial killer appelé Bonaparte. Avouons de suite que je ne sais rien de plus de Lentz, mais une chronique parue dans l’hebdomadaire Le Point a attiré mon œil quelques courtes secondes. Elle est consacrée au dérèglement climatique et s’interroge sur les libertés individuelles.

En voici les premières lignes : « Cet hiver, nous avons eu quelques jours de grand froid, moins que d’habitude, il est vrai. Cet été a été particulièrement chaud et sec. Ne remettant en cause ni le dérèglement climatique ni la nécessité de s’en préoccuper, nous ne pouvons qu’être surpris que, concernant l’impact de l’homme sur le réchauffement et la relation entre climat et météo, la peur et la culpabilisation remplacent la raison ».

Cela n’a l’air de rien, mais c’est un chef-d’œuvre, que je ne peux décortiquer en totalité, faute de temps. Notons vite l’essentiel. D’abord, la température. Monsieur Lentz aime visiblement les figures de rhétorique, car il en use et abuse. Je laisse à plus avisé le soin de dire ce qu’il préfère de la litote, de l’euphémisme ou de l’antiphrase. Mais quand il écrit à propos du froid de ce faux hiver qu’on l’aura vu « moins que d’habitude, il est vrai », il utilise une forme d’atténuation du réel qui n’est pas à son honneur. De même, l’été aurait été « particulièrement chaud et sec ». Eh non ! Nous avons connu en Europe la sécheresse la pire depuis au moins 500 ans. Donc, non.

Le reste est à l’avenant. Il faudrait se « préoccuper » du dérèglement, 40 ans après les premiers rapports indiscutés sur le sujet. On a vu plus alarmé. Et surtout, air connu chez les libéraux de son espèce, « la peur et la culpabilisation remplacent la raison ». Mais où diable veut-il en venir ? Sans souci polémique, je crois pouvoir écrire que monsieur Lentz entend relativiser. Il ne le dit pas explicitement, mais le suggère de mille manières : on a déjà vu ça ! S’appuyant sur l’historien Leroy-Ladurie – dont j’ai lu plus d’un livre -, il rappelle que sécheresses et canicules n’ont pas manqué au programme. La belle affaire ! Tout homme sérieusement informé – et j’en suis – sait bien que la stabilité du climat a toujours été relative. Et qu’au cours des 10 000 années passées, bien des épisodes climatiques extrêmes ont eu lieu.

Très visiblement, monsieur Lentz ne sait rien des innombrables études scientifiques parues depuis disons 1979. Lui ne veut entendre parler que d’un livre paru en 2006, et voilà tout. Sa trouvaille, si on peut appeler ainsi pareille couillonnerie, c’est qu’avec le « dérèglement climatique, on a trouvé la peur par excellence, la peur de long terme, la peur vitale pour des générations entières. C’est une peur en or qui permet tout et qui, un jour ou l’autre, aura des conséquences sur les libertés individuelles ». Si je comprends bien, les pouvoirs en place joueraient donc d’un phénomène déjà vu pour museler les libertés. M.Macron en manipulateur suprême, vraiment ? Est-on si loin d’une forme dérivée de complotisme ?

Inutile de se gêner plus avant. Selon lui, « pour certains, comme les Verts et les ONG les plus diverses, c’est même devenu une obligation, quitte à sacrifier tous les progrès humains (et les humains avec) ». Bien sûr, monsieur Lentz serait bien en peine, si on le lui demandait, de nous prouver que les écologistes souhaitent « sacrifier tous les progrès humains (et les humains avec) ». Mais qui le lui demanderait ? Le journal Le Point a été dans les années 80 et 90 le navire-amiral du climatoscepticisme. Dans son édition du 8 mai 1995, Claude Allègre, chroniqueur comme l’est aujourd’hui Lentz, y publia un texte sous le titre : « Effet de serre : fausse alerte ». Le dérèglement climatique aurait été inventé par des « lobbys d’origine scientifique qui défendent avec acharnement leur source de crédits ».

Le Point, qui se pique si souvent de défendre la science – une science en vérité imaginaire – aura contribué plus que d’autres à désorienter la société par une désinformation constante sur la question la plus importante de toutes. Et il continue. Certes d’une manière plus empruntée, car nul n’ose plus nier le drame en cours. Mais il continue de désarmer, car comme le scorpion de la fable, c’est dans sa nature. On attend toujours, et on attendra encore, les excuses du Point pour ses innombrables mensonges sur la question climatique.

Pourquoi la France est-elle à ce point-là de droite ?

Je viens de lire un papier de l’hebdo libéral Le Point. C’est pas bien ? Aucun journal ne me convient, aucun ne me convainc, aucun ne provoque en moi l’une de ces étincelles qui, autrefois, révolutionnaient mon quotidien. J’apprenais qu’un coup d’État – juillet 1971 – avait eu lieu au Soudan, et j’étais triste pour la journée. Ou qu’un commando tupamaro, s’était emparé d’une ville entière d’Uruguay, avant de repartir sans une anicroche, et j’en étais heureux.

C’est le passé. Le Point, donc. Un papier comme tant d’autres de Sophie Coignard, qui note : « Toutes les enquêtes le prouvent, la France est à droite comme jamais dans son histoire ». Est-ce vrai ? Évidemment ! La Nupes, dont je rappelle qu’elle rassemble toute la gauche traditionnelle, n’aura obtenu qu’environ 12% des Français en âge de voter. Soit 88% qui n’ont pas choisi ses candidats. Si cela vous embête, trop, admettons qu’un quart des votants au premier tour des législatives ont voté pour la gauche. Ça change quelque chose ?

Pourquoi ? Oui, pourquoi cette embardée à droite, et à l’extrême-droite ? Il n’existe que des hypothèses, et le plus que probable est que de multiples phénomènes combinés expliquent tant bien que mal ce qui se passe sous nos yeux. On me permettra d’ajouter mon grain de sel. Je crois profondément que l’opinion française est travaillée comme jamais par l’angoisse. Une angoisse aussi diffuse que multiforme, dont je serais bien en peine de définir le cadre et ses limites.

Il n’empêche. Les générations d’avant étaient installées – de gré ou de force – et maintenues dans une société de classe. Avant la guerre en tout cas, peu de gosses d’ouvriers ou de paysans échappaient à un sort promis par celui de leurs parents. Les Trente Glorieuses – disons à partir de 1950 – ont créé un tourbillon social inédit. Le fameux ascenseur social a permis à des centaines de milliers de gosses pauvres de radicalement changer de direction. De devenir ce que je vomissais, moi, dans mon jeune temps de fils de prolo. C’est-à-dire des cadres de la société que j’appelais bourgeoise. Des collabos de la domination.

La crise a en bonne part ruiné l’édifice. Ils sont bien rares, les parents qui rêvent encore d’un meilleur avenir pour leurs enfants. Vous savez quand a commencé le chômage de masse ? En 1974, à l’époque où un Giscard d’Estaing président préférait parler d’un simple trou d’air. La disparition de millions d’emplois et l’installation de tant de gens dans une sorte de retraite plus ou moins définitive, ont rompu les os de notre société. Aujourd’hui, au fil des décennies, se sont ajoutées des questions apparemment sans solution : l’insécurité, le djihadisme, la numérisation du monde, l’immigration.

L’insécurité. Ce n’est pas une invention de la droite. Dans l’immeuble HLM de mon enfance, la porte restait ouverte jour et nuit toute l’année. Qui diable aurait pensé fermer ? Et celle qui donnait sur la cour, puis la rue, n’avait de toute façon pas de clé. Ce n’est pas une expérience isolée. Tous les gens d’un certain âge le savent. Le sentiment d’insécurité est aussi une grande insécurité. Qu’il soit fondé sur le roc ou plus fragile n’y change rien. Quand on ferme sa porte, on referme plus d’une serrure mentale. Juste un mot sur le terrorisme djihadiste, que des médias irresponsables ont contribué à mettre en scène. Non pas qu’il serait inexistant. Mais sa kalachnikov passe désormais avant tout autre information. C’est du délire. Mais ça compte dans la déréliction de tant d’esprits.

La numérisation du monde est une folie globale, mais ce n’est pas de ça que je souhaite parler. Non, je souhaite écrire que ce phénomène fulgurant laisse sur les bords de sa route des millions de naufragés. Des millions en France. Qui ne savent pas. Ne comprennent pas. Ou mal. Et qui n’osent en parler tant règne un discours univoque sur le “progrès” si manifeste qu’est Internet. Ils souffrent sans disposer du moindre relais d’opinion.

L’immigration. Faut-il rappeler que je suis depuis toujours un antiraciste incandescent ? Cela n’interdit pas d’écrire que l’immigration sème dans l’esprit de millions de Français un sentiment de peur, voire d’angoisse, voire de panique. Nul n’avait rien prévu quand des patrons sont allés faire leur marché de main-d’œuvre en Algérie, au Maroc, en Tunisie au début des années 60. Nul n’a rien prévu depuis. Et par exemple le fait évident que la numérisation a fait disparaître tant d’emplois peu qualifiés. Occupés jadis par les laissés pour compte. Une partie de la jeunesse immigrée – même si elle est parfois française – reste seule avec la drogue et ce fantasme de la richesse immédiate, alimentée en boucle par la télé, les réseaux sociaux et le net.

Toutes ces questions si mal appréhendées se mélangent, Dieu sait. Et font des ravages, Dieu sait. Mais il faut y ajouter désormais ce qu’on nomme l’éco-anxiété. Je rappelle un sondage – paru dans la revue The Lancet Planetary Health, une garantie – portant sur les jeunes de 10 pays du monde : Australie, Brésil, Etats-Unis, Finlande, France, Inde, Nigeria, Philippines, Portugal et Royaume-Uni. Eh bien, voici le résultat : « Les trois quarts des 16-25 ans dans dix pays, du Nord comme du Sud, jugent le futur « effrayant ». Vous avez bien lu : effrayant. Au Nord comme au Sud. Avant tout face à cette crise climatique qui ne fait que commencer.

Mon hypothèse principale est que cette terreur-là, ajoutée aux autres, travaille comme jamais la psyché humaine. Et qu’elle produit entre autres un désir d’ordre, ou au moins de sécurité. La droite est dans ce domaine imbattable, en tout cas pour le moment. Bien sûr, elle est incapable de régler quelque question que ce soit, mais elle peut au moins faire semblant. La gauche reste aux oubliettes, dans ce domaine comme dans tant d’autres.

Où veux-je en venir ? À cette antienne : il faut inventer des formes politiques nouvelles et abandonner sans remords toutes les autres. Mélenchon et ses amis-concurrents des Verts sont de très vielles personnes, à grand-peine peinturlurées. Ils me font penser, mutatis mutandis aux groupes d’extrême-gauche de l’après-68, qui ont totalement loupé la critique si féconde pourtant de la production d’objets, de leur consommation aliénée, du fric. Ils en tenaient pour des “héros” à peine sortis de leurs catafalques : Lénine, Trotski, Mao, Guevara.

C’est une règle sociale que bien des problèmes pourtant urgents soient considérés avec les yeux du passé. C’est ce qui se passe selon moi avec la Nupes, mais on n’est pas obligé de me croire. En tout cas, si l’on veut espérer faire bouger la société française dans la bonne direction – la société réelle, pas son fantôme mélenchonnien -, eh bien, cherchons ensemble comment l’assurer et la rassurer. Je sais à quel point notre temps est tragique, mais justement. Traçons des lignes, projetons-nous dans un avenir humain, malgré l’avancée apparemment irrésistible de la barbarie. Imaginons. Créons. Ouvrons sur une autre aventure, avec pour viatique et seul viatique ces deux mots : espoir et coopération.

L’évidente solution de la crise climatique

J’aime beaucoup Poe, et j’ai toujours adoré La Lettre volée. J’ai du reste souvent cité cette nouvelle dans divers articles, au fil des ans, car elle contient une vérité universelle. Elle commence ainsi : « J’étais à Paris en 18… Après une sombre et orageuse soirée d’automne, je jouissais de la double volupté de la méditation et d’une pipe d’écume de mer, en compagnie de mon ami Dupin, dans sa petite bibliothèque ou cabinet d’étude, rue Dunot, n° 33, au troisième, faubourg Saint-Germain ».

Ah, comme cela commence bien ! Dupin, détective de la race des plus grands, d’Holmes à Fandorine, doit retrouver une lettre dérobée, dont la publication pourrait provoquer une guerre européenne. Les flics savent où elle se trouve – chez le voleur -, et cherchent pendant des semaines. Dès que le voleur est dehors, ils entrent chez lui, et passent au crible chaque millimètre. Mais rien. Dupin change de perspective, ce qui soit dit en passant nous rapproche du sous-titre de Planète sans visa : « Une autre façon de voir la même chose ». Et il lâche aux flics éberlués : « Peut-être est-ce la simplicité même de la chose qui vous induit en erreur ? ».

Dupin retrouve rapidement la lettre, qui était en évidence sur la table du voleur. Seulement, elle « était fortement salie et chiffonnée. Elle était presque déchirée en deux par le milieu, comme si on avait eu d’abord l’intention de la déchirer entièrement, ainsi qu’on fait d’un objet sans valeur ». Bien joué, Dupin ! Bien joué, le voleur ! On pense aussi au célèbre œuf de Colomb. L’histoire n’est peut-être pas (tout à fait) vraie, mais la voici. L’explorateur défie des invités de faire tenir debout un œuf dans sa coquille. Nul n’y réussit. Alors Colomb écrase un bout de cette coquille et assoit sur les brisures l’œuf . Il aurait même conclu ainsi : « Il suffisait d’y penser ! ».

De même avec la crise climatique ? À vous de juger. Le moteur nucléaire du grand désastre, c’est la production, la consommation, l’accumulation sans fin de milliards d’objets matériels dont nos aïeux se sont constamment passés. J’y inclus, et tant pis pour ceux qui se sentiront visés – j’en suis – le téléphone (insup)portable, internet, la bagnole – thermique ou électrique – et l’essentiel de ce que l’on trouve dans les logements et maisons. Telle est la base, et le tout est aggravé dans des proportions effarantes par un commerce mondial qui suit sa route et la suivra jusqu’à la mort de tout et de tous.

Dans les années 70, qui charrièrent aussi bien des inepties, une expression était souvent utilisée par la critique sociale. Celle d’aliénation. En l’occurrence par les objets, qui nous rendent extérieurs à nous-mêmes, et pour tout dire étrangers. Nul n’en parle plus. Tous les partis agissent comme si cette frénésie de possession était légitime. Or, elle ne l’est pas. Elle creuse une tombe comme les sociétés humaines n’en ont encore jamais connue. Qui se remplira tôt ou tard de millions, de centaines de millions de victimes.

Ma révélation du jour est donc aussi simple que la fausse énigme de La Lettre Volée. En deux parties. D’abord cette affirmation qu’il serait impossible de démentir : les objets proliférants sont devenus les ennemis de la vie. Ensuite deux questions. Pourquoi nul ne s’attaque à la dissémination démentielle des objets ? Pourquoi aucune force politique n’entend mener le combat, en priorité, contre ces inventions du diable ? N’hésitez pas à m’éclairer. J’en ai besoin.

PS : Voyez cette information toute fraîche : l’Europe – et la France, encore bravo – relance la production de charbon, combustible parmi les pires existants. Effet (de serre) garanti. Et pour quelle raison ? Pour maintenir la place désormais illimitée des objets, et leur consommation, pierre tombale des sociétés humaines. Or donc, mourir plutôt que de renoncer aux choses. Ma foi, cela ressemble fort à la psychose la plus extrême.

M.Macron, la sécheresse et la bataille de Marignan

Pour commencer, lisons ensemble ce communiqué de la Commission européenne, qui nous annonce – sans grande surprise – que la sécheresse de cette année est la pire que l’Europe ait connue depuis 500 ans. Bien sûr, les bureaucrates de Bruxelles ne savent pas vraiment ce qu’ils écrivent, car où seraient les sources précises et fiables d’il y a cinq siècles ? Peut-être aurait-il fallu parler de mille ans, ou de la naissance de Jésus-Christ ? N’importe, c’est tout de même fracassant.

Si l’on en reste au calcul strict, 500 ans en arrière, cela renvoie à l’an 1522. Que se passe-t-il alors sur notre Terre ? En mars naît au Japon l’un des grands samouraïs de l’Histoire, Miyoshi Nagayoshi. Mais aussi, en novembre, un certain Albèrto Gondi, dont l’un des descendants sera l’inoubliable cardinal de Retz, auteur de formidables Mémoires sur Louis XIV. Autre naissance, certainement en 1522, notre poète national Joachim du Bellay, ami de Ronsard. Sur un plan plus général, un certain Gil González Dávila est le premier Européen à « découvrir » le Nicaragua et le lac du même nom, merveille de toutes les merveilles. En juin, les Portugais installent leur premier comptoir commercial dans les îles de la Sonde, à Ternate, qui se situe à l’est de l’Indonésie. En septembre, Juan Sebastián Elcano est de retour à Sanlúcar de Barrameda, à l’embouchure du Guadalquivir, après trois folles années passées dans l’expédition de Fernão de Magalhães, c’est-à-dire Magellan.

Je pourrais continuer, car il s’en passe, des choses, en 1522, et même une terrible crue de…l’Ardèche en septembre. Mais moi qui ai assez peu connu l’école, je préfère encore me souvenir de ce qu’on me racontait lorsque j’étais en cours moyen première année : Marignan. Cela ne tombe pas pile poil – à sept ans près -, mais de vous à moi, faut-il barguigner ? Marignan, 1515. Cela devait venir instantanément à la première question posée. Marignan, 1515. Comme chef-lieu du Cantal Aurillac. Ou chef-lieu du Finistère Quimper, et non Brest, abruti que j’ai pu être.

Donc, Marignano à une quinzaine de kilomètres de Milan, le 13 septembre. L’armée de notre roi bien-aimé François Ier – il vient d’avoir 21 ans – affronte avec ses supplétifs de Venise des mercenaires suisses qui défendent le duché de Milan. Oui, il faut suivre. En 16 heures de combat, 16 000 hommes sont tués. Mille trucidés à l’heure, on a fait mieux depuis. L’important, c’est que François sort vainqueur de l’affrontement. Qu’a-t-il gagné ? Ou plutôt, qu’auront pour l’occasion gagné les peuples, au-delà de ce perpétuel devoir de creuser des tombes ? On ne sait plus.

Mais où veux-je en venir ? Eh oui, où ? Notre insignifiant Macron est confronté devant nous à une tâche qu’il n’accomplira pas, car il n’a pas, même lorsque ses petites ailes sont déployées, l’envergure qu’il faudrait. Et ne parlons pas des si faibles évanescences de son entourage direct. Toutes. Qui oserait prétendre qu’en 2522, si la vie des humains s’est poursuivie jusque là, on aura encore un mot pour eux ? Pour lui ? Ils sont encore là qu’ils sont déjà oubliés, ce qui ne présage rien de bien réjouissant pour eux. Pour cette armée d’ectoplasmes agitant au-dessus de leurs courtes têtes des épées en carton dont je n’aurais pas voulu à dix ans.

Non, Macron ne fera rien, et pour de multiples raisons. D’abord, bien sûr, il n’a strictement rien vécu, et cela se ne se remplace pas. Il est né dans une famille riche, a grandi dans l’ouate la plus onctueuse qui se peut trouver, a fait les études qu’on attendait de lui, lu les quelques livres barbants qui lui étaient nécessaires, rencontré les seules personnes qui méritaient de l’être, est devenu banquier d’affaires, s’est mis dans les pas d’un clone de lui-même, avec trente ans de plus que lui – Jacques Attali, roi des faussaires -, et ensuite a fait de la politique. Pas pour régler des problèmes. Plus sûrement pour éprouver ce sentiment de gloire personnelle et de pouvoir. Et à l’époque, cela s’appelait parti socialiste, dont il a été membre des années, même si tous l’ont oublié. Dans la suite, ainsi qu’on a vu, il a chantonné sous sa douche l’air de la rupture et des temps nouveaux, puis répété le même exaltant message devant des foules compactes et, soyons sincère, imbéciles, et il l’a emporté sur ce pauvre couillon nommé Hollande – le roi définitif des pommes -, avant de coiffer tout le monde sur le poteau.

La deuxième raison qui nous garantit son inaction est reliée à la première. Il n’a pas eu le temps. Quand on passe sa vie à rechercher les moyens de gagner sur les autres, on n’en a pas pour connaître ceux qui aideraient ces autres à vivre moins mal. Et dans ces autres, je considère avant tout les gueux de ce monde si malade, qu’aucun politicien vivant en France n’évoque jamais. Le paysan du Sénégal courbé sur sa houe. Le Penan du Sarawak qui clame sans que nous l’entendions qu’il n’est plus rien sans la forêt que nos lourdes machines assassinent. Les Adivasi de l’État indien du Chhattisgarh, dont les terres anciennes deviennent des mines d’or. Les dizaines de millions de mingong de Chine, ces oubliés de l’hypercroissance. Et dans ces autres, je mets au même plan – mais oui, car l’un ne va pas sans l’autre – la totalité de ces formes vivantes qui partent au tombeau.

Qui meurent parce que les Macron du monde entier ont fabriqué voici un peu plus de deux siècles – la révolution industrielle – une organisation économique barrant tout avenir désirable aux sociétés humaines. Macron, qu’on se le dise, n’a JAMAIS lu le moindre livre sur la crise écologique planétaire. Des notes de synthèse, écrites par quelque conseiller, sans doute. Mais son esprit ne saurait dévier du cadre dans lequel s’est formé son intelligence, si réduite au regard des questions réelles. Il ne peut pas. Il ne pourra pas. Ce serait se suicider intellectuellement et moralement.

Le rapprochement avec le De Gaulle de 1940 est éclairant. Cet homme est alors général de brigade – à titre provisoire -, et sous-secrétaire d’État à la Guerre. Et comme il est à sa façon un géant, il va trouver la ressource inouïe de rompre. Avec tout ce qui a été sa vie. Il va avoir cinquante ans, et sa jeunesse a baigné dans une ambiance provinciale rance, faite de maurrassisme et de royalisme, d’antisémitisme même. En 1940, il est encore un homme d’ordre et d’une droite profonde, assumée. Et pourtant ! Il part à Londres entouré au départ par quelques dizaines de partisans dépenaillés. Pas mal de gens de droite. Quelques autres de gauche. Vichy le condamne à mort par contumace. Saisit ses biens. Il est seul, il n’a jamais été et ne sera jamais plus beau.

Alors, Macron, quoi ? De Gaulle, malgré sa grandiose entreprise, ne rompt pas vraiment. Il estime, avec quelque raison, que ce sont les autres qui ont abandonné la France éternelle en rase campagne, face aux chars d’assaut de Guderian. Car lui en tient pour cette grande mythologie nationale, qui convoque à elle Clovis, Charles Martel, Jeanne d’Arc. Il représente à lui seul cette Grandeur, laissée sur le bord de la route par les infects Pétain et Laval. Il relève un gant tombé dans les ornières laissées par les envahisseurs. Mais cela lui est facile ! Oui, facile ! Écrivant cela, je sais que c’est faux, bien entendu. L’arrachement a dû être une torture mentale pour lui. Mais je veux signifier qu’il disposait d’un cadre dans lequel placer ses interrogations et sa bravoure. La France. Le grand récit national. L’éternité. Il n’avait pas besoin en lui d’une révolution morale. Il avait besoin d’une témérité sans égale. Et il en disposait.

Macron-le-petit n’a rien de cela. Il ne peut s’accrocher à une vision, à un avenir, à un passé, car rien de tout cela n’existe en son for. Il admire l’économie en benêt, la marche des affaires, les échanges commerciaux. Dans un présent perpétuel qui est exactement ce qui tue la moindre perspective. Il ne peut ni ne pourra. Il lui faudrait une force dont il ne dispose pas. Il lui faudrait tout revoir, tout réviser, tout exploser même. Il lui faudrait s’attaquer à des structures qu’il aura sa vie durant contribué à renforcer. Or, qui ne le voit ? Il n’a que peu de qualités profondes. Je mesure à quel point ces mots peuvent paraître durs. Mais franchement, quelle qualité essentielle attribuer à un homme comme lui ? La verriez-vous ? En ce cas, éclairez-moi.

Nous voici donc face à un événement que la Commission européenne définit comme historique. Moi, je ne dirai jamais cela, car c’est incomparablement plus vaste et plus complexe. Le mot Apocalypse me vient spontanément, qui ne signifie nullement fin du monde, mais bel et bien « Révélation ». Et oui, dans ce sens-là, la sécheresse de 2022 est la révélation de ce qui nous attend, et qui sera bien pire. Le grand malheur dans lequel nous sommes tous plongés, c’est qu’aucun politique de quelque parti que ce soit ne vaut davantage que Macron. Je sais que beaucoup placent leurs espoirs en Mélenchon, que j’ai tant de fois écartelé ici. Mais qu’y puis-je ? Nous avons besoin d’une nouvelle culture, de nouvelles formes politiques adaptées à des problèmes que les humains n’ont encore jamais rencontrés, en évitant de remplacer des politiciens par d’autres politiciens, car tous finissent toujours par se valoir.

Nous avons besoin d’un surgissement. Nous avons besoin de sociétés enfin éclairées, échappant enfin aux redoutables crocs des idées mortes – oui, la mort mord -, décidées à l’action immédiate, qui ne peut être basée que sur l’union massive, autour du seul mot qui ne nous trahira pas : vivant. Oui, nous devons nous battre ensemble pour le vivant. Et le vivant, en France, dans la Géhenne de cet été brûlant, est très souvent mort de soif. Ne pensez pas toujours à vous et à vos proches, bien que j’en fasse autant que vous. Pensez aux hérissons, fouines, renards, libellules, mantes, guêpes et abeilles, grenouilles et poissons, circaètes et moyens-ducs, aux chevreuils et cerfs, aux papillons, pensez aux arbres et à ces milliards de plantes qui ont brûlé au soleil ou au feu. Leur terrible destin nous oblige tous. Il nous oblige. Il faut lancer un seul et unique mouvement. Vivant. Le mouvement Vivant.