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Hugo Clément parle avec les chefs du Rassemblement national

Je dois commencer par le commencement : je connais très mal Hugo Clément, et ne le lis pas. On le dit écologiste, et comme ce mot est si dévalué qu’il ne veut plus rien dire, pourquoi pas ? Il défend la “cause animale” – une étrange expression, à la vérité -, et il est omniprésent sur des réseaux sociaux comme X, Instagram, Facebook. Ajoutons que le peu que je sais le désigne comme un journaliste n’ayant pas froid aux yeux.

Voilà. Je viens de lire la page que lui consacre Wikipédia, et pour être sincère, cela ne me le rend pas sympathique. Je ne peux me défaire d’une vilaine impression, celle de découvrir un homme amoureux de lui-même, qui papillonne au gré de fleurs multicolores pouvant servir son image.

Notons qu’il y a des éléments troublants. Profitant de l’image qu’il a construite, grâce à la télévision notamment, Clément entend refaire la carte politique de ce pays. L’ambition est grande, le personnage peut-être un peu moins. Au moment où il paraît découvrir, en 2018, l’écologie – qu’il appelle d’ailleurs, souvent, l’environnement (1) -, Clément travaille pour un site apprécié des djeunes, Konbini.

Ce qu’il ne dit pas, et qui n’intéresse personne, c’est que Konbini est la propriété de la multimilliardaire famille Perrodo. Laquelle fait entre autres dans le pétrole et possède des holdings immatriculés dans des paradis fiscaux comme les Bahamas, Guernesey, le Luxembourg. Il n’est pas responsable ? Il ne l’est pas. Mais on a le droit d’interroger un journaliste qui se présente constamment comme un preux à l’affût du scandale.

D’autant qu’il remet cela en 2022 en créant le journal en ligne Vakita. Il se garde bien de prévenir que se trouvent, parmi les investisseurs, des hommes comme les milliardaires François Pinault ou Xavier Niel. Cela commence à faire beaucoup, quand cela n’est encore rien. Car en avril 2023, Clément accepte de participer au “Grand débat des valeurs” – organisé par l’un des pires journaux de la place, Valeurs Actuelles. Clément accepte un débat avec le responsable du Rassemblement national, Jordan Bardella, qui en conclura qu’il faut « moins de Sandrine Rousseau et un peu plus d’Hugo Clément. »

Après les législatives, il appelle à l’union nationale. Avec le RN ? Avec : « Dans un tel contexte, la meilleure solution ne serait-elle pas un gouvernement d’union nationale, qui regrouperait toutes les sensibilités ? » Il y a quelques jours à peine, il remercie le maire RN de Fréjus, David Rachline, de son soutien à l’écologiste Paul Watson, emprisonné au Groenland. Je ne m’étends pas sur Rachline dont Clément, lui si bien informé, ne peut ignorer les turpitudes.

Je crois que cela suffit. Pourquoi fait-il cela ? Officiellement, parce que l’écologie serait l’affaire de tout le monde. Je n’entrerai pas dans trop de détails, mais il me faut encore aborder deux points. Un, bien sûr, le RN est l’héritier d’infâmes idéologies du passé. C’est un parti protofasciste, ce qui veut dire qu’il n’est pas encore, et ne sera peut-être jamais fasciste, du moins au sens historique. Mais évidemment, il est raciste, ce qui devrait disqualifier d’emblée ceux qui s’en approchent.

De cela, Clément se contrefout. On pourrait attendre qu’il prête davantage attention à ce qui suit : il est inculte. Il sait sans doute plein de choses, mais il ignore quantité de fondamentaux. Un parti politique a sa logique, son histoire, ses pesanteurs. Il obéit à des règles contraignantes dont, visiblement, Clément n’a aucune idée. Jamais, jamais, jamais, même s’il y consacrait mille ans, il ne parviendrait à influer sur le cours politique du RN.

C’est donc un peu gênant, car enfin, tel est le but proclamé : parler et convaincre. Au-delà, la contradiction est flagrante : Clément, qui se prétend obsédé par la crise écologique; Clément qui répète à l’envi que le temps est compté; Clément qui jure qu’il faut secouer d’urgence toutes les formes politiques; Clément s’adresse à un parti climatosceptique. C’est à dire à un parti d’infects négateurs de la crise diabolique dans laquelle nous sommes plongés. Parler avec de tels gens ? Mais pourquoi ?

Dans les conditions réelles du débat politique en France, cette posture ne sert que les intérêts du RN. Bien sûr ! Clément nous rejoue pour la millième fois le coup de “l’idiot utile”, dont l’origine se perd dans les nuées. L’expression renvoie à ces imbéciles qui servent sans forcément le comprendre une cause à laquelle ils se prétendent étrangers. L’archétype de l’idiot utile, c’est l’intellectuel de gauche visitant l’Union soviétique dans les années 30, et acceptant ensuite de défendre le totalitarisme au nom de la liberté et de la paix.

Clément est-il seulement un idiot utile ? Ce serait le réduire que d’affirmer cela. Certes, il sert de (petite) caution à un projet politique dévastateur, mais enfin, à mes yeux, il y a autre chose. Je crois pour ma part qu’il aime à se regarder dans la glace, et qu’au temps de l’hyperindividualisme, il a fort bien compris qu’il lui fallait se distinguer. Je l’ai dit, il papillonne, choisissant des sujets susceptibles de lui valoir admiration. Et détestation ? Et détestation, car pour ce type de caractère, il n’y a jamais qu’un but : apparaître et briller, fût-ce d’une lumière noire.

Je gage – on verra plus tard si j’ai raison – que Clément ne s’arrêtera pas là. Il y a, il y a toujours eu, il y aura toujours une place pour un histrion. L’avenir semble donc assuré. Mais comment tant de dupes tombent-elles dans un si misérable panneau ? J’aimerais comprendre mieux.

(1) J’espère que l’on me pardonnera. L’environnement, mot que je honnis, place bien sûr l’homme au milieu. Ce qui compte, c’est ce qui “environne” les humains.C’est une vision du monde. L’écologie n’a rien à voir. L’homme y est resitué dans un ensemble de liens, de relations, parfois de rets, d’une insurpassable complexité. Le débat est essentiel.

Le Loup, Boris Vian, et le dégoût des autres

Pour Jean-Michel Bertrand et Patrick Pappola

Vous le savez certainement, ils veulent la peau du Loup. Eux, les infects bureaucrates de la Commission européenne. Réunis mercredi 25 septembre, Ils ont décidé d’abaisser le statut de protection du loup. Sa présidente, Ursula von der Leyen, s’estimait elle-même victime du sauvage, qui lui aurait mangé un poney nommé Dolly. Tous les foutus chasseurs du continent vont pouvoir tirer tant qu’ils le voudront sur notre grand anarchiste.

Anarchiste ? Sans nul doute, même si le mot est évidemment anthropomorphique. Car comme le dit l’inoubliable Charlemagne Tricotin, héros du roman de Michel Folco, « un loup est un loup, et pi z’est tout ». En tout cas, se moquant des gabelous, il cavale, et saute obstacles et frontières comme s’il n’avait pas de comptes à rendre aux prédateurs fous que nous sommes devenus. Je l’admire. En France, où le poison et le fusil l’avaient fait disparaître il y a un siècle, il est revenu. Par l’Italie, depuis les monts Apennins, son ultime refuge dans ce pays. Il a traversé les Alpes, traversé le Rhône vers l’ouest, l’autoroute du Sud, la voie ferrée des TGV, évité les mauvaises rencontres, et triomphé. Il est désormais au nord, à l’est, on l’a même vu en…Bretagne. Quel athlète !

On veut donc sa peau. Mais de quel droit ? Les origines de l’animal se perdent dans la nuit des temps. Ses forts lointains ancêtres, quand ils ne pesaient que trois kilos, semblent avoir été repérés il y a 50 millions d’années, quand l’homme n’était qu’un songe. Bien plus près de nous, il est passé par le détroit de Béring, d’Amérique en Eurasie. Le chemin inverse des hommes qui ont peuplé l’Amérique il y a une vingtaine de miilénaires. Mais le Loup l’a fait il y a près de deux millions d’années !

Rien ne l’aura arrêté, sauf la haute montagne, les déserts – quoique -, les forêts tropicales. Un peu comme l’homme ? Certes oui. La détestation de l’animal est sûrement de nature anthropologique. Le face-à-face, la concurrence pour la nourriture et l’espace ont marqué à jamais l’esprit humain. L’esprit d’une partie des humains, car je n’en suis pas et n’en serai jamais.

Je ne sais pendant combien de temps ils ont baguenaudé, chassé, couru à perdre haleine dans ce territoire que nous appelons la France depuis une poignée de siècles. Disons de manière prudente pendant des centaines de milliers d’années. Ils sont chez eux, si cette expression humaine a quelque sens. Nous sommes chez eux. Quand nous peignions les parois de la grotte Chauvet, en Ardèche, elle était là aussi. Elle, car des chercheurs y ont retrouvé des crottes fossilisées d’une louve, datant de 35 000 ans.

Que vous dire qui soit à la hauteur de mon tourment ? Je me tourne vers un livre lu il y a quinze ans, et qui m’a alors fait frissonner. Il s’agit de Le totem du loup, écrit par le Chinois Jian Rong. Victime avec des millions d’autres de la Révolution culturelle, Rong part en Mongolie dite intérieure pour une entreprise de « rééducation » au contact des paysans. Jiang Rong y restera onze ans.

Chen Zhen, son double dans le roman apprend la vie de berger au milieu d’un campement mongol, sous la yourte. Il se prend d’une passion totale pour la haute culture de ces hommes. Ce peuple du cheval, ce peuple nomade, minuscule au regard de la puissance chinoise, a toujours inquiété ses voisins, cent fois plus nombreux, mais mille fois moins aventureux.

D’où vient la force étonnante des cavaliers ? Disons que le loup devient peu à peu le personnage central. Pour ce qui me concerne, je n’avais jamais lu encore de telles descriptions de chasses. Menées par le loup. Ou dirigées contre lui, le plus souvent. Ce n’est pas beau, c’est somptueux.

Chez Rong, les loups sont des stratèges, souvent beaucoup plus intelligents que les hommes. Ils sont l’esprit vivant de la steppe, qu’il convient de respecter avant toute chose. C’est du moins le sentiment du vieux Bilig, désespéré par le comportement insensé des autorités maoïstes, qui ne pensent qu’à exterminer les animaux sauvages. Dans le livre en tout cas, les Mongols partagent et vénèrent. Ils partagent l’espace avec les loups, et leur vouent une sorte de culte animiste que je comprends. Que j’aimerais partager.

Je crois, je veux croire, je crois que la culture profonde des humains peut, pourra un jour leur permettre de changer. Il n’est pas possible que le Loup soit à nouveau chargé de toutes nos sinistres fautes. Dans le roman de Boris Vian, L’Arrache-Coeur, la Gloïre repêche avec les dents, dans une rivière rouge sang, les si nombreuses crapuleries des villageois. On le déteste, on l’évite, on aimerait s’en débarrasser, car il sait ce que cachent les apparences. Pensant à lui, j’espère ne pas être trop dans un contre-sens. Mais je ne le crois pas. Le Loup montre envers et contre tout une voie raisonnable, possible, éloignée de l’hubris qui nous détruit. Une raison de plus pour le faire disparaître du tableau.

Carnet de naissances chez le lynx d’Espagne

Il y a des années déjà, je suis allé en Andalousie, dans et autour du parc national de Doñana. Le delta du Guadalquivir est – était, soyons franc – un pays enchanté fait de dunes, de dépressions herbeuses, de ruisseaux et de marais. Avec quelques arbres tout de même, sur l’un desquels j’ai vu perché un aigle ibérique, espèce cantonnée au sud de l’Espagne et du Portugal. Il y a je crois quelques voyageurs au Maroc.

J’ai marché et souvent roulé sur des pistes de sable, espérant de toutes mes forces apercevoir un lynx pardelle, aussi appelé lynx ibérique, animal qu’on ne trouve que dans la péninsule du même nom. C’était en 2005, et à cette date, c’en était fini. Le lynx pardelle allait nous quitter. Il était moribond, davantage menacé d’extinction que le tigre ou la panthère des neiges. Sa disparition serait la première, chez les félins, depuis celle du tigre à dents de sabre, il y a…10 000 ans.

Je me baladais avec Francisco Palomares, l’un des meilleurs spécialistes de l’animal, et nous ne le voyions pas. Il restait une centaine d’animaux peut-être, qui mouraient sur les si nombreuses routes de cet espace pourtant protégé. Ou de faim, car leur nourriture essentielle, le lapin, se réduisait comme peau de chagrin pour cause d’épidémies à répétition. J’en étais si malheureux !

Et puis voilà que tout a changé. Je ne raconte pas l’histoire. Elle a été largement financée par un programme européen appelé Life, mais conduite sur place par des héros ordinaires comme Francisco. Des mesures apparemment efficaces ont été mises en place, on a élevé en captivité – hélas – des lynx relâchés ensuite dans la nature après mille précautions, et la population de lynx a doublé. Puis quadruplé. On en recense aujourd’hui 2021.

Ce n’est rien ? Si. C’est une preuve. Que l’on peut agir. Agir et réussir. Sauver des formes de vie condamnées par notre monde lui-même agonisant. C’est beau. Je ne cherche pas plus loin. C’est beau.

Du plomb dont on fait des neuneus

Publié en juillet 2023

Ainsi va le monde, tandis que nous hésitons sur la marque de notre prochain téléphone portable. La Burkinabée Nafisatou Cissé dirige une ONG internationale qui lutte contre l’intoxication par le plomb (1). Et elle vient de signer un article (2) dans la revue Nature qui fait le point sur ce si grand désastre. C’est très difficile à croire, et pourtant. Extrait : « Dans le monde, 815 millions d’enfants – 1 sur 3 – ont des niveaux dangereux de plomb dans le sang, suffisants pour provoquer des lésions cérébrales irréversibles, des déficiences intellectuelles, une baisse du niveau d’éducation, des troubles du comportement, une diminution des revenus tout au long de la vie, de l’anémie, des maladies rénales et des maladies cardiovasculaires ».

D’ou vient cet enfer toxique ? Des ustensiles de cuisine en aluminium, des céramiques, des épices, des cosmétiques et des piles, du recyclage des déchets électroniques et des batteries au plomb. Et bien sûr des peintures auxquelles on ajoute du plomb pour accélérer le séchage et donner de la couleur. On s’en doute un peu, il est très facile, comme dans les pays du Nord, de s’en passer. Le plomb, combien de morts dans le monde ? Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), près d’un million chaque année. Et, ajoute Nafisatou Cissé, « on estime que les effets du plomb sur le développement cognitif entraînent chaque année une perte de revenus de près de 1 000 milliards de dollars dans les pays à revenu faible et intermédiaire ».

Vous avez bien lu : 1 000 milliards de dollars, à rapprocher des 9,6 milliards de dollars du budget d’un pays comme le Sénégal en 2023. Et la lutte contre le plomb mobilise à grand-peine 10 millions de dollars de fonds internationaux par an. Ce n’est pas seulement fou, c’est sanguinaire. Comme à l’habitude, derrière le crime, il y a l’industrie. Il fallait mettre du plomb partout, car on le produisait massivement. En 2022, des pays comme la Chine – deux millions de tonnes – et l’Inde – 240 000 tonnes – augmentent leur production. Et la baisse chez d’autres – Australie, États-Unis, Canada, Mexique – est minime.

Malgré l’interdiction mondiale du plomb dans l’essence en 2021, la tuerie continue. Au Sud on l’a vu, mais aussi au Nord. Une étude sérieuse de 2018 estimait à 412 000 morts par an aux États-Unis l’intoxication par de faibles expositions au plomb (3). 412 000, le sixième de la mortalité ! Mais pas en France, oh non. On se souvient du nuage de Tchernobyl arrêté en 1986 par la douane aux frontières françaises. Eh bien, de même, le plomb n’est pas passé par chez nous.

Démonstration immédiate par un rapport de la Direction du travail, révélé en juin par Le Parisien. En résumé express, la SNCF se tamponne le coquillard de l’exposition au plomb de ses salariés. Elle avait promis d’agir, mais ne l’a pas fait, et dans les gares d’Austerlitz, de Lyon, de Saint-Lazare et du Nord, elle « ne se conforme pas à des obligations essentielles de prévention des risques d’exposition au plomb, bien qu’en connaissant les termes ». Et ça craint, car « les éléments recueillis par les inspectrices du travail permettent d’établir l’existence de situations dangereuses pour les salariés de l’entreprise et de celles intervenantes ».

Mais que dire alors de l’incendie de Notre-Dame en 2019 ? Nos chers Bernard Arnault et François Pinault ont aussitôt montré grandeur d’âme et philanthropie, offrant ensemble 300 millions d’euros pour la reconstruction de la cathédrale. Oui, mais où sont passées les 400 tonnes de plomb qui ont fondu dans l’incendie avant d’être vaporisées pour le bien-être universel ?

Il faut reconnaître que l’affaire devient passionnante, car par un tour de magie digne d’Houdini, elles ont disparu. Malgré les plaintes de l’association Robin des Bois, on est toujours à leur recherche. Question des plus innocentes : pouvait-t-on trucider le tourisme parisien, l’un des grands moteurs de l’économie ? Pouvait-on se permettre d’en trouver dans les cours de récréation, les jardins publics, les intérieurs bourgeois de ce quartier chic ?

(1)en anglais https://leadelimination.org/

(2)en anglais https://www.nature.com/articles/d41586-023-02368-0

(3)en anglais https://www.thelancet.com/pdfs/journals/lanpub/PIIS2468-2667(18)30025-2.pdf

Deuxième papier

La chimie arrêtée aux frontières (bis repetita)

Ce n’est pas en France qu’on verrait cela. Certes, les États-Unis sont le royaume des pires pollueurs, mais ils abritent aussi des procureurs indépendants et teigneux dont on ne voit pas l’équivalent chez nous. Témoin cette plainte du bureau du procureur général de Washington contre 25 entreprises de la chimie, accusées d’avoir fabriqué et vendu des produits toxiques qui empoisonnent la capitale fédérale américaine depuis les années 1950.

L’Attorney general vise en particulier deux entreprises, 3M et DuPont, qui ont beaucoup utilisé ce qu’on appelle des forever chemicals, les PFAS. Autrement dit, des polluants chimiques éternels, dont la structure résiste à toute dégradation pour des siècles. Et ils l’on fait en cachant à la société et aux organismes de contrôle les risques pour la santé et l’environnement, qu’ils connaissaient pourtant. 3M pèse 34 milliards de dollars de chiffre d’affaires – 92 000 employés – et DuPont « seulement » 13 milliards après différentes modifications de capital. Des géants de l’industrie transnationale.

Ça chauffe d’autant plus que cette plainte arrive après un accord passé par 3M le mois dernier avec plusieurs villes américaines. L’industriel a accepté de verser au total 10,3 milliards de dollars sur 13 ans pour financer la dépollution des services publics de distribution de l’eau. Mais de leur côté, les cauteleux avocats de DuPont jurent qu’ils n’ont rien à voir dans cette histoire. Selon eux, DuPont n’a jamais fabriqué de PFAS, et d’un point de vue torve, c’est vrai. Car entre 2017 et 2019, l’antique DuPont de Nemours s’est scindé en trois entités. Et celle qui a gardé le nom, en effet, n’a pas fabriqué de PFAS.

C’est si gros qu’on se pince. Au fait, à quand des plaintes en France ? L’usine de 3M à Tilloy-lez-Cambrai (Nord) ne mériterait-elle pas une enquête approfondie de Santé Publique France ou de l’Agence régionale de santé ? En 2021, des tests sanguins ont montré que 59% des riverains de l’usine 3M de Zwijndrecht (Belgique) étaient farcis de PFOS, sous-famille des PFAS. Mais en France, jamais !

Troisième papier

La canicule tue aussi (surtout) les bêtes

Ils souffrent beaucoup plus que nous. Ils meurent par millions et nous regardons gentiment s’il y a encore du rosé au frais. Eux, les animaux sauvages. Eux, les plantes et les arbres. La canicule est un enfer, et l’on commence à entrevoir ses conséquences. Une étude (1) menée en 2021 et 2022 à Matera, dans la Basilicate (sud de l’Italie) montre les effets d’un stress thermique sur la population locale de faucons crécerellettes – un millier de couples ! -, qui nichent sous les tuiles ou sur les façades de Madera, l’une des villes les plus anciennement habitées au monde.

Encore l’étude ne porte-t-elle que sur des températures ne dépassant pas 37 degrés. Loin de la chaleur de 2023. L’équipe scientifique a pu montrer qu’en créant artificiellement de l’ombre sur les nombreux nichoirs de la ville, on pouvait ainsi abaisser la température de quatre degrés. Et le résultat à l’arrivée est saisissant : dans les nichoirs non ombragés, un tiers des œufs sont devenus des poussins prêts à l’envol. Mais dans les autres, autour de 70%.

Commentaire du professeur Diego Rubolini (2), de l’université d’État de Milan : « Ces résultats montrent que les phénomènes de températures extrêmes (…) dans certains cas jamais enregistrés auparavant, peuvent avoir des effets profonds et très rapides sur les populations d’animaux sauvages ». D’autant que «  les scénarios de changement climatique prévoient une nouvelle augmentation de la fréquence et de l’intensité des vagues de chaleur(…) en particulier dans la région méditerranéenne ».

(1)en anglais https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/gcb.16888

(2)en italien https://www.lescienze.it/news/2023/07/27/news/stress_termico_effetto_animali_selvatici_ecosistema_l-13011009/

Mon ami (Jean-Yves Monnat n’est plus)

Je ne vais pas insister : mon cœur saigne affreusement, car Jean-Yves Monnat est mort ce matin. Vous trouverez ci-dessous un article que je lui avais consacré il y a longtemps. Il contient peut-être des fautes, car ce n’est qu’un brouillon retrouvé par miracle dans un ancien ordinateur. Quand l’ai-écrit ? Je ne sais pas. 2004, probablement. Où a-t-il été publié ? Sans doute dans le magazine Terre Sauvage. Mais qu’importe. Je suis triste et je le pleure.

L’article de (peut-être) 2004

Au Cap Sizun, tout près de la pointe du Raz, le biologiste Jean-Yves Monnat suit depuis 25 ans des colonies de mouettes tridactyles. Pas n’importe comment : grâce à un étonnant système de bagues colorées, les milliers de mouettes équipées sont devenues de vrais individus ! Récit d’une (en)quête qui mêle l’alpinisme à la haute précision, l’amour de la nature à un zeste de folie.

Cet homme est un fin cuisinier, et si cela devenait nécessaire, il lui serait en conséquence beaucoup pardonné. Ragoût de lotte, s’il vous plaît, et vin rouge chambré servis dans l’antre même du naturaliste, à Goulien (Finistère). Le pays de Jean-Yves Monnat, à nul autre pareil, c’est celui du (vrai) grand large : le grandiose, le violent, l’émouvant Cap Sizun. Un bout de terre ultime qui vient buter contre l’Atlantique par des pointes qu’on ne peut jamais oublier après les avoirs vues : celle du Raz, celle du Van, Castelmeur, Brezellec, Luguenez.

Le monde des tempêtes et des assauts, avec des dizaines de kilomètres de hautes falaises oubliées par miracle, épargnées par le tourisme de masse et les processions de voitures. La maison de Jean-Yves, où l’on est arrivé il y a deux heures, est une ancienne, une butte-témoin perdue au bout d’un chemin, vestige intact d’une civilisation paysanne engloutie. Bâtie il y a 150 ans, en granite, bien sûr. Juste avant d’y parvenir, on aperçoit au pied de l’horizon les tout nouveaux géants du lieu : les interminables silhouettes grises des éoliennes, qui prennent l’air, et donnent du courant.

On pourrait de suite aborder le sujet de la visite, mais où serait alors le plaisir de la palabre ? Non, on parle. D’un peu tout ce qu’on veut et qui vient. Tiens, annonce l’hôte, un livre doit paraître en 2005, édité par l’Institut océanographique de Monaco. Le sujet : quel temps faisait-il, disons, le 23 juillet 431. Ou le 24 mars 867. Impossible ? Plus maintenant. Grâce à une équipe de l’université de Pau, qui sait extraire par laser les stries journalières de calcite que fabriquent les huîtres pour parfaire leurs coquilles. Par la minutieuse analyse de la composition de la calcite, comme ailleurs avec les calottes de glace retirées du sous-sol de l’Antarctique, les scientifiques parviennent à reconstituer la température d’un jour précis du passé. Pour vous dire la vérité, on écoute bouche bée.

Et puis, sans transition, on rigole. Car Jean-Yves raconte maintenant ses longues virées en pays Pourlet – autour de Guéméné -, pour y recueillir avant qu’elles ne meurent à jamais d’antiques chansons paysannes. « Cela a duré de 1963 à 1978, dit-il. Vous saviez que le pays Pourlet a des limites très précises ? La frontière passe même au milieu d’une commune ! Vous connaissez bien sûr Donatien Laurent, l’homme de la tradition orale en Bretagne ? » Eh bien non, on ne connaît pas cet étonnant professeur Nimbus-là, grand ami de Jean-Yves, et prodigieux archiviste de la mémoire régionale.

Il a réussi, entre autres, à éteindre une polémique datant du XIXème siècle autour d’un recueil de chansons bretonnes d’avant 1830, qui avait fort impressionné George Sand et les frères Grimm. L’œuvre était-elle authentique, arrangée, en partie inventée ? Verdict définitif de Donatien, qui retrouva d’autres parties du travail : un vrai chef-d’œuvre. Est-il temps de parler de mouettes tridactyles, objet de ce périple en finis terrae, ce pays où s’achève la terre ? Presque.

On apprend avant cela qu’en septembre 1959 – il a 17 ans -, Jean-Yves est de l’aventure d’un des premiers camps de baguage de migrateurs à Ouessant, où se formera une partie de la fine fleur naturaliste de Bretagne. Son père, chasseur et grand amoureux des prés, des bois et de leurs habitants – l’espèce n’est pas si rare -, l’a initié au bonheur du grand dehors. A 17 ans donc, Ouessant et dans la foulée des études de biologie à la fac de sciences de Brest, où il passera un DEA sur le comportement animal en 1964. Son sujet d’études ? Les vers marins.

L’année suivante, il devient le premier assistant du professeur Albert Lucas, glorieux fondateur, avec son ami Michel-Hervé Julien, de la SEPNB (Société pour l’étude et la protection de la nature en Bretagne), qui deviendra Bretagne Vivante. Il se lance alors dans une passionnante étude – on ne rit pas – sur la sexualité des bivalves, qui deviendra en 1971 une thèse. Il ne reste plus qu’à mener carrière, ce qui ne sera pas le plus simple. Car il refuse les directions que lui suggère Lucas. L’aquaculture, qui commence dans ces années-là ? Bof. L’écotoxicologie, dada de Lucas ? Non plus. Jean-Yves lâche les mollusques, et se tourne – enfin, on y est ! – vers les oiseaux de mer.

En 1967, il avait trouvé le temps de créer l’association ornithologique Ar Vran et commencé, dans les années suivantes, à s’intéresser de près aux goélands argentés, jusqu’à leur consacrer, à partir de 1974, une étude. Grande trouvaille, au passage : il adapte un système de marquage coloré individuel par bagues, qui permet de suivre les oiseaux à distance, par jumelle et longue vue, et de ne plus dépendre d’une aléatoire recapture des oiseaux. Quand il propose en 1978 au Centre de Recherches sur la Biologie des Populations d’Oiseaux (CRBPO) – rattaché au Muséum de Paris – d’appliquer le système aux cormorans huppés et aux mouettes tridactyles de sa chère Bretagne, on lui répond positivement.

Pourquoi ces deux espèces ? D’abord parce qu’elles sont très différentes, ce qui ne peut que passionner le chercheur. Le cormoran est un gros père prolifique – 3 à 4 œufs en moyenne -, qui s’écarte fort peu des côtes. La mouette, de son côté, a besoin de falaises pour nicher, mais aussi de l’océan tout entier, où cette hauturière se disperse après la reproduction, des côtes africaines européennes au Groenland. Une autre raison, de simple opportunité, pousse un peu plus Jean-Yves vers les mouettes. Un jeune ornithologue, Alain Thomas, vient d’arriver à la réserve ornithologique de Goulien, sur les falaises du cap Sizun, et il cherche pour sa part un sujet d’études.

Les deux hommes font affaire : à Jean-Yves, le baguage des mouettes; à Alain, leur suivi tout au long de la saison de nidification. C’est le début – nous sommes en 1979 – d’une des plus précieuses et plus rigoureuses études jamais menées au monde sur ce qu’on appelle la biologie des populations. Toutes espèces confondues (voir encadré) ! Mais pour mieux comprendre, rien ne vaut un peu de terrain. On quitte enfin la table accueillante de Jean-Yves – le café est pris – pour rejoindre l’une des plus fabuleuses falaises à mouettes tridactyles qui soient, toute proche de la pointe du Raz. La 5 Z, pour être précis, et Dieu sait qu’il faut l’être. On abandonne sans regret la voiture, on serpente dans la lande, la fougère aigle, les ronciers, juste au-dessus de la mer d’Iroise, étrangement calme pour une fois. La baie des Trépassés se découpe à merveille au nord-est, tout comme la 5 Z, qui abrite quand tout le monde est là, 250 couples de mouettes tridactyles.

On s’assoit, et l’on change aussitôt de dimension. Car l’impossible se produit : Jean-Yves Monnat connaît tout le monde ! Oui, on l’entend parler. Se parler, leur parler peut-être. Le mâle du nid 77 n’a pas encore été vu cette année. Tiens, la femelle du 155 est enfin arrivée. Ah, dans le nid 87, il y a un usurpateur, car ce n’est pas le sien, et tout à l’avenant. « Vous voyez cet oiseau, là, sous le nid 123, avec son aile sous le bras ? ». On essaie, le nez sur la longue vue, on réussit. « Eh bien, il a une histoire très intéressante. Il a été bagué en 1989, l’année où je suis tombé de la falaise, et il a essayé sans succès de se reproduire dans la partie de la réserve de Goulien ouverte au public. Il a aussi essayé à Ouessant, et on l’a vu ici, au Raz, à plusieurs reprises. »

Bien sûr, l’anecdote est passionnante, qui démontre ce qu’un baguage presque systématique permet d’obtenir. Mais pour ne rien vous cacher, on a sursauté en entendant parler de chute, car les falaises font ici plusieurs dizaines de mètres de hauteur ! On fait donc répéter. « Oui, je suis tombé, en juillet 1989. J’étais pressé, l’année avait été mauvaise, je n’avais bagué que 150 poussins à peu près. Or l’un d’eux était tombé du nid, et j’ai voulu le récupérer avec une perche au bas de la falaise. Et quand je me suis retrouvé encordé, dans le vide, tout a lâché d’un coup. Une chute de vingt mètres, directement dans un trou d’eau d’1,10 m de profondeur. »

Par un authentique miracle, Jean-Yves, qui avait oublié d’attacher un nœud, ne se rompt pas (tous) les os. Oui, on avait oublié : pour descendre dans les falaises au-dessus de la vague, il faut être alpiniste aussi. Cela tombe bien, car Jean-Yves Monnat, grâce à un beau-frère suisse, a longtemps été un grimpeur de haut niveau, escaladant les cimes aussi bien dans les Alpes que dans les Pyrénées. Et cela n’est pas de trop, quand il s’agit d’aller baguer un minuscule oiseau sur un tout petit rebord de granite. Une falaise est dite « mûre » pour l’exploit quand le poussin le plus jeune de la paroi est assez grand pour supporter les bagues et que le plus vieux n’a pas plus de 30 jours de vie. Au-delà, trop proche du moment de l’envol, il peut paniquer, et tenter la fuite.

Il existe une fenêtre d’environ un mois pour baguer les centaines de nouveaux-nés, à la moyenne sidérante de 5 par heure de travail. Équipement du grand maître : une perche de stabilisation, une autre pour la capture; un réglet pour mesurer la bête; une musette contenant les séries de bagues; diverses cordes, un casque, une escarpolette, un harnais, un descendeur. Entre autres, et sans compter ce pilulier dans lequel on déposera les parasites de l’oiseau prélevés aux fins d’analyse. Sur la falaise 5Z, les choses se sont brutalement animées. Des squatters chassent sans état d’âme de légitimes occupants, des drames de la vie de couple éclatent à tous les étages, des rencontres se forment.

Deux femelles se lancent dans une épouvantable bataille pour le même nid. Elles se frappent, se piquent, l’une d’elles saigne. Elles s’envolent en se poursuivant, reviennent, se tapent de nouveau l’une sur l’autre. Et il n’y a jamais qu’un vainqueur. Une autre, posée à l’écart de la colonie, est en « congé sabbatique » depuis trois ans, ce qui signifie qu’elle ne pond pas. Elle ne quitte guère son coin de falaise, après avoir tenté un rapprochement avec un mâle, deux ans avant. Ailleurs, un mâle solide « quémande » un accouplement qu’une femelle lui concède d’un hochement de tête. Le mâle ouvre les ailes, soulève la patte droite, prélude à l’amour. Jean-Yves voit tout, décrypte tout, et l’on se demande soudain ce qui est le plus fascinant, de lui ou d’eux.

« Je connais, avoue-t-il à force d’insistance, les 3 000 sites potentiels de nidification du cap Sizun et je connais aussi les propriétaires de chaque nid occupé, soit environ 1 000 couples par an. » Voilà sans doute la principale force de ce travail scientifique. A la différence des grandes colonies de mouettes tridactyles, dans les îles britanniques par exemple, il est possible ici de suivre des individus, dont bon nombre reviennent chaque année. Les plus vieux ont vingt ans de présence ! Au bout d’une simple demi-heure d’observation patiente, Jean-Yves a identifié 111 individus différents et noté leur présence et leurs tribulations sous forme d’énigmatiques hiéroglyphes. Au moment où l’on s’y attend le moins, dans une clameur fantastique, la plupart des mouettes se jettent dans le vide, formant comme un nuage tourbillonnant. Un cri d’alerte a entraîné ce que les biologistes appellent un vol panique.

Que se passe-t-il ? Jean-Yves montre au-dessus de la falaise deux points gris-noir qu’on n’aurait sans doute pas vus sans lui. « Des faucons pèlerins, annonce-t-il. De terribles prédateurs ! ». On s’apprête déjà à repartir, certain que les mouettes, qui se sont posées sur l’océan, à 300 mètres, ne reviendront pas de sitôt. Erreur : en un souffle blanc saturé de cris, elles sont déjà de retour, sur leur morceau de pierre éternel.

——————————————————————————————Encadré

Quand les oiseaux deviennent des individus

En France, la mouette tridactyle se porte bien : ses effectifs n’ont cessé d’augmenter depuis une soixantaine d’années au moins. On estimait leur nombre à 5700 couples en 2000, dont 65% en Normandie et 21% en Bretagne. L’étude commencée en 1979 sous la direction de Jean-Yves Monnat est connue dans le monde entier et a permis d’importantes publications dans certaines des grandes revues scientifiques internationales.

Elle repose sur le baguage d’une majorité des poussins qui naissent dans la zone d’étude – le Cap Sizun -, et le suivi individuel des oiseaux, année après année. Question centrale de ce long travail : comment expliquer les fluctuations parfois étonnantes de la démographie des colonies ? Monnat et ses collègues parviennent à prouver, à l’encontre de l’opinion générale, que les mouettes ne sont pas nécessairement fidèles à vie à leur colonie. Bien mieux, ils démontrent que dans certains cas, des déménagements massifs deviennent la règle. Et notamment après des échecs répétés de la reproduction dans la colonie d’origine.

En somme, les oiseaux évaluent en permanence, avec une grande acuité, la qualité des sites où ils doivent se reproduire. Cette découverte permet au passage de comprendre le « squattérisme », c’est-à-dire l’occupation par la force de nids plus favorables. Mais pourquoi tant d’échecs à la reproduction ? L’étude a montré le rôle énorme, stupéfiant de la prédation. Le Grand corbeau – un oiseau rare – ou la corneille noire sont d’impitoyables tueurs. Un seul couple de ces oiseaux peut détruire la presque totalité de la ponte d’une colonie de plusieurs centaines de mouettes !

L’étude, au total, a permis, du moins pour les cinq colonies du Cap Sizun, de définir un schéma répétitif en cinq étapes. D’abord la fondation de la colonie, puis son accroissement, l’apparition d’un prédateur – qui finit par se spécialiser dans les attaques contre les mouettes -, l’affaissement de la reproduction, et enfin l’émigration massive. Ou les mouettes formeront une nouvelle colonie, ou elles en rejoindront une autre, déjà installée.