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Hulot, 10 000 fois hélas

 

Chers lecteurs,

Certains d’entre vous savent que je travaille pour Charlie et je dois écrire sur Hulot dans le numéro de mercredi prochain. Je ne m’étendrai donc pas, désolé. Mais je peux vous dire à quel point je suis stupéfait de tant de naïveté de la part de Hulot. Seulement, s’agit-il encore de naïveté ?

Il y a cinq ans, j’ai écrit Qui a tué l’écologie ?, livre dans lequel je consacrais un chapitre très critique à Hulot et sa fondation. Laquelle, et ce n’est pas rien, a comme partenaires des industriels aussi marqués que Vinci ou la holding agro-industrielle Avril (ex-Sofiprotéol). Je n’ai évidemment pas changé d’avis. Hulot aura passé des dizaines d’heures en tête-à-tête avec Chirac, sans que rien ne change. Donné une énorme crédibilité à une vulgaire opération politicienne de Sarkozy en 2007, le si funeste Grenelle de l’Environnement. Accepté un poste de Hollande et fait croire aux si nombreux crédules que les Accords de Paris sur le climat étaient une victoire, alors qu’ils sont un désastre.

Je ne doute pas qu’en bon communicant, il saura mettre en valeur sa politique. Mais dites-moi ? N’a-t-on pas déjà vu cela ? En 1981, Mitterrand renonçait à l’extension du Larzac et à la centrale nucléaire de Plogoff. Et puis, rien d’autre que la poursuite implacable de la destruction du monde. De même en 1997 avec Jospin, qui avait dealé avec les Verts de Voynet et Cochet l’abandon de Superphénix et du canal Rhin-Rhône.

Hulot a déjà, c’est l’évidence, obtenu la fin du projet de Notre-Dame-des-Landes, et gagnera sur quelques autres points symboliques, car tel est l’intérêt de Macron. Mais la machine continuera dans la même direction, car tel est son but. Hulot et ceux qui le suivent dans cette triste aventure oublient tout. Comment est structurée une société. Quel en est l’imaginaire. Comment s’exerce le pouvoir et au profit de qui. Quelles forces sociales, économiques et culturelles défendent quels intérêts, et pourquoi. Quel est le jeu des transnationales et que signifie défendre, comme le fait Macron, le commerce mondial au travers de traités comme le Ceta.

Ce gouvernement est farci de lobbyistes si évidents que personne ne les voit plus. Comme dans La Lettre volée, de Poe. Défenseurs militants du nucléaire, des exportations d’armes, des mines d’or en Guyane, du business en général, ils ont en partie réussi à rendre évidents, presque naturels, leurs choix idéologiques au point que personne ne paraît oser le leur reprocher. Le slogan implicite de tous ces gens crève les yeux : c’est celui de Thatcher. There is no alternative. Il n’y a pas d’autre choix.

Est-ce que je suis déçu par Hulot ? Oui, je le suis. Il avait la responsabilité de préparer une génération au grand changement. Il préfère un poste d’illusionniste.

Tout en croisant le fer avec Yves Paccalet

Ce qui suit est sans grande importance, je vous prie de m’en excuser. Pour ma part, je n’entends pas voter à cette élection. D’un côté, la destruction du monde s’accélère, les équilibres écosystémiques tanguent de tous côtés, la faim menace comme jamais les pauvres, la crise climatique déferle, les animaux et les arbres les plus magnifiques disparaissent; et de l’autre, la bande qui occupe le spectre politique nous offre une énième tirade franchouillarde.

Il va de soi que je déteste davantage le répugnant Front National que les autres partis. Il va de soi que je méprise François Fillon comme bien rarement un autre politicien. Mais pour le reste, ni même Hamon et Mélenchon ne sortent réellement la tête du sac qui nous étouffera tous. Aucun ne remet en cause l’économie, nul n’avance la moindre critique des objets, dont la bagnole et le téléphone portable, pas un n’ose dire que la France consomme comme s’il existait trois planètes, ce qui réduit à néant toute prétention à l’universalisme des valeurs morales. Et ces deux-là, les moins antipathiques à n’en pas douter, font exactement comme si nous disposions de quelques siècles pour aborder les sujets qui fâchent. On recommence les mêmes discours, on profère les mêmes inepties d’élection en élection. Cela pourrait durer cinquante législatures de suite, mais cela ne pouvant en fait pas durer, cela ne durera pas.

Voilà que je veux vous parler d’Yves Paccalet, dont vous trouverez ci-dessous un texte appelant à voter Macron. Je connais Yves depuis un quart de siècle, j’ai travaillé avec lui, et je l’ai toujours tenu en estime et en amitié. Seulement, cette fois, ses mots me sortent par les orifices. Comment un supposé écologiste peut-il imaginer voter pour une savonnette, fût-elle ornée sur l’emballage de messages publicitaires en couleurs ?

Dans son texte, Paccalet se contredit sans cesse, ce qui n’est pas une injure, loin de là. Et le collapsus le plus fâcheux, le voilà : il annonce après tant d’autres que notre espèce est menacée du néant, pour aussitôt se jeter aux pieds de Macron, qui ne demande qu’à accélérer encore la marche au gouffre. J’y reviendrai.

Son point de vue est simple, pour ne pas dire simpliste : Le Pen est le grand danger, Macron est le mieux placé pour la vaincre, et je me rallie donc. Cette affirmation ne se démontre ni ne peut être contredite. On croit, ou pas. Il croit, moi pas. Mais poursuivons. Comme il n’entend pas en rester à une appréciation contre, il cherche et trouve une dimension positive à Macron, ce qui l’entraîne à écrire des balivernes. Qui veut noyer son chien… Ainsi, il est faux – c’est même flagrant – de mettre sur le même plan les idées de Mélenchon, Hamon et Macron pour ce qui touche à l’environnement, mot que personnellement je n’emploie pas, car il renvoie, comme chacun peut s’en rendre compte, à ce qui entoure – environne – les hommes, ipso facto au centre. Mais étant donné que Paccalet ne nous parle aucunement d’écologie, je crois que l’on peut retenir ce mot si contestable d’environnement.

Alors, tous égaux, tous pareils ? Mélenchon – que j’ai tant étrillé, que je continuerai à étriller – se croit écologiste. Il ne l’est pas, mais il est absurde de prétendre que son propos est peu ou prou celui de Macron, qui se moque de ces questions – on va en reparler – comme moi de cette guerre du Péloponnèse qui commence en -431 avant le Christ. À la réflexion, bien plus, car tout ce qui touche à la Grèce antique m’intéresse. Quant à Hamon, qui n’est certes pas mon cheval, le point de vue de Paccalet est également gonflé, car le socialo a notamment fait entrer les perturbateurs endocriniens dans le débat public, ce qui pourrait conduire, si nous nous montrons à la hauteur, à la mise en cause de l’empoisonnement universel que j’ai longuement décrit dans un livre récent.

Venons-en à Macron, défenseur décontracté du monde tel qu’il est. Je ne dresserai pas la liste impressionnante de toutes ses déclarations choquantes – d’un point de vue écologiste -, car ce serait trop long pour vous. Il est dans l’âme un banquier d’affaires, soutient l’empire des transnationales, soutient de même la destruction du monde qui leur est liée. Je note juste deux propos, qui m’ont singulièrement choqué. L’un prononcé en Guyane, quand il était encore ministre de l’Économie, dans lequel il vantait le caractère « responsable » de l’entreprise russe Nordgold, cherchant à ouvrir une très vaste mine d’or en pleine forêt tropicale. La Nordgold ! accusée par un rapport accablant de maltraiter les ouvriers noirs de ses mines africaines.

Quant au nucléaire, c’est à chialer vraiment. Macron, le 28 juin 2016 : « Nous croyons au nucléaire, non pas parce que c’est un héritage du passé mais parce qu’il est au cœur de notre politique industrielle, climatique et énergétique (…) Le nucléaire, c’est le rêve prométhéen ». Si demain ou après-demain, la moitié de la France est vitrifiée pour 10 000 ans, vous croyez qu’on pourra demander des comptes à ce salopard ?

Je sais, il faut rester calme. Paccalet semble un ange, qui bénit dans son texte ceux qui ne s’emportent pas. Comme c’est plaisant ! Le monde meurt, ainsi qu’il le reconnaît, mais il ne surtout pas s’énerver contre ceux qui mènent la danse macabre. J’en rirais, si ce n’était aussi grotesque. Je vais vous dire : Paccalet est dans un renoncement total. Il ne veut pas, s’il l’a jamais souhaité, renverser la table et offrir au moins une chance de survie aux hommes, aux bêtes, aux plantes. Ce qui compte désormais est ce qui l’environne lui. Et de ce point de vue individuel et pour tout dire individualiste – tellement en phase avec l’époque -, il a raison. Mieux vaut finir sa vie avec Macron qu’avec Le Pen. Seulement, l’effondrement des écosystèmes dépasse tout de même un petit peu les dimensions d’un ego. Désolé, mais c’est ce que je pense.

 

 

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Je suis écologiste : je choisis Macron !

by Yves Paccalet

9 mars 2017

Écologiste j’étais, je suis et je resterai.

La Terre étouffe et pleure. La sphère de la vie ne supporte plus les dévastations de l’Homo dit sapiens : elle pourrait reconduire au néant cet australopithèque prolifique et guerrier. Je l’ai écrit dans L’Humanité disparaîtra, bon débarras ! : notre espèce a peu de chances d’entrevoir le XXIIe siècle. Mais je continue de lui chercher une Sortie de secours (l’un de mes essais). Je veux croire que le genre humain et ses colocataires végétaux et animaux échapperont à la Sixième Extinction Majeure, provoquée par une fatale conjugaison de pollutions, de saccages, de chaos climatique, de nouvelles épidémies et de « der des ders » façon nucléaire… Notre sauvetage exigera sagesse et volonté, mais nous prenons rarement des décisions raisonnables. Lorsque tel est le cas (par exemple, à la COP 21 sur le climat), nous perdons vite la volonté de les appliquer. Nos gouvernants plient devant les exigences des plus braillards et des plus égoïstes.

Dans cette atmosphère délétère, que décider à l’échelle de la France, pour les prochaines élections présidentielles ? Quel camp rallier ? Pour qui voter, à supposer qu’on glisse un bulletin dans l’urne ?

Afin de choisir le (ou la) candidat(e) dont je me sens le plus proche comme citoyen et comme écologiste, et sachant que voter « blanc » ou « nul » est inutile, j’ai décidé de suivre les préceptes du président Mao Tsé-toung dans le Petit Livre rouge : primo, identifier l’ennemi principal ; secundo, élaborer une stratégie pour le vaincre. J’ajoute un tertio aux recommandations du Grand Timonier : choisir plutôt qu’éliminer. Adhérer aux propos, aux promesses, à la gestuelle, aux câlins, même aux défauts d’un leader qui attire, plutôt que d’un apparatchik engraissé dans les banquets de son parti.

L’ennemi numéro un de la France se reconnaît comme une vilaine plaie sur la figure de Marianne : c’est le Front national, cette association à but anti-démocratique au service de la riche famille des Le Pen, où trônent le père, Jean-Marie, dans le rôle du Menhir antisémite ; la fille, Marine, qui barre le paquebot de la Xénophobie sur la mer de l’Exclusion ; et la petite fille, Marion Maréchal, dont le sourire évoque plutôt celui d’un piranha.

Le danger principal, pour la France, c’est ce parti « facho », selon le vocabulaire que nous utilisions en Mai 68. C’est cette association lucrative dans laquelle une présidente profite des emplois fictifs payés par une Europe qu’elle débine ; et au sein de laquelle la ligne politique dépend des analyses fielleuses de deux cumulards notoires : Gilbert Collard et Florian Philippot. (On voit et on entend sans cesse ces deux là, à la radio et à la télévision, ce qui ne les empêche pas d’en rajouter ad nauseam dans la dénonciation des « médias vendus qui nous privent de la parole ».)

L’élection de Marine Le Pen à la présidence de la République serait un désastre dont les meilleurs économistes nous apprennent qu’il finirait par devenir mondial, en déclenchant une crise financière plus grave que celle des subprimes. On verrait se rabougrir ce « cher et vieux pays » des Lumières, renfermé dans la détestation des étrangers. On regarderait régner une femme obsédée par le modèle Donald Trump. On contemplerait une présidente et ses ministres en train de perpétrer le Franxit, c’est-à-dire l’assassinat de l’Union européenne et le lynchage de l’euro. On assisterait, peu après, à l’écroulement du « franc bleu marine » ; à l’explosion de la dette privée et publique ; au retour de l’inflation à deux chiffres ; aux plaintes des retraités, aux lamentations des salariés, à la ruine des rentiers, à la faillite des paysans privés de politique agricole commune… En guise de « remède » à ces maux, et avec les rodomontades du ministre de la Justice identitaire Gilbert Collard et du ministre de la Préférence nationale Florian Philippot, notre pays érigerait sur ses frontières des centaines de kilomètres de murs anti-migrants, bientôt rebaptisés « murs bleu marine » !

Le citoyen et l’écologiste que je suis ne sauraient redouter pire désastre que l’accession au pouvoir d’une extrême droite aussi négationniste sur la question du réchauffement climatique que sur celle la Shoah. Deux « points de détail », ricanerait le Menhir… Je n’imagine même pas l’état dans lequel, au bout de quelques années de pouvoir frontiste, se trouveraient la flore et la faune sauvages, livrées à des hordes de « beaufs » bétonneurs ou emmanchés d’un fusil de chasse. Avec un air et une eau pollués au nom de la libre entreprise. Avec une terre et une mer sacrifiées, détériorées, ravagées pour subvenir aux besoins miniers, énergétiques, industriels et de transport d’une France réduite à sa petitesse territoriale, et dont la devise imiterait celle de Benito Mussolini dans l’Italie fasciste : « Francia farà da sè ! », « La France fera toute seule ! »

Le Front national appartient au groupe, hélas de plus en plus nombreux, des partis populistes ou fascisants. Ceux-ci rêvent que leur peuple détestera demain les voisins qu’il aimait hier. On commence par calomnier et par mentir, puis on se défie, on se menace, les périls montent, le réarmement s’ensuit et cela finit sur la ligne Maginot. Marine Le Pen et ses homologues nous mènent à la guerre, comme leurs prédécesseurs dans les années trente. Je ne connais pas de plus bel argument humanitaire et écologique pour leur interdire aujourd’hui d’accéder au pouvoir.

Une fois l’ennemi principal désigné, reste à élaborer la stratégie qui lui fera mordre la poussière. Pour qui vais-je voter, si je désire empêcher Marine Le Pen de franchir le premier tour de la présidentielle ? Et surtout de l’emporter au deuxième ?

Il ne me viendrait pas à l’idée de combattre le clan Le Pen en rejoignant Les Républicains, réduits à un noyau dur dont « Sens commun » et la « Manif pour tous » forment la coquille et François Fillon la graine. « FF » ! François Fillon ! Ce mal logé d’un manoir de Sablé-sur-Sarthe, ce potentiel mis en examen pour l’emploi fictif de sa femme et de deux de ses enfants (restera-t-il candidat après son rendez-vous judiciaire du 15 mars ?), aura connu le triomphe à la primaire « de la droite et du centre ». Un succès fondé sur la vertu, la droiture et l’honnêteté, avec en point d’orgue le coup du « Qui imaginerait le général de Gaulle mis en examen ? » On n’a jamais trouvé mieux dans le genre boomerang ! Fillon vérifie, à ses dépens, et dans des concerts de casseroles, la pertinence du vieil adage selon lequel il n’y a jamais loin du Capitole à la Roche tarpéienne. (Ceux de mes lecteurs qui n’ont pas picoré leurs humanités au lycée consulteront monsieur Larousse ou madame Wikipedia.) Les fillonistes affirment qu’en délivrant un discours ultra-droitier, leur champion siphonnera les voix du Front national. Le FN répond, avec un ricanement, que l’électeur préfèrera toujours l’original à la copie. Exeunt Les Républicains, y compris le « plan B » ou « plan J », comme Juppé, lequel vient (certes, un peu contraint !) de céder à la tentation de Bordeaux.

En sautant à l’autre extrémité de l’éventail politique, toujours dans ma double peau de citoyen et d’écologiste, je n’entrevois guère d’issue avec Philippe Poutou (du Nouveau parti anticapitaliste) ou Nathalie Arthaud (de Lutte ouvrière). Le premier est gentiment déconneur, même s’il énonce une vérité prolétarienne. La seconde aboie ses phrases, de sorte qu’on a l’impression qu’elle va dévorer à elle seule la grande bourgeoisie et les valets du capital. Je passe sur les cas des non identifiés : Jacques Cheminade (ce perpétuel revenant dont nul n’a jamais compris le combat), François Asselineau (jamais entendu parler de ce type), Jean Lassalle (un ennemi juré des ours des Pyrénées, or je vote ours) ou Rama Yade (laquelle mérite mieux que le mépris des médias qui l’ont souvent utilisée). J’espère que je n’oublie personne… Ah ! si : Alexandre Jardin et une brochette d’inconnus qui n’auront jamais les cinq cents signatures. Et la statue du petit commandeur qui se dresse devant la République : Nicolas Dupont-Aignan ! Ces braves gens désirent ne pas être élus : ils veulent seulement qu’on parle d’eux le temps d’une campagne à la télévision.

À gauche, il y a eu la primaire « de la Belle Alliance », dite aussi « du PS »… Au premier tour, on a observé la solidité d’un François de Rugy, qui (comme prévu) ne s’est pas qualifié pour la finale. Au second tour, la votation a consacré Benoît Hamon contre Manuel Valls, selon la règle unique de l’exercice, laquelle s’énonce ainsi : « Pour gagner la primaire de ton camp, caresse ton extrême ! » Hamon mène sa campagne présidentielle comme un remake du film de François Hollande : « Mon ennemi, c’est la finance ! », qu’il a retitré « Je vous offrirai le revenu universel ! » ; dans les deux cas, cette promesse de Père Noël ne peut produire que des déçus.

Benoît Hamon nous propose d’autres projets frappés au coin de l’improvisation hasardeuse. Le « 49-3 citoyen », par exemple. Cette disposition permettrait à de bons républicains de contester de mauvaises lois votées au Parlement. Le problème est qu’elle autoriserait aussi les associations d’idéologues à torpiller les bonnes lois ; voire à remettre en cause de très progressistes législations antérieures. On voit déjà la « Manif pour tous » et « Sens commun » faire un triomphe au « 49-3 citoyen » : ces bon chrétiens en profiteraient pour dézinguer le mariage pour tous, le droit à l’avortement et l’abolition de la peine de mort !

Benoît Hamon s’est, certes, découvert une âme environnementaliste : « Moi président, je vous offrirai l’écologie rose ! » Notons qu’il est devenu écologiste il y a moins d’un mois. Son alliance avec Yannick Jadot, le rescapé de la primaire « des écologistes », c’est-à-dire de ce qui reste d’Europe-Écologie les Verts (un groupuscule de groupuscule), ne lui fera pas gagner une voix : ce que le public a retenu de la manœuvre est que Cécile Duflot (la crème de l’arrivisme) y aurait « sauvé » sa circonscription parisienne pour les législatives !

Exit Benoît Hamon – le chef frondeur de la gauche de la gauche au PS, désormais sévèrement frondé par la droite libérale de ce parti ! Irai-je donc vers Jean-Luc Mélenchon, le Parti de gauche et l’allié communiste ? Mélenchon incarne un tribun de talent, qui ressasse ses ambitions avortées et ses illusions perdues en injuriant de jeunes journalistes stagiaires. Il me plaît quand il parle au peuple : il a du bagout et même de l’éloquence (une qualité rarissime chez les politiciens actuels). Il se prétend de plus en plus écolo. Il porte une idée que nous défendions déjà avec le commandant Cousteau voici trente ans : faire fructifier et protéger le prodigieux héritage océanique de la France, avec les Antilles, les Kerguelen, Mayotte, la Réunion et les archipels du Pacifique (Nouvelle-Calédonie, Polynésie), jusqu’à l’îlot de Clipperton, au large du Chili, qui nous offre une zone d’intérêt économique exclusive presque aussi vaste que le territoire métropolitain… Cependant, pour me séduire, Jean-Luc Mélenchon a trop tiré sur la corde du soutien à d’épouvantables dictateurs, Fidel Castro à Cuba, Hugo Chavez au Venezuela, Bachar el-Assad et Vladimir Poutine lorsqu’il s’est agi de la guerre civile en Syrie… Exit Mélenchon.

Il n’en reste qu’un et ce sera celui-là !

Sachant qu’il n’y a jamais eu et qu’il n’y aura jamais d’homme ou de femme idéal(e) en politique (ni dans aucun autre domaine), je le dis tout net : je choisis Emmanuel Macron. J’ai pris cette décision depuis plusieurs semaines, je l’ai annoncée sur les réseaux sociaux, certains me la reprochent avec colère ou amertume. Je l’assume et je m’en justifie dans ce texte. Je rejoins En Marche ! Non pas parce que ce mouvement nous conduira en cortège angélique jusqu’au paradis, mais parce qu’il est le seul à pouvoir nous éviter de finir en enfer, je veux dire : à devoir choisir entre François Fillon et Marine Le Pen, ou (configuration moins probable, mais pire) entre Benoît Hamon et Marine Le Pen. Risque majeur, dans ce dernier cas, de voir notre Trumpette présidente !

Emmanuel Macron n’est pas moins écologiste que Benoît Hamon ou Jean-Luc Mélenchon : tous trois ont répondu aux questions du WWF et d’autres associations de protection de la nature. Je n’entre pas dans le détail (réchauffement climatique, énergies nouvelles, nucléaire, Fessenheim, Notre-Dame des Landes, biodiversité, marées noires, pesticides, perturbateurs endocriniens, etc.) : tous les concurrents en sont à peu près au même niveau d’écologisme scolaire. Élève doué, mais peut mieux faire.

Emmanuel Macron l’emporte dans tous les autres secteurs du programme. Ni droite, ni gauche. De droite et de gauche. Centriste des lumières, mais pas des combines… J’aime cet état d’esprit ! Macron est le seul, sur la scène électorale, à déclamer des tirades d’amour à l’intention de l’Europe, ce continent qui recèle notre avenir, mais que tous les autres candidats critiquent, déprécient et salissent à l’unique profit du Front national. Il est le seul, sur le théâtre électoral en cours, à valoriser le travail tout en se préoccupant de protéger le travailleur ; à vouloir rénover l’école en commençant par la primaire ; à parier sur le labeur et l’intelligence des hommes ; à révérer les sciences et les techniques ; à prôner l’accueil des chercheurs étrangers et plus généralement des étrangers qui veulent bâtir la France avec nous. Il est le seul, dans ses meetings, à demander à ses troupes de ne jamais siffler le nom de l’adversaire : difficile, pour moi, d’expliquer à quel point j’apprécie ce message de paix !

Emmanuel Macron voit plus loin que les autres candidats, mais il reste réaliste. Il entend faire entrer la France dans la mondialisation heureuse : je goûte cette absolue différence avec les thèses frontistes du repli identitaire et de « la France aux Français ». Il voit affluer les soutiens tous bords, parce que nombre d’hommes politiques et de simples citoyens en ont marre des oppositions convenues, des bagarres de cour d’école centenaires entre « la » gauche et « la » droite, ces catégories dont nul ne perçoit plus très bien ni la pertinence, ni la frontière…

Emmanuel Macron dégage une sorte de grâce lorsqu’il parle. On lui a reproché ses attitudes évangéliques, quasi christiques, à la tribune de ses meetings. Mais il séduit la foule : c’est ce qu’on nomme le charisme. Il sourit, il est optimiste, il ne raconte pas sans cesse que la France est en ruine et les Français dans la misère noire. S’il parvenait au deuxième tour de l’élection présidentielle contre Marine Le Pen, ce qui semble à sa portée au moment où j’écris, il la battrait (selon un sondage récent ; je sais : les sondages n’engagent que ceux qui y croient) par 60 % des voix contre 40. Cela suffirait à mon bonheur politique et social pour l’année 2017.

Je vais vous faire un ultime aveu. Personne ne semble avoir remarqué à quel point Emmanuel Macron ressemble à Boris Vian (photos). Il ne joue peut-être pas aussi bien de la « trompinette ». Mais rien ne me ferait davantage plaisir que d’avoir pour président, durant le prochain quinquennat, un homme qui aurait le visage de l’auteur de L’Écume des jours, de Je voudrais pas crever et du Déserteur. La politique se nourrit parfois aussi de littérature, de poésie et de chansons, et c’est dans ces moments-là qu’elle est la plus grande.

 

DE NOS ENVOYÉS SPÉCIAUX AU CŒUR DE L’IMPOSSIBLE

Ce qui suit est ma contribution farcesque au trentième anniversaire de Tchernobyl. La doctrine nucléaire française est en train d’exploser. Traditionnellement, les menteurs qui tiennent cette industrie niaient bêtement le risque d’accident grave en France. C’est fini. Certes, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) tente d’imposer une ligne épouvantable, en clamant contre l’évidence que l’on peut vivre en zone contaminée. Ce qui pourrait servir un jour chez nous. Mais ceux de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), pourtant issus du même moule nucléocratique, admettent désormais qu’une tragédie est possible sur notre sol.

Encore deux choses. La première : pourquoi le mouvement antinucléaire est-il si faible, si inaudible alors que se profile une occasion historique de mettre en cause la puissance de cette mort désormais promise ? Écrivant cela, je ne mets évidemment pas en cause les quelques braves – Didier Anger, Stéphane Lhomme, Mycle Schneider, ceux de Bure – qui sont sur la brèche. Mais je ressens un immense malaise, constatant qu’il y a décidément quelque chose de pourri au royaume de la contestation antinucléaire. Et depuis avant Malville – 1977 – en fait.

La seconde : ce qui suit n’est que blague, ce sera vite compris du lecteur. Je n’ai pas vu d’autre manière de clamer mon rejet total d’un monde assez fou pour supporter pareille menace. On n’est pas obligé d’applaudir. On n’est pas obligé de m’engueuler. On n’est surtout pas obligé de lire

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FLAMANVILLE (26 avril 9h30)

Notre courageux confrère de Paris Normandie, aujourd’hui porté disparu, a juste eu le temps d’envoyer par Internet son ultime article. Il est 9 heures 30 à Flamanville (Manche) ce funeste 26 avril : en avance sur la saison, les chèvrefeuilles, lilas, clématites et skimmias du Japon plantés au pied des énormes dômes des réacteurs nucléaires 1 et 2 resplendissent. Citation de Paris Normandie pour un journal jamais publié : « Pour cette première visite de sécurité de l’année, le sous-préfet de l’arrondissement, M. Bouché, est d’humeur badine, et en fait profiter ses hôtes, déclarant notamment : “Je ne dirai rien, en cette belle journée de printemps, sur les si piteux contempteurs de notre puissante énergie nucléaire. À quoi bon les moquer, face à ces montagnes de béton immaculé qui leur permettent d’écrire au chaud balivernes et catastrophistes fictions ?” ».

À 10h30, les discours achevés, le petit cortège officiel se retrouve dans la vaste cafétéria. On boit le café, on grignote de délicieuses falues normandes, mais pas trop. M.Bouché est un homme pressé, et il doit impérativement repartir pour Rouen à 10h45 au plus tard. Il n’y parviendra pas.

 

L’INCOMPRÉHENSIBLE ÉVÉNEMENT DE 10H42

En dix-huit secondes, deux explosions successives foudroient et brisent en mille morceaux contaminés les dômes surmontant les réacteurs 1 et 2 de la centrale. Que s’est-il passé ? Une centrale, rappelle notre spécialiste maison, n’est jamais qu’une cocotte-minute Seb®. La chaleur accumulée par la réaction nucléaire doit être constamment régulée par l’eau de  cuisson, et laisser échapper un beau panache blanc qui vient tutoyer les étoiles quand c’est la nuit. Mais si par malheur il n’y a plus d’eau, ça chauffe. Trop. Et on ne peut pas ouvrir la fenêtre.

Les tubes qui contiennent le combustible fondent comme du chocolat sous la langue de l’enfant le dimanche de Pâques. C’est alors que le zirconium devient fou et s’empare de l’oxygène caché dans le peu de vapeur d’eau qui reste. C’est l’emballement. L’hydrogène se libère, fait explosion avec l’oxygène, les produits de fission surchauffés, du moins ceux qui ne sont pas gazeux, se mêlent au combustible pour former une pâte à tartiner qu’on appelle le corium. Laquelle coule au fond de la cuve. À ce stade, tout va encore bien, car nos cuves, de qualité française, sont garanties dix ans.

Hélas, le plan mille fois revu par les spécialistes a cette fois échoué. L’un des meilleurs experts du nucléaire, interrogé sur la route de Palavas-les-Flots, est formel : « Si la pluie avait cessé comme prévu après 30 minutes, rien ne serait arrivé. Je m’explique : le calcul de probabilité prouve que le 26 avril, à Flamanville, les averses ne dépassent jamais 24 minutes et 38 secondes. Et c’est bien pourquoi, par souci de sécurité, les organismes de contrôle avaient exigé ce paramétrage de trente minutes qui, soit dit en passant, avait bien embêté à l’époque notre fabricant national de centrales. Seulement, pour une raison qui devra être analysée, cette funeste pluie de Flamanville a duré au total 37 minutes et 18 secondes. Clairement, et n’ayons pas peur de la franchise face à une telle catastrophe, il y a eu sous-dimensionnement ».

Le grand mot est désormais sur toutes les lèvres. Sous-dimensionnement ! Le corium vient contre toute attente de percer le fond de la cuve et se retrouve étalé sur le radier, une couche de béton impénétrable. La réaction en chaîne est bloquée, car il n’y a plus d’eau pour ralentir les neutrons. Il ne devrait plus y en avoir. Mais la pluie drue de Flamanville, qui n’en finit pas de fouetter les dômes écartelés de la centrale, finit par atteindre – comment, on ne le sait pas encore – le corium. Cette fois, aucun courage humain ne peut plus rien. Les deux explosions de 10h42 ne s’expliquent pas autrement. En partance pour Vanuatu, via l’aéroport de Montpellier, notre grand expert du nucléaire se veut serein, et même moqueur : « Je parie que certains ne vont pas tarder à remettre en cause l’énergie nucléaire ! Quel pays, franchement ! Le soleil n’est-il pas lui-même une immense réaction nucléaire ? Laissons retomber les passions, et vous verrez que la raison l’emportera une nouvelle fois ».

FESSENHEM, 26 avril, 14H12

Les explosions de Flamanville ont aussitôt rempli les studios de télé et de radio d’émissions spéciales. Et les invités sont innombrables : parmi eux, Luc Ferry – « il n’y a pas lieu de paniquer » -, Pascal Bruckner – « Et en avant pour de nouveaux sanglots » -, Jacques Attali – « Il n’est pas trop tôt pour penser à la reconstruction » -, Régis Debray – « Le vieux pays n’avait sans doute pas besoin de cela » -, Michel Onfray – « La grande erreur serait de confondre nucléaire, psychanalyse et islamophobie ». Mais à peine a-t-on eu le temps d’enregistrer l’événement qu’une nouvelle horreur secoue la France entière.

Fessenheim ! Notre plus vieille centrale commerciale, encore pleine de sève après près de quarante ans de bons et loyaux services, n’est plus. Comme on le sait, la polémique a aussitôt flambé sur les causes de l’accident, entraînant la publication d’un communiqué virulent de la fédération CGT de l’Énergie, dont nous extrayons les phrases qui suivent : « La direction d’EDF, incapable depuis des décennies de prendre en compte et de satisfaire enfin les revendications du personnel de notre entreprise, tente aujourd’hui une manœuvre de diversion. Eh bien non ! Non, il n’est pas vrai que le barbecue organisé dans la cour de la centrale de Fessenheim pour le départ en retraite de notre camarade Anita Thomes soit la cause du désastre. Imaginer un lien entre le petit incendie, vite maîtrisé, causé par le charbon de bois et la destruction de notre outil de travail, c’est faire la preuve d’un grand mépris pour le savoir technique de nos ingénieurs ».

Nos experts, de leur côté, avancent, sans que cela soit contradictoire, l’obturation inopinée d’un tuyau, entraînant un débordement dans le système de refroidissement. L’eau – encore elle – aurait alors atteint des armoires techniques et affecté le système électrique. Le préposé aux barres – équipées d’un matériau absorbant, type Sopalin, elles permettent en théorie de réguler la puissance du réacteur – n’aurait pu les manœuvrer. Pourquoi ? Nul ne sait, mais une source proche d’EDF affirme que l’employé en question était en train de manger des saucisses dans la cour. Quoi qu’il en soit, le jet de seaux de bore à la main, in extremis, semble avoir dopé, au contraire des espérances, le réacteur Fessenheim-1, devenu en quelques minutes hors de contrôle. Une heure plus tard, ainsi que le montrent les images du courageux caméraman de France 3-Arschloch aussitôt accouru sur place – une pensée pour sa famille  -, les deux réacteurs de Fessenheim, en feu, commençaient à cracher dans les cieux leurs empoisonnantes moissons.

LES MYSTÈRES DE LA ROSE DES VENTS (26 avril, 11 heures-16 heures)

Si l’on ose l’écrire, ce n’était encore rien. Dans les premières minutes du drame, tous les regards se tournent bien entendu vers Éole, dieu des vents et des tempêtes. Et si ? N’écoutant que son devoir – elle était à La Ferté-sous-Jouarre, pour une animation chez Auchan « LaVieQueJaime » -, la présentatrice météo Fanny Agostini regagne les studios et en moins de deux minutes, livre une impeccable synthèse.

En résumé, les vents dominants, en France, sont d’Ouest, et poussent donc en direction de l’Est. Une très mauvaise nouvelle pour Flamanville, car en ce cas, le panache radioactif peut être à Paris en 6 à 12 heures. Fort heureusement, un concours de circonstances idéal va modifier le tableau. Primo, un fort courant d’air arctique continental venu du nord-est de l’Europe vient buter contre un vent local du Pas-de-Calais, l’Escorche-River. A priori, les vents d’Ouest continueront – hélas – à s’approcher des 12 millions d’habitants de l’Île-de-France. Mais, secundo, le vent arctique est bientôt libéré par un vent breton appelé Père Banard, dont la queue pénètre et désagrège l’Escorche-River. À cet instant, la France est sauvée, car la puissance des vents polaires n’aura aucun mal à chasser vers les îles britanniques le nuage de Flamanville, déjà considérable. La France propose à Londres l’envoi d’équipes de décontamination et du couple Chevallier-Laspalès pour détendre l’atmosphère.

Idem à Fessenheim, où le traditionnel vent alsacien Betchawind pousse gentiment le nuage radioactif de l’autre côté du Rhin. EDF propose à Berlin d’envoyer une Kangoo tout équipée et deux techniciens, spécialistes de la réanimation. On peut dire qu’à 16h30, toute menace de contamination a disparu du ciel français. Mais c’est alors que le Baslerwind, un mauvais vent allemand, impérial et dominateur, repousse sur notre territoire des milliards de milliards de radionucléides tourbillonnants.   À l’Ouest, côté Flamanville, se produit un coup du sort comme il en est peu dans notre histoire millénaire. Sans prévenir quiconque, un vent régional venu du nord, tombé comme une pierre de la vallée de la Seine, assomme pour de bon le front arctique. Les vents marins, porteurs de toutes les misères du monde, sont définitivement libérés. La France et Paris sont abominablement prises en tenaille. On se souviendra longtemps de cette grande inscription à la peinture laissée sur un mur déjà contaminé de Rouen : « HEY CONNARD, OÙ AS-TU PLANQUÉ LES PASTILLES D’IODE ? ».

À la frontière du Rhin, l’affolement gagne. Dès les premiers flashs radio, une partie de la population de Mulhouse se jette sur l’autoroute A35. Qui vers le Nord, espérant peut-être rejoindre l’A4, puis Paris. Qui vers le Sud, la Suisse et ses sommets immaculés. Mais la saute de vent déjà évoquée – le Baslerwind remplaçant traîtreusement le Betchawind – provoque un retournement complet de la situation. Tout le monde semble vouloir aller en Allemagne. Non seulement l’A35 se thrombose au milieu des hurlements, mais la D39, qui traverse la forêt de la Hardt, devient le théâtre de scènes dignes de The Walking Dead. Joint sur son téléphone portable juste avant que les réseaux ne s’éteignent, le maire de Panzerheim lâche : « Kopfertami, mais ils ne respectent même plus l’écharpe tricolore, ou bien ? J’en ai vu un, mon bon monsieur, qui me visait avec une arbalète !  ».

 

PARIS OUTRAGÉ, PARIS CONTAMINÉ, PARIS PARALYSÉ (tout l’après-midi du 26 avril)

 

Dès 15h30, le 26 avril, les balises permettant de mesurer la radioactivité dans l’air se mettent à sonner sans discontinuer. Les premières à mugir sont celles de Chevreuse, de Saclay, Bruyère-le-Chatel, les plus à l’ouest de Paris. Mais la Seine est enfoncée en quelques minutes, car un vent désormais puissant pousse de plus en plus vite des nuages jaune canari en direction de la capitale. Pourquoi jaune ? Personne n’est plus capable de répondre. Plus au nord, le château de Versailles est dépassé, Meudon, Clamart, Boulogne, Neuilly sont atteints. Et, plus vite encore que les neutrons, le téléphone portable transporte d’un bout à l’autre de la mégapole l’affolante nouvelle.

Dès 16 heures, il est impossible de sortir de la nasse, sauf à pied, sauf par les airs. 500 mètres autour du périphérique, tout est désespérément bloqué, et la tension est à son comble. On se secoue, on s’écharpe, on se mord au sang sous l’œil apparemment indifférent des pigeons de Paris, en pleine parade nuptiale au pied des arbres. Les armes, dont certaines lourdes, sont rapidement de sortie, et trois témoins dignes de foi jurent avoir vu un automobiliste coincé rue de Bagnolet sortir un engin antédiluvien et faire feu sur un petit ULM se dirigeant apparemment vers le sud. L’ULM s’abat sur l’École d’architecture des jardins et paysages.

 

UNE FEUILLE DE PAPIER NE SAURAIT SUFFIRE (LE 26 avril, entre 14 et 24 heures)

Non loin de là, le cimetière du Père-Lachaise – mais également ceux du Montparnasse, de Montmartre, des Batignolles, de Passy, de Vaugirard – est le théâtre d’une sorte de guerre des tranchées. Des grappes humaines ont commencé à ouvrir des fossés entre les tombes, dont certains dépassent un mètre de profondeur. Et l’on voit même certains acharnés se coucher au fond du trou qu’ils viennent de creuser, avant de se recouvrir sommairement de parpaings récupérés dans quelque Monsieur Bricolage. La folie est-elle déjà là ?

L’explication est plus simple : de nombreux Parisiens se sont jetés sur les sites Internet de L’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), et une lecture rapide a fait le reste. Et en effet, que lit-on concernant les mesures de protection contre les radiations ? En résumé, il existe des rayons alpha, des rayons bêta et des rayons gamma (et X). Pour ce qui concerne les Alpha, rien de plus simple : leurs noyaux d’hélium sont stoppés par une simple feuille de papier, Mais attention à cacher ses doigts ! Les bêta sont plus embêtants, car il faut trouver soit une feuille d’aluminium de plusieurs millimètres d’épaisseur, soit un verre Plexiglas d’au moins un centimètre. Le mieux est de s’enfermer dans un cube d’un, voire deux ou cinq mètres cubes soigneusement refermé, et d’attendre les secours. Mais qui dispose à Paris de telles quantités de Plexiglas ?

Reste les rayons gamma (et X). Les gamma, de loin les plus dangereux, ne sont bloqués que par le plomb, le béton ou la terre. Pour stopper 30 % des radiations, compter 6 cm de plomb et 30 cm de béton. Pour en arrêter la totalité, espérer 120 m de plomb ou 1,9 km de béton, ce qui n’est pas si simple que cela à trouver. Outre les cimetières, transformés en un système qui rappelle étrangement le front de Somme en 1916, on peut voir sur quantité de terrasses des espèces de voiles étincelantes qui ploient sous le vent, faites de couvertures en aluminium. Ailleurs, notamment sur les Grands Boulevards, des brouettes charrient quantité de matériaux hétéroclites que des maçons improvisés transforment à toute allure en des sortes d’igloos.

LE  LOULOU DU TUNNEL DE SAINT-CLOUD (26 avril vers 18 heures 30)

À Paris, parmi les pionniers de la fuite, il faut compter les 4500 participants de la traditionnelle course des 10 Km à pied dans le Bois de Boulogne. Partis à 10 heures, les coureurs ont comme à l’accoutumée longé l’hippodrome d’Auteuil et les lacs avant que les nouvelles en provenance de Flamanville n’aiguillonnent la cinquantaine de dossards en tête de la course. Qui a donné le la ? Il était midi passé quand, comme aspirés, les milliers de sportifs franchissent le périphérique avant d’atteindre à une allure surprenante la préfecture de police, puis l’Hôtel de Ville, entraînant dans leur sillage quelques belles de nuits – hommes, femmes, femmes-hommes, hommes-femmes – encore présentes sous les frondaisons printanières.

L’image d’Anne Hidalgo, traquée jusque dans son bureau par une transsexuelle en pleurs, poitrine dénudée et sexe apparent, a fait le tour du monde. Le cri de la maire de Paris – « Madame, recouvrez donc vos esprits ! Et aussi votre polla, por favor. » – résonnera encore longtemps dans les mémoires. On ne sait toujours pas, à l’heure actuelle, où sont passés coureurs, policiers, prostitué(e)s et personnel municipal. En moins de deux heures, la totalité des rues et ruelles de Paris sont obstruées par des voitures individuelles bien sûr, mais aussi par des cars de pompiers – ces derniers en uniforme rutilant – et de policiers, des ambulances, des camions de cirque, des autocars de la RATP. Impossible de tout retenir au milieu des monocycles – E roues, monowheels -, skateboards, trottinettes, vélos, scooters pliables, tricycles, échasses, catapultes, charrettes à foin, landaus, tracteurs tirant des vaches et des cochons, pintades retenues par de pauvres ficelles, poules et canards entassés dans des brouettes. Sans compter ces milliers de matelas confortables, dont bon nombre sont tombés sur la chaussée, refermant un peu plus encore le passage. On voit des enragés, sabre au clair, éventrer ces baudruches, dont certaines contiennent encore de la plume d’oie.

Sous le tunnel de Saint-Cloud, la situation dégénère brusquement. Une bande ultramobile « des quartiers », venue à pied d’une cité voisine, saute de voiture en voiture par leur toit, s’attirant en retour des tirs nourris venus d’au moins trois véhicules. Il y a des blessés, peut-être des morts. Plus loin, au beau milieu du tunnel, des heurts très violents opposent pendant près d’une heure l’équipe de foot de Bagnolet, en visite au Vésinet, et le club de boxe du Plessis-Robinson. Là encore, il y aurait plusieurs morts par énucléation, lacération, désarticulation, dévoration. Autre drame : un loulou de Poméranie est longuement filmé, pendu à un semblant de réverbère, poussant des cris de bébé phoque. Brigitte Bardot, depuis son refuge de Saint-Tropez, lance un appel à dénonciation qui commence par ces mots : « Qui dénoncera l’auteur de ce crime abject ? ».

 

CANTIQUES À NOTRE DAME, PROCESSION AU SACRÉ-CŒUR (26 avril, de 17 heures à 20h30)

De toute façon, les jeux sont faits. Le nuage de Fessenheim, couleur framboise, qui s’était attardé au-dessus des vignes de champagne, arrive à son tour par le fort de Romainville et le bois de Vincennes. La seule voie qui serait praticable, encore épargnée par les radiations, est au sud, par l’autoroute du Soleil ou la nationale 20. Hélas, mille fois hélas, Montparnasse, Denfert, Alésia, Mouton-Duvernet sont figés dans une sorte de méchante graisse, qui colle les voitures les unes aux autres. Rien ne bouge, rien ne pourra bouger avant…Avant quoi ? La ville est devenue une immense clameur, entrecoupée de cris de rage et d’une immense colère qui pousse les plus énervés à la violence. Paris, ville désarmée ? À chaque carrefour, des hommes augmentés d’un masque à gaz montent la garde et font des tourniquets que personne ne remarque. Sur le parvis de Notre Dame, l’archevêque André Vingt-Trois, curieusement accompagné par le cardinal Barbarin de Lyon – torse nu, il se flagelle avec ostentation -, commence une homélie pour les trois centaines de fidèles demeurés alentour. Le Grand Rabbin de France et le Recteur de la Grande mosquée de Paris sont annoncés, mais la foule qui encombre les rues les empêchent visiblement d’arriver à Notre Dame. En revanche, rien n’arrête les cloches de la cathédrale, dont le bruit se répercute jusqu’à la gare de l’Est au nord, et vers le périphérique au sud.

On annonce au pied du Sacré-Cœur une procession traditionaliste conduite par l’abbé Laguérie, ancien de Saint Nicolas du Chardonnet, qu’on croyait exilé à Bordeaux. Ils ne sont guère nombreux – peut-être trois douzaines -, mais ils ont réussi à entraîner dans leur marche à genoux un couple de touristes chinois qui filment la scène. Ces derniers ont-ils bien compris ce qui se passe ? On entend l’abbé hurler au ciel des grandes envolées en latin suivies du jadis célèbre mais désormais délaissé : « Vade retro, Satanas ». Un couple d’homosexuels, mariés dès 9 heures ce matin-là dans la mairie du quartier, est pris à partie par Laguérie, qui lui lance sans ménagement : « Allez tous vous faire enculer ! »

L’HÉLICOPTÈRE RUSSE ÉTAIT AU RENDEZ-VOUS (26 avril, en fin d’après-midi)

Un malheur d’une telle ampleur ne choisit pas ses victimes. Toutes les catégories de la société sont évidemment frappées, et les people comme les autres. Pour un Florent Pagny, à l’abri dans sa propriété de Patagonie – il a aussitôt proposé un concert de soutien à Ushuaïa, capitale de la Terre de Feu -, combien de Mimi Mathy, qui court à petits pas rejoindre Gérard Depardieu ?

Car Depardieu est là, qui a aussitôt mobilisé son hélicoptère Mil Mi-26, généralement remisé dans le parc de sa villa de Néchin (Belgique). En une grosse heure, l’appareil quitte la Belgique et se pose lourdement sur le terre-plein des Invalides, où commencent à arriver, avertis par un mystérieux bouche-à-oreille, vedettes de la télé et du cinéma.

Le Mil Mi-26, Russe comme chacun sait, est capable de transporter 20 tonnes de charge utile jusqu’à 2000 mètres d’altitude. Le calcul est vite fait : 20 tonnes divisées par 75 (kilos) égale 266,666667. En théorie, donc, un formidable sauvetage en perspective. Sombre ironie des circonstances : le Mil Mi-26 a massivement servi au-dessus de Tchernobyl, où il a permis de jeter dans la fournaise radioactive des centaines de tonnes de plomb et de sable. Fera-t-il aussi bien aux Invalides ? Une question agite pendant douze secondes ce qui reste de nos réseaux sociaux : Depardieu aurait-il dû monter lui-même à bord, empêchant ainsi 15 personnes d’échapper à une mort certaine ?

Parmi les premiers arrivants, on aperçoit Mireille Mathieu et ses 13 frères et sœurs. « Je ne monterai pas dans l’hélicoptère sans eux ! », jure-t-elle au milieu des pleurs. Et en effet, elle restera à terre. Michel Onfray a plus de chance. Malgré les insultes proférées à Depardieu : « Gros tas islamophobe ! Poussah sarkozyste ! », il parvient à monter à bord, aidé par un Charles Aznavour rigolard, qui le prend pour Lino Ventura.

La mêlée devient peu à peu générale. Il y a bien 10 000 personnes autour du Mil Mi-26. Visiblement indisposé – certains témoins accusent la vodka -, Depardieu part en expédition dans la carlingue, d’où il revient avec une Browning M2, chambrant de très perforantes munitions de 12,7 mm. Il s’agit d’une mitrailleuse lourde, capable de tirer 500 coups à la minute à la vitesse initiale de 930 mètres par seconde. Les spectateurs les plus proches pensent à une farce, mais déposant trois lourdes bandes de munitions sur son ventre, Depardieu pointe la mitrailleuse en direction de la foule depuis l’intérieur de l’hélicoptère. L’arme a peut-être échappé à son contrôle, car la détente part brusquement et hache horriblement tout ce qui bouge au-delà du dixième rang. En moins de cinq minutes, il ne reste plus autour de l’hélico que les plus acharnés à partir, parmi lesquels Françoise Hardy, Chantal Goya, Hélène (et les garçons) Rollès, Dorothée.

Cette fois, l’hélico est prêt à partir, et les pales commencent à tournoyer dans un fracas démentiel. Depardieu est à la manœuvre et n’hésite pas à refermer sur les doigts de Line Renaud la lourde porte métallique de l’appareil. Dans un sursaut désespéré, PPDA, venu en voisin, tente de s’accrocher aux grosses roues de l’hélico, qui décolle tout de même. Va-t-il tenir bon ? On le croit quelques secondes, avant qu’un téléphone portable anonyme ne capture pour l’éternité l’horrible chute libre de l’ancien présentateur de TF1.

 

EN SIDE-CAR, EN RER ET EN AVION (26 avril, 18h-21 heures)

Pendant ce temps, le gouvernement n’est pas resté inactif. Alors que certains ministres refusent de quitter Paris, préférant le confort spartiate de l’abri anti-atomique de l’Élysée, la plupart des autres décident de suivre une petite foule compacte emmenée par François Hollande en personne, Manuel Valls et Jean-Yves Le Drian, coiffé d’une casquette Bigeard ramenée de son dernier voyage protocolaire en Algérie.

Mais où aller, alors que la boussole de l’État semble prise de folie ? C’est Jean-Vincent Placé, transfiguré par la gravité de la situation, qui prend l’affaire en main. Il réquisitionne d’autorité, juste devant le palais présidentiel, un Saviem SM8 à quatre roues motrices, dans lequel il installe tant bien que mal une grosse vingtaine de ministres. Lui-même saute dans un side-car – il y en a fort heureusement 6 prépositionnés à l’entrée de la rue du Cirque – ainsi que les plus agiles des ministres. Michel Sapin jure l’avoir entendu s’écrier : « ¡ Viva la muerte ! ». Placé sait en tout cas où il conduit les autres : à la gare du Nord.

Là, survolté aux dires de tous, il embarque son monde à bord d’un RER B, lui-même prenant place dans la cabine, à la droite d’un conducteur terrorisé. Pratiquement sous la menace d’un couteau Opinel numéro 8, le chauffeur grille en appuyant de toutes ses forces sur l’avertisseur sonore les arrêts Stade de France et La Courneuve-Aubervilliers. Le train s’arrête au Bourget, permettant en moins de cinq minutes à l’équipe ministérielle de monter à bord d’un antique bus TN4 – mis en service en 1931, abandonné en 1959 -, doté de 50 places, dont 33 assises. Une nouvelle fois, Placé est à la manœuvre, et au sens premier. Car faute de conducteur disponible, c’est lui qui se met au volant, chantant à plein volume un chant plutôt inattendu dans sa bouche, celui de la Légion étrangère : « Au Tonkin, la Légion immortelle/A Tuyen-Quang illustra notre Drapeau./Héros de Camerone et frères modèles/Dormez en paix dans vos tombeaux ».

Un quart d’heure plus tard, sur le tarmac de l’aéroport du Bourget, François Hollande et ses hommes disent adieu au sol parisien et s’envolent à bord d’un Airbus A400M Atlas. Secret d’État pendant quelques minutes, la destination est très vite éventée : le gouvernement se dirige vers l’aéroport de Clermont-Ferrand-Aulnat – « Ni trop loin, ni trop près de Paris », a tranché François Hollande – mais ne peut s’y poser à cause de vents carabatiques capricieux. Ce sera donc Vichy-Charmeil.

LES CRISES CARDIAQUES DE SAINT-ANTOINE (26 avril, nuit du 27)

Pendant ce temps, Paris devient une tombe. L’hôpital n’est déjà plus qu’un souvenir, car les urgentistes, comme les autres Parisiens, sont en fuite, cherchant sans grand espoir le moyen de quitter la fournaise atomique qui s’annonce. Mais à Saint-Antoine – souvenir des miracles d’Antoine de Padoue ? -, une petite équipe – un médecin bangladais, un infirmier soudanais – est restée en place. Dès 17 heures, des centaines de malades serpentent jusque sur la rue du Faubourg Saint-Antoine. On a même installé un campement de fortune place du marché d’Aligre, tout proche.

À l’hôpital, il faut faire face. À cette heure, les radionucléides n’ont pas encore déformé les traits, dévoré les peaux, arraché les poils, mordu la glotte, écrasé le larynx, dispersé le cœur, explosé la rate, distendu les intestins, dévoré le foie, déconstruit les reins, asphyxié le sang, émasculé les rognons, recraché les poumons, éparpillé façon puzzle l’estomac et le diaphragme. Non, mais la terreur a déjà fait de terribles dégâts. Ceux qui arrivent sont atteints de crises cardiaques à répétition, de ruptures d’anévrisme, d’AVC qui ne laissent guère de doute sur leur origine. Que va-t-il se passer quand les mortels rayonnements auront transformé les assiégés de Paris en autant de Quasimodo ricanant sur les poutrelles de la Tour Eiffel ?

Jacques Cheminade n’en est pas encore là. Quoique. Où a-t-il pu trouver ses techniciens ? Et qui lui a ouvert la porte des studios ? Il semble bien devenu, dans cette nuit de toutes les tragédies, le maître de la tour TF1, aidé il est vrai par 8 des 19 membres de son parti Solidarité et Progrès. À 2h20 le 27 avril, interrompant sans façon une rediffusion de « La chasse au gluau dans les pinèdes de Mimizan », apparaît devant les (rares) téléspectateurs encore devant leur écran l’ancien candidat à l’élection présidentielle Jacques Cheminade. Encore y a-t-il un léger doute, car l’individu est tout engoncé dans un scaphandre derrière la vitre duquel il est difficile de distinguer un homme d’une bête. Ou d’une plante. Par la grâce d’un micro, on entend distinctement ces mots : « C’est sur Mars qu’il faudra continuer notre combat. En avant vers le grand espace, peuple de France ! ».

LA GRANDE MANIFESTATION DE LA FNSEA (27 avril, 10h-23 heures)

Était-ce une erreur ? Peut-être. Le fait est que rien ne se passe comme prévu. Il faut dire qu’on avait un peu oublié l’Association pour défendre la mémoire du maréchal Pétain (ADMP), constituée en novembre 1951, quelques mois après la mort du chef de Vichy. Certes, ils n’étaient pas très nombreux, entre 11 et 17 selon les sources, mais leur présence devant l’hôtel du Parc – l’association est copropriétaire de ce lieu où Pétain avait sa chambre entre 1940 et 1944 – a paraît-il marqué Emmanuelle Cosse, ministre du Logement. Elle en profite pour déclarer que le programme de rénovation énergétique des vieux logements continuera.

Parmi les manifestants, on pouvait voir les calicots un peu passés de Lorraine royaliste et des Blogueurs rivaroliens, dont chaque militant présent porte par-devers lui un immense portrait de personnalités parfois controversées : les inspecteurs Pierre Bonny et Henri Lafont, de la rue Lauriston, Jacques Doriot, Marcel Bucard, Philippe Henriot, Marcel Déat, et même quelques Européens moins connus comme Reinhard Tristan Eugen Heydrich, Ernst Kaltenbrunner, ou encore Heinrich Luitpold Himmler.

Mais ce n’était encore que hors d’œuvre. Force est de constater que la FNSEA a réussi, au lendemain des terribles événements de Flamanville et de Fessenheim, un tour de force. Rassembler 7000 participants – dont il est vrai 1200 truies et verrats, 8 baudets du Poitou, 125 vaches Salers, 3200 poulets fermiers, 502 oies et jars, 92 lapins, 22 hamsters et 176 tracteurs John Deere, New Holland, Claas, Massey Ferguson et Case IH n’était pas à la portée de n’importe qui. La FNSEA, qui entendait demeurer dans le strict cadre syndical, a refusé tout commentaire sur le cataclysme nucléaire de la veille. Arrivé en renfort en tout début d’après-midi, l’ancien président de la FNSEA Luc Guyau ne mâchait pas ses mots : « Ce qui se passe en France, ainsi que le répéteront tout cet après-midi mes amis présents, est intolérable. Les prix de la luzerne, du sainfoin et du dindon s’effondrent ensemble, comme par hasard, et que fait le gouvernement ? Rien. ».

La soirée donne lieu, dans les rues d’habitude si thermales de Vichy, à des scènes d’émeute. Tandis que les manifestants tentent, mais en vain, d’atteindre l’hôtel des Ambassadeurs, où le gouvernement essaie de prendre quelques heures de repos (aux cris de « Hollande, déchet, on t’collera au gibet ! »), des centaines d’animaux désentravés parcourent en tout sens la petite cité autrefois paisible. La répression est brutale. Le 27 avril au matin, 69 bovins, 117 poulets, deux baudets, 93 lapins sont retrouvés morts dans le caniveau.

À 9 heures le 25 avril au matin, Vichy attend dans l’impatience l’arrivée d’un car couchettes bloqué pour l’heure sur le viaduc de Port-Aubry, à Cosne-Cours-sur-Loire. La Loire scintille de ses mille feux printaniers, et ferait presque douter de l’immense chaos qui s’est abattu sur les Français. À bord du car, l’essentiel des ténors de l’opposition : Alain Juppé, Jean-François Copé, François Fillon, NKM, Xavier Bertrand, Christian Estrosi, Valérie Pécresse, Laurent Wauquiez, etc. Le président de l’UMP, Nicolas Sarkozy, arrivera-t-il avant l’autobus spécial ? Selon Nadine Morano, jointe au téléphone, qui tente, elle, de rallier Vichy par les Alpes, Nicolas Sarkozy a quitté le convoi à Orléans, et cherche un ULM ou peut-être un aérostat pour arriver plus vite que ses concurrents de la primaire.

TENTER UN PREMIER BILAN (17 mai midi)

Près d’un mois après le début du Grand Séisme Français, il reste impossible de dresser un premier bilan. Qui croire ? L’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN), qui parle de deux millions de morts et sept millions de blessés ? Le réseau Sortir du nucléaire, qui avance le chiffre de 17 millions de décès ? Stéphane Lhomme, qui affirme, crayon en main, que l’on en sera bientôt à 71 millions de victimes ? Une chose est probable : on risque de se souvenir longtemps de ce 26 avril 2016. La sécurité, dans le monde instable et dangereux qui est le nôtre, doit rester la priorité numéro 1 de l’industrie nucléaire. EDF n’a pas le choix : si notre grand Électricien national entend garder la confiance et l’affection des Français, il doit commencer par balayer devant sa porte, et ne pas se laisser tenter par une augmentation massive du prix de détail de l’électricité, laquelle pourrait faire douter de l’excellence des choix faits il y a quarante années. La confiance est chose trop précieuse pour être gaspillée. Pour que dure le pacte noué en 1946, à la naissance d’EDF, un seul mot s’impose : modération. C’est à ce prix que les consommateurs accepteront de regarder l’avenir comme ils le font du passé. On connaît la devise de l’entreprise : « EDF, Changer l’énergie ensemble ». Ensemble, tel est bien le mot décisif.

Ne rions pas (trop) du nucléaire belge

Cet article a été publié par Charlie-Hebdo le 13 janvier 2016

Savez-vous qui possède les 7 centrales nucléaires belges ? EDF en a la moitié d’une et tout le reste appartient à Engie – ex GDF Suez -, champion autoproclamé de l’écologie. Ce ne serait encore rien si les centrales belges n’étaient pas de vieilles merdes rafistolées.

Aucun doute, cette histoire belge est superbe. Certes, notre grandiose pays reste le champion du monde du nucléaire, mais la Belgique, qui produit 55 % de son électricité grâce à l’atome, est bel et bien sur le podium. Résumons la situation outre-Quiévrain, comme disent les guides touristiques et les écrivains débutants. Il existe dans le Plat Pays sept réacteurs nucléaires – 58 chez nous -, répartis entre Wallonie et Flandre. Doel, au Nord, à la frontière néerlandaise, en compte quatre. Tihange, à l’Est, du côté du Luxembourg et de l’Allemagne, trois.

Dire qu’ils merdent demeure une immense litote. Doel 1 est remis en service le 30 décembre dernier, après un arrêt en février, pour cause de vieillerie de ce pépère de 40 années. Un vote opportun du Parlement a en effet autorisé une prolongation de vie de dix ans. Décision politique, non technique. Le 2 janvier, trois jours plus tard, une panne l’arrête à nouveau. Le 4 janvier, il est relancé. Courage et confiance.

En 2012, Doel 3 est inspecté, pour le malheur des ingénieurs. On découvre un millier de défauts sur la cuve, et la note finale évoque 8 000 fissures, dont les plus grosses atteignent 18 centimètres. Arrêté en mars 2014, il repart comme un seul becquerel le 21 décembre 2015, après deux années de fermeture. Mais le 25, quatre jours plus tard, fuite d’eau et nouvel arrêt.

Doel 4 est stoppé plusieurs mois en 2014 à la suite d’un sabotage. Tihange 1redémarre le 16 septembre 2014 après un entretien. Deux jours plus tard, le 18, on stoppe les machines à cause d’une pompe d’alimentation en eau. Le 18 décembre, trois mois plus tard, incendie et panne. Tihange 2, comme Doel 3, est farci de fissures, qui entraînent la fermeture de mars 2014 à décembre 2015. Etc, car on ne sait jamais tout des faiblesses du nucléaire.

Mais cessons de rire des couillons de là-bas, car ces cochoncetés sont à la vérité françaises. EDF, notre si grande crapule, possède 50 % de Tihange 1, et tout le reste appartient à Electrabel, propriété à 100 % d’Engie, l’ancien GDF Suez. Notre défunt grand gazier national pilote donc la production électrique belge ! Côté France, les trémolos. Gérard Mestrallet, P-DG d’Engie : « Par la nature et la diversité de ses activités, [Engie] est un acteur essentiel de la transition énergétique et écologique qui doit concilier les objectifs de compétitivité, de sécurité d’approvisionnement et de préservation de l’environnement ». Et côté Belgique la pourriture accélérée des réacteurs nucléaires siglés Electrabel.

Ne pas prendre Mestrallet pour un idiot complet. Lui et ses camarades de bureau ont tout de même compris que le nucléaire belge est un boulet. Financier bien sûr, car les pannes répétées ont déjà coûté des centaines de millions d’euros à ce pauvre Engie. Mais également pour l’image de marque internationale du groupe, qui ne peut espérer incarner le « développement durable » avec une batterie de vieilles casseroles nucléaires au cul. D’où cette rumeur qui ne cesse de refaire surface : Engie aimerait bien se désengager du nucléaire belge. La solution n’a pas encore été trouvée.

La réaction des voisins du Nord et de l’Est pourrait bien accélérer le processus. Car si la France – et sa presse cadenassée par les budgets publicitaires d’EDF et Areva – s’en fout, tel n’est pas le cas des autres. Le 18 janvier, la secrétaire d’État du Luxembourg Camille Gira vient à Bruxelles rencontrer le ministre de l’Intérieur local. Le nom de ce dernier n’a rien de drôle, car il s’appelle pour de vrai Jan Jambon. Le 20 janvier, la ministre néerlandaise de l’Environnement, Mélanie Schulz, se rend à Doel en compagnie du même Jambon. Pour gueuler. Diplomatiquement.

Quant à l’Allemagne, aiguillonnée par une pétition de 200 000 signataires – Pays-Bas, Luxembourg, Belgique, Allemagne -, elle va plus loin encore. Barbara Hendricks, ministre de l’Environnement fédérale, vient de lâcher sur la chaîne de télévision publique ARD : « Nous redoutons que la sécurité nucléaire exigée ne soit pas entièrement assurée ». Ce qui veut dire en français vivant que ça craint. Follement.

Le nucléaire fait la manche

Ce papier a été publié par Charlie Hebdo le 3 décembre 2014

Ils nous avaient promis la Lune et le cul de la crémière. Les voilà qui font faillite, et comme l’État est derrière, nous aussi. Pas d’argent pour les gosses, les malades ou l’air pur, mais Hollande cherche deux milliards pour renflouer Areva la désastreuse.

C’est là qu’on rigole : le nucléaire français est dans une merde si noire que plus personne ne peut l’ignorer. Titre en une du quotidien qu’on appelle « de référence », Le Monde, le 20 novembre : « Les échecs à répétition d’Areva menacent la filière nucléaire française ». Areva, monstre public de 45 000 salariés – l’État en possède 87 % -, ne cesse de perdre de l’argent. Plus de trois milliards d’euros pour les seules années 2011, 2012, 2013. L’an 2014 devrait s’achever sur une baisse de 10 % du chiffre d’affaires et plus d’un milliard d’euros de perte sèche.

Qui lit en vrai Charlie sait cela depuis longtemps, et l’on excusera cette autocitation du 9 juillet dernier : « Areva est un groupe public dans une panade telle que, si l’État ne laissait pas filer les déficits, ce serait la faillite, la fermeture des crédits, le chômage de masse ». Mais reprenons dans l’ordre. Le 18 novembre, Areva avoue sans fard que ça va très mal, annonçant qu’elle suspend pour 2015 et 2016 la publication très attendue de ses perspectives financières. La Bourse, qui n’apprécie guère la vision nocturne, assassine le cours d’Areva, qui chute de 15 % en une séance.

On ne sait plus qui accuser, mais une évidence s’impose : les nouveaux réacteurs EPR, censés remplacer les vieux clous, sont des inventions du Diable. Les deux prototypes européens en construction font rire la communauté mondiale du nucléaire. Celui d’Olkiluoto, en Finlande, sera fini dans le meilleur des cas en 2018, avec la bagatelle de 9 ans de retard, et une facture qui sera passée de trois milliards d’euros à environ neuf. Le second, à Flamanville (Manche), n’a pour l’heure que cinq ans de retard, et si l’on en croit les nucléocrates, pourrait fonctionner en 2017. Son coût atteindra ou dépassera les neuf milliards d’euros, soit au moins trois fois plus que ce qui était juré-promis en 2007.

Face à un tel merdier, que faire ? Il n’y a plus un sou en caisse, rien pour les pauvres, les chômeurs, les handicapés, les autistes, les banlieues, les gamins, la beauté du monde et les papillons, mais il y en aura toujours pour le nucléaire, cette surpuissance. L’État – MM. Hollande et tous autres socialistes en peau de lapin -, envisage sérieusement de sortir deux milliards d’euros de sa boîte à malice. Ou bien de créer une « structure de défaisance » sur le modèle éprouvé du Crédit Lyonnais failli. On y jetterait aux oubliettes tout ce qui peut nuire au chiffre d’affaires d’Areva.

Reste une troisième possibilité : une noble intervention d’EDF, client essentiel d’Areva, qui pourrait augmenter sa présence dans le capital de cette dernière. Rappelons pour l’occasion qu’Areva construit des réacteurs nucléaires qu’EDF – autre mastodonte public – exploite pour la grande joie des chargeurs de téléphones portables. Conscient qu’EDF et Areva sont dans le même bateau, Hollande vient de nommer à la tête de ces entreprises publiques deux copains de régiment, ou presque. Philippe Varin – Areva – et Jean-Bernard Lévy – EDF – sont en effet ingénieurs des Mines – la caste des castes – et issus de la même promotion de Polytechnique, en 1973.

Faut-il vraiment rappeler que le nucléaire est une très grossière arnaque ? Certes oui, les ingénieurs et techniciens qui ont lancé cette grande folie étaient sûrs d’eux. La France, dépourvue de pétrole, allait conquérir une place à part grâce à l’énergie de l’atome. Mais pourquoi les politiques ont-ils été aussi cons ? Mille excuses pour la longueur des citations, mais il s’agit de la grandeur de la France, amis lecteurs. Ne mégotons pas.

Le sénateur communiste Arthur Ramette, le 10 juillet 1952, quand bat encore le cœur de notre grand Staline à tous : « En Union soviétique, la désintégration de l’atome permet de faire sauter les monts du Tourgaï, et les eaux des fleuves Obi et Ienisseï, se perdant jusqu’alors dans les mers glaciales, arroseront et fertiliseront l’Ouzbékistan, le Kazakhstan, l’Asie centrale, brûlés par le soleil ». Chirac soi-même, le 8 septembre 1975, raccompagnant sur les marches de l’hôtel Matignon notre grand ami de l’époque, Saddam Hussein : « L’accord de coopération nucléaire est au point. Nous l’avons même complètement conclu ». Giscard, en janvier 1980, à propos de Superphénix, définitivement arrêté en 1997 : « Avec ce type de réacteurs et ses réserves en uranium, la France disposera d’autant d’énergie que l’Arabie Saoudite avec tout son pétrole ».

Chevènement, alors socialiste « de gauche » et ministre de l’Industrie, le 6 octobre 1981 : « Si nous voulons l’emporter sur nos concurrents étrangers, les Mexicains, par exemple, doivent savoir que nous poursuivons nos efforts dans le domaine nucléaire ».  En janvier 1984, Laurent Fabius, ministre de l’Industrie lui aussi : le surgénérateur [de Superphénix] est «  parmi les technologies en gestation, l’une des plus prometteuses en termes d’indépendance ». Le 16 décembre 2009, Geneviève Fioraso, actuelle sous-ministre à l’Enseignement supérieur : « Je trouve dommageable qu’en période de reprise du marché mondial, la France, où l’expertise est la plus solide, et qui, avec le développement du nucléaire, a conduit depuis des années une politique de diversification énergétique très forte, se trouve en situation de faiblesse ».

Rebelote : pourquoi ? Mais parce que le nucléaire est désormais inexpugnable, sauf à changer de direction, ce qui s’appellerait une révolution. L’agence américaine de notation Standard and Poor’s, dont Charlie se contretape – mais pas eux, nos maîtres – vient de dégrader sans façon Areva. Notre fleuron du nucléaire va devoir faire très gaffe avant de lancer des emprunts à long terme, car il est désormais considéré comme un « émetteur spéculatif ». Le nucléaire : leur merde, notre fric.

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ENCADRÉ

Le syndrome de la Rolls

Faut-il être nigaud ? Nos géniaux ingénieurs du nucléaire sont fiers d’avoir inventé un machin invendable, l’EPR., dans la lignée des Rafale et des Concorde. Si Anne Lauvergeon, l’ancienne patronne d’Areva, n’avait pas perdu tant de temps à se faire plumer dans l’affaire Uramin, elle aurait peut-être songé à arrêter les frais de l’EPR. Car en effet, c’est le cauchemar. Dès 2009, Abu Dhabi refuse la technologie EPR et fait « perdre » à la France le « contrat du siècle », portant sur quatre centrales et plus de 20 milliards de dollars. Les émirs ont préféré la robuste technologie, bien meilleur marché, du Coréen Kepco. Honte.

Depuis, les échecs n’ont pas cessé, et le dernier date d’octobre : l’Afrique du Sud a signé avec la Russie de Poutine pour la construction d’un parc nucléaire d’au moins 40 milliards d’euros. Pour la France atomique, une pure horreur. Et l’avenir est encore plus sombre, qui s’écrira en chinois. Dans un rapport publié il y a quelques jours, l’économiste en chef de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) Fatih Birol, écrit sobrement : « La Chine est le marché du nucléaire civil le plus prometteur. Il produira près de 50% de l’énergie atomique d’ici 2040 (…). C’est un processus naturel de changement d’architecture de l’ordre énergétique mondial ».