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Pierre Pfeffer est mort

Bien sûr, je vous souhaite le meilleur pour 2017. Ô combien. Votre présence ici m’est toujours un immense plaisir. Mais je ne peux oublier ce jour une affreuse nouvelle : Pierre Pfeffer est mort le 29 décembre 2016. C’était un grand zoologiste, et c’était un homme merveilleux. Parmi les souvenirs que j’emporte de lui, il y a le Pfeffer résistant antinazi, devenu sniper pour la raison qu’il tirait très bien. Et son premier voyage vers la Côte d’Ivoire, en bateau, qui le conduirait à vivre à l’africaine, avec une Africaine, et à chasser l’éléphant devenu fou à la demande des villageois. Il aimait tant l’Afrique ! L’Afrique, les Africains, les animaux. À mes yeux, sans l’ombre d’un doute, il demeure un personnage légendaire. Le voilà sur l’autre rive, suivant probablement la piste d’un animal inconnu des vivants. L’âme peut saigner. Elle saigne.

Ci-dessous, un entretien qu’il m’avait accordé au début de 2003.

 

 

« Sans l’éléphant, l’Afrique ne serait plus l’Afrique »

 

Pierre Pfeffer, l’un de nos plus grands zoologistes, est dans une colère noire. Cet admirable connaisseur de l’éléphant a reçu Terre Sauvage pour dénoncer les manoeuvres et manigances qui ont permis la reprise partielle du commerce de l’ivoire. Et pour clamer ce qu’il considère comme une évidence : l’éléphant est une chance, une chance pour l’Afrique, mais aussi pour les Africains.

 

Terre Sauvage : Pierre Pfeffer, votre premier souvenir d’un éléphant ?

 

Pierre Pfeffer : J’ai découvert l’Afrique avant d’être scientifique. Après un passage dans la Résistance, je suis resté quelque temps dans l’armée, et puis je l’ai quittée. Parmi mes copains de l’époque, il y a avait un Ivoirien, et un jour, il m’a dit : « viens donc en Afrique ! ». Depuis tout gosse, j’avais la passion de la nature et des animaux, et j’ai décidé de m’embarquer.

 

Terre Sauvage : Vous voulez dire au sens propre ?

 

P.P : C’est cela. J’ai travaillé sur un bateau pour payer mon voyage. J’étais en quatrième classe et je servais au bar des troisièmes. Nous étions en 1950, et je me suis retrouvé dans un village de l’ouest du pays, en pleine forêt. J’ai vécu comme cela environ dix-huit mois, en passant de village en village. Je chassais…

 

TS : Vous chassiez ?

 

PP : Je chassais, oui. Comme les Africains n’avaient pas le droit de posséder un fusil, ils me demandaient de chasser pour eux, surtout des antilopes et des buffles, un peu ce qu’ils voulaient. Je vivais avec eux, c’était vraiment très sympa, j’ai beaucoup aimé. Mais au bout d’un certain temps, je me suis dit, moi qui adorais les animaux, que je n’allais pas passer ma vie à tirer sur eux. Alors, je suis retourné en France reprendre mes études.

 

TS : Après avoir rencontré l’éléphant ?

 

P.P : Oui, mais pour dire la vérité, je l’ai mal vu et j’ai été un peu déçu. En 1950, il y avait encore autour de 16 millions d’hectares de forêt en Côte d’Ivoire, contre moins d’un million aujourd’hui. Dans ces villages de forêt où je vivais, l’éléphant était à la fois un animal que l’on craignait et un animal qu’on voulait s’approprier, pour sa viande. La toute première fois, mon guide a crié : « Éléphant, éléphant ! ». Mais moi, je ne voyais rien du tout, rien. Alors le pisteur est passé derrière moi, a pris ma tête dans ses mains, et l’a orientée vers le haut, un peu comme un phare (rires). Je regardais trop bas, au niveau d’un être humain ! Ce que j’ai vu, c’était un peu de peau grise et un oeil qui regardait. L’éléphant, pour moi, au début, c’était cela : des fragments, des morceaux de peau grise à travers les feuilles et les branches. J’étais très étonné de voir la façon dont ils se déplaçaient, dans un silence total. Vous étiez là, à cinq ou six mètres d’un ou plusieurs éléphants, et puis d’un coup plus rien ! Ils étaient partis, dans un silence total, comme des fantômes.

 

» Des années plus tard, je me suis réellement intéressé aux éléphants dans le nord de la République centrafricaine, où il y en avait énormément. On en en voyait partout, et comme c’était dans des zones qui mêlaient forêt et savane, on pouvait les observer facilement et longuement. Et dans ces conditions, on ne peut qu’être stupéfait par leurs comportements. Osons le mot : il y a d’étonnantes similitudes avec notre espèce. Dans leurs mimiques, dans l’intensité de leurs communications entre eux. Ils se parlent tout le temps, ils sont en contact permanent, notamment par le barrissement. Et il faut voir la façon dont ils s’occupent de leurs jeunes ! Les femelles les entourent, les aident à marcher, les protègent immédiatement et collectivement en cas de danger.Vraiment, c’est étonnant !

» En 1970, quand a explosé cette demande d’ivoire dans le monde, on a commencé à voir partout en Afrique des éléphants blessés, qui clopinaient. Je me souviens d’un groupe, d’une file d’éléphants guidés par une grande femelle, qui marchaient tout doucement et qui s’arrêtaient interminablement toutes les quelques dizaines de mètres. Quand la femelle est arrivée vers nous, j’ai vu qu’elle avait une énorme plaie à l’épaule, qui saignait, comme un trou ! On voyait sur les chemins des éléphanteaux orphelins, des cadavres avec des défenses enlevées. Je me suis dit : non, c’est impossible. C’est à ce moment-là que j’ai lancé mon combat en faveur des éléphants. Comment détruire une espèce pareille pour fabriquer des babioles qui finiront dans un tiroir ?

 

TS : Pendant près de vint ans, le massacre des éléphants s’est poursuivi, jusqu’à menacer l’espèce. On a parlé, je crois, de deux millions d’éléphants tués. Et puis en 1989, au cours d’une conférence internationale qui s’est tenue à Lausanne, et où vous avez joué un rôle de premier plan, le commerce de l’ivoire a été interdit. Quelle victoire !

 

P.P : En effet, mais je voudrais insister sur l’engagement de mes amis africains. Sur les 30 pays africains représentés à Lausanne, 26 ont voté pour l’arrêt du commerce, et un 27ème, le Gabon, s’est rallié trois semaines plus tard. Mais c’était avant que les Japonais et les Zimbabwéens n’imposent le vote secret. Avant que ne commencent les tractations de couloir et les arrangements.

 

TS : Que voulez-vous dire ?

 

P.P : En 1992 comme en 1994, au cours des deux conférences successives de la Cites (voir encadré), les Africains sont parvenus à empêcher la reprise du commerce de l’ivoire, malgré les pressions. Mais au cours de la conférence d’Harare de 1996, au Zimbabwe, les magouilles, pour parler clairement, ont commencé. Et elles ont conduit à la réouverture, soi-disant à titre expérimental, du commerce de l’ivoire. Qui se traduit depuis par la mise à mort de plusieurs milliers d’éléphants chaque année et de véritables guerres locales menées par des braconniers puissamment armés, qui tuent de nombreux gardes. Et ces magouilles n’ont plus cessé depuis, comme on l’a vu en novembre 2002, à Santiago du Chili, au cours de la dernière conférence de la Cites.

 

TS : Que s’est-il passé ?

 

P.P : On a autorisé trois pays, le Botswana, l’Afrique du Sud et le Zimbabwe à exporter leurs stocks d’ivoire, constitués, officiellement du moins, sur des animaux morts de maladie ou au cours d’opérations antibraconnage. On parle à chaque fois d’une vente unique et sans lendemain, mais fort curieusement, les stocks se renouvellent sans cesse, et on peut parier qu’à la prochaine conférence internationale, on aura encore un « stock unique » d’ivoire à écouler. On parle beaucoup de protection des éléphants, mais la protection passe toujours au second plan. On sait depuis 1840 au moins que le le commerce de l’ivoire se traduit toujours par le déclin de l’éléphant. Dès que le commerce s’arrête, les populations augmentent, dès qu’il reprend, les populations déclinent. On le sait ! A la moindre incitation, le braconnage reprend. Et c’est ce qui se passe en ce moment en Afrique.

 

T.S : Mais pourquoi laisse-t-on faire, dans ce cas ?

 

P.P : Pour des raisons purement politiques. On assiste dans les conférences internationales à des marchandages du genre : si vous ne nous embêtez pas sur le thon ou la baleine, alors, on ne vous embêtera pas sur le guépard ou la panthère. Il se trouve que l’Afrique du Sud est aussi riche à elle seule que le reste de l’Afrique subsaharienne, et politiquement, c’est un pays d’une importance décisive. Tout le monde veut avoir de bonnes relations avec elle ! Les États-Unis ont fait une pression incroyable pour empêcher la conférence de Santiago d’adopter la proposition du Kenya et de l’Inde de maintenir une interdiction totale du commerce de l’ivoire. Je ne veux pas donner de nom, mais un haut responsable américain a pris son téléphone et appelé plusieurs gouvernements d’Europe – leurs délégués à la Cites – pour leur dire : surtout, ne soutenez pas cette position ! Or j’ai très bien connu ce monsieur en Afrique, où il s’occupait d’éléphants et luttait avec des moyens très durs contre le braconnage. Figurez-vous qu’il a tué des Africains ! Dès qu’ils entraient dans la zone d’un parc national, ceux qu’il appelait des braconniers, mais qui n’étaient la plupart du temps que des pêcheurs qui venaient là de toute éternité, étaient tués ! Avant la Cites, je lui ai envoyé un mel pour lui dire : franchement, ce n’était pas la peine de tuer de pauvres Africains pour ensuite réclamer la reprise du commerce de l’ivoire. Bien entendu, il ne m’a pas répondu.

 

TS : Mais c’est épouvantable !

 

P.P : Oui. Je suis conseiller scientifique d’une fondation pour la protection de la faune sauvage en Tanzanie, dont le président n’est autre que M. Giscard d’Estaing, et les deux co-présidents George Bush père et l’actuel président de la Tanzanie. Vous vous doutez bien que nous avons tout tenté pour sensibiliser George Bush père à la question de l’ivoire. Eh bien, dans la délégation américaine à Santiago, en tant qu’éminence grise, il y avait un monsieur dont je tairai également le nom, et qui est très proche de M. Bush, C’est un grand chasseur, qui va régulièrement au Botswana et en Afrique du Sud. L’été dernier, il a été vu là-bas avec le général Schwarzkopf, l’ancien chef d’état-major de la Guerre du Golfe, et ils ont tiré chacun un lion ! Évidemment, il a soutenu à fond la position sud-africaine : or il ne pouvait pas ignorer les conséquences d’une éventuelle reprise du commerce de l’ivoire.

 

TS : La position américaine a-t-elle été décisive ?

 

P.P : En tout cas, très importante. Un délégué africain m’a dit à propos d’un autre délégué africain qui avait eu une attitude curieuse à Santiago : « Mais comment, vous ne savez pas ? Il est invité chaque année chez les Américains, par le Safari Club International ! ». Et il faudrait parler également du Japon, qui est le seul pays à pouvoir importer légalement les stocks d’ivoire africain, et qui est donc le grand bénéficiaire de la reprise partielle du commerce. Des amis africains m’ont expliqué le sens de certains votes par le fait, entre autres, que le Japon avait payé le déplacement de délégations africaines ! Pour vous dire la vérité, le secrétariat de la Cites, à l’exception d’une personne, me semble acquis aux marchands d’ivoire.

 

T.S : Le secrétariat de la Cites, cette institution internationale chargée de la protection de la faune et de la flore mondiales ?

 

P.P : C’est ainsi ! Le secrétariat avait naguère institué un système par lequel les marchands d’ivoire versaient un pourcentage – « contribution proportionnelle aux quantités d’ivoire importées », je cite ! – à la Cites. C’est comme si les médecins des hôpitaux passaient un accord avec les Pompes funèbres et touchaient un pourcentage en fonction du nombre de cadavres !

 

T.S : En ce cas, l’Europe n’aurait-elle pas dû et pu jouer un rôle de contrepoids ?

 

P.P : L’été dernier, j’ai eu la stupéfaction de découvrir que la France, qui avait joué un rôle essentiel dans l’interdiction du commerce de l’ivoire en 1989, allait soutenir la position sud-africaine. Elle a fini par changer d’avis in extremis, à la suite notamment de différentes interventions, mais au cours d’une réunion au ministère de l’Ecologie à Paris, l’une de ses responsables m’a servi toutes sortes de lieux communs du genre : M. Pfeffer, il y a 720 millions d’Africains dans l’Afrique subsaharienne, vous pensez bien qu’il n’y a plus de place pour les éléphants, etc. J’ai répondu : mais en ce cas, il n’y a plus de place pour le reste non plus, et je ne vois pas ce que nous faisons tous là !

 

T.S : En effet. Mais que répondez-vous sur le fond du dossier ?

 

P.P : Je suis prêt à emmener qui veut dans des zones où il y a à l’évidence de la place pour les éléphants, mais d’où ils ont disparu après avoir été massacrés. Et ils n’ont été remplacés ni par des éleveurs, ni par des cultivateurs. A la fin des années 60, il y avait 2 500 000 éléphants dans toute l’Afrique. Peut-être n’y a-t-il plus la place pour autant d’animaux aujourd’hui, mais il pourrait, c’est sûr, y en avoir 1 500 000. Or, il n’en reste selon mes propres estimations qu’entre 320 et 340 000. Pour qu’il n’y ait pas de malentendu, je précise que je n’ai rien contre le fait que les Africains tuent des éléphants pour les manger. D’ailleurs, les massacres des années 70 ont fait perdre énormément aux populations d’Afrique. En République centrafricaine, on estimait à 120 000 le nombre d’éléphants il y a trente ans. Une étude avait montré qu’il arrivait sur le marché de Bangui, chaque année, l’équivalent de 500 éléphants, 4 000 bufles et 200 000 antilopes. C’était une ressource en viande régulière et très importante. Mais elle a été perdue, car il ne reste sans doute que 8 000 éléphants. Le ministre des Eaux et Forêts, dans une interview à la radio, a reconnu que le pays, en sacrifiant ses éléphants, avait perdu l’équivalent de 175 000 têtes de bétail. On pourrait, avec 1 500 000 éléphants, en prélever 3% chaque année sans problème, ce qui offrirait des milliers de tonnes de viande aux populations locales. N’oubliez pas, de toute façon, que partout où la pluviosité dépasse 900 mm, la mouche tsétsé empêche l’élevage. Dans ces savanes et forêts humides, seule la faune sauvage, immunisée, peut vivre, et le massacre des éléphants a été et reste une absurdité, y compris sur le plan économique !

 

T.S Vous prenez tout le monde à contrepied. Ce que vous dites, c’est que loin d’être un handicap ou une gêne, les éléphants seraient donc une aide précieuse pour les populations africaines ?

 

P.P : Et comment ! C’est un producteur de viande formidable : il mange tout. Des branches, des écorces, des racines, et il n’a pas besoin de pâturages, comme le bétail. Il s’adapte à tous le milieux, des confins du désert jusqu’au coeur de la forêt humide. Il n’a pas de maladies, en tout cas pas d’épizooties, et il a une vigueur extraordinaire. On parle beaucoup de conflits avec les paysans, mais je vais vous dire : en général, en cas de problème avec des éléphants, il suffit d’en tuer un pour que les autres ne reviennent pas avant au moins un an. Au Gabon, on a fait une étude sur la responsabilité des animaux dans les dégâts aux cultures. Eh bien, l’éléphant ne vient qu’en cinquième place ! Le premier, c’est l’aulacode, ce rongeur que les Africains appellent agouti. Il est vrai qu’un dégât d’éléphant, c’est spectaculaire : quand il s’en prend à un bananier, ça se voit. Les aulacodes se contentent de grignoter, mais ils sont beaucoup plus nombreux. 50% des dégâts dans les plantations sont de leur fait. Le fait d’animaux dont on ne parle jamais et qu’on ne connaît même pas !

 

T.S : Un dernier mot : que faut-il faire ?

 

P.P : Mais à la limite, rien ! Dès qu’on commence à ficher la paix à l’éléphant, l’accroissement de sa population atteint de 5 à 7% par an. Pour sauver un animal comme le rhinocéros, il faut se donner beaucoup de mal, mais pour l’éléphant, non. Il n’y a même pas besoin de volonté politique : il suffit, il suffirait d’arrêter le commerce de l’ivoire. Mais en attendant, on est en train de piller et de détruire une ressource africaine absolument exceptionnelle. L’éléphant disparu, l’Afrique ne serait plus l’Afrique.

Cette vérité cachée sur l’aluminium

Ce qui suit a été publié y a pas si longtemps par Charlie. Signé de mon nom, cela va (presque) de soi.

 

C’est un livre rare, et il restera longtemps à portée de main (Toxic Story, deux ou trois vérités embarrassantes sur les adjuvants des vaccins, Actes Sud). Le professeur de médecine Romain Gherardi n’a rien d’un séditieux. Médecin et scientifique à l’hôpital Henri-Mondor de Créteil, il mène depuis près de vingt ans, avec une petite équipe, un travail exemplaire sur ce que l’on ajoute aux vaccins pour les rendre plus efficaces. Les adjuvants. Gherardi sait et répète sans se lasser que les vaccins, qui ont sauvé des millions de vie, sont l’une des plus grandes découvertes. Mais les adjuvants ?

On découvre dans son livre et l’on comprend enfin l’affaire de la présence d’aluminium dans un grand nombre de vaccins, y compris ceux, obligatoires, destinés aux enfants. Le récit, mené il est vrai de main de maître, est parfois haletant. On y découvre un monde organisé pour la dénégation : celui des agences de santé publique, des cabinets ministériels, de l’OMS. Il ne fait plus aucun doute que l’aluminium – les considérations économiques et financières dont décisives – est un danger considérable pour une partie des vaccinés.

Gherardi est tout sauf un idéologue. Il avance ses pions à mesure qu’il peut établir des faits par la science. Mais justement ! Il ne peut poursuivre ses travaux que s’il est financé. Or il ne le sera pas, car une coalition qui s’ignore se met soudainement en travers. La vanité de certains pontes s’ajoute à l’habituelle soumission à l’autorité, sur fond d’invraisemblables conflits d’intérêts. Jusques et y compris des ministres de la République ont participé aux banquets de l’industrie pharmaceutique. Tous pourris ? Non, mais tous complices d’un mépris viscéral pour l’esprit scientifique. Décidément, un grand livre.

L’entretien

Aviez-vous conscience de livrer un tel polar ? Je résume : un mystère; puis un suspect, qui deviendra le coupable; un détective aussi malin qu’obstiné; des dupes; des complices; des fripouilles.

 

Romain Gherardi : Cette histoire a été effectivement celle d’une longue traque d’allure policière. Comme dans un roman de Simenon elle s’est déroulée dans un contexte particulier, mal connu du grand public: celui du système de santé, avec ses acteurs (patients, médecins, industriels), ses régulateurs, ses décideurs, tous mêlés dans des luttes féroces aux enjeux financiers, sanitaires et politiques énormes. Sur les questions biomédicales de fond nous sommes allés de surprise en surprise, ce qui est le propre de la science.

 

Donc, un jour, vous assistez à l’une des réunions biannuelles d’une sorte de club réunissant la fine fleur des neuropathologistes français. On vous montre des diapos, qui n’ont de sens pour personne. Même pas pour vous. On y voit une lésion faite de coulées violettes entre les crayons roses d’un muscle. Plus tard, vous repensez à ces diapos, et on a envie de crier avec vous : « Bon Dieu ! mais c’est bien sûr ! ».

 

R.G : Oui c’est exactement cela. Les microscopistes stockent en permanence des images pathologiques, qui ne demandent qu’à resurgir comme un flash quand une image semblable se présente. C’est un phénomène purement visuel, assez analogue à la reconnaissance inopinée du visage d’un acteur célèbre dans la rue. Cette lésion que nous baptiserons bien plus tard « myofasciite à macrophages » a été vue d’abord à Bordeaux en 1993, puis assez rapidement dans toute la France. Nous avons décidé collectivement de décrire les 14 premier cas de cette nouvelle pathologie sans en connaître la cause. Le Lancet a accepté avec enthousiasme de publier cet article en 1998.

 

Jusqu’à ce point de l’histoire, vous êtes un héros. Disons un bon, un très bon scientifique. The Lancet, revue prestigieuse, publie donc votre article, et vous êtes convoqué plus tard dans le saint des saints, au siège de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à Genève. Vous êtes confiant, car votre travail est solide. Mais quelque chose commence à se détraquer.

 

R.G : Cette convocation a été déclenchée par la découverte surprenante d’aluminium au sein des lésions, et par la démonstration formelle de l’origine vaccinale de cet aluminium. La donne changeait complètement. Plutôt qu’une nouvelle maladie infectieuse, j’avais levé un lièvre très embarrassant : l’adjuvant vaccinal le plus utilisé dans le monde, l’hydroxyde d’aluminium, était susceptible de persister de nombreuses années dans les cellules immunitaires chez certains. Ce qui est bien sûr tout à fait indésirable. Dans un premier temps l’OMS s’est donc courtoisement assurée de la solidité de nos résultats et a dû admettre que certains individus ont probablement une difficulté particulière à éliminer l’adjuvant de leur organisme. Lors de la seconde réunion, elle est passée à l’attaque émettant des doutes, puis elle a tenu sa troisième réunion à huis clos. Sans nier que nos patients présentent des douleurs musculaires et articulaires, une fatigue chronique, des troubles de l’attention, de la mémoire et du sommeil, l’OMS et les agences sanitaires françaises ont qualifié ces troubles de « non spécifiques », une terme volontairement ambigu, minorant et péjoratif. Or cette combinaison de symptômes forme un syndrome parfaitement caractérisé par des critères internationaux appelé syndrome de fatigue chronique ou encéphalomyélite myalgique. Les agences ne pouvaient pas l’ignorer car cette affection est officiellement reconnue par l’OMS depuis 1969 et que parallèlement à notre dossier, l’OMS traitait de façon totalement cloisonnée, le dossier de 69 infirmières canadiennes ayant développé un syndrome de fatigue chronique après des vaccins aluminiques contre l’hépatite b !. Depuis, d’importantes séries de syndrome de fatigue chronique survenues dans les suites de vaccins aluminiques ont été rapportées dans pas moins de 7 pays différents…

 

 

Les réactions successives de l’OMS n’étaient qu’un avant-goût. Vous vous retrouvez à Porto-Rico, en 2000, pour un rendez-vous mondial des illustres Centers for Disease Control (CDC) américains, consacré à l’aluminium dans les vaccins. Et là, vous voilà attaqué en piqué par le grand spécialiste de la chose, qui tonne sur la base d’une étude grotesque portant sur deux lapins. Je vous l’avoue, on a du mal à le croire.

 

R.G : Porto-Rico, capitale des multinationales du médicament. Le pape des adjuvants aluminiques, un chimiste nommé Stanley Hem, déclarait à l’époque que le destin des microparticules d’aluminium était de fondre, permettant à l’aluminium d’être éliminé par le rein. Il n’avait pas compris que la majeure partie de l’adjuvant est en fait rapidement capturée par les cellules immunitaires, ce que montraient nos résultats. Sur la base de cette erreur théorique première, il a conduit l’unique étude de référence sur ces adjuvants. En lisant cette étude de 1997, on est effaré par le nombre de fautes qu’elle contient : l’hydroxyde d’aluminium a été injecté à seulement deux lapins, l’étude n’a duré que 28 jours, plusieurs organes importants ont été égarés (les os), oubliés (le muscle injecté), ou mal choisis (ganglion intestinal au lieu du ganglion drainant le muscle injecté), et, cerise sur le gâteau, les conclusions sont contraires à l’évidence des résultats. En effet seulement 6% de l’aluminium injecté avait été éliminé au 28ème jour, c’est-à-dire que 94% était encore dans l’organisme des lapins. C’est pourtant sur cette base « rassurante »  que les agences sanitaires et les sociétés savantes se fondent encore aujourd’hui pour affirmer l’innocuité d’adjuvants aluminiques administrés à des milliards d’individus dans le monde !

 

La suite, passionnante et presque envoûtante, est dans le livre. Professeur Gherardi, qu’espérez-vous encore des autorités de santé de votre pays ?

 

R.G : Comme scientifique, je souhaite que soit pris en compte l’effondrement de plusieurs dogmes. Il faut à l’évidence tout reprendre pour comprendre la diffusion des adjuvants aluminiques vers les organes lymphoïdes, la rate et le cerveau. Comme médecin, je souhaite que nos patients soient enfin reconnus et dédommagés. Comme citoyen, je souhaite que l’on sorte de la « co-production de santé publique » imposée aux États par les multinationales du vaccin, dont les agences sanitaires sont l’incarnation.

 

Trump fait monter le prix du somnifère

 

Amis lecteurs, trumpistes et non-trumpistes, je vous livre ci-dessous le billet que j’ai écrit vers 14 heures pour le site de Charlie, et qui y est encore visible. Il est court, comme vous verrez, et ne contient donc pas les méandres habituels de ma pensée. Mais enfin, il dit quelque chose que je pense. J’en ai réellement marre des  sérénades et des lamentations. Je viens de lire un papier de Reporterre, dont le titre m’a fait sursauter : « Trump, candidat de l’anti-écologie ». Par Dieu, Clinton ne l’était-elle pas, elle qui était la candidate des transnationales, moteur essentiel de la crise climatique ? Comme je suis fatigué, je ne vais pas plus loin. Mais mon point de vue essentiel, le voici : nous avons grand besoin d’un point de vue écologiste sur la marche du monde. Indépendant des modes, des truismes, des habitudes de pensée. C’est urgent, cela brûle même. Assez de jérémiades : Trump est ce qu’il est, mais Clinton tout autant. Au passage, la question du Tafta – et du Ceta – est un sujet-clé, car son sabordage rendrait un immense service à nous tous. Allez-y de vos commentaires.

 


Le billet de Charlie sur son site :

 

Comme il n’est pas encore intronisé, ce ne peut être considéré comme injure à chef d’État : Trump est un gros empaffé, et le restera. Dans le domaine si décisif de la crise écologique, il va probablement frapper très fort. Ainsi qu’on sait peut-être, il ne croit pas au dérèglement climatique, ce qui risque quand même de plomber l’ambiance à Marrakech, où se déroule en ce moment le 22e épisode des sommets climatiques internationaux. Royal et Fabius passeront moins à la télé.

Répétons : ce gros empaffé – bis – n’en a rien à foutre de rien. Mais est-ce bien une raison pour tout à fait regretter Clinton ? Cette si Grande Dame, défendue par tant de si Braves Gens, était pieds et poings liés au pied du big business américain et se demandait ces derniers temps comment se tirer du bourbier du Tafta, ce projet de traité commercial avec l’Europe. La pauvrette était coincée entre, d’un côté, ses supporters des transnationales et, de l’autre, la révolte de plus en plus vive d’une Amérique qui ne croit plus à la mondialisation.

Trump, ce gros empaffé – ter -, vole au secours des altermondialistes et, s’il tient parole, flinguera le Tafta à la hache et au couteau, comme il aimerait faire avec les Mexicains et les musulmans. Est-ce à dire, docteur, qu’on a mal au fion et qu’il n’y a pas de remède ? Certains jours, oui. Certains matins, on ferme les volets, on se bouffe un somnifère et on oublie le monde.

Comment niquer Greenpeace grâce à des prix Nobel

Paru dans Charlie y a pas si longtemps

Superbe coup monté. Grâce à sa belle influence, l’industrie des OGM vient d’entraîner 111 prix Nobel dans une croisade contre Greenpeace, accusée gentiment de « crime contre l’humanité ». Être scientifique et être con.

 

Que claquent les dents, car Greenpeace est coupable de « crime contre l’humanité ». Comme Eichmann, comme Pol Pot, comme les génocidaires du Rwanda. Qui le dit ? La bagatelle de 111 Prix Nobel, qui exhortent les gouvernements, dans un appel (1) larmoyant, à cogner dur sur Greenpeace, accusée d’être « le fer de lance de l’opposition au riz doré », un riz OGM « enrichi », qui « a le potentiel de réduire ou d’éliminer la plupart des décès et maladies causées par une carence en vitamine A ». Or, toujours d’après nos grosses têtes, 250 millions de personnes souffrent de cette carence, qui provoquerait entre un et deux millions de morts par an, surtout chez les gosses de moins de cinq ans.

Les petits salauds de Greenpeace, qui se roulent dans la soie et mangent du caviar à la louche, se moquent évidemment des pauvres et des malheureux. Il est donc urgent que les pouvoirs du monde entier fassent « tout ce qui est en leur pouvoir pour s’opposer aux actions de Greenpeace » tout en accélérant « l’accès des agriculteurs » aux OGM. La morale donc, mais aussi le commerce. Comme c’est charmant, comme c’est frais. Bien entendu, des centaines de journaux de la planète, parfois bien intentionnés, parfois beaucoup moins, ont répercuté jusqu’au fond des pampas et des déserts la terrible nouvelle. Greenpeace, assassin de masse.

Mais venons-en aux faits. Ce n’est pas la première fois – ni la dernière – que de gentilles brêles de Prix Nobel se font grossièrement manipuler par l’industrie. On rappellera pour mémoire qu’en 1992, quelques jours avant le premier Sommet de la terre de Rio, paraît le retentissant Appel d’Heidelberg, signé – déjà -par le quart des Nobel de l’époque. Dont un certain Jean-Marie Lehn, qui paraphe aussi celui de 2016.

L’Appel de 1992 conjurait de combattre « l’écologisme irrationnel », qui « s’oppose au développement scientifique et industriel ». Le gras dans ce dernier mot est de Charlie, car pourquoi ces Nobel se préoccupent-ils à ce point du sort de l’industrie ? Hein ? La réponse se trouve plus que peut-être dans l’Appel contre Greenpeace, comme on va voir. Mais tout d’abord, le riz doré. C’est très con pour les Nobel, mais ce riz transgénique est pour l’heure une impasse. Au bout de 20 ans d’expérimentations en Asie, il n’est toujours pas vendu par ses concepteurs, pour la raison simple que ses rendements ne sont pas à la hauteur espérée. Et qu’il faudrait bouffer des tonnes de riz pour espérer produire un effet sur les carences. À ce stade, la fable de la vitamine A n’est que storytelling des transnationales du secteur, destiné à mieux fourguer les OGM.

Dans ces conditions, que penser de la présence de Jay Byrne dans le tableau ? Le 29 juin, l’Appel contre Greenpeace est lancé en fanfare au National Press Club de Washington. Il y a un videur à la porte – des scientifiques liés à Greenpeace seront refoulés -, et ce videur s’appelle Jay Byrne. Ancien directeur de la com chez Monsanto, Byrne dirige une agence de relations publiques, v-Fluence, qui conseille entre autres l’industrie des OGM. Hasard ? Hasard complet, pauvre parano, car Byrne, interrogé sur son rôle exact, lâche qu’il s’est : « porté volontaire bénévolement pour aider à la logistique ».

Ami de la science et des scientifiques incorruptibles, ce n’est pas fini. Parmi les deux Nobel les plus engagés dans la diffusion du pamphlet anti-Greenpeace, on trouve un Richard Roberts, directeur scientifique d’un machin au service de l’innovation industrielle, et un Philip Sharp, qui dirige plusieurs boîtes de biotechnologie. Encore un petit mot sur Jean-Marie Lehn, et on se quitte.

Prix Nobel de chimie, Lehn est au premier rang, le 5 mai 2009, d’un colloque organisé conjointement par le Collège de France et la transnationale de la chimie Solvay. Attention ! il va parler. Ivre de son savoir et de la reconnaissance mondiale, il se lâche, concluant une envolée par ces mots : « L’homme créera des créatures non vivantes et, j’en suis convaincu, vivantes ». Derrière les OGM, amis du progrès, les dragons, griffons et harpies. Ce coup-ci, stop.

 

(1) science-et-vie.com/2016/06/ogm-cent-prix-nobel-prennent-position-en-faveur-de-ces-biotechnologies

(2) Voir Stéphane Foucart, La fabrique du mensonge, Denoël, 2013

 

Conseils pour se saouler la gueule et boire un café

Paru dans Charlie y a pas longtemps

Mes amis soulographes, c’est la fête. Je me demande parfois combien d’hectolitres de vin rouge j’ai déjà ingurgités dans ma vie. Et je me souviens avec attendrissement du Mogana de ma jeunesse, quand je travaillais comme apprenti-chaudronnier à Montreuil. Le Mogana était un tueur en série qui titrait peut-être 13 degrés, et qui assommait d’un coup sec juste au moment où il fallait écraser son clope et aider le vieux polisseur Socrate – je n’invente rien, il était Macédonien – à passer un comptoir en cuivre rouge au blanc d’Espagne.

C’est la fête, car une étude réalisée par trois savants – Olivier Gerbaud, Magalie Delmas et Jinghui Lim, publiée dans la revue Journal of Wine Economics (1) montre que les vins bios ont bien meilleur goût que ceux enrichis aux pesticides. Les auteurs ont travaillé sur une méta-analyse de 74 148 vins – conventionnels comme bio – produits en Californie entre 1998 et 2009. Au travers de notes de qualité parues dans trois revues à peu près indiscutables, Wine Advocate, Wine Spectator, et The Wine Enthusiast.

Sur une échelle de 50 à 100, les vins bio obtiennent en moyenne une note supérieure de 4 points. Le drame est que la majorité des vignerons californiens bio reproduisent eux-mêmes les préjugés sur leur propre méthode et préfèrent ne pas afficher de label sur leurs étiquettes. Car voilà bien le fond de l’affaire : les soi-disant esthètes du vin vont répétant depuis de longues années que le vin bio est forcément une piquette, et qu’un un bon vieux bordeaux au bromophos vaut mieux qu’un vin élevé en biodynamie.

En France, le vignoble ne représente que moins de 4% de la surface agricole, mais consomme 20% des pesticides. Tout est donc pourave, sauf qu’une évaluation préliminaire portant sur les notes du Gault et Millau indique la même tendance chez nous qu’en Californie. Buvons du vin bio, jusqu’à l’ivresse, car il est bon, et oublions Emmanuel Macron.

D’un autre côté, le café se fait la malle. Ce n’est pas le moment que je raconte la récolte du café au-dessus de Matagalpa, avec mon copain Mogens, quand on se tapait du riz et des frijoles dès 5 heures du matin. Quand le fruit est prêt à être cueilli au bout des longs doigts des branches, c’est une drupe, les amis. Une sorte d’olive rouge qu’il faut caresser comme on le ferait d’une joue, car autrement, on nique la récolte suivante en torturant les rameaux et branchettes. Je m’égare.

Le café. Une étude infernale du Climate Institute australien assure que d’ici 2050 – les vieux s’en foutent, c’est vrai – la production de café pourrait être divisée par deux. À cause de l’augmentation de la température et de l’apparition de nouveaux ravageurs des récoltes, comme les champignons. Notez que c’est déjà la merde partout. La rouille du caféier a foutu au chômage 350 000 paysans d’Amérique centrale en 2012. En Colombie, le même champignon a été découvert dans les montagnes où pousse le café, là où il ne pouvait survivre auparavant. En Afrique, le scolyte des grains de café – un coléoptère vorace – ne cesse de gagner du terrain en Tanzanie, où 2,4 millions de paysans vivent du caoua. Et il est retrouvé sur le Kilimandjaro, 300 mètres plus haut qu’il y a un siècle.

Ce n’est pas fini, car l’étude australienne prévoit même qu’en 2080, il pourrait bien ne plus y avoir de café du tout. Du moins dans ses territoires actuels. Les 120 millions d’humains qui dépendent du café pour vivre n’auront qu’à passer au pop corn. Un conseil d’ami : tenter le Grand Ouest français. On trouve des maisons à bon prix au cap Sizun, près de la pointe du Raz, et c’est un bel endroit pour se saouler. Ceux qui seront encore là dans 60 ans – moi le premier – peuvent espérer y cultiver leur pif et leur café (disons sur les monts d’Arrée). Garanti sur facture.

(1) Does Organic Wine taste better? An Analysis of Experts’ Ratings.