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Sur Laurence Tubiana, l’amie du climat et de la Chine

On apprend donc que le parti socialiste a proposé au poste de premier ministre une certaine Laurence Tubiana, dont je suis les activités proprement industrielles depuis fort longtemps ici. Ci-dessous, un extrait de mon livre Le grand sabotage climatique, que nos bouffons politiques – ils le sont tous – ne liront bien entendu jamais.

L’extrait

[Hollande] sort de sa torpeur – seulement d’un œil – à partir de 2015, car en novembre-décembre de cette année-là doit se tenir la COP21 en France, et il s’agit pour lui et ses équipes qu’elle soit historique. Mais il se contentera pourtant d’enfiler un nombre conséquent de perles, sans jamais aborder les questions concrètes, ce qui est bien plus prudent. Déjà le quatrième ambassadeur ? Ce sera une ambassadrice : Laurence Tubiana prend les rênes en 2014.

C’est une femme de gauche, ancien membre de la Ligue Communiste Révolutionnaire dans les années 70. Elle croise dès 1977 un certain Lionel Jospin, alors professeur dans un IUT, et devient son assistante. Elle deviendra sa conseillère pour le climat vingt ans plus tard quand Jospin sera Premier ministre. Après avoir obtenu un doctorat d’économie, et d’autres diplômes, elle devient enseignante à Sciences Po.

Elle ne quittera plus la question climatique, et sera par exemple en 2009, cheffe-adjointe de la délégation française à la calamiteuse COP de Copenhague. Mais son heure de gloire sera la préparation de la COP21 de Paris, en 2015. Aucun doute sur le sujet : elle a beaucoup travaillé, consulté, tenté de convaincre. À en croire le barnum publicitaire mis en place par le gouvernement français – Hollande-Fabius-Royal -, c’est un triomphe. Le climat est sauvé, car les 193 pays représentés, plus l’Union européenne, sont tombés d’accord pour limiter si possible à 1,5° l’augmentation moyenne de la température par rapport à l’ère pré-industrielle. Au pire, au-dessous de 2°. Labiche et son « Embrassons-nous, Folleville » n’auraient pas fait mieux.

La farce grandiose des Accords de Paris

C’est une farce, et elle est sinistre. Le Fonds mondial des fonds de pension – un comble – en tire aussitôt ce bilan : « l’objectif théorique de réduction des émissions de gaz à effet de serre n’engage en rien les États-membres des Nations unies – tous signataires de l’Accord de Paris sur le climat. Les gros émetteurs de CO2, États-Unis, Chine, Inde, Brésil, Canada et Russie, qui représentent à eux seuls plus de la moitié des émissions, sont censés réduire délibérément, par eux-mêmes, leur pollution carbone sans qu’aucun mécanisme de mesure efficace ne soit mis en place, et sans le moindre incitatif financier contraignant du type taxe carbone. En somme, un accord “juridique” sans obligation, qui pose pour postulat que l’objectif recherché par les signataires sera atteint : ce que les juristes romains appelaient une pétition de principe ».

Les États-Unis ont signé, mais Trump enverra les Accords aux pelotes en 2017. La Chine a signé, mais émet en 2021 le tiers des émissions mondiales. Elles étaient de 18,7% en 2005, et de 26,4% en 2019. Il faudrait diviser nos émissions, partout, et elles augmentent, partout. Nul ne sait exactement ce que sera la trajectoire, mais les scénarios s’accumulent, scientifiques, faut-il le préciser ? D’abord, l’objectif des Accords de Paris s’écrit déjà au passé. En fonction des politiques menées, l’augmentation de la température moyenne du globe atteindra 3° en 2100, ou 5°, ou 7°, ou même pour certains 13°. Une abomination.

Les efforts de madame Tubiana seraient-ils parfaitement inutiles ? Ce n’est évidemment pas ce qu’elle pense, et comme à chaque fois, à l’instar des autres membres de la si petite tribu climatique, elle continuera à penser et à dire que la COP21 a été une réussite. Faut-il insister ? Oui, rapidement. Madame Tubiana situe sa pensée et ses efforts dans un cadre qui interdit toute amélioration. On ne parle jamais, elle ne parle jamais de la prolifération des objets, du commerce mondial, du rôle délétère de la Chine, et l’on va comprendre pourquoi.

Premier arrêt en 2001, au moment de la création de l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI), que madame Tubiana présidera jusqu’en 2014. À cette date, elle conseille le Premier ministre Lionel Jospin, son ami, et l’on ne sait pas ce qu’elle lui aura suggéré au sujet du climat, mais en tout cas, aucune décision se sera prise entre 1997 et 2002. Qui trouve-t-on dans le collège des fondateurs de l’IDDRI, représentée aujourd’hui par madame Claire Tutenuit ? Un machin discret qui n’apparaît que sous le sigle anodin EpE, qui signifie Entreprises pour l’environnement. En font partie des amis déclarés du climat : TotalÉnergies, Solvay, Bayer, BASF, Airbus, Plastic Omnium, Lafarge, des banques bien sûr, qui financent allègrement les projets d’exploration pétrolière. Ah ! EpE est sans surprise correspondante en France du World Business Council for Sustainable Development (WBCSD), le vaste lobby patronal imaginé par Stephan Schmidheiny.

Madame Tubiana conseillère de la dictature chinoise

Et c’est évidemment logique et imparable, comme l’explique très bien madame Tubiana dans un entretien de 2015 avec le magazine Elle : « Il y a quand même une prise de conscience aujourd’hui et l’écologie est devenue un argument politique. Les gros trusts sont entrés dans la boucle. Ce n’est plus seulement une attitude de façade. C’est même devenu une source d’opportunités économiques pour certaines grandes entreprises. Et on n’obtiendra  pas de changement sans discuter avec les grands groupes ».

Plus tard, Madame Tubiana deviendra présidente de l’Agence française de développement (AFD), héritière en ligne directe de décennies de Françafrique. Elle n’est pas responsable ? Elle ne l’est pas. Mais quand on préside un machin pareil, il me semble qu’on engage sa réputation, d’autant que le « développement » vu par l’AFD n’a vraiment rien à voir avec la lutte résolue contre le dérèglement climatique. Enfin, et c’est encore plus grave selon moi, elle est devenue sans le claironner sur les toits une conseillère officielle du gouvernement totalitaire chinois, précisément le China Council for International Cooperation on Environment and Development (CCICED).

J’en ai déjà parlé, car de nombreux hauts-cadres onusiens des négociations climatiques – Inger Andersen, Achim Steiner, Erik Solheim – en font partie aussi. Notons que Marco Lambertini, chef du WWF-International, en est aussi, ainsi que Peter Bakker, qui préside à la suite de Schmidheiny le WBCSD. J’imagine que la place est bonne, et qu’on en oublierait presque que le CCICED est présidé par le vice-premier ministre chinois Han Zheng.

Je n’insiste pas sur l’Apocalypse écologique de la Chine actuelle, déjà présentée dans un autre chapitre. Ses dizaines de milliers – ce sont des chiffres officiels – de cours d’eau asséchés par le « développement » cher au cœur de madame Tubiana. Les villages du cancer. L’avancée du désert aux portes de Pékin pour cause de déforestation cinglée. L’air des villes devenu mortel. Les barrages partout, détruisant des écosystèmes uniques et chassant les habitants par millions. Comme si cela ne suffisait pas, la Chine pille comme jamais les ressources naturelles de continents entiers. Le pétrole, le gaz, les terres d’Afrique. Les forêts extraordinaires du Laos ou du Cambodge. La main-mise sur le grand Mékong, etc, etc, etc. Je ne sais aucun autre exemple de destruction écologique aussi concentrée dans l’histoire des hommes.

Et bien sûr, le climat. Les dirigeants communistes chinois, qui ont d’autres choses dans la tête que faire plaisir à madame Tubiana, ont grossièrement truqué leurs chiffres sur la consommation du charbon. Le New-York Times l’annonce le 4 novembre 2015, quelques jours avant la triomphale COP21 si minutieusement préparée par madame Tubiana. En réalité, cette consommation était supérieure d’environ 17 % à ce qui était annoncé. Pour la seule année 2012, l’arnaque se montait à 600 millions de tonnes oubliées en route. Et les sources du journal sont officielles, car elles proviennent du gouvernement chinois lui-même !

Alors, et ce Rassemblement national ?

Bien sûr, barrer la route à ces crapules. Car ce sont des crapules. Racistes, ridiculement ignorantes, climatosceptiques. Les gens du Rassemblement national sont les maîtres incontestés de la laideur, et n’annoncent que la guerre de tous contre tous. Et la destruction de ce qui reste encore debout. Ils sont pour les pesticides, pour la bagnole et les routes, pour le béton jusque dans le moindre recoin, pour les radios et télés pourries jusqu’à l’os, pour la pire des industries, à la condition toutefois qu’elle se pare de plumes tricolores dans le cul. Ô comme je les vomis !

J’aimerais pouvoir dire un peu de bien du Nouveau Front Populaire, mais je ne peux. D’abord, un point d’histoire. J’ai chez moi une photo de mon père, les pieds dans l’eau de mer, quelque part en France. Il regarde l’objectif, il a l’air aussi heureux que déplacé. C’est juillet 1936. Les prolos viennent de débarquer sur les plages, et après une grève véritable, avec occupation de leurs usines, ils viennent d’obtenir la semaine de quarante heures. Et des congés payés, ce qui explique la photo de mon père.

Il y a de l’indécence à utiliser le même sigle pour parler d’un salmigondis rapprochant, le temps d’une élection, post-staliniens, écolos ma non troppo, socialos façon Hollande, soutiers et soumis de et à Mélenchon. Franchement, pour qui nous prennent-ils ? Ils proposent la poursuite du même, précisément ce qui a conduit au grand désastre en cours. Ce ne serait encore rien – oui, rien – si leur programme n’était à ce point franchouillard. Je l’ai lu. Il montre son indifférence radicale à la marche du monde réel.

Car je ne parle pas ici de l’Ukraine, mais de ces vastes régions de la planète qui deviennent inhabitables. Pour cause de chaleurs démentes. Et ce n’est hélas qu’un début. Or, faut-il le rappeler ici ? Le dérèglement climatique a été provoqué au départ par «notre» révolution industrielle, et constamment aggravé depuis plus deux siècles par notre frénésie, notre insatiable bonheur à consommer les colifichets les plus laids, les plus tristes, les plus imbéciles.

Leur programme ne dit un mot du nucléaire, pour ne pas embêter le PCF – ardent atomiste de toujours – et le PS, qui soutient depuis Mitterrand cette si grande aventure. Vous lirez, ou pas, ce qu’ils écrivent sur l’eau, qui est indigent. Vous lirez, ou pas, ce qu’ils écrivent sur la santé, qui n’est rien. Et sur le climat, qui est au bord extrême de la provocation. Cela fait une quarantaine que l’on sait l’essentiel, et je le sais bien, car j’ai écrit constamment sur le sujet, depuis plus de trente ans. Or la question ne les intéresse pas.

On chercherait en vain la moindre critique de la prolifération démentielle des objets matériels, de la bagnole électrique, des vacances à la neige, de la disparition accélérée des oiseaux communs, des insectes et papillons, des amphibiens. Cela n’existe pas. En revanche, et comme de juste, les compères misent tout sur une augmentation massive du pouvoir d’achat, fatal accélérateur de la crise climatique.

À mes yeux, ces gens ne feront jamais rien de sérieux contre la crise écologique et continueront d’insulter par leurs pantomimes les milliards de gueux de l’Inde et de l’Afrique, du Vietnam et du Brésil, de tous ces coins de la terre où l’on ne sait pas si l’on trouvera sa pitance du jour. Une insulte, comme l’écrivait Prévert, « à ceux qui ont le pain quotidien relativement hebdomadaire ». Quel terrible moment !

Comment assassiner beaucoup d’araignées

C’est difficile à croire, mais les araignées aussi se font la malle. Ce monde n’est plus fait pour elles, ni pour nous. Une liste rouge – scientifique – montre que 170 espèces, sur 1622 recensées en France métropolitaine, sont menacées (1). Plus de 10%. 101 autres n’en sont pas loin. Et pour comble, il n’y a pas assez de données sur toutes. Une bien belle catastrophe.

Des exemples ? La Larinia de Jeskov est en « danger critique », selon le sinistre classement. Elle vit dans des milieux humides, tels certains marais ou les prairies inondées. Mais crotte, on draine tout, on assèche, on détourne de l’eau pour l’irrigation. La dolomède des roseaux a, elle aussi, besoin de zones humides et de marais, de tourbières et de queues d’étang. Sans eau, elle meurt en quelques jours. Et ce n’est pas dans les mégabassines qu’elle trouvera le moyen de survivre. La Coelotes catalane, sublime dondon noire à pattes rouges, habite les anciennes hêtraies de montagne, dans les Pyrénées orientales. Et quand les incendies ne crament pas ces dernières, l’exploitation forestière réduit en sciure le territoire de la coelotes. L’Érèse sandalion n’aime rien tant que les sols sableux, arides et secs. Difficile de louper le mâle, qui balade en avant un gros bide orangé ponctué de points noirs, façon coccinelle. Chez les Anglais, on appelle d’ailleurs l’espèce ladybug spider, c’est-à-dire l’araignée coccinelle. Pour l’érèse, cela sent la fin du monde. À cause des pesticides, de l’urbanisation et du surdéveloppement des parcs photovoltaïques, l’une des dernières trouvailles des partisans de la destruction.

Oui, les causes sont parfaitement identifiées. La fragmentation et la disparition des habitats. La disparition des vieux arbres sous l’action vigoureuse des tronçonneuses, la pollution chimique, le comblement des zones humides, et bien sûr le dérèglement climatique. Entre autres. Est-ce qu’on s’en fout ? Oui, on s’en tape royalement, et pour le prouver sans peine, allons faire un tour chez les exterminateurs. Une courte balade sur le net montre qu’il y a moyen de gagner sa vie en trucidant les araignées. Fantaisiste, la société ASD-Protect (2) présente d’emblée les « insectes nuisibles : les araignées ». Ces professionnels ne semblent pas au courant que l’araignée, qui dispose de huit pattes, n’est pas un insecte, qui lui n’en a que six. L’araignée est un arachnide, tout comme les scorpions, les acariens, les opilions.

Mais passons. Que faut-il faire contre ces bestioles ? Elles « possèdent des glandes qui sécrètent un venin. Le canal extérieur débouche près de l’extrémité du crochet. Le venin permet à l’araignée d’immobiliser sa proie ». Que faire ? Il faut « exterminer les araignées ». Mais seuls les spécialistes savent faire, car « l’araignée peut faire sa toile partout et peut se trouver là où on ne l’attend pas. En règle générale, l’araignée tisse sa toile dans les caves, les garages, les greniers, mais un endroit sombre (…) lui ira très bien ».

Une autre société, Logissain, présentée sur son site (2) comme « leader français depuis 90 ans », commence par un petit coup de flip bienvenu : « Vous avez forcément chez vous une araignée sur un plafond. En majorité, les araignées sont bénéfiques ou inoffensives, et seulement quelques-unes sont dangereuses ». Ça a l’air sérieux, mais c’est du pipeau. Car le texte laisse entendre que des araignées des maisons peuvent être dangereuses. Or c’est totalement faux, et dans le pire des cas – au dehors -, rougeurs et démangeaisons au programme. Pour Logissain, il n’est qu’une solution : l’insecticide OCCI 330 pour les araignées vivant au sol, et l’OCCI insectes duo pour celles du plafond. C’est pratique et surtout toxique.

Ce que ne veulent pas savoir les éradicateurs, c’est que les araignées débarrassent les maisons des acariens – ils piquent, eux – des mouches, moustiques et moucherons. Sans jamais attaquer qui que ce soit. D’ailleurs, leurs crochets ne sont pas assez puissants pour traverser notre peau. Mais qui veut noyer son chien l’accuse d’être une araignée.

(1)Un travail commun de l’UICN, de l’OFB et du Muséum : https://inpn.mnhn.fr/docs/LR_FCE/Liste_rouge_araignees_metropole_2023_fascicule.pdf

(2)https://www.asd-protect.fr/nuisibles/araignees/

(3)https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/les-araignees-ne-piquent-pas-elles-mordent-5788757

Au Venezuela, on achève bien les ONG (et les forêts)

Le Venezuela, son héros bolivarien Nicolás Maduro, et son bel ami, le Grand Insoumis Mélenchon 1er. Quoi de neuf au paradis ? Presque rien. Entre 6 et 7 millions d’exilés – selon les sources -, une inflation de 234% en 2022, en grand progrès par rapport à 2021, où elle approchait des 700%. Les pauvres mendient, leurs filles vendent leur cul, c’est la révolution.

Le régime essaie en ce moment de faire voter une loi sur les ONG. Avec son parlement croupion, cela ne devrait pas être trop compliqué. Une simple formalité. Mais pour les ONG, cela change tout, car le but en est clair : museler, réprimer, encabaner. Toute ONG devra donner la liste de ses membres, de ses mouvements financiers, de ses donateurs. Au risque d’une interdiction définitive en cas d’infraction. Ou pire. Passons sur le détail. Le fond de l’affaire est limpide : Maduro veut mettre au pas ce qui reste de société indépendante de lui (1).

Les ONG de défense de la nature, du droit des peuples autochtones, de la bagarre climatique sont dans le viseur. Le pétrole, qui a connu bien des soubresauts depuis dix ans – les infrastructures sont en ruine -, ne suffit plus aux appétits d’une clique à la dérive. Mais il y a l’or, El Dorado de toujours. Le grand désastre des mines de l’Arco Minero del Orinoco est dénoncé depuis que Maduro, en 2016, en a fait une « Zona de Desarrollo Estratégico Nacional ». Une zone de développement stratégique. L’académie des Sciences physiques, mathématiques et naturelles, la Société vénézuélienne d’écologie, l’Association des archéologues alertent depuis des années, en vain, sur une situation infernale.

Au total, la région concernée couvre 111 843,70 km2, soit le cinquième de la France, même si, pour l’heure, 5% de la surface est directement touchée par l’exploration ou l’exploitation. Le sous-sol est un trésor immense, qui contient de l’or, des diamants, du coltan – essentiel dans l’électronique -, du cuivre, des terres rares utilisées pour les missiles, les écrans, les téléphones portables, les éoliennes, les bagnoles électriques. Certaines estimations des réserves présentes sont folles. Miam.

Où est-ce ? En Amazonie vénézuélienne, au sud de l’Orénoque, haut-lieu de la richesse écologique planétaire. La zone abrite cinq parcs nationaux et des animaux aussi menacés que le tatou géant, l’ours à lunettes, le jaguar, le fourmilier, le caïman de l’Orénoque. Et n’ajoutons pas à cette liste sans fin les oiseaux, les fleurs, les arbres. Maduro s’en fout, qui a confié la « gestion » de l’ensemble à la soldatesque, à cette armée qui reste son seul authentique soutien. Toute la zone est militarisée, en relation étroite – et profitable – avec les restes de groupes armés colombiens refusant d’abandonner les armes (2). Dans une opacité totale, des transnationales sont sur place, et l’on sait que Citigroup, immense groupe bancaire et financier américain – 12ème entreprise mondiale, plus de 200 000 salariés – vendra l’or de l’Arco Minero.

On revient aux ONG ? On y revient. D’abord un salut fraternel à Cristina Burelli, fondatrice de SOS Orinoco (3). Elle dénonce sans relâche ce qu’elle nomme un écocide, décrit le sort terrible réservé aux peuples indiens par les soudards (4), dénonce l’illégalité de mines qui ne respectent pas les lois sur les aires protégées, clame que le saccage s’en prend désormais au Parque Nacional Canaima, inscrit au patrimoine mondiale de l’humanité depuis 1994. Plus de 60 mines seraient en activité, entraînant déforestation, destruction de savanes uniques, contamination des rivières par le mercure destiné à amalgamer l’or.

Le régime orwellien en place à Caracas raconte une tout autre histoire : Arco Minero serait « un modelo de minería responsable ». Et rappelle tout ce que ce pillage doit au grand homme Hugo Chávez Frías, qui dès 2012, « présenta au pays sa vision de faire de l’Arco del Orinoco un grand axe de transformation économique dans les domaines agricole, industriel, minier, pétrolier et de la pêche » (5).
Comment Cristina Burelli pourra-t-elle faire face ?

(1)en français : https://amnistie.ca/participer/2023/venezuela/les-ong-du-venezuela-sont-en-danger

(2)Dissidents des FARC et de l’ELN

(3)en espagnol : https://sosorinoco.org/es/quienes-somos/

(4)en français : https://www.gitpa.org/web/VENEZUELA%20en%202021.pdf

(5)http://www.desarrollominero.gob.ve/zona-de-desarrollo-estrategico-nacional-arco-minero-del-orinoco/

André Picot, preux chevalier d’une science humaine

Je connaissais un peu André Picot, grand monsieur de la science humaine. Une science qui n’oublie pas ses liens avec la société et ses besoins. Je connaissais assez André pour le pleurer, car il vient de mourir d’un infarctus, à l’âge de 85 ans.

Je ne sais plus quand je l’ai rencontré. Il y a vingt ans ? Sans doute plus. Il gravitait dans les mêmes cercles vaillants que mon si cher Henri Pézerat. Comme lui, il avait mis son immense savoir – de chimiste, en l’occurrence – au service des éternels sacrifiés de la Bête qui nous dévore tous. Il était sur tous les fronts, ne négligeait aucune bataille, jusqu’aux plus petites. Il ne refusait jamais. Et son sourire éternel paraissait d’une autre planète.

Je laisse ci-dessous la parole à ma grande amie Annie-Thébaud-Mony, qui l’a si constamment fréquenté. Annie est directrice de recherches honoraire de l’INSERM, et se bat chaque jour, comme le firent André Picot et Henri Pézerat, qui était son compagnon, contre les crimes industriels. Si nombreux. In memoriam.

La lettre d’Annie

André,
Ce 18 janvier 2023, tu as quitté ceux que tu aimais, ta famille, tes amis, l’Association Toxicologie – Chimie, nous tous qui nous appuyions sur toi. Je veux dire combien ont compté pour moi, ton accueil chaleureux, ton sourire et ton ouverture, ton immense connaissance des risques industriels qui ne cessent d’accroître ce que j’appelle la « chimisation toxique » du travail et de l’environnement.
Pour moi, André, tu es et resteras l’ami, le frère d’Henri, Henri Pézerat, mon compagnon. A vous deux, vous vous partagiez les champs de la toxico-chimie, organique pour toi, inorganique pour Henri.
Je t’ai connu un jour d’hiver 1985, quand Henri t’avait invité au Collectif Risques et Maladies Professionnels, sur le campus de Jussieu, dans les pré-fabriqués (sans doute amiantés) où les syndicats avaient leurs locaux, un lieu improbable d’où était partie la lutte contre l’amiante des années 1970. Le Collectif y avait son local, encombré des
archives, comme autant de traces des mobilisations engagées pour la prévention des risques professionnels, contre l’impunité des industriels et du patronat, contre l’inertie des pouvoirs publics et des institutions.
Tu as, dès cette époque, été présent à mon histoire, par ton partage continu avec Henri, dans vos échanges, souvent téléphoniques, sur ce qui étaient au coeur de notre travail scientifique et de nos préoccupations : comment partager le savoir accumulé et en faire un outil pour contribuer à l’élimination des substances toxiques du travail et de l’environnement, pour contribuer à la réduction des inégalités face aux dangers ?

Scientifiques non alignés l’un et l’autre, malmenés par les institutions, vous avez su, toi et Henri, partager cet immense savoir qui était le vôtre, pour aider des citoyens, un syndicat, une association, des militants, à résister à la mise en danger. Puis, vous avez, toi, Henri et quelques autres, fondé l’association Toxicologie – chimie (ATC) et ceux qui reprennent aujourd’hui le flambeau sauront mieux que moi dire ce qu’elle est et tout ce qu’elle te doit (https://www.atctoxicologie.fr/).
C’est grâce à ce partage entre Henri et toi que j’ai été amenée à te solliciter de plus en plus souvent dans mon propre travail scientifique, sur les cancers professionnels en particulier. En 2009, Henri nous as quittés et je me souviendrai toujours de tes mots en hommage à ce que vous aviez partagé (https://www.asso-henripezerat.
org/henri-pezerat/hommages/andre-picot-et-lassociation-toxicologie-chimie/
)

Dans cette période, ensemble, nous avons poursuivi le travail que vous aviez commencé, toi et Henri, pour soutenir le combat de Paul François contre Monsanto dans le procès qu’il a gagné contre la firme. Je me souviens de ton appel au soir d’une expertise médicale où tu avais accompagné Paul. Tu étais atterré de l’ignorance et de l’inhumanité du médecin-expert auquel Paul avait été confronté.
Au fil des années, j’ai pu alors continuer à faire appel à toi non pas seulement dans le travail scientifique, mais aussi dans le développement des luttes portées par l’association qui porte le nom d’Henri. Son but ? Le soutien aux luttes pour la santé en rapport avec le travail et l’environnement. Combien de fois t’ai-je appelé, à mon tour, pour que tu me fasses partager ton expérience et tes connaissances, depuis la dioxine ou les hydrocarbures jusqu’aux multiples pollutions chimiques et radioactives qui empoisonnent la vie. Je pense aux désastres industriels tels Lubrizol ou la contamination au plomb lors de l’incendie de Notre-Dame de Paris. Mais aussi «l’après-mine », que je ne peux évoquer sans penser à toi : Salsigne, Saint Felix-de-Pallières, la mine de Salau en Ariège…
C’est d’ailleurs la lutte contre les pollutions monstrueuses laissées par les exploitants miniers, avec la complicité de l’Etat, qui a été l’occasion de notre dernière rencontre, grâce à l’association SysText (https://www.systext.org/). En septembre 2022, celle-ci a organisé un « forum citoyen sur l’après-mine ». Nous avons été heureux de cette
occasion de nous revoir et d’échanger autrement qu’au téléphone. Tu étais présent à tous et chacun.e, même si tu ressentais douloureusement la mort brutale de Bruno Van Peteghem, qui a tant fait à tes côtés dans l’activité et le rayonnement de l’ATC.
J’ai su que tu t’en étais allé par ton fils qui as décroché le téléphone lorsque je t’ai appelé hier. Nouée par l’émotion, je n’ai pas su lui dire combien tu avais compté pour moi, pour nous, depuis des décennies. Mais je ne le remercierai jamais assez de ne pas avoir laissé mon appel sans réponse. Tu répondais toujours…
Vendredi, étant à l’étranger, je ne pourrai pas venir pour la célébration de tes obsèques à Chevreuse. Mais ce message sera mon moyen de partager avec tous les tiens ce moment d’adieu. Je voudrais leur dire combien je partage leur peine, combien tu nous manques et nous manqueras dans les combats qui étaient les tiens, qui sont les nôtres. Adieu, André, et merci pour ces décennies d’échange fraternel et de savoir partagé.
Annie Thébaud-Mony, 22 janvier 2023