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Un livre très spécial

Amis et lecteurs de Planète sans visa, je ne donne pas si souvent de mes nouvelles. Au temps jadis, je crois bien que j’écrivais ici un article chaque jour, et ce rendez-vous attirait des milliers de visiteurs. Vous qui venez ici, vous êtes les durs à cuire de ce rendez-vous devenu irrégulier.

Je prends la plume électronique, ce lundi 28 août 2023, pour une raison qui me paraît impérieuse. Vers le 20 septembre, je publie en effet un livre aux éditions LLL, dont vous trouverez la couverture plus bas. Le grand sabotage climatique n’a rien d’un livre ordinaire. Je n’entends pas faire ici la vulgaire promotion de sa forme – en ce domaine, chacun est juge -, mais de son contenu explosif.

Explosif ? On a bien dû vous faire le coup cent fois. Mais à la vérité, c’est le mot qui convient. De quoi s’agit-il ? J’ai tenté de comprendre pourquoi la mobilisation contre le dérèglement climatique avait si lamentablement échoué. Car elle a échoué, vous en êtes d’accord ? On sait depuis des décennies qu’un phénomène inouï est en route, et rien n’aura été fait. Rien ? Rien. Si cela ne vous paraît pas stupéfiant, cessez donc de me lire ici.

Pourquoi, oui pourquoi tant de sommets de la terre, de réunions et tribunes, de COP 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27 ? J’ai cherché, et croyez-le ou non, j’ai trouvé la preuve que rien ne serait tenté, car rien ne pourrait l’être. Il ne s’agit nullement d’un complot – certains existent, la plupart sont imaginaires – mais d’un vaste simulacre. On a fait semblant, on aura fait semblant. Et on continue.

Je ne peux évidemment tout vous raconter, mais sachez, et croyez-moi, que tous les premiers rôles, dans les si mal nommées « négociations » climatiques, ont été tenus par des personnages qui avaient partie liée, intimement, avec l’industrie transnationale, dont on sait le rôle si délétère dans l’aggravation de la situation. Deux exemples ? Deux, mais il en est quantité d’autres. Le Canadien Maurice Strong, organisateur des sommets de la terre de Stockholm (1972) et Rio (1992), fondateur et premier directeur du Programme des nations unies pour l’environnement (PNUE), ordonnateur de la conférence de Kyoto en 1997, sous-secrétaire général de l’ONU, a mené pendant toutes ces années une carrière industrielle.

Et quelle carrière ! Sans vraiment se cacher, il a en même temps créé et dirigé des sociétés pétrolières au Canada ou aux États-Unis. Certes, pas des majors comme BP ou Exxon, mais tout de même de très profitables entreprises. Son adjoint à Rio, en 1992 ? Le Suisse Stephan Schmidheiny. Ce dernier a dirigé dans les années 70 l’entreprise Éternit, dont les usines italiennes ont tué plus de 3000 prolos. Par l’amiante, car c’était là le fonds de commerce d’Éternit. Le tribunal de Turin a finalement condamné Schmidheiny à 18 années de prison, peine criminelle s’il en est. Vous avez bien lu : 18 ans. Il n’a jamais osé mettre un pied en Italie, et ses avocats sont parvenus à convaincre la cour de cassation qu’il y avait prescription. Il n’empêche. 18 ans. Et Rio.

Mon livre démontre par des faits irrécusables que le système formé par l’ONU, les transnationales, les gouvernements, est corrompu de mille manières. Mais je n’oublie pas notre moindre part de responsabilité dans l’essor délirant du commerce mondialisé et l’achat compulsif de tant d’objets inutiles, qui rendent les solutions de moins en moins évidentes.

Ce que j’attends de vous ? De l’aide. Non pour moi – on a le droit de ne pas me croire -, mais pour aider à diffuser des informations que je crois fondamentales. Nous ne pourrons commencer à avancer qu’après avoir compris ce qui s’était passé. Cela demandera des efforts qui me paraissent pour le moment hors de portée, mais vous vous doutez à quel point c’est essentiel.

Lecteurs, amis de Planète sans visa, je vous demande un coup de main personnel. Et je ne m’y autoriserai pas si ce livre n’apportait pas des révélations sur un domaine opaque où nous avons tous le devoir de pénétrer. Faites connaître ces quelques mots, que vous lisiez ou non mon livre lorsqu’il sortira. Oui, diffusez ce qui est un appel à la conscience de chacun d’entre vous. Solennel ? Oui, solennel.

J’ai tant aimé Pierre Rabhi

Ce petit mot est à propos d’un livre d’entretiens croisés entre Pierre Rabhi, Bernard Chevilliat et moi-même, paru aux éditions Le Passeur avant les fêtes. Je n’étais pas en état de vous en parler avant, et maintenant que je peux, je cale. Heureusement, comme vous verrez, il y a Jacques Faule.

En introduction, je souhaite vous dire le sentiment fraternel qui m’unissait à Rabhi. Il m’appelait d’ailleurs « petit frère ». Il sentait, il savait que nous étions liés, dans cette famille branlante qui réunit tous ceux qui rêvent vraiment – oui, on y trouve beaucoup de fausse monnaie -, d’un autre monde.

Quand l’ai-je rencontré ? Je ne sais vraiment plus. Il y a entre vingt-cinq et trente ans. Il n’était pas l’homme connu qu’il deviendrait. Il était très petit, brun de peau, ses yeux brillaient d’une véritable lumière. Je crois pouvoir dire que nous nous sommes reconnus. Je l’ai d’emblée soutenu dans les milieux de gauche qui étaient encore – de moins en moins – les miens, y compris dans le journal Politis, où j’ai travaillé, où l’on n’aimait guère, sans évidemment le comprendre, un tel personnage.

Au fil de ces années, j’ai eu la sottise d’espacer nos rendez-vous. J’aurais pu faire mieux. J’aurais dû, c’est ainsi. Mais je l’ai toujours aimé, et défendu lorsque des dégueulasses s’attaquaient bassement à lui dans l’un des pauvres grands journaux d’une gauche moralement morte. Et puis un jour, Bernard Chevilliat m’a proposé un livre d’entretiens croisés entre Pierre, lui et moi. Je ne savais qu’une chose de Bernard : qu’il dirigeait le « Fonds de dotation » Pierre Rabhi, et qu’il accompagnait ce dernier dans des voyages initiatiques sur fond d’agroécologie. Au Niger, au Maroc, en Mauritanie.

J’ai découvert un homme exquis, érudit, accueillant. Il vivait en Ardèche, avec son épouse Nüriel, très beau personnage de film, qui y soignait des chevaux. Je n’ai pas tardé à dire oui. Et à l’automne 2021, je suis allé chez Pierre en sa compagnie, pour y échanger nos points de vue sur la marche désastreuse du monde. Je précise, mais le faut-il réellement ? que j’ai toujours eu de solides désaccords avec Pierre. Comme il arrive si souvent et que l’on s’aime pourtant. Inutile ici d’en parler davantage.

Je ne peux présenter moi-même ce livre, car j’en suis le co-auteur. Je n’ai pas la distance nécessaire. Et je ne sais pas ce que j’aurais fait sans la providentielle intervention de Jacques Faule. Je ne connais cet homme que par ses lettres adressées à Planète sans visa. Elles sont louangeuses, mais cela n’aurait pas suffi. Cet homme-là sait ce qu’écrire veut dire, j’en ai eu la preuve. Ce serait mensonge d’affirmer que je n’aime pas les compliments, mais les aurais-je cherchés dans ma vie ? Je ne crois pas. En tout cas, voici les mots qu’a utilisés Jacques Paule il y a quelques jours, et après tout, si vous lisez ce livre, vous vous formerez votre propre avis, peut-être fort différent. Vous ai-je souhaité une belle année 2023 ? Je ne le crois pas. Or ce rite a un sens : espérer. Esperar comme on dit en castillan, c’est-à-dire attendre et espérer. Attendre quelque chose, espérer qu’elle se produira. À bientôt.


Le texte de Jacques Faule

Oui cher Fabrice Nicolino, nous sommes nombreux à nous réjouir de votre retour. Mais nous ne vous avions pas perdu de vue grâce à votre passionnant livre à trois voix paru chez « Le Passeur Editeur » en novembre dernier. Mon voeu ce 6 janvier 2023 est que « Vivant », sous-titré « Entretiens à contre-temps », par Pierre Rabhi, Fabrice Nicolino et Bernard Chevilliat, connaisse le plus grand succès : vous y trouverez l’histoire, la grande et la petite, les portraits de héros familiaux, les événements personnels et publics, la géographie, la réflexion, tant d’autres choses tendres et virulentes, une discussion fraternelle menée sur un ton vif à la Jules Vallès.

On y apprend même page 33 la signification du mot « barkane » qu’une opération militaire a rendu célèbre : « …la barkane (autrement dit la dune en forme de croissant) ». A tous paix, force et joie (comme disait Lanza). Do pobachennya (à bientôt en ukrainien).

Jean-François Kahn, hélas

Je suis en train de finir le tome 2 des souvenirs d’un certain Jean-François Kahn. Titre : Mémoires d’outre-vies (Malgré tout, on l’a fait, on l’a dit). Il est publié aux éditions de l’Observatoire et coûte 24 euros pour environ 600 pages. Il couvre la période qui va de 1983 au quinquennat Sarkozy – 2007-2012. Je n’ai pas, pas encore en tout cas, lu le tome 1. Il y aura certainement un tome 3.

[Je rappelle que Planète sans visa a été créé par moi, Fabrice Nicolino, à l’été 2007, et qu’il offre environ 1500 articles en accès libre, écrits spécifiquement pour ce lieu. Deux centaines peut-être ont été publiés ailleurs. La quasi-totalité sont consacrés à l’infernale crise écologique dans laquelle nous sommes, et ce papier, malgré les apparences, ne fait pas exception. Mais pour s’en rendre compte, il faudra aller jusqu’au bout de la lecture. Ou se rendre sans plus attendre dans les derniers paragraphes. Il fait chaud, ou j’exagère ?]

Qui est Kahn ? Ce qu’on doit appeler un grand journaliste. Né en 1938, il a travaillé pour les titres les plus prestigieux, du Monde à L’Express première manière, a déterré de grosses affaires, comme l’assassinat à Paris de l’opposant Medhi Ben Barka. Il a ensuite écumé les radios et télés, à commencer par Europe 1, tout en écrivant une flopée de livres, que je dois reconnaître ne pas avoir lus. Ajoutons un point important : il a créé en 1984 l’hebdo L’Événement du jeudi, puis en 1997 Marianne. Dans les deux cas, comme il l’avait annoncé – c’est assez rare pour être souligné -, il a quitté la direction de ces titres au bout de dix années.

Bon, et alors ? Alors, j’ai lu. Je dois dire avoir admiré celui qui a lancé contre le monde entier, sous les sarcasmes des confrères, sans un rond, un grand hebdomadaire, L’Événement du jeudi. En imposant un prix qui à l’époque semblait délirant : 20 francs, quand ses concurrents directs comme l’Express ou le Nouvel Obs se vendaient entre 10 et 12 francs. Moi-même en ce temps, répétant bêtement ce que tout le monde disait, je n’y ai pas cru une seconde. J’avais donc tort. Le journal ne m’a pas intéressé, qui tentait un dépassement de la droite et de la gauche par un centre « révolutionnaire » qui aurait eu de l’énergie, et défendu envers et contre tout et tous ce qui lui paraîtrait bon pour le pays. Pas pour ses élites médiatiques et politiques.

Ce récit, très intéressant, est tout à l’honneur de Kahn. Cela donne une vision assez complète, me semble-t-il, des baronnies incestueuses et autres petits marquisats qui règnent sur la politique, la presse, l’édition. Kahn, qui ne mange pas de ce pain-là, est donc courageux. Jusqu’à un certain point. Bien souvent, il ne cite pas de noms, mais oriente. Bon, d’accord, soit. Pour le reste, ma déception est grande.

Visiblement, il ne se rend pas compte qu’il aura fait partie du système dénoncé. Certes, en ses marges, mais néanmoins. Pour une raison évidente : il a accepté le cadre de cette grande misère médiatico-politique. On ne regarde qu’une facette d’une réalité mouvante et complexe, avant de décréter que le réel est là, et qu’il n’y en a qu’un. Kahn regarde par le tout petit bout de la lorgnette, et ayant critiqué la qualité de l’optique, prétend lui y voir plus clair. Mais la lunette est centrée sur de dérisoires embrouilles entre Mitterrand et Rocard, Balladur- Pasqua-Sarkozy et Chirac, etc. Son drame, c’est qu’il veut avoir raison de ceux qu’il aligne, pas changer l’angle de vision.

D’un bout à l’autre, et c’est triste – je jure que je suis sincère -, Kahn se montre un fervent franchouillard. Le monde n’existe, fugitivement, que dans le reflet d’une France qu’il aime. Et quand il se hasarde ailleurs, madonna, c’est la cata. Ainsi de l’horrible guerre civile qui a tué au moins 150 000 Algériens après 1991. Je rappelle que l’armée a empêché là-bas la tenue d’un second tour de législatives qui aurait sûrement donné le pouvoir au Front islamique du salut (FIS). Après avoir tant hésité, je me résolus à accepter cette irruption militaire sur la terre sacrée de la démocratie. On ne saura jamais ce qui se serait passé, mais l’on voit ce qu’il est advenu de l’Iran de Khomeini – quarante ans d’une sinistre dictature – et d’autres expériences sous toutes les latitudes. Confier le pouvoir à une structure totalitaire pose des problèmes très particuliers.

En tout cas, s’ensuivirent des années d’horreur, après le putsch de janvier 1992, avec la création du Groupe islamique armé (GIA). Kahn s’en prend à un supposé laxisme d’une bonne part des élites, surtout à gauche, qui auraient exonéré le GIA, contre l’évidence, de tant de massacres. Et c’est là qu’il dévore lui-même son image d’extralucide, incapable qu’il est de penser l’extrême complexité de cette situation. À l’époque, une question terrible s’est imposée, en Algérie d’abord : « Qui tue qui ? ». L’armée algérienne, aux mains d’une mafia, était accusée de manipuler le GIA, qu’elle aurait peut-être créé, et d’organiser en sous-main de nombreux massacres, de manière à détourner le peuple algérien des islamistes. Et de se rendre indispensable aux yeux de la France, de l’Europe, des États-Unis.

Je cède à mon péché habituel : la longueur. Je laisse donc tomber, ajoutant que j’ai beaucoup travaillé sur le sujet, et que j’ai par exemple longtemps rencontré Habib Souaïdia, capitaine déserteur de l’armée algérienne, et Nesroulah Yous, témoin direct du grand massacre de Bentalha. Kahn, qui n’y connaît visiblement rien, juge pourtant, aussi péremptoirement que ceux qu’il critique. Ma foi, c’est comme cela. Je sais pertinemment – je fus massacré pour le savoir – qu’il existe des islamistes fous. À profusion. Mais la guerre d’après 1991 a des zones d’ombre terrifiantes, et pour ma part, je crois que les militaires ont largement utilisé à leur profit les supposés fous d’Allah. On n’a encore jamais vu une guérilla, fût-elle islamiste, massacrer jusqu’à 150 000 personnes qui formaient pourtant sa seule base sociale. Je renvoie Kahn, qui ne se repentira jamais de ses billevesées, aux procès qui ont eu lieu à Paris, où des faits, qu’il ignorera toujours, ont pourtant été versés à ce si lourd dossier.

Et venons-en à l’essentiel. Je sais, c’est gonflé. Parler de l’essentiel après un si long article, ce n’est pas très glorieux. Mais j’ai l’habitude de moi-même, et je me tolère, bien obligé. La folie complète, chez Kahn, c’est qu’il ne consacre pas une ligne à l’événement le plus grand – de très, très loin – de l’histoire humaine. La crise de la vie, désignée par les biologistes comme celle de la sixième extinction – des espèces – n’existe pas. Ni le dérèglement climatique. Ni, un cran au-dessous, la dégradation évidente de la santé publique, pour cause – très probable – d’empoisonnement universel par les millions de molécules distinctes de la chimie de synthèse.

C’est drôle et sinistre. Kahn pense avoir la dent dure contre une caste médiatique qui traque la moindre dissidence, à commencer par la sienne. Et ne se rend pas compte, le malheureux, qu’il aura passé sa vie à ne pas considérer ce qui crevait pourtant les yeux. Comme dans La Lettre volée, de Poe, qu’on ne trouve pas pour la raison qu’elle est en boule, salie, sur un coin de bureau, comme si l’on s’apprêtait à la mettre à la poubelle. Kahn, l’histoire d’une vie aveugle.

Baignade(s) au milieu des pesticides

Publié en mai 2021

Tout le monde s’en contrefout. (Presque) tout le monde. À peine si des travaux isolés, sans envergure et sans allant ont été menés sur la présence des pesticides dans l’eau de mer (1). On sait ainsi que des cocktails de pesticides peuvent s’attaquer à des espèces de plancton marin, jusqu’à modifier des équilibres écosystémiques fragiles. On a appris également qu’en mer Baltique, en mer de Norvège, en mer du Nord, on pouvait retrouver des traces dans l’eau de médicaments, de pesticides, d’additifs alimentaires.

On ne savait pas, jusqu’ici, que la France est touchée de même, et que la situation y est grave. Sans pour autant souffler dans le clairon, l’institut français IFREMER vient de rendre publics des résultats qu’on qualifiera de flippants (2). 10 lagunes françaises de Méditerranée ont été explorées. Ce qu’est une lagune ? Un étang, une pièce d’eau séparée de la mer par un cordon sableux ou rocheux, où se mêlent à des concentrations variables eau salée et eau douce.

Sur les dix, au moins un est connu de toute la France : l’étang de Thau est en effet un haut-lieu de production d’huiles et de moules – 600 établissements, 12 000 tonnes d’huîtres par an – qui emploie environ 2000 personnes. Pas touche au grisbi ! On comprend dans ces conditions la prudence de Sioux de l’IFREMER, qui prend soin de dire et répéter que Thau est l’un des moins pollués aux pesticides des dix étudiés. Et pourtant ! On peut lire par exemple : « Le risque chronique lié à la présence de pesticides y est néanmoins jugé fort », ou encore – à propos des pesticides irgarol et métolachlor – que des études « rapportent des effets d’embryotoxicité chez les larves d’huîtres à des concentrations chroniques proches de celles retrouvées dans notre étude ». Traduction : les larves d’huîtres dégustent. Mais pas nous, bien sûr.

Cela ne serait rien encore si ce n’était un sinistre commencement. L’étude IFREMER note ainsi : « Sur les 72 pesticides recherchés, 49 substances différentes ont été quantifiées au moins une fois au cours de l’étude (dont 6 substances prioritaires sur les 9 recherchées). Parmi celles-ci,on retrouve en moyenne 29 substances différentes simultanément lors de chaque prélèvement ». Bien que ce jargon rebute, retenons que l’on trouve beaucoup des pesticides recherchés.

Mais c’est le détail qui fait le plus mal, car l’étude constate « un risque jugé “fort” pour la santé des écosystèmes de 8 lagunes sur 10 », car « entre 15 et 39 pesticides [ont été] retrouvés dans chaque lagune ». Pas si grave ? Si. Car « le cumul des pesticides constitue une problématique à part entière ». Même si l’on réussissait à réduire la présence de chaque substance, « l’effet du cumul des pesticides entraînerait encore un risque chronique pour 84 % des prélèvements réalisés dans le cadre de cette étude ». Commentaire désabusé de la chercheuse Karine Bonacina, qui a participé au travail : « Avant cette étude, l’état chimique de ces lagunes était considéré comme “bon” ».

Bien entendu, nulle autorité n’a le moindre intérêt à considérer de tels résultats. Ni les préfets, ni le ministère de l’Écologie, ni même et peut-être surtout les conchyliculteurs, qui ont tant à perdre à reconnaître l’étendue de la contamination des huîtres et des moules. Question : dans une France qui se jette à corps perdu dans la consommation de produits bio, est-il durablement possible que l’on continue à boulotter des fruits de mer farcis au métalochlore ou au glyphosate ?

Annexe mais redoutable : dans quelle tambouille chimique se baignent les gentils estivants de juillet et d’août ? Fait-on des analyses chimiques des eaux de baignade, notamment au débouché de nos grands fleuves, surchargés de chimie de synthèse et de cocktails médicamenteux ? Le fait-on à Trouville, qu’arrose si gentiment la Seine, après avoir drainé tant de régions agro-industrielles ? Le fait-on à la Baule, où la Loire dépose sans jamais s’arrêter ce qu’elle trimballe au long de son cours ? Euh, non. Combien de pesticides en bouche quand bébé boit la tasse ?

(1) Il faut citer le décevant Planction marin et pesticides : quels liens ? De Geneviève Azul et Françoise Quiniou (éditions Quae). Et quelques notations issues du programme européen Jericonext/

(2) https://wwz.ifremer.fr/Espace-Presse/Communiques-de-presse/Pesticides-dans-les-lagunes-de-Mediterranee-un-nouvel-indicateur-permet-de-mieux-evaluer-le-risque-ecologique

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Jean Lassalle dans le rôle du pyromane

C’est sûr, le niveau est très relevé, mais enfin, Lassalle est bien placé. Dans le concours de la phrase la plus conne de l’année, et même de la décennie. Précisons pour commencer qui est Lassalle. Grand zozo devant l’Éternel, maire de Lourdos, dans la vallée d’Aspe, pendant vingt ans, député depuis 2002, candidat à la présidentielle, Jean Lassalle est aussi un pote historique de François Bayrou. Sa spécialité : la plainte. Les Pyrénées sont menacées par les élites parisiennes, qui préfèrent l’ours au berger, et le glorieux Béarn fera face comme il le fait depuis au moins Henri IV.

Comment ? C’est là que ça devient drôle. Au Pays basque – il fait partie comme le Béarn des Pyrénées-Atlantiques – le feu court les crêtes, et il est volontaire. Personne n’est pressé de faire les comptes, mais les attentifs locaux savent que la montagne basque est en grand danger. Genofa Cuisset, présidente de l’association Su Aski (suaski.wordpress.com)- « halte aux feux – n’est pas seulement en colère, elle en pleure : « Je reviens d’un pèlerinage en montagne. C’est abominable, j’ai vu un arbre de 20 mètres calciné, et la terre à nu, à cause de ces fameux écobuages ».

Technique contrôlée, et limitée en surface pendant des siècles , l’écobuage consiste à brûler un terrain jusqu’à ses souches pour laisser place à des cultures ou des pâturages. Mais les paysans et bergers sont rares tandis que se déchaînent des chasseurs de primes – la PAC européenne – qui reçoivent du fric pour « nettoyer » les pentes au lance-flammes. Lassalle les soutient d’une manière qui serait effarante si elle n’était surtout délirante : selon lui, sans les écobuages, « ça en serait fini du pastoralisme, mais aussi d’une certaine idée d’un tourisme qui va être de plus en plus amené à se développer à travers nos montagnes. Il faut qu’elles restent verdoyantes, au lieu d’être des ronces, des futaies ou même des forêts (1)».

En somme, notre grandiose entend sacrifier la forêt en la cramant. Pour faire venir des Parisiens par ailleurs honnis. Lassalle, champion du monde.

(1) francebleu.fr/infos/agriculture-peche/incendies-au-pays-basque-les-ecobuages-legitimes-malgre-la-polemique-1614373146

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Le désert espagnol à nos portes

Un livre inattendu (Les Quichottes, par Paco Cerdà, éditions La Contre Allée, 20 euros). Un journaliste espagnol décide de visiter une région immense, moins peuplée au km2 que la Laponie des Samis. Mais nous sommes 4000 km plus au sud, dans une Espagne que nul ne connaît. Cette Serranía Celtibérica court sur 65000 km2, 1355 communes, 10 provinces et ne compte en moyenne que 7,34 habitants au km2. En moyenne, car très souvent, on peut avoir du mal à dépasser deux, ou même un. Grossièrement entre Madrid, Valence et Saragosse, le travail est parti, et les hommes aussi.

Dans une sorte de road movie, Cerdà nous emmène là où plus personne ne va. Là où, comme à Guadalajara ou Teruel, la République s’est battue jadis contre Franco. Ici, José Luis, qui quitte tout après des années de chômage, et devient gardien d’un village fantôme pour 400 euros par mois. Là, le magnifique Marcos – 72 ans – qui a quitté la ville pour un village qui n’a jamais connu l’électricité, remuant ciel et terre pour faire revenir au moins un service public essentiel. Les personnages sont beaux et suffiraient à recommander le livre. Mais au-delà, il plonge dans des abîmes de réflexion. Jusqu’où se féliciter du recul de l’homme et du retour de la nature ? Faut-il vraiment aider ces quelques valeureux qui s’acharnent contre l’évidence d’un désert qui avance ?

On ne peut manquer davantage de penser à cette France qui disparaît, elle aussi. Combien d’habitants en Creuse, en Lozère, dans l’Aveyron, en Haute-Loire, dans la Loire profonde ?

Algues vertes et grands journalistes

Il est grand temps de parler d’Inès Léraud, que je connais assez pour dire qu’elle est formidable, est journaliste. Installée en Bretagne pendant des années, elle a publié une BD qui (a) fait fureur,  Algues vertes (l’histoire interdite), parue aux éditions Delcourt. Avec le dessinateur Pierre van Hove, qui donne au texte une force supplémentaire.

Bien entendu, c’est le récit de cinquante ans de mensonges d’État, dont tous les représentants ont nié l’évidence : l’élevage industriel et concentrationnaire est le responsable de ces amas d’algues côtières qui, en se décomposant sur le rivage, polluent, menacent et tuent.

Inès est désormais tricarde en Bretagne, où l’agriculture intensive et l’industrie alimentaire liée sont la loi. Mais elles ne sont pas seules. Que feraient-elles sans le soutien des grands médias régionaux ? L’exemple du Télégramme illustre à la perfection la porosité extrême entre intérêts économiques, médiatiques, politiques. Ce quotidien, basé à Morlaix, est une institution dirigée par Hubert Coudurier, et c’est justement de lui que l’on va donner des nouvelles.

Un petit montage filmé, sur YouTube, permet de comprendre bien des choses qu’on ne lira jamais sur le journal (2). Le 11 juin, Coudurier invite Thierry Burlot sur la chaîne du Télégramme, Tébeo. Qui est Burlot ? Le vice-président de la région Bretagne, ancien socialo devenu proche de Le Drian, ministre de Macron. Il est en charge des questions d’environnement et préside même l’Office français de la biodiversité.

Que vont pouvoir se dire ces puissants ? Coudurier attaque bille en tête : « Vous n’avez pas le sentiment que les questions d’environnement sont devenues taboues, qu’on ne peut plus rien dire ? ». C’est un poil obscur, mais Coudurier précise en citant la BD d’Inès, présentée comme « très polémique », avec « des relents complotistes ». Et pour finir, se moque ouvertement de celle qui, selon lui, présenterait les « dîners celtiques » comme autant de rendez-vous de « groupes de pression », alors qu’il ne s’agirait que de « dîners amicaux ».

Avant de poursuivre, que sont donc ces repas d’amis, sur le modèle de ceux du Siècle à Paris ? Eh bien, les Bretons « qui comptent », en toute innocence bien sûr, se retrouvent depuis 2007 pour ripailler. Le premier dîner a eu lieu chez Vincent Bolloré, Breton sémillant qu’on ne présente plus. Et les autres – cinq fois par an – ont lieu souvent chez Fauchon, à Paris, haut-lieu de la misère sociale. Sont présents des patrons, des politiques – François de Rugy a son rond de serviette, Le Drian en est -, des journalistes en vue, dont Coudurier, des « syndicalistes » de la FNSEA.

Que répond Burlot ? Au premier abord, ce garçon est désopilant. Moins à la réflexion, car il affirme que les algues vertes sont, pour les écologistes, du « pain bénit ». Il ne faudrait pas pousser ce fantaisiste pour énoncer qu’ils en sont les vrais responsables. On verra comment le même se ridiculise en niant l’existence de pressions du lobby agro-industriel, puis se ravisant le lendemain, reconnaîtra qu’elles existent, mais qu’évidemment, en chevalier blanc de l’intérêt public, il n’y a pas cédé.

Difficile de comprendre, dans ces conditions, pourquoi le collectif de journalistes Kelaouiñ (kelaouin@protonmail.com) a réuni la signature de 500 journalistes, dont plus de 200 en Bretagne, à l’appui d’un texte adressé à Loïg Chesnais-Girard, président de la région (3). On y lit : « La lettre que vous avez sous les yeux est l’expression spontanée et déterminée de journalistes qui s’organisent pour faire la lumière sur toutes les zones d’ombre qui entourent l’agro-industrie bretonne, et contourner les murs qui barrent l’information des citoyens. Cette initiative a reçu le soutien enthousiaste de confrères et consœurs, de Bretagne et d’ailleurs, qui y ont apposé leur signature. D’autres n’ont pu le faire, craignant pour leur emploi. Une autocensure qui témoigne d’une loi du silence que nous ne pouvons plus tolérer ».

Est-ce assez clair, confrère Coudurier ?

(2) youtube.com/watch?v=y6_R80FQ4UI

(3) blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/250520/lettre-la-presidence-de-la-region-bretagne-pour-le-respect-de-la-liberte-dinformer-sur

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Ce brave ours qui arrose les fiers Ariégeois

C’est cocasse, car c’est à la fois un secret bien gardé, bien qu’il soit de polichinelle pour ceux qui suivent le dossier. L’ours des Pyrénées est-il bien le responsable de toutes les attaques qui entraînent des indemnisations d’État ? Les associations Ferus (ferus.fr) et Pays de l’ours (paysdelours.com) révèlent l’existence d’un tour de passe-passe croquignolet (1).

Le 7 avril 2020, le préfet de la région Occitanie publie le bilan des « dommages d’ours sur le massif des Pyrénées françaises ». Le texte est net : « Au total, 1173 animaux et 36 ruches ont été imputés directement à l’ours ». Ce communiqué, public, est repris par la presse, mais pas celui du 15 mai, pour la raison simple qu’il reste dans les tiroirs de la préfecture.

Or le second est une copie (presque) conforme du premier, qu’il rectifie radicalement en notant : « C’est donc 562 animaux et 36 ruches qui ont été indemnisés lorsque l’ours est ou semble responsable du dommage ». Du simple au double. Et ce n’est pas tout. Cette fois, on écrit sans gêne ou presque : « De plus, 447 animaux de dossiers indéterminés ont été indemnisés suite à la prise en compte des éléments de contexte local ».

Contexte local ? Ferus et les autres ne l’expliquent pas, mais Charlie va tenter d’apporter sa contribution. Le texte préfectoral – le deuxième – livre ce qui pourrait bien être un indice de taille :

« Les départements des Pyrénées-Orientales, de l’Aude et des Pyrénées-Atlantiques restent peu ou pas concernés par les dommages liés à l’ours brun alors que 82% des dossiers du massif ont été réalisés dans le département de l’Ariège ».

Mazette, quel ours ! Alors qu’il est désormais présent, grâce à des naissances, d’un bout à l’autre du massif pyrénéen, l’animal ne commettrait ses méfaits que dans le seul département de l’Ariège, probablement pour ennuyer les gros durs de la gâchette locale (2), fortement soutenus par une classe politique locale que l’on qualifiera d’insolite et parfois distrayante.L’ours, cet ami des nécessiteux.

(1) ferus.fr/actualite/connaitrons-nous-un-jour-le-vrai-bilan-des-degats-dours-dans-les-pyrenees

(2) deux minutes hilarantes : youtube.com/watch?v=pPc7kaOu1ck

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Et si on se poussait un peu pour le Loup ?

C’est pas tous les jours dimanche. Le grand naturaliste drômois Roger Mathieu vient d’écrire « Les loups de France », livre accessible gratuitement (1). Évidemment, il est excellent. Parmi les nombreuses questions abordées – dont celles sur les conditions de son retour en France ou la possibilité d’attaques sur l’homme -, plusieurs ont trait à la cohabitation. Un loup adulte a besoin de 20 sangliers par an. Qu’il trouvera sous quantité de formes, depuis la marmotte, le lièvre, le castor, le renard, jusqu’aux délicieux cuissots de brebis, ce qui fâche – on le comprend sans peine – les éleveurs. Même si, comme le rappelle un proverbe géorgien cité par Mathieu, « le mouton a toujours eu peur du loup, mais c’est le berger qui l’a mangé ».

Il y aurait autour de 500 loups en France, peut-être 600. L’État, quels que soient ses représentants, entend limiter leur nombre et d’empêcher toute installation à l’ouest du Rhône. Les protecteurs pensent en termes de biodiversité, d’habitats favorables et de limitation des dégâts sur les animaux domestiques.

Tout le livre de Mathieu est raisonnable, qui n’écarte pas même la possibilité de tirs sur des loups problématiques. Mais nos maîtres s’en foutent et accordent des dérogations à tire larigot qui permettent de buter « légalement » une espèce pourtant protégée. Encore un mot sur les innombrables anomalies du système d’indemnisation des attaques, ce mystère français qui intrigue tant nos voisins européens. Visiblement, le Loup est aussi un bon gagneur.

(1) drive.google.com/file/d/1rQa_SIZt75ph2EMmuucd2qdM3MNWu1y8/view