Il ne faut pas dire, il ne faut surtout rien dire. Les conférences sur le climat, désormais innombrables, drainent des petites foules sages qui se retrouvent à chaque fois dans les mêmes hôtels. Des bureaucrates internationaux, des techniciens de la chose, des militants appointés d’associations diverses, des journalistes. Ce qui les relie sans conteste, c’est l’euphorie d’appartenir au monde envié des spécialistes.
Eux seuls – le pire est que c’est vrai – maîtrisent la novlangue justement imaginée au cours de ces charmantes conférences. Tous ces sigles, ces acronymes, ces mystérieux mécanismes compensatoires par lesquels une forêt peut être comparée à la fumée d’une cimenterie. Néanmoins, pas de malentendu entre nous : tous ne pensent pas la même chose. Certains parlent clair ou écrivent sans trembler. De temps en temps même, ils font les deux.
Il ne s’agit donc pas de tous les mettre dans le même sac. Mais une étude psychosociologique de cette petite tribu reste à faire. Car globalement, elle produit de la désinformation. À propos de la crise climatique, c’est évidemment un drame, planétaire. Ces braves gens font circuler l’idée que les choses avancent, ce qui n’est pas vrai. Ils s’en tiennent à des chiffres dont tout indique qu’ils sont dépassés par la réalité et les faits. Et comme dans toute tribu, celui qui sortira des rangs prendra ses risques. En voyez-vous un seul qui nous fasse un signe authentique ? Je ne crois pas.
La désinformation est un phénomène complexe, qui suppose normalement une volonté de manipulation. Or là, les auteurs de tant de bluettes sur le sujet s’intoxiquent eux-mêmes avant que de nous empoisonner tous. Ceux qui confisquent la parole publique sont ceux-là mêmes qui, il y a seulement quelques années, ne croyaient pas au réchauffement. Ils n’y croyaient pas, car leur monde étant immortel, comme eux d’ailleurs, le climat ne pouvait pas devenir un problème. Forcés par l’évidence, ils ne peuvent plus nier. Mais ils peuvent édulcorer. Mais ils peuvent systématiquement choisir les informations les plus lénifiantes. Mais ils peuvent miser sur quelque truc technologique qui finirait par tout sauver, et tout rétablir.
Vous connaissez peut-être ces vers de Rimbaud, jetés sur le papier en mai 1871, quand la valetaille armée de monsieur Thiers fusillait gaiement par milliers dans les rues de Paris. Le roi Arthur écrit dans L’Orgie Parisienne :
« – Société, tout est rétabli : – les orgies
Pleurent leur ancien râle aux anciens lupanars :
Et les gaz en délire, aux murailles rougies,
Flambent sinistrement vers les azurs blafards ! »
C’est le mot rétabli, bien sûr, qui m’a fait penser à ce poème. Et j’achève : une caste consanguine maîtrise en partie le discours sur la crise climatique, minorant tant qu’elle peut ses effets, qui nuisent à son humeur et à ses entreprises. Ce n’est pas drôle. Son dernier gimmick consiste à clamer que l’Europe a été follement courageuse à Poznan, et que tout se règlera pour le mieux à la grande conférence de Copenhague, en 2009. Foutaises, bien entendu. Pures foutaises. Je viens de retrouver une chronique écrite il y a plus de neuf ans (in Politis, 4 novembre 1999). Je vous la recopie. Le moins que je puisse penser, c’est que cela ne me rajeunit pas. Bon dimanche quand même.
Bonn, mais franchement mauvaise
L’écologie contre la démocratie ? Peut-être. Il devient chaque jour plus manifeste que notre système politique usuel ne permet pas d’affronter les menaces globales qui pèsent sur les grands équilibres naturels. En témoigne de façon caricaturale la conférence de Bonn sur le changement climatique. À l’heure où cette chronique est écrite, elle est loin d’être terminée, mais on peut déjà en parler sans grand risque d’être démenti.
Les États-Unis et l’Europe s’y opposent dans un pesant jeu de ruse médiatique et de faux-semblants. À main gauche, les Américains, qui refusent toute mesure contraignante, notamment contre la sainte-bagnole, et entendent tout régler par le marché, la Bourse, l’argent. À main droite, une Union européenne qui profite de cet épouvantail pour nous faire croire qu’elle au moins est décidée à tenir les engagements pris à Kyoto voici deux ans, soit une diminution de 8 % des émissions de gaz à effet de serre en 2010 par rapport à 1990.
La vérité est tout autre : selon l’Onu elle-même, l’augmentation des émissions continue et pourrait atteindre 18 % en 2010 par rapport à 1990. Dans ces conditions, le sabotage américain et l’inertie européenne se rejoignent dans ce qu’il faudra bien un jour appeler un crime contre l’humanité.
La démocratie dans tout cela ? Le protocole signé à Kyoto n’est toujours pas appliqué pour une raison simple : seule une poignée de pays a voté sa ratification. Aux États-Unis, le congrès bloque et bloquera tant que ses dispositions “dures” n’auront pas été au moins tournées. Puis, comme on est entré en période électorale, chacun sait ce que cela veut dire : il faudra attendre, pour que le dossier soit seulement considéré, le printemps 2001.
L’Europe ne vaut guère mieux : imagine-t-on un Jospin – ne parlons pas de Chirac ! – prendre la tête d’une croisade contre la croissance et ses inévitables corollaires, alors que 2002 se profile à l’horizon ? Il faudra bien que le débat sur les impasses tragiques de nos modèles dits démocratiques voie le jour. Et il serait plus sage qu’il soit lancé par des démocrates et des amis de l’homme plutôt que par quelque brute dopée par les malheurs à venir, désormais si probables.