Au point où j’en suis, et ma réputation étant déjà ce qu’elle est, je n’ai plus guère de raison d’hésiter. Je vais donc vous parler de Sébastien Genest et de Chantal Jouanno, pour le même prix. Ne cherchez pas, vous ne connaissez pas le premier. Ou bien, vous êtes de ses amis, et en ce cas, changez de page et d’adresse. Je dis cela pour vous. Pas pour moi.
Quant à la seconde, il s’agit bien entendu de la remplaçante de Nathalie Kosciusko-Morizet au secrétariat d’État à l’Écologie. Oui, notre excellent maître à tous, le Président, a décidé de virer l’une pour quelque obscure raison que nous ne connaîtrons probablement jamais, et de nommer l’autre. L’autre, madame Jouanno, est sa création, sinon sa créature. Ce n’est pas infamant, pas à ce stade en tout cas, mais c’est assurément un fait. Il l’avait nommée à la présidence de l’Ademe, l’agence de la maîtrise de l’énergie, il la lance aujourd’hui dans l’une de ses désopilantes guerres picrocholines.
Si vous voulez glousser avec moi, je vous invite à zyeuter ce petit film hilarant, qui date de la campagne présidentielle du printemps 2007 (ici). Dépêchez-vous, car j’ai peur que ce film ne disparaisse dans le cyberespace. Il est trop beau pour être vrai. Voici tout le début du texte, que je garantis sur l’honneur pour l’avoir recopié mot après mot. Je précise que madame Jouanno, veste rouge et pull à col roulé noir, est installée au bas de marches d’un immeuble cossu. Et voilà ce qu’elle dit : « Je suis Chantal Jouanno, je m’occupe auprès de Nicolas Sarkozy des publics. C’est-à-dire des chasseurs, des rapatriés, des personnes françaises d’origine étrangère, mais aussi des professions particulières, les boulangers, les bouchers, les pharmaciens, tous les publics qui comptent et qui ont des préoccupations spécifiques ».
Je dois avouer que j’ai failli pleurer de rire. La suite, sans aucune transition. Ou plutôt si, une voix off surgie de l’écran de cette télé privée – appelée sarkozy.fr – demande ceci à madame Jouanno : « Quelles sont vos fonctions au QG de campagne, Chantal ? ». Là, madame rit de bon coeur, car elle connaît la réponse. Et elle enchaîne ainsi : « Bé, je vais m’occuper, auprès de Nicolas Sarkozy, des publics spécifiques. Ce qu’on entend par publics, ce sont les rapatriés, par exemple, les chasseurs, mais aussi toutes les professions particulières comme les boulangers, les bouchers, les pharmaciens, toutes les personnes qui ont des préoccupations spécifiques ».
Bon, il n’est jamais inutile de répéter de telles choses. Et pour être bien sûr de ne pas avoir loupé un épisode, j’ai préféré visionner un autre bout de film (ici), dans lequel madame Jouanno « présente son champ d’action ». Et cela donne ceci, texto à nouveau : « Je m’occupe des personnes qui ont des spécificités, comme les personnes en situation de handicap, les anciens combattants, les rapatriés, les harkis, mais aussi les catégories socioprofessionnelles, les médecins, il y a beaucoup de demande dans la santé, le juridique. L’essentiel étant de répondre à l’ensemble des sollicitations. De répondre à toutes les demandes de rendez-vous ».
J’hésite devant le commentaire, et je passe finalement. On m’accuserait d’être cruel. En bonne logique, nos glorieux militants écologistes de service auraient tout de même dû, fût-ce pour la forme, protester. Car s’il est une chose absolument certaine, c’est que madame Jouanno, qui n’a pas la moindre idée de ce qu’est l’écologie, est un petit soldat de son grand homme. Et qu’elle dira ce que lui-même voudra.
Or pas du tout. Le plus merveilleux de tous, à qui j’offre illico la médaille, c’est Sébastien Genest. À priori, un homme sympathique de bientôt quarante ans, devenu président de France Nature Environnement (FNE) après une carrière de forestier dans le Limousin. Il aime les arbres, mais je crains que cela soit le seul point commun que j’aie avec lui. Encore ne doit-on pas parler des mêmes arbres, mais passons.
Genest. FNE est une fédération qui rassemble environ 3 000 associations locales et régionales de protection de la nature en France. Sur le papier, c’est une puissance. Dans la réalité, il ne s’agit que d’une coquille vide, bureaucratisée à l’excès, et qui ne vit pratiquement que des subsides de l’État. C’est sain, n’est-ce pas ?
Je ne mets pas tout le monde dans le même sac. Des dizaines de milliers de bénévoles de terrain sont pour moi admirables, et je les salue sans hypocrisie. Simplement, la structure imaginée au sommet, consanguine en diable, est devenue une assemblée de petits notables, frétillant à l’idée d’être reçus dans les palais de la République. Au dernier congrès de FNE, qui était donc invité ? Barnier, ministre de l’agriculture industrielle. Kosciusko-Morizet. Borloo. Le président de droite de la région Alsace. And co. Parmi les partenaires, qui ont aidé à payer les factures, le ministère de l’Écologie, bien entendu. Et la Caisse des dépôts, grande dame de l’écologie, à moins qu’on m’ait furieusement menti. Et la Société forestière, noble filiale de cette même Caisse, qui donne des conseils sur la manière de vendre une forêt tout en défiscalisant. Ses dépliants racontent comment vendre, « optimiser » ses revenus en « gérant efficacement », et même louer une chasse.
Genest n’allait tout de même pas gâcher tout cela en ruant dans les brancards. Il ne l’a pas fait. Sa déclaration à propos de la nomination de Chantal Jouanno fait presque peur : « FNE est intervenue à plusieurs reprises ces derniers jours pour que le poste de secrétaire d’Etat soit pourvu. FNE est donc satisfaite que la chaise de secrétaire d’Etat ne soit plus vide. FNE connaît la compétence de Chantal Jouanno qui a la mémoire du Grenelle de l’environnement. Sa désignation n’est donc pas une surprise ».
Avec ce genre de guerillero, Sarkozy n’a qu’à bien se tenir. Attention à l’emploi des grenades ! Je vous offre pour finir trois extraits d’une interview donnée le 30 juin 2008 par Genest, car ils ont le souffle des hauteurs. Sur la FNSEA, syndicat de l’agricuture industrielle : « Nous avons eu des discussions très intéressantes avec Jean-Michel Lemétayer, président de la FNSEA, (…) et des accords ont parfois pu être trouvés avant que les discussions du Grenelle proprement dit ne s’engagent. De toute façon, le contexte sociétal (…) nous permet désormais de briser la glace, de transcender nos désaccords et de trouver des compromis ».
Sur les OGM : « Effectivement, sur les OGM notamment, les tensions subsistent, mais comme l’a souhaité Michel Barnier, nous, associations de protection de la nature, ne voulons pas mettre les agriculteurs sur le banc des accusés. Nous devons trouver des solutions partagées, progressives, en tenant compte du fait qu’il y a plusieurs types d’agriculture ».
Sur les biocarburants chers à mon cœur : « De toute façon, avec les usines déjà construites ou qui vont être mises en service, nous sommes maintenant bloqués pour quinze ans?! ».
Nous ne rencontrerons pas de sitôt un ecowarrior de cette qualité, pas ? Un détail, qui tuerait en d’autres circonstances. Le 14 février 2008, 4 mois après les agapes du Grenelle de l’Environnement – mais il n’y a évidemment aucun rapport – un décret nommait un certain nombre de personnalités au Conseil économique et social de notre pauvre République. Parmi eux, dans la section du cadre de vie, un certain Sébastien Genest. Le bonjour chez vous.