C’est le hasard, car je tenais ce papier sous le coude depuis quatre ou cinq jours. Vous y verrez, j’y vois en tout cas un hommage à la mémoire de mon ami Henri Pézerat, qui sera enterré aujourd’hui vendredi. Allègre est l’antithèse boursouflée de suffisance de ce que fut Henri. Allègre, qui a travaillé comme Henri à l’université de Jussieu (Paris), n’hésitait pas à dire en 2005 dans L’Express : « Je le dis et je le répète : à faible dose, la poussière d’amiante n’est sans doute pas plus dangereuse que la poussière de silice qu’on respire sur la plage ». Une étude de l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (Afsset) vient précisément de reconnaître qu’ « une révision de la réglementation actuelle est justifiée ». Il faudra, selon l’Afsset, « tenir compte des dangers avérés et potentiels des fibres fines et des fibres courtes de ce minéral, alors que seules les fibres longues sont prises en considération pour évaluer la pollution d’un lieu (ici) ».
La suite concerne Allègre, une nouvelle fois. Nul doute qu’il s’agit, malgré tout, d’un cas intéressant. Un homme qui nie à la fois la dangerosité de l’amiante et la réalité du réchauffement climatique est intéressant. À fortiori quand il est complaisamment présenté comme un grand scientifique. Et davantage encore si l’on ajoute que cet homme a été ministre d’un gouvernement de gauche il y a une poignée d’années et ami proche, y compris sur le plan intellectuel, d’un certain Lionel Jospin. Jospin, le grand espoir du changement. Le digne successeur de François Mitterrand.
Pardon de me copier sans vergogne, mais j’ai déjà écrit sur Allègre. Je tiens notamment à ce (très) long parallèle entre Tazieff et Allègre, qui résume parfaitement ma pensée sur le sujet (ici). Mais il y a deux autres articles qu’il m’est difficile de ne pas recommander, car je les ai écrits aussi. Oui da, moi (ici et ici). Si je vous embête encore avec ce sensationnel personnage, qui lorgne désormais sur un poste ministériel chez Sarkozy, c’est parce qu’il vient d’écrire un article dans le journal Le Point (ici).
Encore une fois, c’est prodigieux. Allègre devrait avoir une médaille pour chaque invention qu’il imagine. Mais la fabrique nationale suffirait-elle ? Je ne peux ni ne veux tout souligner. Vous savez lire comme moi. Un petit commentaire ne vous sera pourtant pas épargné. Notez ces deux phrases, et regardez-les ensuite de près : « La température moyenne des océans n’augmente plus depuis 2003. L’année 2008 aura été dans l’hémisphère Nord parmi les plus froides depuis dix ans et tout indique que l’année 2009 sera identique ».
Que dire qui ne soit aussitôt une retentissante injure publique ? Je ne confronte pas même à la réalité des faits et des études raisonnablement établies. Je laisse ce travail à d’autres, s’ils en ont envie. Non, je pense à la logique interne de ces mots. Ainsi de l’usage du présent indicatif pour signaler une impossibilité manifeste. Comment voulez-vous savoir que la « température moyenne » des océans n’aurait plus bougé depuis 2003 ? Seul Allègre est en mesure de tels miracles.
Autre point remarquable : l’année 2008. Là encore, restons-en à la logique interne. L’hémisphère nord aurait connu une année « parmi les plus froides depuis dix ans » ? Si tel était le cas, que nous dirait-il ? Absolument rien. Le dérèglement climatique global s’accommoderait aisément d’un tel phénomène. Dans le même temps, Allègre ne dit rien de l’hémisphère sud, qui pourrait modifier en profondeur la donne. Autrement dit, son propos est dépourvu de sens. Mais le pompon est dans les derniers mots : « tout indique que l’année 2009 sera identique ». N’oublions pas que l’auteur est un scientifique. S’il dit tout, ce doit être tout. Donc, tout dirait que l’année météo, avant même de s’être déroulée, sera identique à la précédente.
On est là dans une extraordinaire démonstration. Allègre n’est plus, s’il l’a jamais été, dans la prévision. Mais dans la prédiction. Dans la divination. Demain, il ira à Delphes, consulter les oracles. Ou se fera tirer les cartes par madame Irma. L’esprit humain est grand, invincible, presque sans limites dans sa fantaisie. Cet homme a été ministre de la gauche sans que personne dans ce camp ne s’étonne de ses positions sur l’amiante et le climat, connues depuis près d’une quinzaine d’années. Cet homme sera peut-être, demain, ministre de la droite. Voilà qui me fait réfléchir à l’état de la pensée politique. Voilà qui me fait songer que nous ne sommes pas sortis de l’auberge.
PS : Comment une seule et même terre peut-elle porter à la fois un Henri Pézerat et un Claude Allègre ? Voilà bien l’un des nombreux mystères que j’emporterai avec moi. Quand le moment sera venu. Je ne suis pas pressé, non pas.