Rendons à César. L’information qui est à l’origine de ce billet a été publiée par Bakchich (ici), avant d’être reprise et développée par Rue89, où je l’ai trouvée.
Je ne connais aucunement madame Kosciusko-Morizet, que les journalistes appellent NKM, heureux qu’ils sont de sembler partager quelque chose que les autres n’auraient pas. Je dois avouer de suite que ce dernier article de 2009 frôle la catégorie people, ce qui n’est pas glorieux pour moi. Mais bon, j’essaie de dire ce que je pense, et comme je viens de découvrir une abracadabrantesque historiette sur le site Rue89 (ici), je me sens tenu d’ajouter mon petit grain de sel, qui se trouve être de poivre vert. Désolé pour les pressés, mais on ne retrouvera cette fable qu’à la suite d’une longue présentation, moqueuse comme à l’habitude. Irrévérencieuse, oui, je dois en convenir.
Madame Kosciusko-Morizet est une politicienne aux cheveux flottant au vent. C’est un genre. Paris-Match lui avait offert le 23 mars 2005 une série de photos où elle posait, enceinte, couverte d’une robe diaphane dans son jardin, en compagnie – miracle – d’une harpe. Un coup de pub mémorable, mais qui ne fut pas compris comme cela. Que non ! L’inénarrable journaliste Anna Bitton – signataire d’un livre sur Cécilia ex-Sarkozy – écrivait pour l’occasion, et je vous demande de vous taire (1) : « Il fallait un éclair d’audace. Oser, quand on est députée UMP, se prêter, pour Paris-Match, au jeu d’une photo artistique, symboliste, un tantinet New Age, et finalement très glamour. Nathalie Kosciusko-Morizet , benjamine des femmes de l’Assemblée nationale, est alanguie sur le papier glacé et sous un soleil mythique. Le chignon sage dont la belle polytechnicienne ne se départit jamais est, cette fois, défait. Les cheveux blond vénitien cascadent longuement sur une robe nacre de mousseline douce. Un bras lascif à bracelet d’or repose noblement sur un banc de pierre moussu, une main baguée caresse un ventre arrondi par la maternité. Un pied blanc et nu effleure les feuilles d’automne qui tapissent le jardin de sa maison de Longpont-sur-Orge. Une harpe, la sienne, luit en arrière-plan; deux bibles précieuses du XVIIe trônent à ses côtés »
Ce n’était qu’un début, un tout petit début. Je ne prétendrai pas que tous les événements médiatisés auxquels a été mêlée madame Kosciusko-Morizet ont été montés de la sorte, et donc pensés, mais enfin, cela se pourrait bien. Citons le pseudo-clash avec Borloo sur les OGM, qui lui avait permis, en avril 2008, d’évoquer un « concours de lâcheté et d’inélégance », avant que de devoir s’excuser. Citons la bise ostensiblement claquée sur la joue de José Bové en janvier 2008, et surtout le commentaire de l’altermondialiste, très éclairant : « Oui, on travaille ensemble depuis des années sur ces dossiers, et une relation d’amitié s’est construite entre nous. Et on se fait la bise à chaque fois qu’on se voit ! ».
Et arrêtons ce qui serait vite litanie. Madame Kosciusko-Morizet sait à la perfection se servir des médias et leur faire accroire qu’elle n’est pas comme les autres. Ceux de la droite ancienne, recroquevillée, poussiéreuse. Je pourrais aisément faire un florilège de plusieurs pages en ne citant que le titre de papiers hagiographiques parus ces dernières années. Et pas seulement dans la presse de droite, il s’en faut ! Des journaux comme Libération ou Le Monde se sont plus d’une fois surpassés dans ce qu’il faut bien nommer de la flagornerie. Je m’en tiendrai à un exemple hilarant, involontairement hilarant, paru dans Le Monde du 9 janvier 2009. C’est un portrait, et il est long. Extrait premier : « Une femme n’est jamais plus belle que dans le regard de son amant. Le moins que l’on puisse dire est que Jean-Pierre Philippe, ex-militant et élu socialiste, aujourd’hui dirigeant d’une société de conseil, est amoureux de sa femme, Nathalie Kosciusko-Morizet. “Vous ne trouvez pas, demande-t-il, qu’elle est l’incarnation de la femme contemporaine ?” ».
Extrait second : « Il est indéniable que Nathalie Kosciusko-Morizet, dite « NKM » dans son entourage comme sur la scène publique, est d’une réelle beauté – une peau claire qui capte le moindre grain de lumière, le cheveu blond ramassé en chignon savamment indiscipliné, une panoplie de tenues déstructurées à l’élégance recherchée, jusqu’à ces mitaines qui allongent encore sa main de harpiste intermittente. Ce visage intemporel serait-il le secret de son inexorable ascension politique ? Ce serait faire injure à une femme convertie au féminisme par la lecture des deux Simone, Beauvoir et Weil, entrée très tôt en écologie, l’une des premières sur les bancs de la droite française ».
La chose est entendue. Les journalistes se pâment. Bové embrasse, et les associations écologistes pleurent quand Sarkozy décide, en janvier 2009, de la remplacer par Chantal Jouanno au secrétariat d’État à l’Écologie. Elles pleurent, littéralement, car tout le monde a visiblement eu droit aux bécots de madame. Arnaud Gossement, de France Nature Environnement : « Elle a été celle qui a fait monter le dossier environnement au sein de la droite ». Le WWF, de son côté, salue un « beau travail. Elle a fait bouger les moins de 40 ans à l’UMP. Elle démontre que les jeunes générations à droite se préoccupent d’écologie d’une manière intéressante (ici) ». Dès avant cela, en 2007, Nicolas Hulot avait déclaré avec un apparent sérieux : « Au sommet de Johannesburg, j’ai découvert sa constance, son immense compétence et son indéniable conviction. Il est rare que les trois soient réunis en politique ».
Nous y sommes enfin. Elle est belle comme le jour. Elle est incroyablement sincère. Elle est terriblement compétente. Elle est follement écologiste. Ma foi, s’il n’en reste qu’un à ne pas croire cette fantaisie, je crois bien que je serai celui-là. Bien sûr, je n’ai jamais visité l’intérieur de sa tête, et ne suis d’ailleurs pas candidat. Il est possible, il est probable qu’elle a mieux compris qu’un Sarkozy la gravité de la situation écologique. Il n’y a d’ailleurs pas de difficulté. Il est possible, il est probable qu’elle considère les questions afférentes à la crise de la vie comme méritant quelques mesures. Mais pour le reste, je suis bien convaincu qu’elle est une politicienne on ne peut plus ordinaire.
Ceux qui la vantent tant, y compris dans des groupes écologistes, ont fini par croire qu’elle était compétente. Mais en quoi, pour quoi ? Sa carrière est vite résumée. Née en 1973 dans une famille bourgeoise, elle entre à Polytechnique, puis devient Ingénieur du génie rural et des eaux et des forêts (Igref). Quelle pépinière d’écologistes ! Ce corps d’ingénieurs d’État est responsable au premier rang des politiques menées depuis la guerre en France contre les ruisseaux et rivières, les talus boisés, les forêts, et pour le remembrement, les nitrates, les pesticides. Elle n’en est pas coupable ? Non, mais quand on choisit un corps comme celui-là sans ruer dans les brancards très vite, eh bien, justement, l’on choisit.
Et nul doute que madame Kosciusko-Morizet a choisi. Entre 1997 et 1999, elle travaille à la direction de la Prévision du ministère de l’Économie, autre antre de la deep ecology. Elle poursuit sa route comme conseillère commerciale à la direction des relations économiques extérieures du même ministère. Au passage, je serais ravi qu’elle publie la liste des dossiers sur lesquels elle a alors travaillé. Par exemple sur son blog (ici), qui sait ? À côté des envolées d’Anna Bitton, ce serait du meilleur effet. Mais poursuivons. Après 2001 – nous nous rapprochons -, elle devient conseillère auprès du directeur de la stratégie d’Alstom. Alstom ! Le bâtisseur d’une grande partie des turbines du barrage chinois des Trois-Gorges ! Elle, conseillère, en stratégie, auprès d’Alstom ! Derechef, je ne serais pas mécontent que madame nous parle des conseils stratégiques qu’elle a pu donner à un tel ami de la nature.
La suite ? C’est la rencontre avec Chirac, et la mise sur orbite de la Charte de l’Environnement. Elle prépare pour lui le Sommet de la terre de Johannesbourg, l’été suivant. Mais avant toute chose, et je le répète, avant toute chose, elle s’arrange pour devenir la suppléante du député Pierre-André Wiltzer dans l’Essonne, aux législatives de 2002. À 29 ans. Sans la moindre preuve, je pense que le coup était préparé par ce vieux renard de Chirac. Car dès le gouvernement Raffarin II désigné, un certain Pierre-André Wiltzer se retrouve comme par hasard ministre. Et madame Kosciusko-Morizet devient aussitôt député, poste qu’elle occupera jusqu’à sa nomination ministérielle de 2007, et qu’elle retrouvera sans aucun doute.
And so what ? Je l’ai dit et le répète pour les sourds et les malentendants : madame Kosciusko-Morizet est une politicienne ordinaire, qui a découvert par hasard une formidable niche écologique et qui l’occupe du mieux qu’elle peut, tout en fourbissant les armes de son avenir. Et son avenir, elle le voit à l’Élysée, ni plus ni moins. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est elle. Dans son livre : « Tu viens ? », paru chez Gallimard, elle lâche le morceau : « Je veux être Présidente de la République ! ». Dès lors, tout devient d’une grande limpidité. Comme elle n’a que 36 ans, près de 20 ans de moins que Sarkozy, elle peut évidemment attendre au moins autant d’années. Et se forger en attendant une image de rebelle – je ne peux m’empêcher de rire aux éclats en associant l’image de la dame et celle du rebelle -, de femme compétente, de mère admirable, de harpiste incomparable, d’écologiste passionnée (et passionnante).
Voyez-vous, l’une des raisons du drame où nous sommes tous plongés est cet état de confusion régnant dans la presque totalité des cerveaux. Il suffit à des gens en apparence raisonnables – dont certains sont même écologistes- d’un battement d’yeux, d’un baiser sur la joue et de bimbeloterie diverse sans être variée pour qu’ils croient aussitôt la chose arrivée. Je me moque, c’est exact, mais ce sont eux qui l’ont cherché, pas moi. Si madame Kosciusko-Morizet était écologiste, au sens que je donne à ce noble mot, elle aurait évidemment refusé avec hauteur le secrétariat d’État à l’économie numérique que lui a refilé Sarkozy, qui ne la souffre pas. Voyons ! Si elle pensait ne serait-ce qu’un peu que la planète est à feu et à sang, accepterait-elle d’aller inaugurer les chrysanthèmes électroniques ? Voyons.
Si elle était écologiste, elle aurait démissionné avec fracas, déclarant avec pour une fois une flamme sincère, que la droite au pouvoir n’a évidemment rien compris – comme la gauche, d’ailleurs – à la crise écologique. Mais elle s’est couchée devant le maître, comme le font tous les autres depuis toujours. Et l’écologie attendra un moment plus favorable. S’il fallait une preuve supplémentaire, mes pauvres lecteurs de Planète sans visa, elle serait dans la place qu’occupe madame Kosciusko-Morizet au sein du dispositif de la droite. Le saviez-vous ? Elle est, depuis mars 2008, secrétaire général adjoint de l’UMP. Vous rendez-vous compte de ce que cela signifie ? Du temps passé dans les innombrables embrouilles et magouilles d’un parti de cette nature ? Vous rendez-vous compte ? J’ajoute un dernier mot sur son « amitié indéfectible » avec Rachida Dati, hautement et publiquement revendiquée. Deux femmes, comme on peut voir. Et deux ego aussi démentiels que ceux de leurs pairs hommes. Nous voilà bien.
Et bientôt arrivés. Que raconte donc le site Rue89, que j’évoquais tout là-haut, pour commencer ce vilain papier ? Presque rien. Nous sommes un peu avant l’été 2008, et madame Kosciusko-Morizet est toujours secrétaire d’État à l’Écologie, poste très enviable qui permet de passer dans les journaux presque chaque jour. Il y a eu le Grenelle de l’Environnement, on parle de taxe carbone, la réunion de Copenhague se profile à l’horizon. En bref, la place est bonne. Oui, mais la sous-ministre n’est pas tranquille, car Sarkozy, qui sait tout des bonnes relations qu’elle a entretenues avec Chirac, ne lui passe rien.
Elle veille donc au grain, au moment même où son mari, ancien socialiste devenu – devinez – sarkozyste, écrit un livre intitulé : « Où c kon va com ça ? Le besoin de discours politique ». Un ouvrage dont la France pouvait se passer, ce qu’elle a fait d’ailleurs, mais sur intervention révulsée de cette chère madame Kosciusko-Morizet. Le livre de monsieur, déjà mis en page, devait atterrir dans les librairies en septembre 2008. Que cachait-il de si terrible ? Selon les informations de Bakchich et de Rue89, le livre était barbant comme tout, mais faisait quelques allusions au maître de l’Élysée, Sarko 1er. Et cela, pour madame et ses ambitions, n’était simplement pas concevable.
Selon Bakchich, elle aurait menacé de divorcer en cas de publication ! Selon Rue89, elle se serait ridiculisée au cours d’un repas d’anthologie avec l’éditeur de son mari, Marc Grinsztajn. Ce dernier raconte : « On a convenu d’un dîner à mon retour de vacances. Au départ ça devait être un dîner pour discuter (…) mais ça s’est transformé en dîner officiel avec sa femme au ministère ». Diable ! Au ministère de madame Kosciusko-Morizet ? Pour un livre écrit par son mari ? Certes. Et voici la suite, telle que racontée par le même : « Elle feuilletait le livre tout au long du dîner en disant : “Ça c’est subversif, ça c’est subversif…” ». Guilleret, hein ? Et pour la bonne bouche, ces propos attribués à la si subversive madame par Marc Grinsztajn : « Normalement, je ne lis pas les livres de mon mari, pour qu’on ne m’accuse pas de les censurer. Mais quand Libé a appelé pour faire un portrait de mon mari sur le thème “Jean-Pierre Philippe, premier opposant de Nicolas Sarkozy”, ça m’a mis la puce à l’oreille. J’ai demandé à un conseiller de le lire, qui m’a dit : “Madame, le livre ne peut pas sortir en l’état. Si le livre sort, vous sautez.” ».
Voilà. Voilà celle que tant d’écologistes, voire d’altermondialistes, considèrent comme l’une des leurs. La prochaine fois que vous la verrez aux actualités, ce qui ne saurait tarder, rappelez-vous cette phrase-étendard : « Ça c’est subversif, ça c’est subversif…». Et riez de bon cœur.
(1) Le soir du premier tour des présidentielles de 1995, dans un numéro inoubliable, le candidat battu Édouard Balladur avait crié à ses partisans, qui apparemment voulaient en découdre verbalement avec Chirac, passé in extremis devant leur champion : « Je vous demande de vous taire ! ». Des images comme on aimerait en voir plus souvent.
PS : Cette histoire, à la réflexion, me fait penser à Panaït Istrati, écrivain roumain. Je l’ai beaucoup lu, je le tiens pour un grand de la littérature du siècle écoulé. En outre, il était incapable de mentir. Compagnon de route du parti stalinien à la fin des années 20, il se rend en Union soviétique à l’heure où tant d’autres écrivent des odes à Staline. Je ne parviens pas à remettre la main sur un livre écrit, je crois, en 1930, et qui s’appelle Vers l’autre flamme. Si je me trompe, ce sera sur des détails. Donc, Istrati ramène d’un long séjour en Union soviétique ce livre, dans lequel, à la différence de (presque) tous les autres, il dit la vérité. Il a vu le malheur, la dictature, la mendicité, il a vu les innombrables vaincus du pouvoir stalinien. Et comme, sur place, il se plaint auprès de ses hôtes, l’un d’eux, probablement un écrivaillon aux ordres, lui dit : « Mais, camarade Istrati, on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs ». Alors, Istrati lui répond : « Camarade, je vois bien les œufs cassés, mais où est l’omelette ? ».
Il ne s’agit que d’un rapprochement, pour sûr, car je place Istrati bien au-dessus des lamentables mièvreries évoquées ci-dessus. Simplement, je trouve que Panaït permet de reprendre ses esprits, quand on les a perdus. Or un nombre considérable de gens de bonne foi n’ont plus les yeux en face des trous dès qu’il est question de madame qui vous savez désormais. D’où ce rappel en apparence incongru du grand homme oublié que fut Istrati.