Paraît ce vendredi à Paris un excellent article sur les gaz de schistes. C’est dans le Monde Magazine, et j’essaie de vous mettre le tout. Techniquement, c’est pour moi limite, et s’il y a des bavures, je décline toute responsabilité. On y parle, voyez comme je sais faire le paon, de Planète sans visa. Mais ce n’est tout de même pas pour cela qu’il est bon. D’ailleurs, achetez ce journal, car ce sera plus tard un collector, vous pouvez (raisonnablement) m’en croire.
LARZAC
C?A SENT LE GAZ
LE NOUVEAU COMBAT DE JOSE? BOVE?
La France serait riche d’immenses re?serves de gaz naturel emprisonne?
dans la roche, le gaz de schiste. L’Etat a autorise? des forages d’exploration
autour des Ce?vennes –au grand dam du de?pute? europe?en e?cologiste.
par Laurent Carpentier
Le bruit est descendu du plateau du Larzac, il a de?vale? les flancs du causse, franchi la Dourbie et puis, de valle?e en valle?e, il a traverse? les campagnes ce?venoles, l’Arde?che et la Dro?me, si bien que, le 20 de?cembre, ils e?taient plus de trois cents a? envahir la petite salle polyvalente de Saint-Jean-du-Bruel, en Aveyron.Paysans, militants, e?piciers ou e?lus des communes alentour sont venus chercher des e?claircissements face a? cette nouvelle menace qui plane aujourd’hui sur leurs te?tes : le gaz de schiste. Trois petites signatures du ministre de l’e?poque, Jean-Louis Borloo, pourtant de?clare? champion des e?nergies renouvelables, au bas d’arre?te?s autorisant de?but mars 2010 la recherche de ces hydrocarbures sur de vastes territoires du Sud-Est, auront suffi a? mettre le feu aux poudres.
Le gaz de schiste? Du gaz naturel qui, contrairement a? celui que l’on extrait en ge?ne?ral, comme a? Lacq, ne se trouve pas concentre? au sein de vastes poches souterraines ou? il suffit d’aller le pomper, mais disse?mine? dans les argiles tre?s compactes datant du lias (200 millions d’anne?es) ou du carbonife?re (350millions d’anne?es). Longtemps sa capture a semble? un re?ve complique? ou trop one?reux mais la rare?faction des re?serves en hydrocarbures a pousse? les inge?nieurs a? forcer le destin. Le principe est simple: apre?s avoir fore? verticalement, on pe?ne?tre horizontalement les schistes, dans lesquels on envoie a? forte pression des millions de litres d’eau et de sable pour ouvrir la roche d’ou? l’on va extraire le gaz. On appelle cela la «fracturation hydraulique».
Et cette technologie est la cle? a? la fois ge?niale et monstrueuse d’une re?volution e?nerge?tique: «On estimait jusqu’a? pre?sent qu’on avait du pe?trole pour quarante ans et du gaz pour soixante ans. On se projetait de?ja? dans une socie?te? post-e?nergies fossiles,expliquait dans les colonnes du Monde du 30juillet 2010 le PDG de GDF-Suez, Ge?rard Mestrallet. Si l’on a du gaz pour plus de cent vingt ans, alors il pourrait devenir l’e?nergie centrale et propre du XXIe sie?cle. » Centrale, sans doute; propre, seulement si on compare le gaz avec le charbon. La perspective de ce nouvel eldorado est en fait l’assurance que le monde va oublier toutes ses bonnes re?solutions sur les e?missions de gaz a? effet de serre. Qu’importe la gueule de bois pourvu qu’on ait l’ivresse !
Voici de?ja? dix ans que les Etats-Unis se sont lance?s dans l’aventure. En 2009, ils sont devenus gra?ce a? cela le premier producteur mondial de gaz devant la Russie… transformant au passage leur pays en gruye?re. Car chaque puits ne peut supporter gue?re plus d’une quinzaine de fracturations par forage, d’ou? ces images incroyables de vastes e?tendues de terres transforme?es en taupinie?res… et ze?bre?es de routes pour que les camions puissent par centaines acheminer l’eau ou emporter le gaz.
Mais il y a pire. Car, pour casser la roche et laisser ensuite filtrer le gaz, les industriels ont mis dans leurs tuyaux –traversant terres arables et nappes phre?atiques– des adjuvants chimiques. Et le re?sultat est effrayant. Josh Fox e?tait metteur en sce?ne de the?a?tre lorsque les industriels sont venus proposer a? son pe?re et a? ses voisins de Pennsylvanie de creuser leurs terres en que?te de cette nouvelle manne. Pour comprendre, il a pris une came?ra et parcouru les Etats-Unis d’est en ouest et du nord au sud, collectant les te?moignages. Le re?sultat est saisissant. Prime? lors du ce?le?bre festival ame?ricain de cine?ma de Sundance, le documentaire, Gasland, sort cette semaine en Grande-Bretagne.
On y voit un homme qui, en plac?ant simplement un briquet devant le robinet de son e?vier, de?clenche une grande flamme lorsque, entre deux arrive?es d’eau, du gaz s’en e?chappe… On y de?couvre des terres de?vaste?es, des eaux empoisonne?es, des gens malades. Car la plus grande opacite? re?gne sur les adjuvants que les inge?nieurs pe?troliers ont mis dans leur cocktail hydraulique: ils re?pugnent a? en donner la recette, se barricadant derrie?re le « secret industriel ». Au point qu’en 2010, l’Etat de New York s’est prononce? pour un moratoire arre?tant tout type d’exploration du gaz de schiste.
Au pied du Larzac, la salle des fe?tes de Saint-Jean-du-Bruel est archicomble. De me?moire de militant, cela faisait longtemps qu’on n’avait vu un tel rassemblement de pre?ts-a?-en-de?coudre. «Geler les autorisations de prospection est un pre?alable; le
moratoire, un minimum: on stoppe tout parce qu’on ne sait rien !»,marte?le l’orateur. Une sorte de ferveur flotte dans l’air. De celles, solennelles, qui pre?ce?dent les combats, teinte?es de de?termination, d’angoisse et de plaisir d’e?tre a? nouveau ensemble. Un gars d’Ale?s prend la parole: « Oui pour une action non violente… mais de?termine?e. La dernie?re fois,pour le barrage, on a quand me?me du? bru?ler quelques bulldozers. » Applaudissements.
Caussenards, Ce?venols, ils sont tous venus a? l’appel de Jean-Marie Juanaberria, 50 vaches allaitantes, enfant du pays et d’un pe?re basque, carrure de rugbyman, qui a convoque? la re?union. Le boulanger et l’e?picier sont descendus de Sauclie?res. Le patron de la conserverie de pa?te? a glisse? son obole dans la caisse commune. Les spe?le?ologues, la socie?te? de pe?che, la Confe?de?ration paysanne, chacun y va de son inquie?tude et de sa de?termination. Et le maire de Nant – qui en est aussi le garagiste – exprime en prive? son indignation. Il a eu beau appeler la pre?fecture et la direction re?gionale de l’environnement, de l’ame?nagement et du logement, il n’a rec?u aucune re?ponse:«Quand vous e?tes un e?lu, que les gens vous posent des questions et que vous ne savez rien, vous passez pour un incapable, et c?a – comment dire?– c’est tre?s de?sagre?able. »
De?ja? on lance l’ide?e de monter une coordination –«Ici et maintenant»–; d’organiser un jumelage avec une de ces villes de la valle?e du Saint-Laurent au Que?bec en proie a? la me?me menace et a? la me?me mobilisation, ou avec les Indiens de l’Equateur qui refusent qu’on puise le pe?trole qui dort sous leurs pieds. «Parce qu’une technique est possible, parce qu’elle est utilisable, doit-on pour autant l’utiliser?, demande Jose? Bove? a? l’assemble?e. On nous dit que nos besoins en gaz vont doubler dans les vingt ans a? venir: une manie?re d’imposer un choix e?nerge?tique en disant qu’on n’apas le choix. Mais si on continue de raisonner uniquement en termes de croissance, on ne s’en sortirajamais… »
L’homme du Larzac, l’alter-paysan, le pourfendeur de la malbouffe, l’arracheur volontaire d’OGM, est ici chez lui… Et cette histoire de gaz de schiste a de quoi le piquer au vif. Aussi, pourquoi avoir choisi ces hautes terres de re?volte pour lancer en France leur exploration? Par le plus grand des hasards, parce que c’est la? qu’il y a le plus d’espoir de trouver des re?serves importantes? Be?tement, parce qu’elles sont moins peuple?es que d’autres? Ou, comme le fantasment certains, parce que le camp militaire doit justement fermer dans deux ans et qu’utiliser ses sous-sols top secret a? l’abri des regards pourrait e?tre une sacre?e opportunite??
De chez Jose? Bove? –qui a cesse? l’e?levage depuis qu’il est devenu de?pute? europe?en–, le regard embrasse a? perte de vue les terres grandioses et de?sole?es des causses. «Les hydroge?ologues le disent: le Larzac est le cha?teau d’eau du sud de la France. C’est un sous-sol tre?s mal connu, un relief karstique qui est comme un gruye?re, tout ce que tu laisses tomber par terre descend imme?diatement dans le sous-sol… Je ne vois pas comment on pourrait faire ainsi pe?ter nos ressources en eau. »<; L’homme est calme et attentif. Il remplit sa bouffarde, fermant a? moitie? son œil droit pour concentrer son attention sur un ve?hicule qui longe le camp en contrebas. «La campagne, c’est le lieu le moins discret qui soit. La premie?re estafette ou bagnole un peu bizarre qui passe, les gars seront pre?venus. Un truc qui arrive de l’exte?rieur en milieu rural, cela se sait imme?diatement. On l’a vu pour les OGM, on les a toujours trouve?s. Il y a toujours quelqu’un qui savait, pre?venait… »
« C’est marrant parce que tout cela arrive quarante ans quasiment jour pour jour apre?s l’annonce de l’extension du camp militaire du Larzac a? l’automne 1970. Et rien ne semble avoir change? depuis dans le fonctionnement de l’Etat, poursuit-il. A l’e?poque, les gens avaient appris du jour au lendemain qu’ils allaient devoir partir sans que jamais on ne les ait consulte?s. Aujourd’hui, si quelques journalistes et personnes a? l’affu?t n’avaient donne? l’alerte, on se retrouverait avec des forages un peu partout sans pouvoir rien y faire. Me?me chose avec les OGM: l’autorisation de mise en culture s’est faite en novembre 1997 sans aucun de?bat… Les gens vont dire: c’est Borloo ou c’est Sarkozy, mais je suis persuade? que le premier n’a pas compris ce qu’il signait et que le second ne sait me?me pas de quoi nous parlons… Enfin pas encore. Nous sommes aux mains d’une logique administrative quasi autonome. Il n’y a eu aucun de?bat public ni me?me, a? ma connaissance, de discussion interministe?rielle sur la question. On se retrouve devant le fait accompli par la gra?ce des arcanes de l’administration. »
Grande Arche de la De?fense. Paroi nord. 29 e e?tage. Bureau 25. 6m2au sol. Une photo du ge?ne?ral de Gaulle e?pingle?e au mur,une Marianne de Delacroix franchissant les barricades au-dessus de l’ordinateur. C’est ici que, le 8 avril 2008, Martin Schuepbach –l’homme par qui le scandale arrive–, patron de Schuepbach Energy LLC, «Explorations and solutions in clean energy », estvenu de Dallas (Texas) de?poser la premie?re demande de permis d’exploration sur le bureau de Charles Lamiraux, ge?ologue de formation, «Responsable exploration France» a? la direction ge?ne?rale de l’e?nergie et du climat.
«A? LA FRANC?AISE»
Ce dernier s’insurge: « On est dans l’e?motionnel absolu sans base concre?te. Il n’y a pas plus transparent que ces proce?dures officielles: apre?s le de?po?t de la demande, il y a eu rapport de la Drire [la direction re?gionale de l’industrie et de la recherche et de l’environnement],consultation des services locaux, du pre?fet de la Dro?me, qui e?tait pre?fet centralisateur pour les trois dossiers de Monte?limar, Nant et Villeneuve-de-Berg. Juge?es recevables sur la forme, les demandes ont e?te? ouvertes a? la concurrence pendant 90 jours, au dernier desquels Total s’est mis sur les rangs. Pour montrer sa solvabilite?, M.Schuepbach s’est associe? a? Suez, et Total a obtenu le permis de Monte?limar… Jose? Bove?, de toute fac?on, il est contre tout. Il faut qu’il fasse parler de lui, alors force?ment… »
Dro?le d’homme, cheveux gris, mi-longs et raides tire?s en arrie?re, since?re et courtois, Charles Lamiraux se re?gale. « Je suis a? quatre ans de la retraite. Une vie de travail dans l’ombre et la?, d’un seul coup, je me retrouve au milieu d’une re?volution e?nerge?tique qui bat en bre?che une ide?e rec?ue: en France on n’a pas de pe?trole. J’avoue que c’est excitant. »Sur un petit carnet a? spirale, il a commence? de noter ses arguments afin de ne pas e?tre pris au de?pourvu. Un forage va utiliser 15millions de litres d’eau pour fracturer la roche ? «Les Franc?ais en de?pensent deux fois plus chaque anne?e pour laver leurs voitures. »Les nuisances environnementales ? «La fracturation hydraulique, on la pratique de?ja?. Et je peux vous assurer qu’en surface on ne voit rien, on n’entend rien. » La composition des additifs qui seront utilise?s dans les sous-sols ? « Des proppants–des adjuvants qu’on trouve dans les glaces et le dentifrice. »Les informations qui nous viennent des Etats-Unis, le gaz dans les robinets, les eaux empoisonne?es ? « C’est parce que c’est mal fait. Nous on va faire c?a a? la franc?aise, pas a? l’ame?ricaine. »
C’est donc c?a, notre secret : nous travaillons «a? la franc?aise». On aimerait e?tre rassure?. Le proble?me c’est que les techniques de fracturation sont loin d’e?tre une spe?cialite? locale. Au point que Total a juge? ne?cessaire, pour se mettre dans la course, de cre?er un joint-venture avec une grosse socie?te? ame?ricaine, Chesapeake Energy, pionnie?re dans le secteur, et que GDF-Suez a fait appel aux services d’une autre compagnie made in USA, Dale.
«IRRESPONSABILITE? POLITIQUE»
Bah, on ne va pas jouer les rabat-joie. Depuis l’Arche de la De?fense, le ciel semble limpide et les solutions droites comme les couloirs de l’administration de l’e?nergie. «Peut-e?tre qu’on pourra me?me cre?er un label de qualite? !,sourit le bon soldat Lamiraux avant d’ajouter, mi-nai?f, mi-face?tieux : « L’acce?s aux matie?res premie?res est une priorite? de l’Union europe?enne, et je suis paye? pour promouvoir la ressource. Mais c?a va, j’ai la sante?… Et puis les vraies de?cisions industrielles, avec enque?tes publiques – c?a c’est de l’artillerie lourde–, viendront plus tard. Dans cinq ans. Pour l’instant, je vous le re?pe?te, on n’en est qu’au stade de l’exploration. »
«POUR LA LUTTE CONTRE
LE RE?CHAUFFEMENT,C’EST
MACHINE ARRIE?RE TOUTE ! »
FABRICE NICOLINO, JOURNALISTE
« On ne me fera pas croire qu’une telle information ne remonte pas au ministre ! La ve?rite? c’est qu’ils ont fait c?a dans la discre?tion parce qu’ils avaient peur de mettre le feu aux poudres. » Fabrice Nicolino est journaliste et e?crivain. Sur son blog, Plane?te sans visa, il pourfend les ennemis de la nature et tient la comptabilite? pre?cise de ces petits mensonges quotidiens qui cachent la ve?rite? environnementale. C’est lui qui a alerte? Jose? Bove? lorsqu’il a de?couvert l’existence des permis d’exploration de gaz de schiste. « Un cas de flagrant de?lit d’irresponsabilite? politique. Face a? la crise climatique, la France a voulu donner des lec?ons au monde entier. Ce qui a abouti a? la loi du 13 juillet 2005 sur l’e?nergie qui implique que nous re?duisions par quatre sinon par cinq nos e?missions d’ici a? 2050. La? c’est machine arrie?re toute ! Avec le gaz de schiste, la loi ne sera pas seulement viole?e, elle sera un bout de papier au fond d’une poubelle… »
Car il n’y a pas que les Causses ou les Ce?vennes dans la mire des pe?troliers. Des permis d’exploration pour le Quercy – Cahors, Brive, Agen –, pour la re?gion Rho?ne-Alpes etla Provence sont en pre?paration. Le Bassin parisien lui-me?me est depuis longtemps dans la cible. Non pas cette fois pour du gaz mais pour du pe?trole de schiste (la technique et les conse?quences sont les me?mes). Une e?tude de l’Institut franc?ais du pe?trole estime en effet que ses sous-sols en rece?leraient quelque 60 a? 100 milliards de barils. Soit, dans sa fourchette haute, le montant actuel des re?serves prouve?es du Kowei?t.
Suffisamment en tout cas pour que Julien Balkany, le jeune fre?re du maire de Levallois, ait persuade? le groupe texan Toreador Resources, dont il est devenu vice-pre?sident, d’installer son sie?ge a? Paris, et des investisseurs ame?ricains comme le pe?trolier Hess d’investir des millions de dollars pour partir a? la chasse au tre?sor. Suffisamment pour que, au moment me?me ou? la re?volte commence a? gronder dans le Midi, a? l’Assemble?e, le de?pute? UMP de l’Oise Franc?ois-Michel Gonnot pose une question au gouvernement: «Aujourd’hui, les demandes de permis de recherche de gisements se multiplient en France. Le gouvernement se doit de les autoriser. Il n’y a pas de raison que la France se prive d’e?ventuels gisements qui lui permettraient de trouver des ressources gazie?res nouvelles dont notre territoire manque cruellement. »
Suffisamment pour que, partout en Europe, les lobbies s’agitent pour soutenir cette «e?nergie du futur» dont on vante force?ment l’aspect «propre» et «alternatif». Au Parlement europe?en, les e?lus verts ont ainsi failli laisser passer sans comprendre une proposition de de?le?gue?s –principalement polonais, dont le pays est en premie?re ligne dans l’exploration de gaz de schiste– appelant la Commission a? «soutenir financie?rement les programmes de recherche pertinents visant a? renforcer les activite?s de de?veloppement technologique portant sur l’extraction de gaz naturel a? partir de sources alternatives». Les grandes manœuvres ont commence?.
«C’EST ENCORE PRE?MATURE?»
On peut toujours penser que personne n’a se?rieusement envie de transformer les vignobles champenois en terre a? derricks et qu’au fond ces nouvelles re?serves d’hydrocarbures sont d’abord le moteur d’une revalorisation spe?culative des entreprises pe?trolie?res – je suis assis sur tant de millions de barils, donc je vaux tant. En attendant, rachats et acquisitions, investissements, prises de participations, permis d’exploration a? tout-va : un grand Yalta plane?taire des couches se?dimentaires du lias et du carbonife?re est en marche. La question n’est de?ja? plus de savoir si on va les exploiter, mais ou? elles seront exploite?es.
Chez Total – qui, avec le permis de Monte?limar, a conquis des droits pour cinq ans sur une large por-
tion du territoire franc?ais –, on avoue e?tre un peu pris de court par la leve?e de boucliers de Saint-Jean-du-Bruel. «Tout c?a est tre?s pre?mature?. Nous, nous en sommes encore a? nous demander si c’est seulement un sujet, sourit off the record un de ses spe?cialistes. Il n’est me?me pas encore prouve? que nous trouvions du gaz… Et si c’est le cas, il faudra encore prouver que son extraction est e?conomiquement rentable. Apre?s, oui, la question de son acceptation par les populations locales va devenir la question-cle?. Et elle va demander une pe?dagogie que nous n’avons pas encore de?ploye?e.»
L’acceptabilite? sociale des forages est en effet fondamentale dans une Europe dense?ment peuple?e et qui, au fond, ne regroupe que 5% des ressources mondiales estime?es en gaz de schiste. Pour Total, fouiller les schistes argentins du Neuquen – ou? la question sociale serait marginale – est beaucoup plus simple qu’affronter l’ire des populations franc?aises si tel e?tait le cas. Les zones du Larzac et des Ce?vennes –attribue?es a? Schuepbach et GDF-Suez– font en l’occurrence office de tests : si cela passe ici, cela passera partout en France.
A Saint-Jean-du-Bruel, alors que dehors la gele?e de l’hiver rigoureux a recouvert les routes, Jose? Bove? tente, dans la salle polyvalente surchauffe?e, de faire descendre un peu la fie?vre militante : «Eh les gars, si vous voyez des gens de GDF, avant de leur crever les pneus, demandez-leur d’abordpourquoi ils sont la?. »