Attention, une morale est située à la fin de ce papier.
Changement de programme, aujourd’hui du moins. Ni dénonciation ni abomination. Cela paraîtra incroyable aux habitués de Planète sans visa, mais enfin, faut ce qu’il faut. Voici une poignée de jours, j’ai parlé devant une petite assemblée du Gapse (ici) ou Groupe d’analyse des pouvoirs sociétaux et économiques. À la fin des échanges, j’ai bu un verre avec quelques participants, et parlé avec deux d’entre eux, Pedro Ferrandiz et Michel Duhamel. Le premier m’a demandé comment je voyais la biologie actuelle, et j’ai fait ce que j’ai pu : pas grand-chose. J’ai juste évoqué en quelques mots mon sentiment concernant le réductionnisme, cet éternel penchant de l’esprit humain à croire qu’il est parvenu au bout. En l’occurrence, à mes yeux béotiens en tout cas, nous sommes passés d’une situation où la biologie considérait – plus ou moins – l’être vivant en sa globalité à cette biologie moléculaire – passionnante à certains égards – qui croit pouvoir expliquer le tout à partir d’un élément, parmi les plus infimes.
Bon, autant vous dire que je n’ai pas brillé de tous mes feux devant Pedro Ferrandiz. Un tel sujet rend fatalement plus modeste encore qu’on peut l’être. Mais heureusement, nous n’en sommes pas restés là, et bientôt, l’associé de Pedro, Michel Duhamel, s’est joint à nous. C’est alors que j’en ai appris de bien belles sur une société qu’ils ont fondée, et qui s’appelle Genodics (ici). Je vous en préviens : tout ce qui suit sera entaché de mon ignorance. Ce sera approximatif, assurément, mais je pense néanmoins que vous me comprendrez, ce qui n’est pas rien. Au départ de cette aventure, un chercheur hors-normes, Évariste. Qui n’est évidemment pas son véritable nom. Mais Joël Sternheimer, docteur en physique théorique dès l’âge de 23 ans, s’est fait appeler quelques années Évariste – à partir de 1966 -, années pendant lesquelles il chanta.
La suite est sidérante. Car, reprenant ses activités scientifiques, et au long de décennies de réflexion, il met au point une théorie qu’il nomme protéodie. En deux mots, et seulement si j’ai bien compris : les protéines, chez les êtres vivants, émettent en se synthétisant des ondes. Des signaux sonores que l’on pourrait rapprocher, faute d’une plus grande imagination, de la musique. Précisons que ces ondes se forment au moment même où les acides aminés s’assemblent pour créer les protéines. À chaque protéine correspondrait une mélodie spécifique. Sternheimer a démontré que ces signaux, formulés par ordinateur, pouvaient augmenter de manière significative, chez les plantes, la synthèse de leurs protéines, et ainsi les aider dans de très nombreux domaines de leur existence.
Après la théorie, la pratique, laquelle s’appuie sur certains aspects fondamentaux de la physique quantique dont je serais bien incapable de vous parler. Ce que je retiens, pour ma part en tout cas, c’est que Sternheimer – et quelques autres- est parvenu à mettre au jour une langue nouvelle, radicalement autre, qui parle aux protéines des plantes. Pour en revenir à Ferrandiz et Duhamel, je me dois de dire deux mots d’un procédé tiré de ces découvertes, appliqué à la vigne, qui s’appelle la génodique. Entre autres maladies, la vigne peut être la victime de l’esca, déjà connue des Romains. Très complexe, elle associe trois champignons parasites et lorsqu’elle se développe jusqu’au bout, elle détruit la charpente du bois, tuant le cep. Pendant des décennies, on a utilisé contre ces charmants garçons de l’arséniate de soude. Mais le produit était si toxique qu’il a finalement été interdit en France en 2001, et dans toute l’Europe.
Dans bien des cas, on est obligé de brûler purement et simplement les souches contaminées et celles qui sont autour. On imagine les pertes. Ferrandiz et Duhamel proposent une approche qu’on ne peut qualifier que de révolutionnaire. Suivant les conseils de Raffaele Tabacchi, professeur à l’université de Neuchâtel, ils ont retenu deux protéodies. La première séquence de sons vise une protéine de la vigne qui renforce ses parois cellulaires. En « adressant » cette « musique » ciblée à la protéine, on lui permet d’augmenter son taux de synthèse, et du même coup de mieux lutter contre l’envahisseur en limitant la progression des lésions. Mais on peut également inhiber une protéine en diminuant son taux de synthèse, et c’est ce qui se passe avec la seconde protéodie utilisée contre l’esca. Celle-ci permet de limiter la croissance des champignons.
Résultat ? Je n’ai pas enquêté moi-même, vous vous en doutez probablement, mais les deux compères de Genodics ont publié une synthèse de leurs activités comprises entre 2003 et 2011. Soit des « morceaux » « musicaux » d’environ 7 minutes chaque, diffusés aux vignes entre 3 et 14 fois par semaine en fonction de divers paramètres. Depuis 2008, un système d’énergie solaire rend autonome la diffusion de la « musique », programmable à distance. Ces expériences ont eu lieu en Alsace, dans le Val de Loire et en Champagne. Sur les 46 essais in situ, tous ont montré une diminution de l’infection de départ par l’esca. Bien mieux je crois, la diminution du taux d’esca dans les parcelles de vigne enchantées est en moyenne de 67 %, ce qui est tout simplement colossal.
Un biais s’est-il glissé dans ces résultats ? Je n’en crois rien, même si ce n’est pas un argument. Et en tout cas, il me semble que ce travail montre à quel point nous sommes ignorants de ce qu’est la vie. De ce qu’elle réserve de fabuleux mystères, et de nouvelles voies pour avancer sans être écrasés par la machine industrielle. Il y a quelques années, préparant un entretien avec Myriam Sibuet, alors chercheuse à l’Ifremer, j’avais découvert – à ma grande honte, car j’aurais dû le savoir – qu’il existait une autre source de vie que la photosynthèse. En 1977, le sous-marin Alvin rencontrait à 2500 mètres de profondeur dans le Pacifique des sources hydrothermales à la vie foisonnante. Or cette vie ne reposait pas sur la photosynthèse, que l’humanité entière tenait jusque là pour unique dispensateur de la vie, mais sur la chimiosynthèse. En la circonstance, l’association entre des invertébrés et des bactéries. Lesquelles bactéries utilisant directement le méthane ou les sulfures pour se développer et produire ensuite des molécules assimilables par les invertébrés. Génial.
Morale de tout cela selon moi ? Nous ne savons rien, bis repetita. Mais il arrive que nous trouvions. Et dans le cas de Genodics, en approchant le plus possible des règles de base de la vie. Sans avoir recours aux artifices et artefacts, notamment dans le domaine devenu fou à lier de la chimie industrielle. L’une des voies praticables pour affronter cette crise écologique dont je vous rebats ici les oreilles, c’est justement cette redécouverte permanente de ce qui a permis à la nature vive de se maintenir si longtemps. Et de rétablir ses équilibres, fût-ce en plusieurs millions d’années, après des cataclysmes qui eussent dû l’anéantir. Oui, plus j’y pense, plus je crois que nous tenons là quelque chose d’infiniment précieux. Encore faut-il accepter au moins la possibilité de pensées scientifiques dérangeantes, comme celles de Sternheimer-Évariste ou encore de cet homme si mal traité que fut Jacques Benveniste, associé à jamais à la théorie de la mémoire de l’eau. Encore faut-il avoir le courage de combattre avec force les veilles barbes de l’Académie et de l’académisme. Et les sinistres personnages dans le genre de Claude Allègre. De l’imagination, donc. Et de la joie. Et de l’énergie. Bon, je dois reconnaître que ce n’est pas réaliste. Le bonjour.