J’entasse les livres, j’en ai partout autour de moi, j’en ai toujours eu, j’en aurai toujours. Mais il faut bien que je rende un peu de ce que je reçois, me semble-t-il. Et c’est pourquoi je me propose de vous parler de quelques-uns d’entre eux, avant que la poussière ne retombe dessus. L’ordre apparent de ce qui suit n’est qu’un habillage du désordre ambiant. Picorez. Voyez. Sentez. Et ne me croyez pas sur parole. Parole.
(1) D’abord ce livre signé Bertrand Guillaume et Valéry Laramée de Tannenberg, Scénarios d’avenir (chez Armand Colin). C’est un bon bouquin, trop court selon moi, qui fait le point sur deux questions intimement liées. La première, c’est celle du dérèglement climatique en cours, vraisemblablement bien plus grave que ce qu’annonce le prudent Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). Le constat est clair, argumenté, sombre. La deuxième question traitée est finalement celle de la technologie. Cette dernière est considérée comme l’ultime baguette magique, censée nous sauver de tout. Les auteurs démontrent, là encore avec clarté, l’étonnante naïveté de tant de promoteurs d’idées « neuves » en la matière.
Tel propose d’injecter de grandes quantités de dioxyde de soufre dans la stratosphère, dans le but de mimer une forte activité volcanique, qui « rétrodiffuserait » les rayons du soleil, abaissant du même coup la température au sol. Tel autre suggère d’ensemencer les mers avec du fer, ou de blanchir villes et nuages, etc. Bref, ce que les auteurs appellent « l’ingénierie de la planète » est l’autre nom de la foi naïve dans la technologie. Les auteurs s’en détachent nettement, même s’ils accordent un certain crédit – immérité selon moi – aux projets de séquestration de carbone sous terre. Bien qu’éloigné de leurs vues générales, je les rejoins volontiers sur cet essentiel-là : pour lutter contre le dérèglement climatique, il faut une révolution énergétique. Dernier point, déplaisant : le prix de ce livre est de 25 euros, pour 160 pages. Armand Colin se moque de qui ?
J’ajoute ceci, qui n’a (presque) rien à voir. Valéry Laramée de Tannenberg est le rédacteur-en-chef d’une des meilleures sources en français d’information sur l’écologie. Le Journal de l’Environnement, en ligne, est une grande réussite. Payante, mais cela me semble normal (http://www.journaldelenvironnement.net/). L’abonnement est cher, mais on peut faire un essai gratuit de trois mois.
(2) Passons à Alain Hervé, écologiste historique, créateur au début des années 70 du journal Le Sauvage. Il tente et réussit dans Merci la Terre (Sang de la Terre/Médial, 72 pages, 4,90 euros) un petit miracle minimaliste. En 23 chapitres de deux pages en moyenne, il nous offre sa vision de la vie sur cette planète, nous compris. Je pourrais aisément me disputer avec lui sur tel ou tel sujet – il y a de quoi -, mais au total, l’admiration l’emporte. Hervé a une façon merveilleuse, à la fois simple et puissamment évocatrice, de décrire les vastes phénomènes qui nous entourent, et nous font. On passe de la nuit à la forêt, de nos origines à la mer, de l’agriculture aux animaux, en passant par l’eau et le feu. Un seul mot : bravo.
(3) Qui est Gilbert White ? Un curieux Anglais né en 1720, qui a passé l’essentiel de sa vie dans le village de Selborne. La petite et valeureuse maison d’édition marseillaise Le Mot et le Reste (ici) publie un classique d’outre-Manche, parfaitement inconnu chez nous, Histoire naturelle de Selborne (320 pages, 23 euros). Il s’agit de deux séries de lettres adressées par Selborne au zoologiste Thomas Pennant d’une part et au juriste Daines Barrington d’autre part.
Selborne est un village de moins de 700 habitants, à environ 75 km au sud de Londres, que White explore pour nous dans tous les sens. Comme il est un naturaliste, son regard est précis, mais aussi chargé d’émotion. Extrait : « Au fur et à mesure que la paroisse s’étend vers la forêt de Woolmer, à la jonction des terres argileuses, le sol devient un terreau sableux et humide, impeccable pour le bois de construction, mais épouvantable pour la circulation ». Les oiseaux fascinent White, et nous fascinent à notre tour, 220 années plus tard. Si peu de choses semblent avoir changé ! Extrait : « L’alouette a commencé d’émettre ses chuintements dans mes champs samedi dernier ». Les pouillots voisinent avec les choucas, le faucon hante les marais à la recherche de sa pitance, l’engoulevent et l’œdicnème fendent les airs ou les herbes.
(4) Alex Mac Lean m’avait soufflé, en 2008, avec Over, un livre de photos aériennes consacré à l’American Way of Life, sous-titré : Une aberration écologique (La Découverte). Il publie, de nouveau à La Découverte, Sur les toits de New York ( 240 pages, 42 euros).
Il s’agit de photos prises du ciel, qui nous montrent ce que l’on ne voit jamais. Par la pure et simple magie de son œil – car il en faut -, Mac Lean se fait le découvreur d’un monde.Sur les toits se trouve une autre ville, faite de bars, de restaurants, de potagers, de vrais jardins, de petites centrales d’énergie, d’espaces coopératifs, de solariums bien entendu. Le seul immeuble de la Standard Motor Products – 6 étages – a permis la création, sur 4 000 mètres carrés, de la Brooklyn Grange Rooftop Farm. Ce livre est comme un passeport, fait pour le voyage, fait pour le plus beau des voyages, celui du rêve. Urbain.
(5) Patrick Piro, journaliste, a écrit pour les éditions Les Petits Matins un livre fort bien fait, dont le titre est : Le nucléaire, une névrose française (250 pages, 14 euros, enfin un prix raisonnable).
Je connais Patrick depuis des lustres, je le précise, et je le tiens pour un ami, même si je ne le vois que rarement. Mais cette note n’est pas du copinage. Son bouquin est d’un bout à l’autre clair, synthétique, éclairant. Et en cette manière, il y faut un vrai talent, dont l’auteur dispose pour nous. Le livre, critique – heureusement ! -, passe en revue les grandes questions, de la sécurité post-Fukushima à l’économie du nucléaire, sans oublier la décisive question de son histoire, EPR comrpis. Patrick revient ainsi, et entre autres éclairages, sur ce qu’il nomme fort justement le « coup d’État du 6 mars 1974 ». Au centre du livre, ce fait qui reste une révélation, tant il est peu connu : au plan mondial, le nucléaire est sur le déclin, et nullement à l’offensive. Conclusion forte : « le débat va rester sous tension pendant des années ».
Bon, je vous épargne la liste des romans que j’ai entre-temps dévoré de bon appétit. Il me faut avouer que je ne mets rien au-dessus. J’ai encore dans la gorge le goût du tout dernier, El Asedio (Le siège), un roman d’Arturo Pérez-Reverte, publié en poche dans la collection espagnole Punto de lectura. Oui, je l’ai lu en castillan, et pas pour faire bisquer qui que ce soit. Cette langue est à elle seule une fête, une ivresse intérieure. Et comme j’ai la chance de la lire, pourquoi m’en priverais-je ? El Asedio raconte le siège de Cadix par les troupes napoléoniennes, en 1811.
Dans le genre, on peut parler d’un récit picaresque, même si ce n’est pas tout à fait cela. Inventé en Espagne, le roman picaresque est le plus souvent autobiographique. Mais le mot espagnol pícaro (tantôt « misérable », tantôt « malin ») colle parfaitement à plusieurs personnages de ce fleuve d’aventures qu’est El Asedio. Et notamment Pepe Lobo, le capitaine Pepe Lobo, qui se fait corsaire, sans doute mon préféré. Dans cette ville de Cadix posée au bord de l’Atlantique, battue par les vents, les flots et les canonnades françaises, le drame est partout. Le commissaire Rogelio Tizón traque un assassin de jeunes filles, qui meurent de façon énigmatique, tout près de lieux d’impact des bombardements français. Tandis que le capitaine Desfosseux tente à toute force d’améliorer la portée de ses chers canons, ce pauvre couillon de Felipe Mojarra – un paysan-guerillero qui n’aura bientôt plus que ses larmes pour pleurer – harcèle autant qu’il peut ces autres couillons que sont les fantassins français perdus au fond de l’Andalousie. Quant à Lolita Palma, la propriétaire de l’entreprise Palma e Hijos, ne partez pas dans vos fantasmes. Malgré son prénom, elle n’a rien d’une séductrice. Plutôt, elle est probablement celle d’un seul. Mais lequel ?
Avant de vous quitter, un dernier mot sur l’un des plus évidents personnages du roman, l’océan. Qu’on lui fasse face, qu’on lui tourne le dos, qu’on y navigue, qu’on y meure, qu’on le regarde à la lunette en espérant l’arrivée d’un chargement, il est un sublime organisme vivant. Qui nous remet à notre juste place.