Le papier ci-dessous a paru dans Charlie-Hebdo le 16 janvier 2013
Les experts lancent un énième appel et reconnaissent que l’air des villes est pourri. À cause de la bagnole, qui flingue à tout va les poumons. Il faudrait faire, mais on ne fera rien. L’air tue, mais rapporte.
Ami lecteur, si tu as envie d’abréger les souffrances de ta vie, respire, un bon coup si possible. Ainsi quitteras-tu plus vite cette triste vallée de larmes, comme le garantit (1) le Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH). Précisons que le BEH, publié par l’Institut national de veille sanitaire, fait autorité. Or dans son premier numéro de janvier 2013, le bulletin balance, après bien d’autres il est vrai, quelques énormités.
L’air des villes est pourri. À Paris, par exemple, 9 habitants sur 10 sont (potentiellement) exposés à des niveaux de pollution hors-la-loi. Car faut pas croire, toi qui craches tes poumons : il existe une réglementation. Elle est merdique, elle est laxiste, elle a vingt ans de retard sur les connaissances scientifiques, mais elle existe. Sauf qu’elle n’est pas respectée. Reprenons : 9 Parisiens sur 10, entre 1 à 3 millions de Franciliens se chopent notamment trois polluants gratinés : le dioxyde d’azote ou NO2, les particules de diamètre inférieur à 10 ?m (PM 10) et les particules fines de diamètre inférieur à 2,5 ?m (PM 2,5). C’est technique en diable, mais ça tue aussi bien, quoique plus lentement, qu’un coup de flingue entre les oreilles.
À Bucarest, raconte le BEH, un gars de 30 gagnerait deux ans de vie si les normes de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) étaient respectées. Et six mois à Paris. Si tu as le bonheur d’habiter près du périph’, ou de la RN2 à Pantin, ou de l’A1 à Saint-Denis, laisse tomber, t’es mort. Tu n’auras pas manqué de noter, avant d’y passer, que ces charmants habitats sont tous situés chez les prolos. Eh oui, il vaut mieux habiter Neuilly que Saint-Denis. Le BEH consacre un bel article au « différentiel d’exposition à la pollution atmosphérique ». En résumé, vos gueules, les pauvres.
Le plus drôle, c’est encore les particules fines (PM 2,5). Comme elles ne sont pas plus grandes que les bactéries, elles rentrent profond dans les alvéoles du poumon, et le reste. La France s’est dotée fièrement d’un « objectif de qualité » de 10 µg par m3, soit dix millionième de gramme par mètre cube. Pas bézef, mais pas tenable : la totalité des 11,7 millions de Franciliens s’en prend bien davantage dans les narines. Genre trois fois plus.
Mais mon Dieu ! que faire ? On sait. À Hong Kong, dit encore le BEH, la teneur en soufre des carburants a été abaissée à 0,5 % du poids au maximum en 1990. Dès la première année, baisse de 2,1 % des morts, et même de 3,9 % pour la mortalité respiratoire. Seulement, il faudrait se remuer, et s’attaquer en priorité au responsable principal du désastre, c’est-à-dire la bagnole. Dans son édito du BEH, Michal Krzyzanowski, tel un Ravachol ramollo lançant sa bombe, écrit : « L’accumulation de preuves sur les effets de cette pollution sur la santé invite à des approches politiques plus radicales et globales ».
Peut-on faire confiance à Ayrault-Hollande pour s’y mettre ? Ben, pas sûr. Les chiffres de Peugeot viennent de sortir, et bien que très bons pour la santé humaine, ils sont effroyables pour l’économie. Notre bel industriel a en effet connu un recul de 19,6 % de ses ventes en 2012. Combien d’asthmes et de cancers évités ? Beaucoup, car Peugeot est le premier fabricant de moteurs diesel dans le monde, et l’OMS a classé en juin les émissions de diesel dans la noble catégorie des « cancérogènes pour l’Homme ».
Finissons sur une note optimiste : il y a bien pire. Une étude parue dans The Lancet (2) étudie 67 facteurs de risque dans l’apparition des maladies au plan mondial. En Asie, la pollution de l’air, essentiellement due aux bagnoles, a tué 2,1 millions de personnes en 2010. Surtout en Chine. Et ça s’aggrave. La mortalité planétaire serait passée de 800 000 en 2 000 à 3,2 millions en 2010. La mort par respiration d’un air craspouille est devenue la dixième cause de mortalité dans le monde.
Finissons sur une deuxième note optimiste : les Chinois débarquent. La bagnole Qoros, du constructeur chinois Chery, sera au salon de Genève en mars, et chez nous un peu plus tard.
(1) BEH-n-1-2-2013
(2) A comparative risk assessment of burden of disease and injury(…) The Lancet, 15 Décembre 2012
Ajout important du 23 janvier 2013 : Un commentaire avisé, celui de Michel G, critique ce papier et me demande de le corriger. Je ne vais pas barguigner, et je lui donne raison. Dont acte, comme on dit. J’ai fait dire à l’étude du Lancet ce qu’elle ne disait pas.
Mais je vous dois, amis lecteurs, une explication, qui n’exonère en rien ma responsabilité. Un journaliste, aussi consciencieux qu’il soit, et je prétends l’être, s’appuie nécessairement sur la lecture d’autres que lui. C’est un fait, et il ne sera pas démenti de sitôt. Pour ce qui me concerne, j’ai fait confiance, à tort, à un journaliste spécialisé, qui avait écrit textuellement ceci : « Une étude publiée par la revue scientifique The Lancet (…) montre que la pollution liée à la circulation automobile est à l’origine de 2,1 millions de morts prématurées en Asie en 2010. Selon les chercheurs, la pollution atmosphérique due à l’explosion de l’utilisation de la voiture dans les villes asiatiques est désormais l’une des causes de mortalité en expansion, dans le monde, avec l’obésité ».
Je ne vais certes pas dénoncer ce confrère, mais il faut me croire, la source est sérieuse. Je suis allé regarder l’article du Lancet, et je suis obligé de reconnaître que je ne l’ai que parcouru, très rapidement. Je n’y cherchais que simple confirmation, et partant, je l’ai obtenue. J’ajoute que d’autres sources, sérieuses elles aussi, pointent l’écrasante responsabilité de la pollution automobile dans la pollution de l’air urbain en général.
Ceci posé, trois choses. Un, j’ai eu tort, et cela m’amènera à être plus vigilant que je ne suis. Je remercie donc Michel G, et c’est sincère.
Deux, cette faute décrit l’un des points aveugles de la profession de journaliste. On y délègue constamment sa confiance. C’est en partie inévitable.
Trois, je ne peux retoucher un article déjà publié, et je suis donc contraint de laisser ce texte comme il est. Mais que ces mots apparaissent pour ce qu’ils sont. Je vous prie de m’excuser.