La lettre qui suit m’a été envoyée par un ami lointain, très proche pourtant, de Planète sans visa. Laurent Fournier, que je salue, vit en effet en Inde. Ce courrier public d’un vieil homme qui se se penche sur le passé et le futur d’un seul mouvement m’a beaucoup touché. Il date de 2006, mais il est surtout de notre temps. Les interrogations de Bhaskar H. Save devraient être discutées dans les écoles, elles devraient être dans tous les journaux et sur toutes les lèvres. Mais enfin, puisque c’est ainsi, soyons donc seuls encore.
« Kalpavrushka » Farm
Village Dehri, Via Umergam, District Valisad, Gujarat – 396 170 (INDIA)
http://www.savesanghavi.com/
To : Shri M.S. Swaminathan,
The Chairperson, National Commission on Farmers
Ministery of Agriculture, Government of India
Juillet 29, 2006
Objet: Augmentation de Suicides et Politique Agricole Nationale
Cher Mr Swaminathan,
Je suis un fermier de 84 ans, pratiquant l’agriculture naturelle/organique depuis plus de six décades, et la culture d’une grande diversité de plantes alimentaires. J’ai, au cours des ans, mis en pratique plusieurs systèmes de culture, incluant la méthode chimique dans les années cinquante – dont j’ai bien vite vu les pièges.
J’affirme que c’est seulement par l’agriculture organique, en harmonie avec la Nature, que l’Inde peut fournir à sa population, de façon durable, une nourriture abondante et saine – et couvrir l’ensemble des besoins pour vivre sainement, dignement et en paix.
Vous, Mr. Swaminathan, êtes considéré comme le « Père » de ce qu’on appelle la « Révolution Verte » de l’Inde, qui a délibérément laissé la porte ouverte aux produits toxiques de l’agrochimie qui ont ravagé les terres et les vies de millions de fermiers indiens au cours des cinquante dernières années. Plus qu’aucune autre personne au cours de notre longue histoire, c’est Vous que je tiens pour responsable de la dramatique situation de nos sols et de nos fermiers accablés de dettes, poussés au suicide en nombre croissant chaque année.
Ironie du sort, vous voilà devenu à présent le Président de la « National Commission on Farmers », chargée de définir une nouvelle politique agricole. Je vous demande de saisir cette opportunité pour apporter des modifications pour le bien des enfants, présents et à venir. Sachant que votre Commission sollicite les avis des fermiers pour définir la nouvelle politique, et puisqu’il s’agit d’une consultation ouverte, j’adresse une copie de ma lettre : Au Président, au Premier Ministre, au Ministre de l’Agriculture, au Président du Conseil et aux médias, pour une plus ample diffusion. J’espère que cela provoquera une prise de conscience et un débat ouvert à tous les niveaux sur les enjeux extrêmement vitaux en question. Ceci afin d’éviter que se reproduise le même genre d’erreur stupide qui nous a conduit à l’actuel désordre, profond et généralisé.
Le grand poète Rabindranath Tagore évoquait, il n’y a pas si longtemps, notre « sujhalam, sufalam » pays, qui était, en effet, une région remarquablement fertile et prospère, avec des sols riches, de l’eau et du soleil en abondance, des forêts épaisses, un trésor de biodiversité … Et un peuple cultivé et pacifique, disposant d’un vaste fonds de connaissances agricoles et de sagesse.
Nous sommes fermiers dans le sang. Mais cela m’attriste que notre génération (aujourd’hui grisonnante) de fermiers indiens, ait accepté d’être dupée en adoptant le mode d’agriculture, à courte-vue et dévastateur au plan écologique, qui a été importé dans ce pays – Par ceux, comme Vous, qui n’ont aucune expérience agricole !
Depuis d’innombrables générations, cette terre a pourvu aux besoins d’une population parmi les plus nombreuses de la planète. Sans aucun « fertilisant » chimique, aucun pesticide, aucune de ces quelques variétés de céréales exotiques, ni aucune de ces chimériques nouveautés « biotechnologiques » dont vous semblez appuyer le transfert. Les nombreuses vagues d’occupants dans notre pays, au cours des siècles, ont beaucoup pris. Mais la fertilité de notre pays n’a pas été affectée pour autant.
Les Upanishads disent :
« Om Purnamadaha
Purnamidam Purnat Purnamudachyate
Parnasya Purnamadaya Purnamawa Vashishyate »
« Cette création est totale et complète.
Du Tout émergent des créations, chacune totale et complète.
Chacune prend tout du Tout, mais le Tout subsiste encore,
Non diminué, complet ! »
Dans nos forêts, les arbres comme her (jujubier), jambul (jambolan), manguier, umbar (figuier sauvage), mahua (Maduha indica), imli (tamarinier), … fructifient si abondamment à leur saison que les branches ploient sous le poids des fruits. La charge annuelle de chaque arbre est souvent de plus d’une tonne, année après année. Mais la terre alentour demeure entière et non amoindrie. Il n’y a pas de trou béant dans le sol !
D’où les arbres – y compris ceux des Montagnes Rocheuses, obtiennent-ils leur eau, leur NPK [azote, phosphore et potassium, FN], etc. ? Bien qu’immobiles, la Nature pourvoit à leurs besoins, efficacement, là où ils se dressent. Mais les scientifiques et les technocrates comme Vous – avec un entêtement borné et déplacé – paraissent aveugles à cela. Sur quelle base prescrivez-vous ce qu’un arbre ou une plante requiert ? Et combien ? Et quand ?
Comme on le dit : « Quand il y a manque de connaissance, l’ignorance se déguise en « Science » ! Or, la Science, que vous avez épousée, trompe les fermiers et les envoie vers les gouffres de la misère.
Alors qu’il n’y a pas de honte à être ignorant, la prise de conscience de cette ignorance est le nécessaire premier pas vers la connaissance. Mais le refus de la voir procède d’une vaine arrogance.
Ce pays compte plus de 150 Instituts d’Agronomie et nombreux sont ceux qui disposent de vastes propriétés de plusieurs milliers d’acres. Ils ne manquent ni d’infrastructure, ni d’équipement, ni de personnel, ni de moyens financiers … Et pourtant, aucun de ces Instituts fortement subventionnés ne réalise le moindre bénéfice, ne produit quelque quantité significative d’aliments, ne serait-ce que pour nourrir son propre personnel et ses étudiants. Mais chaque année, chacun d’eux lâche plusieurs centaines de « diplômés », inemployables car formés seulement pour fourvoyer les fermiers et pour semer la dévastation écologique.
Au cours des 6 années que l’étudiant y passe pour obtenir un Master d’agronomie, le seul objectif, à court terme et assez vague, est la « productivité ». Pour cela, on presse le fermier de faire et d’acheter cent choses différentes. Mais on n’a pas une pensée pour ce que le fermier doit ne jamais faire pour que la terre demeure indemne pour les générations futures et toutes les autres créatures
Il est temps pour notre peuple et notre gouvernement de réaliser que ce mode industriel de pratique agricole – prôné par nos institutions – est foncièrement criminel et suicidaire !
Gandhi a dit : « Quand il y a soshan, ou exploitation, il ne peut pas y avoir poshan, ou éducation ! »
Vinoba Bhave a ajouté : « La Science unie à la compassion peut quasiment apporter un paradis sur la terre. Mais divorcée de la non-violence, elle ne peut que causer une immense catastrophe qui nous avalera tous dans ses flammes ! »
Tenter d’augmenter la « productivité » de la Nature est bien la gaffe fondamentale qui met en évidence l’ignorance des tenants de l’agriculture scientifique.
La Nature, quand elle n’est pas spoliée par l’Homme, est déjà plus généreuse dans ses rendements. Quand un seul grain de riz peut en reproduire une centaine en quelques mois, où se situe le besoin d’accroître la productivité ?
Nombreuses sont les variétés d’arbres fruitiers qui produisent aussi, chacun au cours de son existence, plusieurs centaines de milliers de kilos de nourriture ! Ceci, à condition que le fermier ne répande pas poison et désastre autour de l’arbre, dans son avidité pour un profit rapide ! Un enfant a le droit de se nourrir du lait de sa mère. Mais si nous épuisons aussi le sang et la chair de la Terre-Mère, comment pouvons-nous lui demander de continuer à nous alimenter ?
La mentalité d’ « asservissement au commerce et à l’industrie » qui ignore tout le reste, est la racine du problème. Mais l’industrie ne fait guère que transformer les « matières premières » issues de la Nature en produits commerciaux, en commodities. Elle ne peut rien créer de nouveau. La Nature seule est véritablement créative et capable de s’auto-régénérer par synergie avec le frais influx quotidien de l’énergie solaire.
Les Six Paribals de l’auto-renouvellement de la Nature.
Il y a sur la Terre un jeu constant entre les six paribals (facteurs-clé) de la Nature, en interaction avec le soleil. Les trois premiers sont l’air, l’eau et le sol. Opérant en alliance avec eux, sont les trois ordres de la vie : « vanaspati srushti » (le monde des plantes), « jeev srushti » (le royaume des insectes et des micro-organismes) et « prani srushti » (le règne animal). Ces six paribals maintiennent un équilibre dynamique. Ensemble, ils harmonisent la grande symphonie de la Nature, et tissent du neuf !
L’Homme n’a aucun droit de perturber ainsi les Paribals de la Nature. Mais la technologie moderne, unie au commerce, plutôt qu’à la sagesse et à la compassion – s’est révélée désastreuse à tous les niveaux … Nous avons spolié l’eau et pollué le sol, l’eau et l’air. Nous avons effacé la plupart de nos forêts et tué leurs créatures … Et, sans relâche, les fermiers modernes répandent des poisons mortels dans leurs champs. Ce faisant, ils massacrent le jeev srushti de la Nature – ces modestes mais infatigables petits travailleurs qui maintiennent le sol aéré et recyclent la biomasse fanée en nutriments pour les plantes. Les produits chimiques toxiques empoisonnent inévitablement l’eau, et le prani srushti de la Nature, qui inclut les êtres humains.
La durabilité est un concept actuel, à peine évoqué à l’époque où vous défendiez la « Révolution Verte ». Pouvez-vous nier que sur plus de 40 siècles, nos ancêtres ont cultivé sur le mode de l’agriculture organique – sans aucun déclin notable de la fertilité du sol, comme au cours des 4 ou 5 dernières décennies ?
Ce n’est pas une nouveauté que l’utilisation intensive des produits chimiques et de l’irrigation appliquée à la monoculture commerciale constitue le premier responsable de la dévastation écologique largement répandue dans ce pays, sur la durée d’une seule génération !
Erosion industrielle de la diversité des cultures, pénurie de matière organique et dégradation du sol.
Ce pays pouvait être fier de son immense diversité de cultures, adaptées depuis des millénaires aux conditions locales et aux besoins – Notre grand nombre de variétés indigènes de céréales fournissaient plus de biomasse et protégeaient le sol du soleil, et contre les fortes pluies de mousson. Mais dans le but d’augmenter le rendement des récoltes, un petit nombre de variétés étrangères ont été introduites et Vous vous êtes efforcé de les promouvoir. Cela a conduit à de plus vigoureuses levées de mauvaises herbes, qui pouvaient désormais concurrencer avec succès pour la photosynthèse les nouvelles herbes chétives. Les fermiers devaient donc dépenser plus d’efforts et d’argent pour désherber ou répandre des herbicides.
La paille obtenue avec les cultures de céréales chétives a carrément perdu un tiers du volume des pailles des espèces natives des céréales ! Au Penjab et en Haryena, elle était même brûlée, comme conseillé afin de détruire les germes « pathogènes » (en fait, elle était trop toxique pour nourrir les animaux de la ferme qui étaient progressivement remplacés par des tracteurs). En conséquence, il y avait beaucoup moins de matière organique disponible pour restaurer la fertilité du sol, forçant au besoin artificiel d’apports extérieurs. Inévitablement, les fermiers ont été obligés d’utiliser plus de produits chimiques, et sans cesse, la dégradation du sol et l’érosion ont progressé.
Pestilence industrielle.
Les variétés exotiques, cultivées à l’aide des engrais chimiques, ont été plus sensibles aux fléaux et aux maladies, obligeant à l’emploi d’encore plus de poison (insecticides, etc.). Mais les insectes combattus ont développé des résistances et se sont multipliés. Leurs prédateurs (araignées, grenouilles, etc.) qui se nourrissent de ces insectes, opérant ainsi le « contrôle biologique » de leurs populations ont été exterminés. Ainsi l’ont été plusieurs espèces bénéfiques comme les vers de terre et les abeilles.
L’agrobusiness et les technocrates, ont conseillé des doses plus fortes et, à nouveau, des produits chimiques plus toxiques (et plus coûteux). Cependant, les problèmes de « pestes » et de « maladies » n’ont fait qu’empirer. La spirale des coûts écologiques, financiers et humains s’est enclenchée.
Le développement de la pénurie d’eau et la mort des sols salinisés.
Avec l’utilisation des fertilisants de synthèse et le développement des cultures commerciales, les besoins d’irrigation se sont considérablement accrus. En 1952, a été construit le barrage de Bhakra au Penjab, un Etat riche en eau car traversé par 5 rivières venant de l’Himalaya. Plusieurs milliers de plus grands et moyens barrages ont suivi, dans tout le pays, culminant avec l’énorme Sardar Sarovar. Et, à présent, notre gouvernement joue avec des projets grandioses, à la hauteur de 560 Milliards de roupies, visant à détourner et à relier le cours de nos rivières. C’est de la pure « Tuhglaqian » mégalomanie sans une pensée pour les futures générations !
L’Inde, après l’Amérique du Sud, est la région du monde qui reçoit les plus fortes précipitations. Le niveau actuel est d’environ 4 pieds (plus de 1200 mm). Là où une épaisse végétation couvre le sol, et où le sol est vivant et poreux, au moins la moitié de cette eau de pluie est absorbée et conservée dans le sol et les strates du sous-sol. Une bonne quantité s’infiltre profondément et recharge les aquifères et les nappes phréatiques. Le sol vivant et les nappes phréatiques constituent des réservoirs naturels gratuitement offerts par la Nature. Particulièrement efficaces pour absorber la pluie, sont les terres couvertes de forêts et d’arbres. C’est ainsi qu’il y a un demi-siècle, la majeure partie du territoire de l’Inde disposait d’assez d’eau fraîche tout au long de l’année, longtemps après la saison des pluies. Mais, à l’évidence, les forêts et la capacité de la terre à absorber la pluie ont chuté de façon dramatique. Les cours d’eau et les puits sont à sec. C’est déjà ce s’est passé dans trop d’endroits.
Alors que la recharge de l’eau du sol s’est considérablement réduite, son utilisation a augmenté. L’Inde puise chaque jour plus de 20 fois plus d’eau dans le sol qu’elle ne le faisait en 1950 ! Ce véritable gaspillage est le fait d’une minorité. Car, la majorité de la population de l’Inde – qui vit en puisant ou en pompant l’eau manuellement et qui pratique l’agriculture pluviale – continue à utiliser la même quantité d’eau souterraine par personne, comme elle l’a fait au fil des générations.
Plus de 80 % de la consommation d’eau en Inde sert à l’irrigation, et la plus grande partie est monopolisée par les cultures commerciales traitées chimiquement. Maharastra, par exemple, réunit le plus grand nombre de grands et de moyens barrages dans ce pays. Mais, à elle seule, la canne à sucre, qui pousse sur tout juste 3 à 4 % de la sole cultivable, engloutit près de 70 % des eaux d’irrigation. 1 acre de culture chimique de canne à sucre nécessite autant d’eau qu’il en faut pour 25 acres de jowar, bajra ou maïs. Les fabriques de sucre aussi en consomment d’énormes quantités. De la culture à la transformation, chaque kilo de sucre raffiné demande 2 à 3 tonnes d’eau. Avec cela, on pourrait cultiver sur le mode traditionnel de l’agriculture organique, environ 150 à 200 kg de nourrissant jowar ou bajra (variétés natives de millet). Alors que le riz se prête bien à la culture pluviale, la vaste extension des cultures irriguées, pratiquées aussi bien en hiver qu’en été, a englouti de la même façon nos ressources en eau et épuisé les nappes phréatiques. Comme avec la canne à sucre, cela entraîne de façon irréversible la ruine des terres par l’effet de la salinité.
La salinisation des sols est le plus grand fléau lié à l’irrigation agricole intensive, en raison de la croûte de sels qui se forme à la surface des sols et s’épaissit progressivement. Des millions d’hectares de terres cultivées ont ainsi été ruinées. Les problèmes les plus graves sont apparus là où des plantes gorgées d’eau comme la canne à sucre ou le riz basmati sont cultivées à longueur d’année et où ont été abandonnés les anciens systèmes traditionnels de cultures mixtes et de rotation des cultures, qui demandent un minimum d’arrosage ou pas du tout.
Comme au moins 60 % de l’eau utilisée pour l’irrigation actuellement en Inde est excessive, donc néfaste, la première chose à faire est de contrôler cela. Ainsi, non seulement le grave dommage causé par trop d’irrigation sera stoppé, mais un bon quota de l’eau épargnée peut ainsi devenir utilisable localement, en priorité pour les zones qui subissent une grave pénurie.
Irrigation normale et recharge des nappes phréatiques à Kalpavrushka
Efficace, la culture organique nécessite très peu d’irrigation – beaucoup moins que ce qui est communément utilisé en agriculture moderne. Les rendements des récoltes sont meilleurs quand le sol est juste humide. Le riz est la seule exception car il pousse même sur les terres inondées, ce qui en fait une culture de mousson des zones de plaine naturellement vouées à l’inondation. L’excès d’irrigation dans le cas de toutes les autres cultures expulse l’air contenu dans les interstices du sol – absolument nécessaires pour la respiration des racines – et l’arrosage prolongé cause le pourrissement des racines.
L’irrigation sur ma ferme ne représente qu’une petite fraction de celle qui est apportée actuellement aux fermes modernes. De plus, le sol poreux sous l’épaisse végétation du verger est comme une éponge qui absorbe et infiltre l’eau vers les aquifères et la nappe phréatique, une énorme quantité d’eau de pluie lors de chaque mousson. La quantité d’eau ainsi retenue dans le sol à Kalpavrushka dépasse de beaucoup la quantité totale de l’eau tirée du puits pour l’irrigation dans les mois où il ne pleut pas. Ainsi ma ferme apporte plus d’eau à l’écosystème de la région qu’elle n’en consomme ! A l’évidence, la bonne voie pour sécuriser l’approvisionnement en eau et en aliments de cette nation passe par la pratique de cultures mixtes, adaptées au contexte local, de plantes et d’arbres, sur le mode organique, suivant les lois de la Nature.
La nécessité de 30 % de couvert forestier.
Nous devons restaurer au moins 30 % du couvert forestier d’espèces indigènes d’arbres et de forêts variées, au cours de la prochaine ou des 2 prochaines décennies. Telle est la tâche centrale de la collecte écologique de l’eau, la clé pour restaurer l’abondance naturelle des réserves d’eau dans le sol. D’exceptionnels avantages peuvent en être tirés, pour un coût comparativement minime. Malheureusement, nous n’arrivons pas à comprendre que le potentiel de captation naturelle de l’eau dans le sol est plusieurs fois supérieur à la capacité totale de l’ensemble des grands et moyens projets d’irrigation en Inde – opérationnels, en cours d’exécution ou encore sur le papier ! Un tel stockage souterrain décentralisé est plus efficace qu’un stockage de surface à protéger de la forte évaporation.
La plantation d’arbres permettrait également de disposer d’une diversité de produits utiles favorisant le bien-être d’un grand nombre de personnes. Même les déserts peuvent être reverdis en moins d’une décade. En intercalant des cultures et des arbres de courte, moyenne et longue durée de vie, il est possible pour un fermier d’assurer une disponibilité continue de nourriture au cours d’une période de transition jusqu’à ce que les arbres fruitiers de longue durée soient assez développés pour commencer à produire. La plus grande disponibilité de biomasse et une complète couverture du sol accélèreront aussi la régénération de la fertilité du sol.
Production, Pauvreté et Population.
Après le départ des Anglais, après 250 ans de vol de notre revenu agricole, l’agriculture indienne s’est rapidement récupérée. Il n’y avait pas de pénurie des divers aliments dans nos campagnes où vivaient les trois-quarts de la population de l’Inde.
La vraie raison pour impulser la « Révolution Verte » était un objectif beaucoup plus étroit : Celui d’augmenter les excédents commerciaux de quelques céréales relativement moins périssables afin d’alimenter l’expansion urbaine – industrielle favorisée par le gouvernement. Le nouveau système parasitaire d’agriculture que vous avez vigoureusement promu n’a guère profité qu’aux industriels, aux marchands et aux hommes de pouvoir. Les coûts des fermiers ont augmenté massivement et les marges ont fondu. Avec l’érosion de la fertilité naturelle de leur terre, on les laisse quasiment les mains vides, quand ils n’accumulent pas les dettes sur leurs sols détruits. Nombreux sont ceux qui ont cessé de cultiver. Plus nombreux encore sont ceux qui veulent le faire, pressionnés par les coûts qui n’en finissent pas de grimper.
C’est d’autant plus tragique que la Nature nous a généreusement offert tout ce dont nous avons besoin pour l’agriculture organique qui, elle, produit une nourriture saine, et non des aliments empoisonnés.
Restaurer la santé naturelle de l’Agriculture Indienne est la voie pour résoudre les problèmes interconnectés de la pauvreté, de la désoccupation et de la croissance démographique. Un maximum de gens peuvent devenir autonomes par la pratique agricole, seulement si les apports nécessaires sont réduits au strict minimum.
Une telle pratique agricole doit requérir un minimum de capital financier et d’achats, un minimum d’équipement agricole (charrue, outils, etc.), un minimum de travail indispensable et un minimum de technologie importée. Ainsi, la production agricole augmentée sans augmentation des coûts, la pauvreté diminuera et le mieux-être de la population sera bien visible.
La pratique agricole autonome – avec peu ou pas d’apports extérieurs – était notre mode d’agriculture qui nous réussissait, par le passé. Sauf dans les périodes de guerre et d’excessive oppression coloniale, nos fermiers étaient largement autosuffisants, et même ils produisaient des excédents, bien que généralement en moindres quantités et de produits beaucoup plus variés. Ces produits, particulièrement périssables, pouvaient difficilement fournir les marchés des villes. C’est ainsi que les fermiers de la nation ont été amenés à pratiquer la monoculture chimique d’un petit nombre de produits commerciaux comme l’avoine, le riz ou le sucre, plutôt que leur polyculture traditionnelle qui ne nécessitait pas d’achats extérieurs et qui réussissait aux fermiers des régions à faibles précipitations, avec plus de diversité et plus de continuité de récoltes tout au long de l’année – Sans aucune irrigation et sans apport extérieur.
En conclusion :
Je souhaite que vous ayez l’honnêteté d’appuyer un vaste changement de cap vers la pratique de l’agriculture organique diversifiée, le reboisement et la régénération des forêts (ainsi que les ressources naturelles et les droits des populations locales) – dont l’Inde a grandement besoin.
Je serai heureux de répondre à toute question (ou inquiétude) qui me sera posée, par écrit de préférence.
Je vous invite également à visiter ma ferme et d’autres fermes qui sont cultivées selon mon système, sous réserve d’en être informé à l’avance. Depuis de nombreuses années, nous avons lancé une invitation ouverte à quiconque s’intéresse à l’agriculture organique / naturelle pour visiter la « Sanghavi Farm » de 10 h à 12 h et la « Kalpavrushka Farm » de 14 h à 16 h, tous les Samedi. Cette invitation est toujours d’actualité.
J’ajouterai finalement que cette lettre a été transcrite en Anglais par Bharat Mansata, à partir de nos entretiens en Gujarati.
Pour en savoir plus, visitez le website : www.savesanghavi.com
Que vous coïncidiez ou non avec mes points de vue, j’attendrai votre réponse.
Sincèrement Vôtre,
Bhaskar H. Save
Comparaison entre Agriculture Chimique et Agriculture Organique
par Bhaskar Save
1- L’agriculture chimique fragmente le réseau du vivant ; L’agriculture organique le nourrit dans sa totalité.
2- L’agriculture chimique dépend des combustibles fossiles ; l’agriculture organique du sol vivant.
3- L’agriculture voit sa terre comme un substrat inerte ; l’agriculture organique sait que la sienne foisonne de vie.
4- L’agriculture chimique pollue l’air, l’eau et le sol ; l’agriculture organique les purifie et les renouvelle.
5- L’agriculture chimique utilise de grandes quantités d’eau et épuise les nappes phréatiques ; l’agriculture organique demande beaucoup moins d’irrigation et recharge l’eau du sol.
6- L’agriculture chimique pratique la monoculture et détruit la diversité ; l’agriculture organique pratique la polyculture et nourrit la diversité.
7- L’agriculture chimique produit des aliments empoisonnés ; l’agriculture organique produit de la nourriture saine.
8- L’agriculture chimique a une courte histoire et elle porte la menace d’un futur sombre; l’agriculture organique a une longue histoire et elle est promise à un brillant avenir.
9- L’agriculture chimique est une technologie exogène, importée ; l’agriculture organique a évolué de façon indigène.
10- L’agriculture chimique est propagée au moyen d’une information scolaire et institutionnelle dévoyée ; l’agriculture organique s’apprend de la Nature et de l’expérience des fermiers.
11- L’agriculture chimique profite aux marchands et aux industriels ; l’agriculture organique bénéficie aux fermiers, à l’envir@onnement et à la société dans son ensemble.
12- L’agriculture chimique vole l’autonomie et l’auto-estime des fermiers et des populations villageoises ; l’agriculture organique les restaure et les renforce.
13- L’agriculture chimique conduit à la ruine et à la misère ; l’agriculture organique libère des dettes et du malheur.
14- L’agriculture chimique est violente et entropique ; l’agriculture organique est non-violente et synergique.
15- L’agriculture chimique est une fausse « révolution verte » ; l’agriculture organique est une véritable « révolution verte ».
16- L’agriculture chimique est crûment matérialiste, sans ancrage idéologique ; l’agriculture organique est durablement enracinée dans la spiritualité et la vérité.
17- L’agriculture chimique est suicidaire, allant de la vie vers la mort ; l’agriculture organique est la voie de la régénération.
18- L’agriculture chimique est le véhicule du commerce et de l’oppression ; l’agriculture organique est le chemin de la culture et de la coévolution.
Bhaskar Save Open Letter (Juillet 2006)
Transcription en Anglais à partir d’entretiens en Gujarati : Bharat Mansata
Traduction Anglais – Français : Duval Gil Garcin (Mars 2013)