Il m’est arrivé il y a quelques jours une bien curieuse histoire. Voici le texte d’un mail écrit – à mon attention – par un responsable du ministère de la Culture :
Monsieur,
Madame Fleur Pellerin, ministre de la Culture et de la Communication, souhaite vous nommer au grade de chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres, dans le cadre de la promotion de juillet 2015.
Je vous remercie de bien vouloir m’indiquer si cette proposition recueille votre agrément et reste à votre disposition pour tout renseignement complémentaire.
Bien cordialement,
L’arrière-plan est limpide : madame Pellerin entend décorer les quatre blessés de Charlie-Hebdo, c’est-à-dire Simon Fieschi, Philippe Lançon, Riss et moi-même. Je ne sais pas encore ce que sera la réponse des trois autres, mais moi, j’ai refusé. Franchement ! Mettre une breloque à mon revers, ou pis encore la laisser sur son délicat velours, serait d’une telle extravagance que je ne pouvais bien sûr m’y résoudre. Je me suis vu dans un salon doré, et très simplement, je me suis marré tout seul. Je n’ai décidément rien à voir avec leur monde.
Par ailleurs, et sur un plan très secondaire, je n’aime pas du tout madame Pellerin. Vous lirez ci-dessous ce que j’écrivais il y a deux ans et demi à son propos. Au fait, comment allez-vous ? Moi, je traîne la patte et je mange encore de la morphine comme s’il s’agissait d’une sucrerie, mais ça va. Ça va. Et ça ira.
————————————————————————
Fleur Pellerin, ministre électromagnétique (et follement socialiste)
Le parti socialiste est arrivé au bout de sa course. On le voit mal beaucoup évoluer encore, car il exprime aujourd’hui, comme jamais, le soutien total au monde comme il va. Le destin des créations humaines est de dégénérer. Disons pour ne point fâcher, de s’institutionnaliser. Jadis parti de classe, au temps de Jaurès, ce mouvement a peu à peu pris la place politique qu’occupait, sous la Troisième République, le Parti radical. Une manière comme une autre de reconnaître le vrai pouvoir, celui de la propriété, qui s’incarne aussi bien dans les patrons français que transnationaux.
L’un des exercices les plus épuisants consiste à demander à une structure ou à un être ce qu’il leur est impossible de donner. Réclamer du parti socialiste, dirigé en totalité par une caste au service du monde réel et de sa destruction, qu’il défende les peuples, les espèces, les espaces, est pleinement absurde. Le temps où cela demeurait concevable a disparu depuis si longtemps que, personnellement, je ne l’ai pas connu. Et pourtant, il m’arrive encore d’être surpris. Mais il est possible que cela ne soit que niaiserie. Vous allez juger.
L’Assemblée nationale discute aujourd’hui d’une proposition de loi d’Europe Écologie-Les Verts au sujet des ondes électromagnétiques. Ou dois-je dire devait ? À l’heure où je vous écris – 18 heures – une rumeur me parvient : la discussion n’a pas eu lieu, et le projet est enterré au profond d’une Commission. Ces gens sont de parfaits croque-morts. Mais je n’entends pas insister aujourd’hui sur la dangerosité plus que probable des ondes, notamment celles du téléphone portable. Non, je voulais évoquer la personne de Fleur Pellerin, sous-ministre à l’Économie numérique (et aux PME, et à l’Innovation [sic]). On lui doit en bonne part le caviardage du projet de loi évoqué plus haut. Car bien qu’escamoté, apparemment et au dernier moment, ce projet avait au préalable été vidé de ses mesures les plus significatives. À savoir la limitation du wifi dans les crèches et les écoles.
À ce sujet, la déclaration la plus belle de madame Pellerin, mais il y a concours dans ce singulier domaine, condamne tout projet de loi qui inscrirait « dans le dur des choses qui correspondent à des peurs un peu irrationnelles, et qui consisteraient à donner un poids juridique à la dangerosité des ondes radioélectriques alors que cette dangerosité n’est pas scientifiquement étayée ». Quelle est cette langue stupéfiante ? La sienne.
Reprenons. Fleur Pellerin. Elle aura 40 ans en août prochain, et elle a fait une belle carrière dans ce qu’il faut appeler, après Bourdieu, la « noblesse d’État ». Essec, puis Sciences-Po, puis l’ENA, enfin la Cour des Comptes et les différentes babioles professionnelles qui vont de pair. Socialiste par surcroît ? Exact, par surcroît. Elle entre au PS en 2006, à l’âge intéressant de 33 ans. On a connu des engagements plus fulgurants, sans aucun doute, mais il faut faire avec. Donc, socialiste. Mais quelle ? Eh bien, cette même année 2006, madame Pellerin devient membre de la Fondation Royaumont (ici).
Cette philanthropique institution fonctionne comme un centre culturel, accueille des concerts, éduque à la musique médiévale et baroque, forme au chant. On applaudit. Mais il n’est pas interdit de rappeler que le fondateur lui-même, Henry Goüin, décrit ainsi la philosophie de sa si charmante créature (ici) : « C’est bien l’étude de l’homme dans le temps, et dans l’espace, sous ses aspects physiques et moraux, dans ses relations avec sa famille, son milieu social, son milieu de travail, avec les peuples d’autres nations et d’autres races, qui peut faire découvrir les remèdes aux états de tension, manifestations d’un désaccord, souvent irraisonné, avec soi-même, avec le prochain, avec la société, qui se traduisent par le déséquilibre mental, les haines, les fanatismes, les luttes de classe, les révolutions et les guerres ».
Ma foi, le programme est joli : il faut extirper par le clavecin ces basses idées propagées par tant d’abrutis. C’est celui de toutes les droites rances, éventuellement catholiques, depuis deux siècles. S’agit-il d’une calomnie ? Sincèrement, je ne le crois. Dans un entretien récent au Parisien (ici), madame Pellerin énonce tranquillement, montrant combien elle a retenu la leçon : « À une logique de lutte des classes, je préfère une stratégie où tout le monde ressort gagnant ». Entendons-nous : ces propos n’ont rien de criminel. Mais ils démontrent, si besoin était, que cette dame n’a rien à voir, de près ou de loin, avec ce fil rouge qui court l’histoire souvent héroïque de ce qu’on appela jadis le mouvement ouvrier. Ce magnifique effort de civilisation assassiné par la guerre mondiale de 1914, puis le stalinisme.
Elle est parfaitement dans son rôle quand elle explique, ces derniers jours : « Je n’ai aujourd’hui aucune preuve que le Wifi est mauvais pour la santé ». Elle n’en aura jamais. Ou quand les morts se ramasseront à la pelle mécanique. Elle n’en aurait pas eu davantage à propos de la clope, de l’amiante, du DDT et des pesticides, de la dioxine, et du reste. N’oublions pas qu’elle est notamment ministre de l’Innovation. Le téléphone portable est une superbe innovation, et ce qui vient sera encore mieux. Fleur Pellerin est socialiste. Et le socialisme est désormais l’ennemi de l’écologie. Libre à chacun de croire le contraire. Il n’y a pas d’âge pour espérer le Père Noël.