Il y a neuf ans ces jours-ci, j’ai publié un livre avec mon ami François Veillerette (Pesticides, révélations sur un scandale français, chez Fayard). Il s’est étonnamment bien vendu, bien que je ne dispose d’aucun chiffre précis, arrêté. Entre 30 000 et 40 000 exemplaires, je crois. François comme moi sommes fiers de ce livre, qui nous a coûté pas mal de sueur. Je me souviens fort bien de notre rencontre avec celui qui allait devenir notre éditeur, Henri Trubert. Nous étions réunis un soir – d’hiver, me semble-t-il – dans son bureau : François bien sûr, Henri bien sûr, moi bien sûr, et Thierry Jaccaud, le rédacteur-en-chef de L’Écologiste, qui nous introduisait chez Fayard.
Je ne connaissais pas Henri, mais je lui ai parlé franchement. Faire un livre sur les pesticides ne nous convenait pas. Nous voulions le clash, l’accusation flamberge au vent, et même courir le risque d’un ou plusieurs procès. S’il ne sentait pas le projet – et ses risques -, eh bien, il n’avait qu’à le dire à ce stade, car notre détermination était totale. Il s’agissait pour nous de décrire un système en partie criminel. Nous citerions des noms, nous ne nous jouerions pas les gens bien élevés, car bien élevé, je ne l’étais pas. Je dis je, car je ne peux parler ici que de moi. Je ne suis réellement pas bien élevé.
En mars 2007, donc, le livre est sorti et il a fait du bruit et il a fait du bien. Encore aujourd’hui, je pense qu’il a marqué un territoire. Je doute qu’on puisse redescendre en-dessous et oublier, fût-ce une seconde, que les pesticides sont d’incroyables poisons chimiques de synthèse, imposés par des pouvoirs politiques aux ordres, faibles et stupides, inconscients. Et achetés ? Dans certains cas, j’en suis convaincu, bien que ne disposant pas des preuves qui valent devant un tribunal.
Six mois après la parution, le granguignolesque Grenelle de l’Environnement, décrété par un Sarkozy aussi manipulateur et limité qu’il a toujours été. J’ai fait la critique radicale de ce vilain show ici même, en temps réel – ce que je préfère, et de loin – et notamment parce qu’il a été le théâtre d’une farce atroce (ici). Les ONG présentes dans une commission s’étaient hâtées de triompher, car Borloo venait d’annoncer la diminution de l’usage des pesticides de 50 % en dix ans. Avant que Sarkozy, dûment rappelé à l’ordre par la FNSEA, ne donne la bonne version de l’annonce : on diminuerait la consommation des pesticides de 50 % en dix ans, oui. Mais à la condition que cela soit possible. Et, ainsi qu’on a vu, cela n’a pas été possible.
J’ai critiqué à l’époque François Veillerette et son Mouvement pour les droits et le respect des générations futures (MDRGF), devenu Générations Futures. Je précise qu’il reste un ami cher, ainsi que Nadine Lauverjat, qui le seconde, et que j’embrasse au passage. Seulement, quelque chose ne tourne pas rond. La bagarre contre les pesticides, en France, passe par Générations Futures (ici), et elle est sur le point de devenir ridicule. Pourquoi ? Mais parce que la France s’est dotée en 2009 d’un plan Écophyto1, armé d’un budget de 40 millions d’euros par an. Il s’agissait comme à vu, à la suite du Grenelle, de diminuer de 50 % l’usage des pesticides d’ici 2018. Sans préciser d’ailleurs, preuve de la malhonnêteté intrinsèque du projet, s’il s’agissait d’un tonnage général, du poids de matière active, des pesticides jugés les plus inquiétants, etc.
Or donc, un flou dissimulant une embrouille. Les pesticides ne se sont jamais aussi bien portés chez nous. En 2013, augmentation de 9,2%. En 2014, de 9,4%. En 2015, on ne sait pas. Dans un monde un peu mieux fait, où l’on tiendrait l’argent public pour la prunelle de nos yeux à tous, les guignolos à la manœuvre auraient été chassés -restons poli – à coups de balai. Mais dans celui-ci, Stéphane Le Foll, notre ministre de l’Agriculture, a été autorisé à lancer le plan Écophyto2, avec 71 millions d’euros à claquer chaque année. Avec les mêmes acteurs, voyez-vous : les chambres d’agriculture, la FNSEA. La FNSEA ! Ces gens ne manquent pas d’un humour singulier, car qui est le patron de la FNSEA ? Xavier Beulin, gros céréalier de la Beauce, mais aussi P-DG de la holding agro-industrielle Avril (ils avaient honte de leur nom précédent, Sofiprotéol). Chiffre d’affaires d’Avril en 2014 : 6,5 milliards d’euros, dont une partie sous la forme de vente de …pesticides. Ah, ah, ah !
Le Foll. Si j’écrivais ce que je pense de cet homme, je passerais devant un tribunal, et j’y serais condamné. Ce serait justice, car on ne doit pas injurier quelqu’un, du moins publiquement. Que dire ? Cette créature de Hollande – il a été son factotum pendant onze années, quand notre bon président était Premier secrétaire du PS et en tirait les innombrables ficelles – est devenu salarié permanent du Parti socialiste dès 1991. Sans Hollande, il le serait resté. Avec lui, le voilà devenu ministre et porte-parole. On le voit à la télé. J’espère que cela lui plaît. Dans quatorze petits mois, tout sera en effet terminé.
Qui se souviendra de lui ? Moi. Le monsieur se donne des airs, et promeut en vaines paroles l’agro-écologie quand dans le même temps et par ses actes, il défend la Ferme des 1000 vaches et les pesticides. Les pesticides ? Eh oui ! Comme il a dealé – notez que le résultat politicien n’est pas fameux – avec la FNSEA de Beulin, il n’a plus rien à refuser à l’agro-industrie. Et d’ailleurs, il n’a pas hésité à envoyer une lettre aux députés. Lesquels discutaient ces jours-ci d’une éventuelle interdiction des pesticides néonicotinoïdes tueurs d’abeilles dans le cadre de la Loi Biodiversité. Dans cette lettre – quelle fourberie, quand même ! – il demandait aux élus de ne surtout pas voter cette interdiction. Laquelle a finalement été obtenue de justesse, avec prise d’effet en 2018.
Voilà en tout cas la situation, et elle est insupportable. Le Foll est un pur et simple bureaucrate du PS, qui fait où on lui dit de faire. Mais le charmant garçon, comme tant d’autres aussi valeureux que lui, aimerait en plus qu’on l’aime. Eh bien, pas ici. Ni aujourd’hui ni jamais. Comme on disait et comme on ne dit plus : il a choisi son camp. Et c’est celui des salopards. Dernière interrogation : l’association Générations Futures ne gagnerait-elle pas à se poser de nouvelles questions ? Quand un combat si ardent échoue d’une manière aussi totale, je crois que le moment est venu de la remise en cause. Comment faire reculer vraiment le poison des pesticides ? Comment ne pas demeurer l’alibi d’un système prompt à tout digérer au profit de son équilibre final ? Oui, que faire ?