Archives mensuelles : avril 2016

Un bon petit verre de métazachlore

Publié par Charlie-Hebdo je ne sais plus quand, mais il n’y a guère.

Loin dans la belle campagne française – l’Yonne profonde -, on sert à boire au robinet une eau surchargée d’un pesticide dangereux pour la santé. Dans le silence et les filouteries coutumières. En novlangue, il s’agit d’une « variation de qualité ».

Il arrive parfois ce qui va être raconté. On reçoit un mail, on l’oublie deux ou trois heures, et puis on y revient. On commence à trouver cela intéressant. D’un côté, c’est banal. De l’autre, ça raconte bel et bien la façon dont les gens normaux et ordinaires sont traités chaque jour dans l’immense démocratie qui est la nôtre.

Un jour donc, Priscilla Ferte appelle au secours. Elle est maraîchère bio dans un petit village de l’Yonne, Villeneuve-les-Genêts. Elle vient de recevoir un courrier de la SAUR, l’un des grands de la distribution de l’eau. La lettre, datée du 18 février, est un pesant chef d’œuvre. Il s’agit, selon l’objet, d’une « restriction de consommation sur le réseau d’eau potable ». À la suite d’une « variation de la qualité de la ressource en eau », il ne faut plus boire cette dernière, ni laver les légumes ou cuire des aliments avec. Une autre lettre, à suivre, annoncera « un retour à la situation normale ».

Que faire ? Priscilla s’alarme avec quelques autres, et faute de mieux, se tourne vers le quotidien local – L’Yonne Républicaine – pour en savoir plus. Elle apprend ainsi que l’Agence régionale de santé (ARS) a réalisé le 12 février une analyse d’eau dévastatrice. Elle n’en ferait qu’une par an, ce qui laisse de la marge pour les surprises. Environ 2000 personnes des environs reçoivent au robinet une eau qui contient 7,48µg par litre de métazachlore, un pesticide. L’µg est une unité de mesure qui signifie microgramme. Et ce n’est pas lerche, car ainsi que le monde entier sait, un microgramme est un millionième de gramme. Par litre d’eau. Seulement, la limite légale de concentration de métazachlore dans l’eau est de 0, 1 µg par litre, soit 74,8 fois moins. Or, bien que les études manquent – comme c’est étrange -, le métazachlore est dangereux. Très toxique pour les organismes aquatiques, cancérogène suspecté pour les humains, il doit être manipulé « avec des gants de protection appropriés résistant aux agents chimiques » et à l’abri de lunettes de professionnels.

Au Luxembourg, une affaire comparable a eu lieu, presque hilarante. Premier acte en septembre 2014 : on découvre une pollution grave au métazachlore sur un affluent de la Haute-Sûre, rivière qui se jette dans le lac-barrage d’Esch-sur-Sûre, le grand réservoir d’eau potable du Luxembourg. Et l’on se rassure aussitôt en jurant que le risque est nul. Deuxième acte quelques jours après : en vérifiant les effets de la première pollution, on en découvre une autre, chronique, dans le lac. Au métazachlore. Le 3 d’octobre, on décide de ne plus fabriquer d’eau potable à partir du lac-barrage. Le choc ébranle tout le Luxembourg. Par chance, il y a les réserves spéciales, c’est-à-dire les grandes nappes souterraines. Acte trois : une semaine plus tard, de nouvelles analyses montrent que les nappes sont elles aussi polluées par le métazachlore jusqu’à une profondeur de 150 mètres. Et là, panique. La ministre de l’Environnement locale convoque en urgence une conférence de presse, et en l’absence de solutions – faut-il changer toutes les eaux du Luxembourg ? –, les autorités décident que la farce sera grandiose. On met à la poubelle la norme européenne de 0,1 µg par litre, et on la multiplie par 30.

Bien joué. Mais c’est encore très au-dessous de la contamination française de Villeneuve-les-Genêts. N’écoutant que son devoir d’information, Charlie décide alors d’appeler l’ARS de Bourgogne. Il en ressort qu’après une amélioration due à de pauvres parades techniques  – du charbon actif en poudre -, la pollution au métazachlore a recommencé de croître. Notre noble administration de la santé s’est contentée d’un communiqué, estimant que le journal et les visites domiciliaires des élus suffisaient à informer la population. Une fraction de cette dernière n’est pas même au courant des événements courants. Circulons, car il n’y a rien à voir. Ni à savoir. Si, tout de même : le producteur du métazachlore n’est autre qu’un philanthrope bien connu : BASF, géant de l’agrochimie et tueur patenté d’abeilles.

 

Cette mort qui rôde autour de nous

Publié par Charlie-Hebdo je ne sais plus quand, mais il n’y a guère

Selon un lourd document de l’OMS, un quart des morts ont des causes environnementales. On serait tenté d’applaudir – enfin !-, mais c’est finalement un poil plus compliqué. L’agence de l’ONU a de biens curieux moments d’oubli. Alzheimer ?

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) est une grosse mémère, et elle n’a cessé de prendre du poids. Quantité d’États, de structures et encore davantage de bureaucrates l’ont rejointe depuis sa création par l’ONU en 1948. Combien de bataillons aujourd’hui ? 200 pays en font partie, 7000 personnes y bossent, dans 150 bureaux partout dans le monde.

Dernier rapport en date ? Un bastringue intitulé en novlangue onusienne « Prévenir la maladie grâce à un environnement sain: une estimation de la charge de morbidité imputable à l’environnement ». Ça ne fait pas envie, on est bien d’accord. Dans ce gros ragoût de 150 pages en anglais (1), on apprend que 12, 6 millions d’humains sont morts dans le monde en 2012, « d’avoir vécu ou travaillé dans un environnement insalubre ». C’est-à-dire près du quart – 23 % – de toutes les morts de cette même année. Impressionnant.

Cela n’empêche pas de se poser quelques menues questions. L’OMS balance en effet dans son fourre-tout quantité de drôles de chiffres. Par exemple une partie des morts de la route, pour la raison qu’elles sont souvent liées à un mauvais état des routes. Ou des suicides. Ou du paludisme, ce qui est déjà un peu plus raisonnable, même si les auteurs semblent aimer beaucoup l’art de tirer par les cheveux. Et l’on s’en rend mieux compte lorsque l’on entre dans le vif du sujet.

L’OMS retient en effet 1,7 million de morts par cancer chaque année, soit environ 22 % des 8 millions de morts au total. Le choix – c’en est un -, est politique, et revient à minorer le résultat, car un débat mondial fait rage entre au moins deux catégories de scientifiques. D’une part, ceux qui tiennent le facteur environnemental pour second, voire négligeable. En France, leur représentant distingué est le cancérologue David Khayat, de loin le plus militant : selon lui, l’environnement pèse 2% des cancers. D’autre part, ceux pour lesquels les différentes pollutions jouent un rôle décisif. En France, le cancérologue Dominique Belpomme préside l’association Artac, qui diffuse des informations et des chiffres très éloignés des statistiques officielles (2). En 2004, l’Appel de Paris qu’il avait initié déclarait dès son article 1 : « Le développement de nombreuses maladies actuelles est consécutif à la dégradation de l’environnement ». Au sens large – la définition fort vague retenue par l’OMS – 60 à 70 % des cancers auraient une origine environnementale. Y a donc de la marge.

Le rapport contient beaucoup de chiffres importants, qui pourraient servir de base à de vraies politiques de santé, mais présentés ainsi, ils ont toute chance de passer inaperçus. D’ailleurs, qui en parle ? C’est peut-être un hasard complet, mais de même que toutes les institutions onusiennes, l’OMS est soumise à des politiques d’influence systématiques menées par des lobbys industriels de mieux en mieux organisés.

On citera pour mémoire trois cas bien documentés. Un, l’accord signé en entre l’OMS et l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) le 29 mai 1959, implique des règles de confidentialité stricte qui ont permis de proprement ligoter la première et de probablement dissimuler des faits gênants pour la nucléocratie. Deux, l’incroyable cadeau fait par l’OMS aux laboratoires pharmaceutiques, sur fond de virus H1N1 – la grippe aviaire -, dénoncé ouvertement par le Conseil de l’Europe (« De graves lacunes ont été identifiées en ce qui concerne la transparence des processus de décision liés à la pandémie »).

Et enfin les liens viscéralement pourraves noués entre l’OMS et le plus grand des lobbys de l’alimentation industrielle, The International Life Sciences Institute (Ilsi). Ensemble, ces si braves personnes avaient décidé de définir des normes internationales de protection des pauvres pékins que nous sommes (3). L’alimentation industrielle ? Tiens, l’OMS n’en parle pas dans son plantureux document.

(1) http://apps.who.int/iris/bitstream/10665/204585/1/9789241565196_eng.pdf?ua=1

(2) www.artac.info/fr/prevention/prevention-environnementale/l-origine-environnementale-des-cancers_000126.html

(3) Voir notamment Un empoisonnement universel, Les Liens qui Libèrent (2014)

Il nous faudrait une bonne guerre

Publié par Charlie-Hebdo je ne sais plus quand, mais il n’y a guère.

Les ancêtres Robert Schuman et Jean Monnet ont construit l’Europe pour en chasser la guerre. Mais ils ont oublié en route les peuples. Faute de mieux, des petites crevures nationalistes ne rêvent que de s’en prendre aux migrants. Avant d’éventrer le voisin de palier.

On hésite entre naphtaline, rogaton ou préhistoire. Les images dudit père de l’Europe Robert Schuman, le 9 mai 1950 (www.ina.fr/notice/voir/VDD09016192), font penser aux Actualités de la guerre sur le front russe. On croirait Pétain faisant « don de [sa] personne à la France ». Qu’annonce le vieux tromblon de sa voix chevrotante ? Que faute d’avoir construit l’Europe, nous avons eu la guerre. Mais que cela va changer grâce au splendide projet de Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), qui verra le jour en juillet 1952.

Le mal est là, qui n’en partira plus : l’Europe, c’est l’économie, le flouze, les subventions et les budgets, les comptes d’apothicaire. On va pas être plus salauds que cela pour les fondateurs : ils croyaient sûrement éviter le retour des grands massacres. De ce point de vue, et quoi qu’on pense de ces deux vieux renards, la « réconciliation » entre l’Allemagne et la France, via de Gaulle et Adenauer, est un sommet.

Pour le reste, la chienlit organisée. On crée en 1957 la Communauté économique européenne (CEE) – six membres -, puis dans la foulée la Communauté européenne de l’énergie atomique (CEEA). Suivent la suppression des droits de douane – 1968 -, l’adhésion des Britiches, du Danemark et de l’Irlande – 1973 – l’entrée de la Grèce – 1981 -, l’arrivée de l’Espagne et du Portugal -1986 -, le fameux traité de Maastricht, en 1992. On se souvient que ce dernier a bien failli être refusé en France, mais par la grâce de Mitterrand et de ses sbires, a finalement été accepté. On pouvait donc continuer cette apothéose bureaucratique, avec ses fonctionnaires surpayés et sa novlangue de derrière les fagots.

Les grandes dates s’enchaînent, comme les traités, comme les adhésions : on en était à 12, on se retrouve à 15, à 25, puis 27 et 28. Dans cette soi-disant Union européenne (UE), dans cet authentique bobinard, plus rien n’est contrôlable, plus rien n’est réformable. L’Albanie, la Serbie, la Turquie, la Macédoine, le Monténégro grelottent et s’usent les pognes à cogner à la porte. Mais Bruxelles n’a plus un rond.

Plus un rond ? La crise de 2008 a révélé l’extrême fragilité de la Grèce, et de l’Espagne, et de l’Italie. Il a fallu en catastrophe lancer un Mécanisme européen de stabilité (MES), capable de mobiliser au total l’extraordinaire montant de 750 milliards d’euros. Mais le spectre d’une explosion financière générale, revenu à grande allure depuis la fin de l’année 2015, fait d’autant plus flipper les petits gars de l’Union que tout est train de se barrer en morceaux. Pardon, en couilles.

On commence par le Royaume-Uni ? Toujours le cul entre le continent et les Amériques, Londres voudrait bien le beurre et l’argent du beurre. Le Premier ministre Cameron s’est engagé à organiser un référendum – au plus tard en 2017 – sur le maintien du pays dans l’Union. Un éventuel départ signifierait a British exit. Un Brexit. Une fin certaine du projet de 1957.

Plus haut, l’Écosse prépare un autre référendum, prévu en septembre, qui décidera de son éventuelle indépendance, accompagnée d’une possible adhésion à l’Europe. Mais les pontes autodésignés de l’UE ne veulent pas en entendre parler, de même qu’ils refuseraient, du moins pour l’instant, une Catalogne indépendante de l’Espagne, en projet. Ne surtout pas croire que ces poussées nationales et nationalistes seraient isolées. Sur le mode répugnant du populisme d’extrême-droite, une vingtaine de partis s’emploient chaque jour à disloquer la construction européenne rêvée par Monnet, De Gasperi, Spaak, Adenauer et Schuman. Qu’ils s’appellent Parti national slovaque, Ligue du Nord, Front national, Aube dorée, UKIP, FPÖ, les Vrais Finlandais, Jobbik ou encore Parti de la grande Roumanie, ils veulent tous retrouver les bonnes vieilles frontières d’antan. Et les guerres qui allaient si bien avec. Ce que veulent au fond ces joyeux lurons, c’est le champ de bataille, et l’étripage du voisin. On s’en rapproche.

Et d’autant que revoilà les Sarrazins, aubaine pour tous nos amis fascistes et apprentis. La déstabilisation en chaîne du Maghreb et du Machrek provoque des migrations si massives que la gentille Europe commence à fourbir ses fusils d’assaut. Au passage, un merci éternel à George W.Bush et Nicolas Sarkozy pour leur rôle si précieux de guest stars en Irak et en Lybie.

Que faire des réfugiés ? Faisons le compte. Après avoir ouvert son portail, l’Allemagne de Merkel le referme à la gueule des Syriens, et envisage de foutre en l’air Schengen, ce réseau européen qui veille aux frontières. L’Autriche, patrie d’un homme politique mort en 1945, termine une barrière métallique à la frontière slovène. Ce que voyant, la Slovénie dresse à son tour des barbelés à la frontière croate. Ce que voyant, la Croatie envisage de faire de même à la frontière serbe. Ce que voyant, la Macédoine clôture sa frontière avec la Grèce avec du fil de fer crochu, etc.

Est-ce bien tout ? Que non. La Hongrie de Viktor Orbán a terminé à l’automne sa barrière de 175 km à ses frontières sud – Serbie et Croatie – juste après avoir adressé un long questionnaire imprimé à 8 millions d’exemplaires envoyés dans chaque foyer. Parmi les douze questions, celle-ci : « Etes-vous d’accord avec le fait que les migrants menacent l’existence et l’emploi des Hongrois ? ». L’ombre des Croix Fléchées, parti hongrois nazi fondé en 1939, s’étend de jour en jour. Et de même à Varsovie, où le pouvoir ultracatho de Jaroslaw Kaczynski vient de réussir un putsch à froid sur les médias et le tribunal constitutionnel, annonçant d’autres mesures. Va-t-on vers le retour des octrois et des douanes sur chaque pont et à chaque croisement ?

L’Europe dérisoire de Juncker, perdue dans ses infinies contradictions, a décidé pour le moment de regarder dans l’autre direction. Que pourrait-elle faire, cette petite chérie ? Un excellent sous-fifre dont on ignore le nom vient quand même de souffler une idée à Merkel : appeler l’Otan à l’aide pour mieux empêcher les migrants de passer. Hollande, qui s’apprête en catimini à réintégrer l’Otan, applaudit sûrement. Rappelons que l’Organisation du traité de l’Atlantique nord est une vaste coalition militaire destinée à mener la guerre. L’Europe de papa Schuman est morte. Vive l’Europe des barbelés, vive la guerre qui vient !