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Jean-Marie Le Pen est mort

Deux morts à la suite. Allègre, puis Le Pen. Parmi les cofondateurs de son soi-disant Front National – un mouvement avait été créé sous ce nom pendant la résistance antifasciste -, on trouve entre autres l’ancien de la Milice François Brigneau et l’ancien Waffen SS Léon Gaultier. Que pourrais-je ajouter ? Que je me suis heurté physiquement dans ma jeunesse à ces sbires ? Oui, je l’ai fait, et bien sûr, je ne regrette rien. Tous ces gens étaient de la racaille de la pire espèce. Je les haïssais en profondeur.

Ceci posé, il n’est pas interdit de réfléchir ensemble. Il est même urgent de le faire. La vague actuelle en faveur des idées glauques n’est pas seulement européenne, mais presque mondiale. J’ai beaucoup écrit, ici d’ailleurs, sur les inévitables conséquences du grand dérèglement climatique. J’ai cité des études, parmi les plus sérieuses, qui montrent qu’une bande de terre courant du Maroc à l’Iran, englobant le Maghreb, le Machrek et au-delà, est en train de devenir inhabitable. Elle abrite de plus en plus mal 550 millions d’habitants.

L’époque est, et sera toujours plus, aux migrations historiques. Et je déplore que tant de gens, dont certains pourtant valeureux, se réfugient dans des postures qui deviennent pathétiques. Il est certain que les sociétés d’Europe, vieillissantes, et d’une certaine manière sous-peuplées, attireront des millions, suivis peut-être par des dizaines de millions de réfugiés climatiques. Certes, nous payons ainsi le prix de notre inaction. De notre terrible aveuglement collectif. De notre soumission aux objets de l’hyperconsommation, moteurs de la crise climatique. Mais après ?

Se complaire dans les vieilles complaintes, se vautrer au pied d’un vulgaire caudillo, comme le font les adorateurs de Mélenchon, nous rapproche du gouffre. Il apparaîtra sans doute qu’un Le Pen – et sa fille – ne sont qu’un avant-goût de ce qui nous attend réellement. La question est simple, même si aucune réponse n’existe encore. Comment trouver ensemble une réponse humaine aux chocs colossaux qui se profilent ? Il le faut. Mais pour commencer, rompre avec les pensées mortes.

Claude Allègre est mort

Ainsi donc, un grand faussaire est mort. Je pourrais jouer l’hypocrisie, mais je ne m’en sens pas le droit. Claude Allègre était un cas psychologique bien connu. Il se pensait supérieur à tous autres. Il méprisait en conséquence. Il était si sûr de son état que la notion de vérité lui paraissait seconde. Chez lui, qui se revendiquait de la science la plus dure. Il avait en effet obtenu de nombreuses récompenses, comme le prix Crafoord ou la médaille d’or du CNRS. Et pourtant, il a perverti et la science, et la morale, en désinformant sur l’amiante, puis sur la crise climatique

Les dégâts qu’il a faits sont immenses, en vérité incommensurables. Une pensée pour son vieil ami et complice Lionel Jospin, qui en fit un ministre. Tous les deux, élevés dans le culte du progrès perpétuel, étaient des climatosceptiques. La différence entre eux, c’est que Jospin le taisait, tandis que l’autre le beuglait. Le passage de la gauche au pouvoir en 1997 était la dernière occasion d’incarner une politique vraie de combat contre le grand dérèglement. Et je n’oublie pas que Dominique Voynet et Yves Cochet, ministres à tour de rôle n’auront pas bougé un cil, en bons écologistes de pacotille qu’ils sont. C’est cruel ? Et le sort de ces centaines de millions de gueux qui endurent 50 degrés sous leur toit de tôle, ce ne serait pas un peu sinistre ?

Une mention toute particulière pour l’hebdomadaire libéral Le Point, qui annonce en grandes pompes la mort de leu grand homme. Et nul doute qu’il fut un grand homme du Point, qui lui laissa une chronique hebdomadaire dans les années 90. En 1995, Allègre écrit un texte dégueulasse, titrée : « Effet de serre : fausse alerte ». Le danger aurait été inventé par des « lobbys d’origine scientifique qui défendent avec acharnement leur source de crédits ». Le Point rend hommage, ce 4 janvier 2015, trente ans après, en osant écrire que les positions d’Allègre sur le climat étaient “controversées”. Ces gens ne s’excusent ni ne s’excuseront jamais.

Je vous livre ci-dessous quelques occurrences de Planète sans visa sur l’homme au tombeau. Pas toutes, car il en est beaucoup. Elles seront suivies d’un texte drolatique, déjà publié, mais qui vaut je crois la peine.

https://fabrice-nicolino.com/?p=508

Et voici comment j’ai sauvé Claude Allègre de la mort. Grâce à Charlie. Un comble. Je précise que ce récit est authentique.

Comment j’ai sauvé Claude Allègre de la noyade

10 juillet 2015MoraleModifier

Je ne passe pas toute ma vie à serrer les dents et à avaler de la morphine. Dieu non. Dans l’hôpital où je rééduque mes guibolles transpercées, il arrive fatalement des événements qui me sortent de l’ordinaire des jours. Et l’autre midi, justement, je m’apprêtais à prendre l’ascenseur pour descendre à la piscine du lieu, où je fais des exercices subaquatiques. C’est à ce moment précis qu’est apparu un fauteuil roulant poussé par un kiné en sueur. Et dans ce fauteuil, Claude Allègre. Ce seul nom est déjà un sombre programme, mais je dois à ceux qui ne situent pas très bien quelques mises en perspective.

J’ai aidé à fonder en 1988 le journal Politis, qui a compté dès 1989 je crois une rubrique Écologie dont j’étais le responsable. Je l’ai quitté en 1990, puis j’ai collaboré, cette fois comme pigiste extérieur, à cet hebdomadaire, de 1994 à 2003, sous la forme d’une page chaque semaine. Je crois devoir dire que j’ai la dent dure depuis bien plus longtemps encore, ce qui explique que j’y ai mordu Claude Allègre plus souvent qu’à son tour. Ce socialo devenu sur le tard sarkozyste a été le ministre de l’Éducation – pleinement ridicule à mes yeux – de Lionel Jospin entre 1997 et 2000.

Mais ce qui m’a rendu plus d’une fois furieux contre lui, c’est sa négation grotesque du dérèglement climatique. Totalement incompétent dans ce domaine si complexe, s’appuyant jusqu’à l’insupportable sur une réputation médiatique, il n’a cessé de semer le trouble dans des milieux qui, sans doute, ne demandaient que cela. N’importe : il aura été néfaste comme bien peu de ses contemporains français. Et moi, depuis vingt ans, dans divers journaux, je n’ai cessé de croiser le fer avec lui (ici) (ici), (ici), (ici), (ici), (ici), (ici), (ici).

Le plus souvent, et croyez-moi ou non, mais Allègre s’est placé au niveau d’un Laurent Cabrol (ici). Et si vous avez envie de voir jusqu’où va mon exécration du personnage, je vous invite à rire avec moi, et de lire ce qui suit, bien que cela soit un peu long (ici). Bref, Claude Allègre, dans son fauteuil roulant. Il y a trois ans, ayant fait un accident vasculaire grave au Chili, il a été contraint de se taire, ce qui doit être une grande souffrance pour le polygraphe et discoureur qu’il est. Dans l’ascenseur, le regardant, plongeant mon regard dans ses yeux éteints, je ne voyais plus le pitre involontaire, mais le vieil homme à terre.

Ensuite, arrivé en bas, je me suis changé bien sûr, je me suis douché et j’ai descendu bravement, de guingois, les marches qui conduisent à l’eau. Quatre minutes plus tard, l’employé de la piscine actionnait un ingénieux siège électrique articulé qui permet de descendre dans la flotte ceux qui ne peuvent tenir debout. Et bien sûr, il s’agissait de déplacer Claude Allègre et de l’immerger progressivement. Moi, qui suis décidément bien méchant, je rigolais intérieurement. Comment ? Moi, à deux mètres du grand homme ? Cela me paraissait proprement impossible. Et c’est alors que tout a basculé, au sens propre.

En effet, la dépose de l’immense scientifique s’est mal passée. Claude Allègre, déséquilibré, s’apprêtait bel et bien à tomber à la renverse, et je n’ose pas penser à ce qui serait arrivé. Probablement aurait-il avalé la moitié de l’eau de la piscine. Mais je veillais au grain, moi le vilain, et je me suis jeté dans sa direction, lui attrapant le bras gauche au dernier moment en le passant aussitôt autour de mon cou. Quel instant historique que celui du sauvetage ! Je ne m’en serais pas cru capable. Rétabli dans un équilibre tout relatif, Allègre m’a lorgné un instant de ses yeux d’alien sans prononcer le moindre mot. A-t-il compris ce qui s’était passé ? Je n’en jurerais pas.

Dans la demi-heure qui a suivi, je l’ai entendu prononcer des sentences très laconiques, fort loin des envolées consacrées naguère à la négation du dérèglement climatique. Et parmi elles, répondant à une demande d’une kiné sur son état : « Moyen ». Puis, explicitant le puissant propos : « J’ai pas bien dormi ». Et pour finir, juste avant d’éternuer massivement : « J’suis enrhumé ».

Si à l’avenir quelqu’un ose me traiter d’antihumaniste – ça m’est arrivé, mais oui -, je ne manquerai pas de lui servir l’anecdote pour lui clouer le bec. Mon comportement n’a-t-il pas été admirable ? Il faut beaucoup d’amour de son prochain pour soutenir un Claude Allègre qu’on déteste dans une piscine parisienne. Beaucoup. Trop ? Peut-être bien.