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Daniel Schneidermann est-il un imbécile ?

La réponse à la question du titre est oui, mais elle mérite quelques explications. Schneidermann est un ancien journaliste du quotidien Le Monde. Avant même son licenciement en 2003, très contestable, il avait créé en 1995 sur France 5 une émission sur l’univers médiatique – Arrêt sur images – que j’ai regardée avec plaisir pendant quelques années. J’ai ensuite été occupé à bien d’autres choses, et je l’ai oubliée. L’émission. Et lui. Après avoir été chassé – de nouveau, dans des conditions contestables – de la télé, Schneidermann a poursuivi son travail sur le Net, dont je n’ai à peu près rien su.

Néanmoins, j’ai participé deux ou trois fois, à l’occasion de la sortie d’un de mes livres – Bidoche, par exemple – à des débats qu’il organisait dans le cadre de ses émissions. Le contact était cordial. Il m’a proposé un jour de faire une chronique en ligne, et comme je n’avais encore jamais fait d’articles en images, j’ai volontiers accepté au printemps 2017. En novembre, à la suite d’une attaque que j’ai jugée sans honneur de Schneidermann contre moi, j’ai stoppé net toute collaboration. Pour les archéologues, il y a ma version ici.

Et voici qu’il réapparaît à l’occasion d’un livre qu’il a publié le 7 janvier dernier, soit 10 ans exactement après l’assassinat de mes amis au siège de Charlie. Disons de suite que je ne l’ai ni lu ni acheté, et que je ne compte pas le faire. Pour quelle raison ? Mais parce que Schneidermann s’y livre à des calomnies indignes contre Charlie et les siens. Comment le saurais-je, puisque je ne l’ai pas lu ? Eh bien, l’auteur a donné quelques entretiens, et dans l’un d’entre eux, au Point, il estime que le « visuel » de Charlie le rapproche du journal Je suis partout. Rappelons que ce torchon était de 1940 à août 1944 un hebdomadaire pronazi, et violemment antisémite.

C’est bien entendu une infamie, dont bien peu semblent avoir pris la mesure, mais qui me dispense en tout cas de lire une telle insanité. Bien entendu, Schneidermann n’exprime qu’une rumeur qui court les siens milieux depuis des années. Le 16 octobre 2013, quinze mois avant le 7 janvier 2015, j’ai adressé un mail à Éric Hazan, éditeur de la même mouvance que lui. Je lui demandais, en compagnie de Bernard Maris, un entretien pour parler d’un livre qu’il venait d’écrire. Réponse le même jour : « Désolé, non, je n’ai rien à faire avec ce journal de gros racistes !!!! » Naïf, je lui ai demandé des excuses : «Je constate avec une véritable tristesse combien la calomnie, si chère à la tradition stalinienne, fleurit toujours, et sur des terres qu’on aurait aimées moins accueillantes. Comme je n’entends pas désespérer tout à fait, je vous demande sincèrement de vous reprendre. Chacun peut se tromper, déraper, déconner. » Pas de réponse.

Ces gens, et bien sûr Schneidermann plus tard, avaient trouvé un ennemi à détester, un ennemi soigneusement fabriqué. En atteste, parmi tant d’autres preuves cette analyse scrupuleuse des couvertures de Charlie entre 2005 et 2015. Au total, 1,3 % des « unes » du journal, sur 523 numéros, étaient consacrés à l’islam. Soit sept, contre 21 à propos du catholicisme ! Hazan s’en foutait bien, puisqu’il savait mieux que quiconque. Je rappelle qu’à ma connaissance, la totalité des membres de l’équipe que j’ai rejointe fin 2009, qui comptait des gens comme Tignous, Bernard Maris, Wolinski, Charb, Cabu, Honoré, se situaient entre la gauche et l’extrême-gauche, incluant sans surprise des écologistes de longue date, comme moi. Selon la légende noire de ses calomniateurs, le Charlie d’avant 2015 aurait été fait par des racistes qui se savaient tous antiracistes.

Revenons à Schneidermann. En 2017, Il ne lisait pas Charlie, et ne s’en cachait pas. Il me l’a dit à plusieurs reprises, et l’a même écrit. C’est un droit élémentaire, mais déjà donc, il savait à quoi s’en tenir. C’est cela, la prescience. L’a-t-il lu depuis ? Je jurerais, sans preuve il est vrai, que non. Non, car dans l’entretien au Point, il cite en tout et pour tout un seul exemple, celui d’un dessin de Riss en janvier 2016. Sur un gosse migrant découvert mort au bord de l’eau. Je ne veux pas commenter, car ce serait donner créance au propos de Schneidermann. Or, je ne le souhaite pas. Je note que le dessin date de 2016, un an avant qu’il ne me demande de collaborer avec lui. Je travaillais pour un journal digne de Je suis partout, et il souhaitait que je rejoigne son équipe.

Allons bien au-delà. Je défie Schneidermann d’établir une quelconque proximité avec quelque courant nauséabond que ce soit. La tâche est impossible, car Charlie est un journal profondément humaniste, écologiste, féministe. Et laïc ? En effet. Se revendiquant de l’athéisme, il s’autorise depuis toujours à critiquer les religions, toutes les religions. Ce n’est pas seulement un droit, c’est un devoir pour qui aime la liberté. L’islam comme les autres. Schneidermann se souvient-il seulement que la gauche dont il se réclame s’est forgée en bonne part grâce au refus de la domination séculière de l’église catholique ?

Lui, Le-Très-Grand-Vigilant, n’a pas besoin de prouver. Il lui suffit d’énoncer. De dire, et du même coup de disqualifier ceux que son verbe désigne aux ténèbres extérieures. S’il avait dû commencer par lire Charlie, il se serait passé de son livre ridicule. Car en effet, de la même manière qu’avant 2015, ce journal est fait par des gens qui ont un passé, un présent, et même un avenir.

Jean-Yves Camus, dont la réputation n’est plus à faire, dépiaute chaque semaine les stratégies perverses des extrêmes-droites. Le romancier Yannick Haenel y décortique avec humour, noirceur, délicatesse le monde tel qu’il va. Et éclaire les recoins de la scène culturelle, tout comme Philippe Lançon, notre grand blessé de 2015. Yann Diener, psychanalyste, chronique sans jamais se lasser la folle numérisation du monde, le rétrécissement de la liberté de penser et de dire, l’avancée si inquiétante d’une langue nouvelle, totalitaire. Gérard Biard, gardien du temple laïc, fut le cofondateur en 2011 du réseau Zéromacho, qui fait de la bagarre contre l’exploitation sexuelle des femmes sa raison d’être.

Laure Daussy est sur tous les fronts du féminisme et aura joué un rôle-clé dans la couverture assidue de l’horrible procès Pélicot, qui vient de déboucher sur un hors-série de haute tenue. Antonio Fischetti suit à la trace, en curieux infatigable, les questions que pose la science, quand il n’est pas en Colombie ou au Nigeria, débordant d’idées, et de nouveautés. Moi-même, je dispose d’une page chaque semaine consacrée à l’écologie. J’y traite les questions les plus essentielles, comme je le fais depuis des décennies, moi qui parle du dérèglement climatique depuis…35 ans. Il ne me faut pas oublier les petits jeunes, les nouveaux Jean-Loup Adénor, Lorraine Redaud, Coline Renault, Yovan Simovic, et quelques autres.

Bien sûr, il y a les dessinateurs. Coco est partie, mais de beaux talents demeurent, comme Foolz, Juin, Biche, Salch, Félix. Et Riss bien sûr. Aucun des acteurs de ce journal ne sort du cadre défini plus haut : humaniste, féministe, écologiste, laïc. Mais pas mélenchoniste, eh non ! C’est sans doute pour cette raison que nous attirons à ce point la haine. Je ne sais si Schneidermann est tout à fait mélenchoniste, mais il le mériterait.

Il discourt tout comme lui, surfant sur des sujets qu’il croit connaître et le dépassent pourtant de cent coudées. Lui, il est de gauche. Pas la gauche, mais la vraie, la seule, la sienne. Charlie serait selon lui « un réseau intellectuel, politique et médiatique refermé sur lui-même, obsessionnel, et intolérant à toute contradiction. Et aussi plus largement sur tous ces itinéraires qui commencent souvent dans la gauche radicale, et tournent réactionnaires. » Il ne le croira pas, mais il me fait rire.

A-t-il entendu parler du stalinisme ? Je n’en suis pas si sûr. Cette maladie de l’esprit a couru et empoisonné les esprits pendant des décennies, bien au-delà du mouvement communiste. Faut-il rappeler Henri Barbusse et Romain Rolland, le Gide d’avant 1936, puis Sartre et De Beauvoir, Yves Montand et Simone Signoret, Jorge Semprun, Louis Aragon, André Glucksmann, Serge July, Philippe Sollers, Alain Badiou, tant d’autres ?

Tous ont pratiqué le mensonge le plus total qui se puisse concevoir. Certes, la calomnie est de tout temps. Mais l’univers mental stalinien a érigé en système parfait la transformation du réel par le verbe. À la différence du fascisme, il n’a jamais rasé les murs, pour l’excellente raison qu’il n’a pas été extirpé de la scène publique. On peut aujourd’hui encore dire le contraire du vrai vérifiable, car comme les staliniens d’antan, on estime en avoir le droit. Mélenchon le fait chaque matin qui passe, Schneidermann aussi. Ce dernier se voit comme appartenant au camp du Bien et de l’intrépide courage, et il a donc le devoir de pourfendre un journal qu’il n’a jamais fait qu’ouvrir et refermer. Par l’ignominie.

Est-il un imbécile ? Ben oui. Pas seulement. Aussi.

Mais que veut vraiment M.Mélenchon ?

Avant toute chose, je souhaite préciser que le texte qui suit n’est en aucune manière une comparaison terme à terme, qui n’aurait pas le moindre sens. Non, je joue ici sur l’analogie, de manière à mieux illustrer mon propos général. Qui commence ainsi : que veut-il ? Que veut ce Mélenchon dont tant de commentateurs écrivent qu’il est obsédé par son sort personnel ? Il n’aurait qu’un rêve, affronter au second tour de l’élection présidentielle Marine Le Pen, qu’il se ferait fort de combattre, et de battre.

Que Mélenchon soit dans cette posture, je n’en doute guère. Tenu comme il est par le personnage qu’il a forgé et qu’il croit réel, Mélenchon clive, comme il dit. Il sépare le bon grain radical de l’ivraie sociale-démocrate, et fantasmant sur une période révolutionnaire qu’il est le seul à voir, il tonne. Et distribue récompenses et horions, trônant en compagnie d’une cour dont je dirai charitablement qu’elle n’est pas faite d’individus autonomes et critiques, mais de zélotes qui disparaîtraient en cas d’effacement de leur César. J’emploie ce dernier mot, car il renvoie à l’Internationale, ce chant que tant de crapules, de l’URSS à la Chine, du Vietnam à Cuba, ont pourtant encensé : « Ni Dieu, ni César, ni Tribun ». Où l’on voit que l’on aura tout oublié en route. Chez eux.

Je commence mes discutables rapprochements. Après la prise de pouvoir par Staline en URSS, disons 1926 ou 1927, les nouveaux partis communistes créés dans la foulée du coup d’État d’octobre 1917 furent purgés comme il fallait par l’Internationale communiste (le Komintern) qui, depuis Moscou, les finançait et les commandait. Au sixième congrès du Komintern, en 1928, le clan stalinien impose une ligne politique étrange qui n’a pas livré tous ses secrets. Ce qu’on a appelé la « stratégie classe contre classe ».

Il n’y avait plus qu’une classe, du moins celle estampillée par Moscou, c’est-à-dire une classe ouvrière totalement imaginaire. La vraie ne suivait les partis communistes qu’à la marge, mais Staline imposa tout de même un tournant spectaculaire. Les socialistes et sociaux démocrates devenaient des ennemis mortels, des social-fascistes. Pires en fait que les fascistes, car ils entraînaient dans leur piège les ouvriers qui se laissaient influencer par eux. À Paris, les Thorez, Duclos, Marty, Frachon suivirent bien entendu la ligne, qui ne serait rompue qu’au moment du Front Populaire, sur un nouvel ordre de Staline. Voilà que j’oublie Doriot, qui finirait Waffen SS, mais qui espérait encore prendre la direction du PCF. On peut penser qu’en ces circonstances changeantes, la crainte de la guerre, pour une Union soviétique isolée, aura joué un rôle important dans la politique internationale décidée par Staline. Ce qui ne change rien à mon propos.

Quoi qu’il en soit, la stratégie « classe contre classe » eut des effets catastrophiques en Allemagne, où le KPD (le parti communiste allemand) stalinien, aux ordres, refusa toute alliance pour contrer les succès du parti hitlérien. Peut-être ce dernier aurait-il conquis le pouvoir, mais en toute certitude, la politique du KPD aura été d’une grande aide.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, les trotskistes chers au cœur de Mélenchon refusèrent toute idée d’union avec ce qu’ils nommaient la bourgeoisie. De Gaulle était le cheval de Troie de cette dernière, tandis que les soldats allemands à Paris demeuraient à leurs yeux des « travailleurs sous l’uniforme ». Et par conséquent, pas question de les attaquer, de les blesser, de les tuer.

Je ne referai pas ici l’histoire à vrai dire fantastique de l’époque. Le certain, c’est que la Résistance antifasciste réunit dans la douleur des maurassiens épouvantables, comme le colonel Rémy, des maurassiens admirables, comme Daniel Cordier, des staliniens épouvantables, comme toute la direction du PCF, des staliniens admirables, comme le colonel Guingouin, des Espagnols échappés des geôles de Franco, des démocrates-chrétiens qui allaient fonder le MRP, droitier, des socialos, des syndicalistes, une foule de sans-parti qui n’accordaient plus aucun crédit à des formes politiques faillies.

Fallait-il ? Fallait-il unir tant de forces disparates ? Poser la question, c’est avoir une réponse limpide. C’était cela, ou accepter le joug. Je n’insiste pas plus sur Mitterrand, le grand homme de Mélenchon, que pour ma part je déteste. Mitterrand fit alliance, lui qui était foncièrement de droite, avec le PCF dès 1965 et n’eut de cesse d’embrasser jusqu’à les étouffer les staliniens, et beaucoup de forces – je pense au PSU de Rocard – qui n’avaient que peu de rapports avec lui et son ambition.


L’ambition. L’ambition et l’hubris de Mélenchon, qui fait passer sa toute petite personne avant les intérêts généraux de ce pays et de ce monde dévasté. La crise climatique commande. Elle est un impératif catégorique devant lequel tous les plans de carrière devraient s’effacer. Mais Mélenchon s’en contrefout. Il faudrait unir et réunir comme jamais dans notre histoire, et lui joue sa misérable carte, dans l’espoir chimérique d’égaler, voire dépasser son héros Mitterrand. Il est donc dans un contre-sens historique total, et ses suiveurs n’ont visiblement rien retenu de l’histoire. L’unité n’est pas la fusion. L’unité n’est pas toujours la confusion. L’unité est aujourd’hui vitale.

Mélenchon croit-il à sa stratégie « classe contre classe » revisitée ? Je n’ai certes pas de lumière sur ce qu’il pense, mais je gage pour ma part qu’il sait la partie perdue pour lui. Il ne peut espérer les voix de ceux qu’il aura insultés tant d’années de suite. Je pense même qu’il n’atteindra jamais un second tour de l’élection présidentielle. Je peux grandement me tromper. Cet homme médiocre me fait penser à Néron, pendant l’immense incendie de Rome, en l’an 64. Je sais qu’il s’agit très probablement d’une légende, mais beaucoup répètent depuis que l’empereur Néron en a été le responsable. Et qu’il en a joui.

Eh bien, je me demande si Mélenchon ne ressemble pas au Néron de cette noire légende. Il ne peut y parvenir ? Alors, ce sera personne.

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Post-scriptum : Le mélenchoniste Louis Boyard, qui fut le guignolo de Cyril Hanouna dans Touche pas à mon poste (TPMP), vient de perdre l’élection municipale de Villeneuve-Saint-George avec le brio qui est sa marque de fabrique. Je note sans surprise ses paroles : « Tout un système qui devant la révolution citoyenne préfère la fascisation de la France.»

Dieu du ciel, ce garçon est un grossier imbécile. Et il reprend sans même le savoir, car l’inculture lui est un métier, les mêmes termes que ceux de la Gauche Prolétarienne de Serge July, Alain Geismar et Pierre Victor-Benny Lévy au début des années 70. C’est-à-dire ces maoïstes qui bavaient d’admiration devant une Chine totalitaire qui tuait ses citoyens par millions. Il ne fait bon le rappeler, d’autant que tous ses dirigeants d’alors ont fait belle carrière.

Selon eux, la France était entrée dans un processus de fascisation. La CGT et le PCF, révisionnistes de la grande pensée marxiste, celle du camarade Mao, étaient des collabos, écrits souvent Kollabos pour mieux marquer une origine teutonne. En 1969, ces visionnaires – du moins Geismar et July signaient un livre délirant que j’ai dans ma bibliothèque, « Vers la guerre civile ». Plus con que cela, on ne trouvera pas.

Et puis, bulle de savon, disparition. July deviendrait chroniqueur de RTL. Geismar, directeur de cabinet de Claude Allègre, négateur de la crise climatique. Benny Lévy, talmudiste en Israël. Je serai d’accord avec Mélenchon sur un point : ¡ Que se vayan todos ! Qu’ils se barrent tous, Mélenchon et Boyard compris.