Non, amis lecteurs, Allègre n’est pas ma tête de Turc. Il en est bien d’autres. Mais comment vous dire ? Il est un symbole, et c’est celui de l’irresponsabilité de la presse, fût-elle de qualité, comme on dit outre-Manche. Vous avez suivi comme tout le monde la remise récente de prix Nobel. Celui de la paix a été donné à Al Gore, qui fut vice-président des États-Unis pendant huit ans, à l’époque Clinton.
Je ne l’aime guère. J’avais lu à sa sortie en Amérique son livre Earth in the balance, paru en 1992. Et le plus drôle, c’est que j’en avais fait une critique enthousiaste. Mais oui ! C’était la première fois, dans ma vie, que je lisais une analyse sérieuse de la crise écologique sous la plume d’un grand politique. Une citation du livre vous situera le tout. Gore écrivait : « We must make the rescue of the environment the central organizing principle for civilization ». Autrement dit, il fallait faire de la sauvegarde de l’environnement le principe d’organisation central de la civilisation.
J’avais applaudi, et j’avais tort. Car cinq ans plus tard, au grand raout sur le climat de Kyoto, Gore représentait l’Amérique. Et il se coucha comme de juste devant les intérêts du business. Reste, car je suis un pragmatique, que je suis heureux qu’il ait reçu le Nobel de la paix. Le message planétaire est puissant, et je pressens, malgré tout, que Gore est dans un véritable engagement. Au fond, que demander de plus à des gens venus de si loin ?
Et voilà Claude Allègre. Je vous ai embêté il n’y a pas si longtemps avec un très long texte sur lui et Tazieff : vous pouvez éventuellement vous y reporter (http://fabrice-nicolino.com). L’attribution du Nobel à Gore lui a permis une nouvelle salve d’éructations. Ce ne serait que risible, car c’est aussi risible, si ses propos n’avaient été recueillis comme sérieux. Je ne citerai que l’éditorial du journal Le Monde (14-15 octobre 2007), en page 2. Les adversaires de Gore, écrit l’auguste quotidien, « peuvent compter sur le renfort de quelques scientifiques, tel l’ancien ministre socialiste Claude Allègre, qui ne perd pas une occasion d’exprimer son scepticisme quant au changement climatique et à son origine humaine. Au-delà des querelles entre experts, les observateurs qui suivent les conflits en Afrique constatent que le réchauffement du climat et ses effets sur les équilibres écologiques sont à l’origine de conflits entre des nomades et des sédentaires ».
Un peu long ? Peut-être, mais j’avais besoin de ces deux phrases. Dans la première, on parle de « quelques scientifiques », comme si Allègre était un scientifique en général. Or, il ne sait strictement rien du climat. Je n’exclus pas qu’il soit plus ignorant que moi. Et dans la deuxième, l’expression qui tue est : « au-delà des querelles entre experts ». Là, nous touchons du doigt le spectre de la désinformation. Car il n’y a aucun débat d’experts. Et Allègre, au reste, n’en est pas un. Il existe d’une part un consensus mondial – rarissime dans l’histoire des sciences -, tel qu’exprimé par le GIEC, qui a lui aussi reçu le Nobel. Et puis de l’autre, quelques clampins dans le genre d’Allègre. Telle est la vérité.
Je n’insiste pas sur la responsabilité d’autres journaux, qui relaient la vilaine hargne de Claude Allègre. En revanche, je vous signale que Jean-Marc Jancovici, véritable connaisseur du dossier, vient de mettre en ligne (www.manicore.com) un article désopilant, mais infiniment sérieux, sur Allègre. Si vous en avez le moyen, faites circuler, car on se marre, car on se tient les côtes faute de trouver une autre réaction possible.
Rions ensemble une seconde, car c’est lundi, n’oublions pas. Voici le début, consacré au dernier livre d’Allègre, où il aborde la question du climat : « Il est difficile de dire si la consternation, l’admiration ou l’ébahissement est le terme plus approprié pour caractériser ce qui vient à l’esprit une fois refermé ce livre. Ce dernier comporte une telle densité d’âneries au centimètre carré de page imprimée qu’il en devient une énigme. A-t-il seulement été écrit par un adulte, ou bien par un petit-neveu d’Allègre dont ce dernier n’aurait pas relu les propos ? (…)
Cette avalanche d’inepties pose du reste un problème spécifique à qui veut s’essayer à une critique : par où commencer quand, sur des chapitres entiers, chaque page (je dis bien chaque page) contient une démonstration qui n’en est pas une, un procès d’intention, une citation rapportée de manière inexacte (ce qui évidemment rend ensuite la critique plus facile !), ou encore une absence de précision – délibérée ? – qui rend impossible l’identification même de l’individu ou de l’entité visés (le pronom « on », qui dispense opportunément de préciser qui a dit quoi exactement, est employé à jet continu, et quand « on » ne sait pas qui est visé exactement, il est difficile de savoir quoi répondre…). »
Pas mal, non ?
Je suis tout à fait d’accord, je pense qu’il y aurait un réel danger à ce que Claude Allègre soit au ministère de la recherche, mais comment
empêcher cela ?
Les motivations de Claude Allègre :
– c’est un narcissique qui aime bien faire parler de lui ?
– Il écrit 2 livres par an, dont certains tirent à plus de 50000 exemplaires /an. C’est une source de revenus potentiellement beaucoup plus importante que sa retraite. Donc il écrit des livres « polémiques », des éditeurs seront toujours ravis de les publier.