Mais que font donc nos journaux ? De quoi parlent jour après jour nos chroniqueurs, nos limiers, nos moralistes, nos Laurent Joffrin, Éric Fottorino, FOG, Jean Daniel, Christophe Barbier, BHL, André Glucksmann, Alexandre Adler, Régis Debray, Jean-François Kahn, Alain Minc, Luc Ferry, Max Gallo, Jacques Julliard, Pierre Rosanvallon, Guy Sorman, et tous autres, en fait innombrables ? Combien de pages pour la publicité en faveur de ce monde ? Combien de colonnes et d’émois consacrés au mystère Cécilia ? Combien de radotages et ratiocinations ?
On chercherait en vain le moindre intérêt, chez eux, pour les abeilles. Or, le Colony Collapse Disorder (CCD), ou Syndrome d’effondrement des colonies, est en train de changer la face du monde, à la différence des migraines de Nicolas Sarkozy. Bien entendu, tel ou tel article a pu, ici ou là, être écrit. La belle affaire ! Je vous parle d’un événement planétaire, aux conséquences dévastatrices. Les commentateurs sont des aveugles qui nous traitent comme des sourds. Demeurés, je m’empresse d’ajouter.
Les abeilles meurent, partout. Le CCD a été repéré fin 2006 aux États-Unis, d’où sa dénomination anglaise. Brutalement, les abeilles ont dit adieu aux ruches. Un beau jour, affreux en somme, elles ont cessé de revenir. Une désertion devant un ennemi invisible. Au cours de l’hiver 2006-2007, entre 25 et 50 % des colonies d’abeilles américaines auraient disparu dans un trou noir. Les estimations varient, comme vous pouvez constater. Comment savoir ce qui arrive à tant d’insectes, domestiques ou sauvages ? Il y aurait environ 20 000 espèces d’abeilles dans le monde, dont un millier chez nous, en France.
Bon, j’ose l’écrire : peu importe, en l’occurrence du moins. Le CDD frappe peu à peu le monde entier, dont l’Europe bien sûr. La dernière hypothèse retenue évoque la piste d’un virus. Peut-être. Je n’en sais strictement rien. Bien des causes ont été avancées, mais toutes reposent, in fine, sur l’affaissement des défenses immunitaires de l’abeille. Elle ne peut plus se défendre contre des parasites, virus ou bactéries qui deviennent du même coup mortels.
Pourquoi cet affaissement ? Le mystère n’en est pas tout à fait un. Le spécialiste mondial de la pollinisation Bernard Vaissière – chercheur à l’Inra – résume son sentiment dans un entretien paru dans Le Monde du 13 octobre dernier (www.lemonde.fr) : « Les causes de leur régression sont connues : élimination de leurs sites de nidification, raréfaction des plantes qui leur fournissent nectar et pollen, maladies et parasites… Et, surtout, épandage de pesticides, particulièrement destructeurs pour les abeilles. Celles-ci, en effet, possèdent très peu de gènes de détoxification, comme l’a confirmé tout récemment le séquençage du génome de l’abeille domestique ».
Je ne suis pas exagérément surpris. Car je vous rappelle que je suis l’auteur (avec l’ami François Veillerette) d’un livre sur le scandale des pesticides. Il n’empêche que je reste songeur. On peut écrire que les abeilles disparaissent et que la cause première de ce drame absolu tient au déferlement de l’agriculture industrielle. Et le monde continue aussitôt sa marche folle, sans seulement ralentir. La déclaration de Vaissière aurait dû faire la une de tous les journaux, y compris télévisés. Car il ajoutait en outre, à propos de la possibilité d’une disparition complète des abeilles : « Il y a cinq ans, j’aurais considéré cette hypothèse comme totalement futuriste. Aujourd’hui, je la prends au sérieux, car le déclin se mesure désormais à l’échelle mondiale. Chez les populations sauvages comme chez l’abeille domestique ».
Le cri de Vaissière aurait dû être lu dans les écoles, proclamé sur la moindre de nos places publiques. Mais il a été relégué dans un (petit) cadre, en pages intérieures. Misère ! On estime pourtant que les insectes, au premier rang desquels les abeilles, contribuent de manière décisive à la production alimentaire mondiale. Leur aide gratuite, sous la forme de pollinisation, représenterait au total 35 % de notre nourriture. 35 % !
Je ne sais rien de l’avenir des abeilles, et je souhaite bien entendu, de toutes mes forces malingres, qu’elles se rétablissent au plus vite. Mais bon sang, quel délire universel ! Quand vous rencontrerez un journaliste, ou un député, ou un freluquet quelconque disposant d’une quelconque tribune publique, parlez-lui du pays. Parlez-lui du pays des abeilles, qui est le nôtre, jusqu’à plus ample informé. Faites passer cette information capitale. Car s’il n’y en avait qu’une, ce pourrait être celle-là. Désolé, sincèrement, je n’arrive pas, ce matin du 22 octobre 2007, à sourire.
Il faut un autre agriculture. Il faut libérer les sciences agronomiques de leurs oeillères idéologiques.
Il faudrait aussi que Bernard Arnault transforme son bazar en scop. Je suis prêt les amis. J’étudierai toutes les propositions.
PS: J’aimerais aussi récupérer les deux essaims qui se sont fait la malle début septembre.